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drais-je de m'engager ? N'es-tu pas la souveraine de toutmon être?...

Un cri traversa les airs, Gaza répondit par de joyeux aboiements. Izane et Féral reconnurent la voix de Pascoulette, et Féral s'élança dans la direction de cette voix. Debout, au centre du bateau qu'elle venait de ramener et d'amarrer à la rive, Pascoulette les appelait du geste et leur criait de se hâter:

- Il fait déjà nuit, disait-elle; mon père doit s'alarmer, je ne veux pas prolonger son inquiétude.

Féral entra dans le bateau, Izane n'osa pas renouveler sa demande; elle vint s'asseoir à côté de lui. Le coup de rame qui la sépara de cette rive, où elle n'avait pu voir se réaliser la première prière de son amour, la fit tressaillir; il lui sembla qu'une fibre venait de se rompre dans la trame de son bonheur.'

La nuit se déployait autour d'eux avec une sérénité si majestueuse; la fraîcheur qui s'élevait des eaux tempérait si délicieusement ces ardeurs qu'un beau jour d'été laisse après lui dans l'atmosphère; le fleuve réfléchissait un firmament si brillamment étoilé et la barque y traçait, en remontant vers la ville, un si lumineux sillage; tant de joie éclatait dans les chants dont la brise apportait les lointaines harmonies; le bras de Féral entourait la taille d'Izane d'une pression à la fois si respectueuse et si tendre, que la poétique enfant ne put pas longtemps résister à l'impression de ce bonheur qui l'envahissait, pour ainsi dire, par tous les pores. Elle appuya sa tête sur l'épaule de son ami; leurs regards se confondirent et s'élevèrent ensemble vers la voûte céleste. D'une voix inspirée, Féral déroula devant l'esprit ébloui d'Izane ce splendide poëme de l'astronomie, où chaque étoile est un vers, chaque constellation une strophe de l'hymne immense que la création exhale vers l'Éternel. Il

raconta les traditions fabuleuses dont le firmament fut peuplé par la brillante imagination des Grecs. Suspendue aux lèvres de son ami, Izane recueillait avec avidité ses paroles, comme on recueille précieusement les gouttes dorées que l'ambre distille; chaque mot retentissait dans son âme et l'illuminait de reflets magiques, comme résonne et brille la perle qui tombe dans un bassin d'or. Lorsque Féral lui eut désigné l'astre portant le nom de la déité qui était chez les anciens le symbole par qui l'on aime, elle fixa sur lui un ardent regard, et sa naïve idolâtrie lui adressa mentalement une invocation passionnée,

Mystérieuse influence du premier amour qui élargit nos perceptions, nous fait comprendre les plus grands spectacles, ravit notre âme dans la région des sublimes extases et nous y révèle toujours quelque chose qui répond à notre pensée.

IV

La Veille d'un grand jour.

Notre-Dame d'août est, de toutes les fêtes, celle dont s'émeut le plus la population d'Arles; on le comprendra lorsque nous aurons ajouté que cette solennité équivaut pour elle à ce qu'est Longchamp pour les Parisiens. Dans une ville où, après l'amour, la toilette est l'affaire capitale de la vie des femmes, le 15 août peut être considéré comme le plus grand jour de l'année, car c'est celui pour lequel on se réserve la plus riche parure et l'exhibition des modes nouvelles. Paraître le 15 août avec un ajustement déjà porté, c'est se désigner soi

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même à l'ironique pitié d'une critique inflexible. Aussi, rien n'égale l'activité qui précède ce jour solennel; pour y figurer avec éclat, que de privations ne s'impose-t-on pas plusieurs mois à l'avance! On dit même qu'autrefois (hélas! faut-il le croire?) plus d'une vertu qui résistait vaillamment pendant le reste de l'année devenait beaucoup moins farouche aux approches du 15 août; bien des mystères se cachaient, disait-on encore, sous la soie, la dentelle et les brillants colifichets; mystères transparents que pénétrait l'envie et que publiait la médisance. Une procession à Notre-Dame-de-Grâce avait lieu ordinairement ce jour-là; il était d'usage immémorial qu'elle sortit et rentrât de très-bonne heure, afin de laisser le champ libre à la promenade; mais un bruit sinistre s'était répandu dans la ville: on disait que, par une fâcheuse innovation, la procession devait se prolonger jusqu'à la nuit close et rendre ainsi la promenade impossible.

