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qui font ce métier meurent de bonne heure, ou du moins perdent avant le temps l'énergie physique dont ils ont abusé, et qui était leur seul mérite. Celui-ci se laissa abrutir si vite qu'il devint impossible de l'employer dans les rôles où il était réellement utile au théâtre. Le cabaret avait pour lui des charmes auxquels il ne pouvait pas résister. Les maladies, la pauvreté, l'attendaient aussi sûrement que la mort s'il continuait le même genre de vie, et cependant il le continua. Vous devinez ce qui dut en résulter. Il ne put obtenir d'engagement, et il manqua de pain.

Tous ceux qui connaissent un peu le théâtre savent quelle nuée d'individus misérables, affamés, entourent toujours un vaste établissement de ce genre. Ce ne sont pas des acteurs engagés régulièrement, mais des comparses passagers, des paillasses, etc., qui sont employés tant que dure une pantomime ou quelque pièce orientale, et qui sont remerciés ensuite, jusqu'à ce qu'un autre drame de même espèce réclame de nouveau leurs services. Notre homme fut obligé d'avoir recours à ce genre de vie, et gagna ainsi, dans les petits théâtres, un peu d'argent, qui lui permit de se livrer à ses penchants. Mais cette ressource même lui manqua bientôt. Son ivrognerie l'empêchant de mériter la faible pitance qu'il aurait pu se procurer de cette manière, il se trouva réduit à la misère la plus absolue; toujours sur le point de mourir de faim, et n'échappant à cette destinée qu'en recevant quelques secours d'un ancien camarade, ou en obtenant d'être employé par hasard à l'un des plus petits théâtres; encore le peu qu'il attrapait ainsi était-il dépensé suivant le même système.

Je l'avais perdu de vue depuis quelque temps, car j'avais parcouru la province pendant qu'il flânait dans

les carrefours de Londres. Il y avait déjà plus d'un an qu'on ne pouvait comprendre de quoi il existait, lorsque je le rencontrai sur un théâtre du faubourg, pour lequel j'avais un court engagement. La toile était tombée; j'étais habillé pour m'en aller, et je traversais la scène, quand il me frappa sur l'épaule. Non, jamais je n'oublierai la figure repoussante qui se présenta à mes yeux, quand je me retournai. Les personnages fantastiques de la danse des morts, les figures les plus abominables tracées par les martyrologistes espagnols, rien n'offrit jamais un aspect aussi sépulcral. Il portait le costume ridicule d'un paillasse, et son corps décharné, ses jambes de squelette, étaient rendus plus horribles encore par cet habit de mascarade; ses yeux ternes contrastaient affreusement avec la teinte blanche dont toute sa face était couverte sa tête, grotesquement ornée et tremblante de paralysie, ses longues mains osseuses, frottées de blanc d'Espagne, tout contribuait à lui donner une apparence hideuse, hors de nature, qu'aucune description ne peut rendre, qu'aujourd'hui encore je ne me rappelle qu'en frémissant. Il me prit à part, et d'une voix cassée et tremblante, il me raconta un long catalogue de maladies et de privations, qu'il termina, comme à l'ordinaire, en me suppliant de lui prêter une bagatelle. Je mis quelque argent dans sa main, et comme je m'éloignais, le rideau se leva, et j'entendis les bruyants éclats de rire que causait sa première culbute sur le théâtre.

Quelques jours après, un enfant me donna un morceau de papier malpropre par lequel j'étais informé que cet homme était dangereusement malade, et qu'il me priait de l'aller voir après la comédie, dans une rue dont j'ai oublié le nom, mais qui n'était pas éloignée du théâtre, Je promis de m'y rendre aussitôt que je le

pourrais, et quand la toile fut baissée, je partis pour ce triste office.

Il était tard, car j'avais joué dans la dernière pièce, et comme c'était une représentation à bénéfice, elle avait duré fort longtemps. La nuit était sombre et froide; un vent glacial poussait violemment la pluie contre les vitres des croisées; des mares d'eau s'étaient amassées dans ces rues étroites et peu fréquentées ; une partie des réverbères, assez rares en tout temps, avaient été éteints par la violence de la tempête, et mon entreprise était aussi dangereuse que mélancolique. Heureusement, je ne m'étais pas trompé de chemin, et je découvris la maison que je cherchais. Elle n'avait qu'un seul étage, et l'infortuné que je venais voir gisait dans une espèce de grenier, au-dessus d'un magasin de charbon de terre.

