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l'indignation firent explosion dans mon âme. Le moment de la solennité était proche ; je m'armai d'un poignard et sortis furieuse. La nourrice de mon enfant se jeta sur mon passage. Je crus qu'elle avait appris la fatale nouvelle et venait m'en entretenir. Je l'écartai et m'éloignai, marchant à ma vengeance; elle courut après moi, me supplia de m'arrêter et de la suivre au nom de mon fils pris d'une de ces fièvres convulsives qui, sous nos climats, emportent en quelques heures les organisations les plus vigoureuses.

« Un épouvantable combat se déchaîna dans mon âme... Quelques minutes de retard, et Martel devenait l'époux d'une autre!... Quelques minutes de retard, et mon enfant pouvait n'être plus!... Dieu me vint en aide; l'amour maternel l'emporta. Je suivis la nourrice. Il était temps encore; trois jours et trois nuits je disputai au tombeau cette frêle existence, unique lien qui me rattachât à la vie. Mais le ciel voulut que l'expiation fût complète!... Sous ce dernier coup, ma raison s'égara. Je tombai dans une fureur sombre entrecoupée de poignantes crises. Sans le prêtre qui m'avait déjà assistée et dont le dévouement me resta courageusement fidèle, je me serais portée aux plus terribles extrémités. Il profita de la stupeur que l'épuisement des forces physiques fait succéder au désespoir pour me ramener à des sentiments plus religieux. Quelquefois encore, même en l'écoutant, je serrais convulsivement le manche de mon poignard dont je n'avais pas voulu me séparer. Une nuit, je crus voir apparaître mon enfant porté dans les airs par les ailes d'un ange:

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Dieu, me dit-il, m'envoic vers toi pour t'annoncer que sa justice est satisfaite.

«Il sourit et remonta dans les cieux. A mon réveil, je sentis un calme solennel se répandre dans tout mon

être. Je m'étonnai d'avoir pu nourrir des projets sanguinaires; un cloître m'ouvrit sa retraite. J'y vécus, sinon heureuse, du moins résignée. Vous connaissez les événements qui m'en ont fait sortir.

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Voilà, mon enfant, quel peut être l'avenir au-devant duquel vous courez si étourdiment! Méditez cette triste histoire, et soyez enfin plus prudente. Observez mieux les autres et vous-même. Dans quelques jours, vous me rendrez compte de vos réflexions et, probablement aussi, de vos découvertes. »

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Mes réflexions, répondit Izane en essuyant les larmes que répandait son amitié à mesure qu'elle entendait se dérouler ce drame lugubre, mes réflexions sont toutes faites, car je ne vois aucune analogie entre le caractère égoïste et trivial de votre séducteur et la générosité, la noblesse, l'instinct tout poétique de Féral: or, vous le savez, tout dépend des caractères. Quant aux découvertes dont vous parlez, je n'en ai, jusqu'à ce jour, fait aucune qui n'ait été pour moi une heureuse surprise. Rassurez-vous donc, ma bonne maîtresse; votre élève est aimée plus encore qu'elle n'aime, et vous avez su deviner quelle est la profondeur de son amour!

L'adorable sourire et le baiser qui accompagnèrent ces paroles révélèrent à mademoiselle d'Orcy une plénitude de confiance et une puissance d'illusion qui ajoutèrent à son effroi et lui firent sentir l'inutilité de toute nouvelle objection. Elle soupira donc et ne répliqua rien, se promettant bien de toujours observer et d'intervenir propos.

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L'horloge de la ville sonnait neuf heures. Répercuté par les tombes vides, le tintement de l'airain se prolongea dans l'espace et réveilla les chiens des fermes voisines qui répondirent par des hurlements. Mademoiselle d'Orcy se leva, offrit son bras à Izane et reprit

avec elle le chemin de la ville. Comme elles passaient devant le tertre où s'élèvent si majestueusement quelques portiques extérieurs du théâtre romain, et cette tour qu'on appelle tour de Roland, du nom de l'évêque qui la fit construire avec des matériaux empruntés au colosse antique, Izane fit remarquer à mademoiselle d'Orcy un tableau qu'on eût dit transporté de la campagne de Rome: au pied des ruines était parqué, sur le tertre, un grand troupeau que gardaient accroupis deux de ces énormes chiens aux longues soies blanches, que la Camargue produit, et qui rivalisent avec ceux des Abruzzes. A côté d'une cabane mobile portée sur quatre roues, un pâtre veillait, l'aisselle appuyée sur son bâton. En voyant sa pose, son chapeau aux grands bords, la peau de mouton dont sa veste était composée et le manteau brun jeté sur son épaule d'où il retombait en large draperie, on cût dit qu'il posait pour Léopold Robert.

