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Je me sentis frémir en pensant à la longue série de mépris et de cruautés dont un tel homme devait s'être rendu coupable, pour en conserver une telle impression. Je ne pus rien lui répondre, car quelle espérance, quelle consolation était-il possible d'offrir à un être aussi abject?

Je restai là plus de deux heures, pendant lesquelles il se retourna cent fois de côté et d'autre, jetant ses bras à droite et à gauche, et murmurant des exclamations de peine et d'impatience. A la fin il tomba dans cet état d'oubli imparfait, où l'esprit erre péniblement de place en place, de scène en scène, sans être contrôlé par la raison, mais sans pouvoir se débarrasser d'un vague sentiment de souffrances présentes. Jugeant alors que son mal ne s'aggraverait pas sur-le-champ, je le quittai en promettant à sa femme que je viendrais le revoir le lendemain soir, et que je passerais la nuit auprès de lui, si cela était nécessaire.

Je tins ma promesse. Les vingt-quatre heures qui s'étaient écoulées avaient produit en lui une altération affreuse. Ses yeux, profondément creusés, brillaient d'un éclat effrayant; ses lèvres étaient desséchées et fendues en plusieurs endroits; sa peau luisait, sèche et brûlante; enfin, on voyait sur son visage une expression d'anxiété farouche, qui indiquait encore plus fortement les ravages de la maladie, et qui ne semblait déjà plus appartenir à la terre. La fièvre le dévorait.

Je pris le siége que j'avais occupé la nuit précédente. Je savais, par ce que j'avais entendu dire au médecin, qu'il était à son lit de mort; et je restai là, durant les longues heures de la nuit, prêtant l'oreille à des sons capables d'émouvoir les âmes les plus endurcies: c'étaient les rêveries mystérieuses d'un agonisant.

Je vis ses membres décharnés, qui peu d'heures au

paravant se disloquaient pour amuser une foule rieuse, je les vis se tordre sous les tortures d'une fièvre brûlante. J'entendis le rire aigu du paillasse se mêler aux hoquets du moribond.

C'est une chose touchante de suivre les pensées qui ramènent un malade vers les scènes ordinaires, vers les occupations de la vie active, lorsque son corps est étendu sans force et sans mouvement devant vos yeux. Mais cette impression est infiniment plus forte quand ces occupations sont entièrement opposées à toute idée grave et religieuse. Le théâtre et le cabaret étaient les principaux sujets de divagation de ce malheureux. Dans son délire, il s'imaginait qu'il avait un rôle à jouer cette nuit même, qu'il était tard et qu'il devait quitter la maison sur-le-champ. - Pourquoi le retenaiton? pourquoi l'empêchait-on de partir? Il allait perdre son salaire. Il fallait qu'il partît !-Non; on le retenait !

Il cachait son visage dans ses mains ardentes, et il gémissait sur sa faiblesse et sur la cruauté de ses persécuteurs. Une courte pause, et il braillait quelques rimes bachiques. Tout d'un coup il se leva dans son lit, étendit ses membres de squelette et se posa d'une manière grotesque. Il était sur la scène, il jouait. — Encore un silence, et il murmura une autre chanson. Il était arrivé, à la fin! Combien la salle était chaude! Il avait été malade, très-malade; mais maintenant il allait bien, il était heureux!

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- Remplissez mon verre! Qui est-ce qui le brise entre mes lèvres?

C'était le même, persécuteur qui l'avait poursuivi. Il retomba sur son oreiller et poussa de sourds gémissements. Après un court intervalle d'oubli, il se trouva errant dans un labyrinthe inextricable de chambres obscures, dont les voûtes étaient si basses qu'il lui fal

lait quelquefois se traîner sur ses mains et sur ses genoux pour pouvoir avancer. Tout était sombre et menaçant; et de quelque côté qu'il se tournât, des obstacles affreux se trouvaient sur son chemin. Des reptiles immondes rampaient autour de lui; leurs yeux luisants dardaient des flammes, au milicu des ténèbres visibles qui l'entouraient; les murailles, les voûtes, l'air même étaient empoisonnés d'insectes dégoûtants. Tout à coup les voûtes s'amplifièrent et devinrent d'une grandeur étonnante; des spectres effroyables voltigeaient de toutes parts, et parmi eux il voyait apparaître des visages qu'il connaissait et que rendaient difformes des grimaces et des contorsions hideuses. Ces fantômes s'emparèrent de lui. Ils brûlèrent ses chairs avec des fers rouges; ils serrèrent des cordes autour de ses tempes, jusqu'à en faire jaillir le sang; et il se débattit violemment pour échapper à la mort qui le saisissait.

A la fin d'un de ces paroxysmes, pendant lequel j'avais eu beaucoup de peine à le retenir dans son lit, il se laissa retomber épuisé, et céda bientôt à une sorte d'assoupissement. Accablé de veilles et de fatigues, j'avais fermé les yeux depuis quelques minutes, lorsque je me sentis frapper violemment sur l'épaule je me réveillai aussitôt. Il s'était soulevé et s'était assis dans son lit. Son visage était changé d'une manière effrayante; cependant le délire avait cessé, car il était évident qu'il me reconnaissait. L'enfant, qui avait été si longtemps troublé par les rêveries de son père, accourut vers lui, en criant avec terreur, mais sa mère le saisit promptement dans ses bras, craignant que John ne le blessât dans la violence de ses transports; puis, en remarquant l'altération de ses traits, elle resta effrayée et immobile au pied du lit. Lui, cependant, serrait convulsivement

mon épaule, et frappant de son autre main sa poitrine, il faisait d'horribles efforts pour articuler : c'était en vain. Il étendit les bras vers sa femme et vers son enfant; ses lèvres blanches s'agitèrent, mais elles ne purent produire d'autre son qu'un râlement sourd, un gémissement étouffé ses yeux brillèrent un instant; et il retomba en arrière, mort!

CHARLES DICKENS.

(Traduit de l'anglais par M. P. GROLIER.)

Contes et nouvelles.

IZANE.

A mon ami H. B***,

Voici des pages qui vous rappelleront nos causeries sur le port du Rhône et nos confidences du soir sous les grands arbres de la Lice. Ces paysages, ces monuments, ces fêtes; ces caractères, cette piquante originalité de mœurs et de costume, nous les avons observés, étudiés ensemble. Heureux si j'ai su faire passer dans mon récit quelque chose du charme que nous éprouvions à analyser nos impressions, à nous communiquer nos découvertes !

Cette dédicace m'est dictée par notre amitié; elle m'est aussi commandée par la mémoire de celle qui m'apprit à connaître votre pays natal dont j'ai fait depuis si longtemps ma contrée d'adoption.

Elle m'avait demandé de reproduire dans une œuvre les principaux traits de ces mille tableaux qu'elle me révélait et qu'elle animait devant moi; je le promis et je tiens aujourd'hui ma promesse. Mais celle qui inspira le livre n'est plus là pour le

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