Une femme, à l'air misérable, la femme du paillasse, me reçut sur l'escalier, me dit qu'il venait de s'assoupir, et m'ayant introduit doucement, me fit asseoir sur une chaise auprès de son lit. Il avait la tête tournée du côté du mur, et comme il ne s'aperçut pas d'abord de ma présence, j'eus le temps d'examiner l'endroit où je me trouvais.

Au chevet du grabat, auprès duquel j'étais assis, on avait suspendu des lambeaux de couverture, pour préserver le malade du vent qui pénétrait de toutes parts dans cette chambre désolée, et qui à chaque instant agitait ce lourd rideau. Dans une grille rouillée et descellée brûlait lentement du poussier de charbon de terre. Auprès, sur une vieille table à trois pieds, il y avait plusieurs fioles, un miroir brisé et quelques autres ustensiles. Un enfant dormait sur un matelas étendu par terre, et sa mère était assise auprès de lui, sur une chaise à moitié brisée. Quelques assiettes, quelques

tasses, quelques écuelles, étaient placées sur une couple de tablettes; au-dessous étaient accrochés des fleurets avec une paire de souliers de théâtre, et ces objets composaient seuls l'ameublement de la chambre, si l'on excepte deux ou trois petits paquets de haillons, jetés en désordre dans les coins.

Tandis que je considérais cette scène de désolation, et que je remarquais la respiration pesante, les soubresauts fiévreux du misérable comédien, il se tournait et se retournait sans cesse pour trouver une position moins douloureuse. Une de ses mains sortit de son lit et me toucha; il tressaillit et me regarda avec des yeux hagards.

John, lui dit sa femme, c'est M. Hutley que vous avez envoyé chercher ce soir, vous savez?

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Ah! dit-il en passant sa main sur son front, Hutley! Hutley! voyons!

Pendant quelques secondes, il parut s'efforcer de rassembler ses idées, et ensuite, me saisissant fortement par le poignet, il s'écria :

Oh! ne me quittez pas, vieux camarade! elle m'assassinera! je sais qu'elle en a envic!

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Y a-t-il longtemps qu'il est comme cela? demandaije à cette femme qui pleurait.

Depuis hier soir, monsieur. John, John, ne me reconnaissez-vous pas ?

En disant ces mots, elle se courbait vers son lit, mais il s'écria avec un frisson d'effroi :

Ne la laissez pas approcher! repoussez-la! je ne peux pas la supporter près de moi!

En parlant ainsi, il la regardait d'un air égaré et plein d'une aversion mortelle, puis il me dit à l'oreille :

Je l'ai battue, Jem. Je l'ai battue hier, et bien d'autres fois auparavant. Je l'ai fait mourir de faim, et

son enfant aussi; et maintenant que je suis faible et sans secours, elle va m'assassiner; je sais qu'elle în a envie. Si, comme moi, aussi souvent que moi, vous l'aviez entendue gémir et crier, vous n'en douteriez pas. Éloignez-la!

En achevant ces mots, il lâcha ma main et retomba sur son oreiller.

Je n'entendais que trop ce que cela signifiait. Si j'avais pu en douter un seul instant, il m'aurait suffi, pour le comprendre, d'un coup d'œil jeté sur le visage pâle, sur les formes amaigries de sa malheureuse femme.

Vous feriez mieux de vous retirer, dis-je à cette pauvre créature. Vous ne pouvez pas lui faire de bien. Peut-être sera-t-il plus calme s'il ne vous voit pas.

Elle se recula hors de sa vue. Au bout de quelques secondes, il ouvrit les yeux et regarda avec anxiété autour de lui en demandant :

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Est-elle partie?

Oui, oui, lui dis-je, elle ne vous fera pas de

Je vais vous dire ce qui en est, reprit-il d'une voix caverneuse, elle me fait mal! Il y a quelque chose dans ses yeux qui me remplit le cœur de crainte, et qui me rend fou. Toute la nuit dernière, ses grands yeux fixes et son visage pâle ont été devant moi. Où je me tournais, elle se tournait. Quand je me réveillais en sursaut, elle était là, tout auprès de mon lit, à me regarder.

Il s'approcha plus près de moi et ajouta d'une voix

basse et tremblante:

Jem, il faut qu'elle soit mon mauvais ange, un démon! chut! j'en suis sûr. Si elle n'était qu'une femme, il y a longtemps qu'elle serait morte; aucune femme n'aurait pu endurer ce qu'elle a enduré.

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