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CHAPITRE II

LES ORIGINES DE JÉSUS. SA CONCEPTION.

L'origine de Jésus n'est point semblable à la nôtre.

Il n'est pas né comme nous, « du mélange des sangs, ni d'un instinct charnel, ni d'une volonté d'homme (1) »; apportant à l'humanité le secret et le pouvoir de renaître dans l'Esprit, il est né de la femme et de l'Esprit de Dieu.

L'Esprit de Dieu est la force souveraine. Il commande l'évolution générale et préside au mouvement ordonné, progressif, de l'univers. Or, comme il est intervenu dans le chaos et la matière pour produire l'être qui sent, dans l'animalité pour produire l'être qui pense, il va intervenir dans l'être qui pense pour que « la Terre donne son fruit (2) » et que l'humanité voie germer le Sauveur, le Saint, le Fils de Dieu (3) ».

Le résultat de l'intervention divine n'était qu'une créature; cette fois, le résultat est à la hauteur de l'Infini.

Dieu s'unit personnellement à son œuvre; et comme il avait incarné la vie dans la matière, la sensation dans la vie, la pensée dans la sensation, il s'incarne lui-même aujourd'hui dans l'humanité. Les règnes se superposent et s'enveloppent: le règne de la vie s'ajoute au règne de la matière; le règne animal au règne de la vie; le règne humain au règne de l'animalité; maintenant, c'est le Règne de Dieu, et des fils de Dieu dans l'humanité.

Toutes ces genèses successives constituent dans leur ensemble le drame grandiose de cette terre, elles sont toutes mystérieuses; plus l'être créé est parfait, plus le mystère est profond.

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La vie est plus cachée que la matière, l'animal plus énigmatique que la vie organique, l'homme plus insondable que T'animal, Jésus plus impénétrable que tout. Celui qui cherche à scruter les origines peut saisir les conditions matérielles dans lesquelles les êtres se produisent, la cause première échappe à ses expériences. D'où vient la matière? D'où la vie? D'où letre qui sent? D'où l'être qui pense? D'où vient le génie? D'où vient le Christ?

La science qui s'arrête aux phénomènes répond: Je ne sais. La raison qui perçoit les causes dit : De l'Esprit de Dieu.

Sous quelle forme sensible et historique l'action de l'Esprit s'est-elle manifestée dans la genèse de Jésus? Il faut le demander aux documents évangéliques (1), les seuls de l'antiquité qui nous renseignent avec détails sur cet événement caché, presque inaperçu, et qui doit pourtant changer la face du monde.

La première scène se passe dans un pays obscur de Galilée. Son nom inconnu jusqu'alors est Nazareth. Il signifie fleur et rejeton. En venant de Jérusalem, on aperçoit des dernières cimes de la Samarie la petite ville, au loin, comme un point blanc, sur les hauteurs escarpées qui dominent la plaine de Jisréel. Ses maisons grises, carrées, à toits plats, s'étagent sur le versant oriental de deux collines séparées par un ravin qui dessine la grande rue montante de Nazareth. Là sont les bassins d'ablution, les ateliers, les boutiques, le marché, la synagogue. A l'est de la ville, se creuse une vallée où jaillit la source qu'on appelle aujourd'hui la fontaine de Marie.

Le ravin et la vallée se rejoignent au delà des dernières habitations, dans une petite plaine qui fait le fond verdoyant de la coupe au dedans de laquelle Nazareth est assise. Gazonnée au printemps, cette plaine se dessèche en été, elle devient l'aire où les Nazaréens foulent aux pieds des bœufs le blé et l'orge, et vannent leur grain au vent du soir.

Oliviers et figuiers, nopals aux larges feuilles toujours vertes, grenadiers, amandiers et citronniers, parsemés de cyprès noirâtres, justifient le nom de la petite ville fertile et fleurie.

Les ruelles qui mènent à la source s'animent, le matin et le soir, par le va-et-vient des jeunes filles et des femmes. Elles marchent à pas lents, silencieuses et graves, l'urne penchée sur la tête, la main relevée pour la soutenir, le voile rejeté en

(1) Pour la valeur de ces documents, voir l'Introduction.

arrière et flottant: on dirait des statues grecques en mouve

ment.

Aux jours de fête et de sabbat, les sentiers des champs se remplissent. Des groupes d'hommes et de femmes, séparés, se voient au penchant des collines, sous les oliviers, auprès des tombeaux. On cause sans fin, assis à terre : les hommes revêtus de leurs manteaux, les femmes en robes bariolées, le front ceint du bandeau, enveloppées comme d'un linceul dans leurs grands châles de lin blanc.

Ce lieu est plein de douceur et de silence; point d'âpreté dans ces collines dont les lignes ondulent, sans se briser. La chaîne du Djebel-es-Sikh s'arrondit en cercle et borne l'horizon. Aucun bruit ne trouble cette solitude fermée d'où le regard et la pensée montent d'eux-mêmes vers le ciel.

C'est là, dans une de ces maisons tranquilles, que vit, inconnue, la jeune fille qui va recevoir la plus haute révélation de

Dieu.

Les espérances de la nation juive allaient donner leur fruit. Dieu n'a pas regardé les grands, les chefs religieux, les docteurs, les savants, ni les riches. Il a choisi dans la foule une humble créature. Il se garde comme une réserve, au cœur du peuple, des âmes qui en portent tout le génie, et il se plaît à tirer de ses rangs les élus qui doivent le sauver.

