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gence, d'ordre et de décision. C'est ainsi que devrait être tout peuple libre, et un peuple capable de cela est assuré d'être libre; il ne se laissera jamais asservir par aucun homme ou par aucun corps, parce que ceux-ci sont capables de tenir ou de manier les rênes de l'administration centrale. Aucune bureaucratie ne peut espérer de contraindre un tel peuple à faire ou à subir ce qui ne lui plaît pas. Mais là où la bureaucratie fait tout, rien de ce à quoi elle est réellement hostile ne peut être fait. La constitution de semblables pays est une organisation de l'expérience et de l'habileté pratique de la nation en un corps discipliné, destiné à gouverner le reste; et plus cette organisation est parfaite en elle-même, mieux elle réussit à attirer à elle et à former pour elle tous les talents de la communauté, plus l'asservissement de tous, y compris les membres de la bureaucratie, est complet. Car les gouvernants sont aussi bien les esclaves de leur organisation et de leur discipline que les gouvernés sont les esclaves des gouvernants Un mandarin chinois est aussi bien l'instrument et l'esclave du despotisme que le plus humble cultivateur. Un jésuite est dans toute la force du terme l'esclave de son ordre, quoique l'ordre lui-même existe par le pouvoir collectif et l'importance de ses membres.

Il ne faut pas oublier non plus que l'absorption de tous les talents élevés du pays par le corps gou

vernant est fatale tôt ou tard à l'activité et au progrès intellectuel de ce corps lui-même. Lié comme il l'est en toutes ses parties, suivant comme il le fait un système qui, ainsi que tous les systèmes, procède presque toujours d'après des règles fixes, le corps officiel est constamment tenté de s'endormir dans une indolente routine; ou bien s'il sort quelquefois de cet éternel cercle, il se passionnera pour quelque idée à peine ébauchée qui aura plu à un des membres importants du corps; et pour que ces tendances qui se touchent de près (bien qu'elles semblent opposées) puissent être tenues en échec, pour que tous les talents que renferme le corps se maintiennent à une certaine hauteur, il faut que ce corps soit exposé à une critique extérieure, vigilante et habile. C'est pourquoi il est indispensable que des talents puissent se former en dehors de l'État, avec les occasions et l'expérience nécessaires pour juger sainement les grandes affaires pratiques. Si nous voulons posséder à perpétuité un corps de fonctionnaires habiles, capable de bons services, et par-dessus tout un corps susceptible de créer le progrès et disposé à l'adopter, si nous ne voulons pas que notre bureaucratie dégénère en pédantocratie, il ne faut pas que ce corps absorbe toutes les occupations qui forment et cultivent les facultés nécessaires pour le gouvernement de l'humanité.

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Dire où commencent ces maux si redoutables pour la liberté et le progrès humain, ou plutôt dire où ils commencent à l'emporter sur le bien qu'on peut attendre des forces libres de la société sous leurs chefs reconnus Assurer les avantages d'une centralisation politique et intellectuelle autant qu'on le peut, sans détourner dans les voies officielles une trop grande portion de l'activité générale C'est une des questions les plus difficiles et les plus compliquées dans l'art du gouvernement. C'est au plus haut degré une question de détails, où l'on ne peut poser de règles absolues, où il faut tenir compte des considérations les plus nombreuses et les plus diverses. Mais je crois qu'au point de vue pratique le principe de salut, l'idéal à ne pas perdre de vue, le critérium d'après lequel on doit juger tous les arrangements proposés pour vaincre la difficulté, peut s'exprimer ainsi : la plus grande dissémination de pouvoir, compatible avec l'action utile du pouvoir; la plus grande centralisation possible d'information, aussi répandue que possible du centre à la circonférence.

Ainsi il devrait y avoir dans l'administration municipale, comme dans les États de la Nouvelle-Angleterre, un partage très-soigneux entre des fonctionnaires différents choisis par les localités, de toutes les affaires qu'il ne vaut pas mieux laisser aux mains des personnes intéressées; mais outre cela il de

vrait y avoir dans chaque département des affaires locales une surintendance centrale, formant une branche du gouvernement général. L'organe de cette surintendance concentrerait comme dans un foyer toute la variété d'information et d'expérience tirée et de la direction de cette branche des affaires publiques dans toutes les localités, et de ce qui se passe d'analogue dans les pays étrangers, et des principes généraux de la science politique. Cet organe central aurait le droit de savoir tout ce qui se fait, et son devoir spécial serait de rendre l'expérience acquise dans un endroit, utile ailleurs.

Cet organe étant au-dessus des vues étroites et des préjugés mesquins d'une localité, par sa position élevée et par l'étendue de la sphère de ses observations, son avis aurait naturellement beaucoup d'autorité; mais son pouvoir capital devrait, selon moi, se borner à contraindre les fonctionnaires locaux à suivre les lois établies pour leur gouverne. Pour tout ce qui n'est pas prévu par des règles générales, ces fonctionnaires devraient être livrés à leur propre jugement sous peine de responsabilité envers leurs commettants. Pour la violation des règles ils seraient responsables envers la loi, et les règles elles-mêmes seraient établies par la législature l'autorité centrale administrative ne ferait que veiller à leur exécution: et si l'exécution n'était pas ce qu'elle doit être, l'autorité en appel

lerait suivant la nature du cas, ou au tribunal pour imposer la loi, ou aux corps de commettants pour casser les fonctionnaires qui n'auraient pas exécuté cette loi suivant son esprit. Telle est, dans son ensemble, la surveillance centrale que le bureau de la loi des pauvres est destiné à exercer sur les administrateurs de la taxe des pauvres dans tout le pays.

Quelque usurpation de pouvoir qu'ait commise ce bureau, cela était juste et nécessaire dans ce cas particulier, pour déraciner des abus invétérés dans des matières qui intéressent profondément non-seulement les localités mais toute la communauté. En effet, nulle localité n'a moralement le droit de se transformer par sa mauvaise gestion en une pépinière de misères, qui se répandent nécessairement dans les autres localités et détériorent la condition morale et physique de toute la communauté ouvrière. Les pouvoirs de coaction administrative et de législation subordonnée que possède le bureau de la loi des pauvres (mais qu'il n'exerce que très-faiblement à cause de l'état de l'opinion sur ce sujet), quoique parfaitement justes dans un cas d'intérêt national de premier ordre, seraient totalement déplacés s'il s'agissait de la surveillance d'intérêts purement locaux. Mais un organe central d'information et d'instruction pour toutes les localités serait également précieux dans tous les départements de l'administration.

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