Quel que fût le charme romantique de ce tableau, il n'eût pas cependant fixé l'attention des deux amies si leur regard avait pénétré sous l'ombre que projetaient les portiques en ruine; elles y auraient aperçu un autre pâtre dont nous ne décrirons pas la personne, car le peintre illustre que nous venons de nommer semble l'avoir deviné en peignant le jeune et beau moissonneur qui s'étale au centre de son chef-d'œuvre.

Agenouillé aux pieds d'une jeune fille qui le dominait, grâce à un grand chapiteau renversé sur lequel elle s'était assise, ce pâtre contemplait et écoutait avec une sorte d'extase que nous comprendrons à merveille, car celle qui lui parlait n'était rien moins que Pascoulette.

Ami Cayrol, disait-elle en scrrant sa mante comme un rempart autour de sa fine taille, si vous ne devenez

pas plus sage et plus patient, je ne viendrai plus à vos rendez-vous. Je vous ai promis d'être votre femme et je vous tiendrai parole, pourvu que vous le méritiez; seulement, ce ne peut être qu'avec le consentement de mon père. Pour le moment, telle n'est pas son idée; si vous ne savez pas que, dans notre famille, on ne change point d'idée du soir au matin, nous ne sommes pas fâchés de vous l'apprendre. Dans le cas, cependant, où ce refus se prolongerait trop, comptez sur moi pour inventer un expédient. Vous savez bien cette pomme de pin que vous m'avez apportée ? J'ai trouvé moyen d'en extraire les amandes que j'ai croquées, pour l'amour de vous, sans trop la démolir, et je l'ai gardée. Si, en passant près de vous, à la foire prochaine, je la laisse tomber à vos pieds, cela voudra dire que le soir, à notre heure habituelle, il faudra vous trouver ici; alors, je vous expliquerai tous mes plans, et, pourvu que vous me promettiez le respect le plus complet, l'obéissance la plus aveugle, je réponds du succès.

Fou de joie, Cayrol promit, jura avec un enthousiasme et une véhémence de gestes qui firent sourire Pascoulette. Puis ses deux bras enlacèrent la jeune fille, et un baiser trop retentissant démentit le serment qu'il prétendait sceller.

Encore! murmura Pascoulette en glissant et lui échappant avec la souplesse d'une couleuvre, vous êtes donc incorrigible!

L'humble attitude et le regard suppliant de Cayrol implorèrent son pardon, en exprimant un repentir si comiquement naïf, que la grande colère de Pascoulette se traduisit par un frais éclat de rire; lorsqu'une jeune fille a ri, elle a plus que pardonné.

-Bonsoir, maître Cayrol, dit la maligne enfant en effleurant d'un léger coup d'éventail la main tenduc vers

elle; apprenez donc un peu de vos brebis le mérite de la soumission, et n'imitez pas si souvent les allures du loup ravisseur. A propos, sans négliger votre troupeau, ne laissez passer aucune occasion de vous mettre au courant du jardinage et de vous exercer au maniement d'un bateau; cela est très-important pour le succès de nos projets.

D'un bond léger elle s'éloigna, et disparut en lançant avec ses doigts un baiser que l'heureux pâtre eût bien voulu saisir au vol, mais que la brise nocturne emporta dans l'espace.

Cayrol vint s'étendre sur le gazon, à côté de sa cabane. Ne pouvant contenir le bonheur dont son âme était pleine, il se mit à contempler les étoiles, non pas, comme ses prédécesseurs de Chaldée, pour y surprendre les secrets de l'organisation céleste, mais parce que les étoiles furent de tout temps les confidentes favorites de la joie ou de la tristesse des amants. Insensiblement, il les vit s'agrandir et se multiplier, à mesure qu'il sentait s'appesantir ses paupières. Bientôt, il lui sembla qu'une d'elles changeait de place et de forme, et se métamorphosait en pomme de pin lumineuse; d'autres pareilles vinrent se grouper autour d'elle; il les vit danser et se mouvoir en tous sens comme si la pyrotechnie eût combiné leurs évolutions scintillantes. C'étaient les symptômes d'un profond sommeil, et ce sommeil fut constamment illuminé par l'apparition de cet heureux fruit qui, jusqu'à la foire d'automne, allait devenir la pensée fixe de tous ses jours, le rève ardent de toutes ses nuits.

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