La jeune fille s'appelle Marie.

Elle n'a pas seize ans.

La tradition lui donne pour père Joachim et pour mère Anne. On croit que son père était mort quand elle était enfant. Elle est de descendance royale et du sang de David (1). Elle a été élevée dans le Temple. Chose étrange, chez un peuple où toutes les femmes pouvaient ambitionner d'être la mère du Messie, dans une race pour laquelle, à cause de cela, la stérilité est un opprobre, elle, obéissant à une inspiration divine, se voue à Dieu dans la virginité. Cependant, suivant la loi et la coutume juives, étant seule héritière, elle a été fiancée et promise depuis peu à un homme appelé Joseph, de sa propre tribu et de sa famille, à son plus proche parent qui devra recueillir son héritage (2). La cérémonie de l'entrée dans la maison de son mari n'est pas encore célébrée. Elle vit chez sa

(1) Voir l'Appendice C: Les deux généalogies de Jésus. (2) Voir l'Appendice C: Ibid.

mère, préparant son trousseau, comme toutes les jeunes mariées de son pays (1).

Or, un jour, elle vit apparaître, sous forme humaine, et entrer dans sa maison, Gabriel, l'ange de Dieu.

L'ange lui dit : - Salut, pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les femmes.

Les fiancées juives vivent retirées et cachées avec leurs compagnes, loin du regard des hommes.

Aussi, à la vue de l'ange, et en entendant ses paroles, Marie se troubla. Elle cherchait ce que pouvait être un tel

salut.

- Ne crains pas, Marie, lui dit l'ange, tu as trouvé grâce. auprès de Dieu. Voici tu concevras et tu enfanteras un fils, et tu le nommeras du nom de Jésus. Il sera grand. On l'appellera Fils de Dieu. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il régnera dans la maison de Jacob pour toujours; son règne sera sans fin (2).

La Vierge comprit alors qu'il s'agissait du Sauveur attendu, de Celui qui relèverait pour l'éternité le trône renversé de David, qui serait la gloire d'Israël, l'attente des nations, l'orgueil de sa mère. Comment était-elle appelée à ce róle divin, elle qui avait résolu de ne devenir mère par aucun homme? Dans sa surprise, elle demanda simplement : De quelle manière cela s'accomplira-t-il? Je ne connais pas d'homme (3). L'ange répondit :

-L'Esprit-Saint surviendra en toi, et la puissance du TrèsHaut te couvrira de son ombre; et c'est pourquoi ce qui sera engendré saint sera appelé Fils de Dieu.

Et l'ange lui donna un signe : Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et c'est aujourd'hui le sixième mois de celle qu'on appelait stérile.

Rien n'est impossible à Dieu.

Alors, Marie s'écria :

- Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta

parole.

L'ange s'éloigna (4).

Telle est la genèse de Jésus.

Il ne tient à l'humanité que par sa mère. Celui qui vient

(1) Voir l'Appendice B: Le mariage chez les Hébreux. (2) LUC, 1, 29-33. -(3) Luc, 1, 34(4) Luc, 1, 35-38.

inaugurer la race nouvelle des fils de Dieu, échappe au torrent des générations terrestres : ce n'est pas l'homme qui l'engendre, c'est l'Esprit qui l'évoque des chastes entrailles de la Vierge.

Ainsi, une des plus grandes, des plus prodigieuses paroles. qui soient tombées de la bouche des voyants, en Israël, une des plus mystérieuses, est accomplie désormais : « Une vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous (1). »

Près d'un siècle plus tard, un vieillard, un apôtre, celui qui a été le plus profondément initié aux secrets de l'âme de son Maître, saint Jean, donnera l'interprétation de ce fait; il empruntera la langue même de Platon, et dans une page qui dépasse tout ce que la philosophie grecque a dit sur Dieu de plus sublime, il enseignera qu'en Jésus « le Verbe s'est fait chair, et a habité parmi nous (2) ».

La plus haute aspiration de l'humanité a trouvé dans le Fils de l'homme une réalisation qui la dépasse. Dieu s'est fait homme; et la nature humaine, dans le Christ, est devenue la nature du Verbe de Dieu. Cet être sera le centre de tout le mouvement religieux. Quiconque voudra s'élever jusqu'à Dieu, viendra se rallier à Lui. Il est la pierre (3) dressée au milieu des temps. Ceux qui se heurtent contre elle seront brisés; ceux qui s'appuient sur elle ne seront plus ébranlés, ils formeront peu à peu l'édifice, la cité, le Royaume de Dieu, but suprême de toute la création et dans l'attente duquel toute chose languit, souffre et gémit.

Lorsque l'Esprit de Dieu agit dans certaines âmes élues pour accomplir une même œuvre, il les pousse les unes vers les autres, et les rapproche par un mouvement irrésistible. Au lendemain du jour où Marie fut appelée à être la mère de Jésus, elle s'en alla en toute hâte vers une autre femme, sa parente, choisie pour être, malgré son âge et sa stérilité, la mère de Jean-Baptiste.

Élisabeth habitait avec le prêtre Zacharie, dans les montagnes de Juda, un petit pays, comme on les rencontre fréquemment en Palestine (4).

Le village appelé Karem, aujourd'hui Ain-Karim (5), est (1) ISAIE, VII, 14. (2) JEAN, 1, 14. - (3) Rom., 1x, 32. (4) Voir Appendice D: Le lieu de naissance de Jean-Baptiste. (5) Source des vignobles, en hébreu.

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