En Arles plus encore que dans les autres villes du Midi, on vit dans la rue. Assises devant leurs portes, les femmes et les jeunes filles travaillent en babillant. Les hommes se mêlent en passant à ces joyeux entretiens; des fleurs sont offertes, acceptées, et la nouvelle du jour va grossissant de groupe en groupe.

Voici quels étaient les dialogues qu'aurait entendus, la veille du 15 août de l'année où se passe notre histoire, celui qui eût parcouru les rues d'Arles pour se mettre au courant de l'opinion féminine :

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nuit?

A quoi donc travaillez-vous?

- A ma toilette de demain.

Vous savez que la procession doit durer jusqu'à la

Cela nous est bien égal. Nous planterons là la procession.

Voilà ce qui s'appelle parler. Nous vous verrons à

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Pouvez-vous me dire s'il y aura lice demain?
Hélas! non; la procession durera jusqu'à la nuit.
Vous n'avez qu'à ne pas y rester.

Il faut bien rester où est le monde.

Comme on le voit, deux partis se dessinaient : le parti de la soumission et le parti de la révolte. Personne n'attisait plus activement le feu de la sédition que notre amie Pascoulette. Bien qu'elle habitât Trinquetaille, son éducation au pensionnat d'Orey et la gentilesse de son caractère l'avaient fait connaître et adopter en Arles. Chacun l'aimait et lui faisait accueil. Elle circulait donc de porte en porte, ses intarissables lazzi laissaient après elle comme une traînée de joyeuses étincelles et recrutaient pour le lendemain une formidable armée.

Arrivée sur la place Royale, Pascoulette s'arrêta devant un petit magasin dont le seuil était orné d'une plaque de marbre. Sur un panneau bleu qu'encadrait une élégante vignette, on lisait le mot Nouveautés ; ceux de Foulards anglais rayonnaient en lettres d'or à travers la vitre. De légers tissus se drapaient à l'entrée, moins comme montre que comme rempart contre une curiosité importune. Si la cage était charmante, certes l'oiseau ne l'était pas moins. Jamais pinçon plus gai, rossignol plus mélodieux, colibri plus étincelant n'animèrent les prés, les bocages, ou le calice des fleurs. Dans ses vingt pieds carrés, ce petit magasin contenait à lui seul plus de gaieté, de grâce et de bonheur que n'en possèdent bien des villes. Aussi ne manquait-on pas de le désigner aux étrangers qui s'empressaient d'y appor

ter l'hommage de leur curiosité vagabonde. Tous y laissaient leur argent, car il était difficile de ne pas désirer y prolonger la visite; or, pour un nouveau venu, le seul moyen convenable c'était d'acheter. Ceux qui avaient l'imprudence d'y retourner y laissaient aussi leur cœur ; mais, comme la divinité du lieu n'en avait que faire, ils pouvaient toujours le reprendre et ils le faisaient sans mauvaise honte, car, une fois au courant, on savait qu'un amour vrai, profondément partagé, remplissait l'âme et la vie de Perdigone, et que son amitié avait plus de charmes que l'amour même des autres femmes.

Les types réunis de Rigolette et de Mimi-Pinson ne résumeraient qu'imparfaitement ce naturel à la fois sérieux et ricur, esprit ferme et nct, à qui plus d'un grand personnage ne rougissait pas de venir demander un bon avis ou la distraction d'une fine causerie. Elle avait de pimpants négligés contre lesquels ne pouvaient lutter qu'avec désavantage les toilettes les plus recherchées. Portée par elle, la moindre babiole produisait plus d'effet que les merveilles d'un opulent écrin. Aussi, à quelque condition qu'on appartînt, du plus loin qu'on apercevait l'œil alerte, le nez mutin, le cou de neige, le fin menton de Perdigone et son joli bras nu cavalièrement posé sur la hanche (attitude familière aux Arlésiennes et aux Andalouses), on pressait le pas pour échanger avec elle quelques agréables propos. A tous, l'aimable enfant répondait avec une précision merveilleusement adaptée au mérite et aux prétentions de chacun. A ceux qu'elle avait distingués et qu'elle traitait en amis, elle offrait un siége près de son comptoir et prodiguait tous les trésors étincelants de son charmant esprit. Une femme du grand monde n'aurait pas porté dans ses actions et dans ses paroles un tact plus parfait,

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