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CHAPITRE VIII

INSTRUCTIONS AUX DOUZE.

MORT DE JEAN-BAPTISTE.

Pendant que Jésus, acclamé du peuple et maudit par les Pharisiens, évangélise la Galilée, ses disciples demeurent l'objet constant de sa sollicitude; ils forment son Église et son Royaume.

Leur nombre s'est accru; il a fait entre eux une sélection, en a choisi douze qu'il a nommés apôtres; il leur a montré, comme il l'avait promis dans un langage mystérieux, les anges du ciel qui montent et descendent sur sa tête; il les a emmenés dans ses voyages apostoliques; aujourd'hui, les sentant dignes d'une confiance plus haute, il veut qu'ils aillent annoncer l'Évangile, et que, sous ses yeux, ils fassent l'apprentissage de l'apostolat.

L'envoi des Douze au milieu des villes juives devait aussi, dans la pensée de Jésus, étendre son propre apostolat. Ses jours étaient comptés, il fallait que, malgré la rapidité de sa carrière, le peuple entier entendît la bonne nouvelle de son nom et de son Royaume. La moisson est mûre, les ouvriers sont augmentés.

Jésus convoqua autour de lui les Douze (1). Les documents ne marquent pas nettement le lieu de la réunion. Ce fut vraisemblablement Capharnaüm et la maison de Pierre, et cette même chambre haute où le Maître et ses disciples se retrouvaient, le soir, après la fatigue de ses journées toutes remplies de l'œuvre de Dieu.

Il commença, en stratégiste prudent, par délimiter le champ du combat.

(1) MATTH., X; Marc, vi; Luc, ix.

-

<< N'allez point vers les païens; n'entrez point dans les villes de Samarie; allez aux brebis perdues de la maison d'Israël. »

En restreignant leur apostolat, le Maître facilite la tâche et la proportionne aux ouvriers. C'est, d'ailleurs, le plan de Dieu : Israël a les promesses du salut, il doit en avoir les primeurs, plus tard, l'heure sonnera pour les Samaritains et les païens. Puis, il ajouta :

- «Allez, enseignez-les, dites-leur Le Royaume des cieux approche. »>

Voilà, en un seul mot, toute la science des apôtres. Il n'en est pas de plus sublime et de plus nécessaire. Elle suffit à tout; les autres, sans elle, ne servent de rien. C'est la science propre de Jésus. Il la leur avait déjà communiquée dans ses discours aux synagogues, dans ses paraboles au peuple, et surtout dans les entretiens intimes; et, bien qu'ils fussent loin d'en mesurer la profondeur, ils en savaient assez pour dire que le Règne de Dieu était le Règne du Messie, que le Messie était là, qu'ils le connaissaient, qu'ils étaient ses disciples, et qu'on était de son royaume à la condition de se repentir et de croire.

L'action apostolique est restée ce que Jésus l'a faite, en ce jour même où, pour la première fois, il envoya quelques hommes choisis l'exercer en son nom.

Le Règne de Dieu est toujours proche; le devoir suprême, la plus haute destinée de l'homme, est toujours de recevoir, dans sa conscience, l'Esprit vivant et personnel de Dieu dont Jésus est la source unique; la condition d'une telle libéralité est toujours la foi en la parole de Jésus, le renoncement à soimême, à ses idées, à ses passions, à ses intérêts, à ses vices et même à sa propre vertu, en un mot, le repentir et le sacrifice total.

A ces combattants nouveaux, Jésus devait une armure nouvelle.

« Je vous donne », leur dit-il, « force et puissance pour chasser les esprits immondes, guérir toute langueur et toute infirmité. »

Cette parole est manifestement divine. Il est au pouvoir de l'homme de communiquer ses idées, ses instructions, ses plans, ses ambitions, et d'allumer dans l'âme des siens le feu sacré de l'enthousiasme, il ne saurait transmettre ni son génie ni sa vertu; l'histoire ne mentionne même pas, dans les

plus puissants génies philosophiques, politiques ou religieux, une telle prétention. Or, Jésus transmet à ses disciples l'Esprit de Dieu qui est en lui, qui est à lui, et il les envoie ainsi armés :

- « Allez, guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. >>

Les apôtres n'auront d'autre force que la puissance même de Dieu, et cette puissance ne leur sera donnée que pour le bien des hommes. Les hommes souffrent : elle calmera leur douleur; ils languissent elle les relèvera; ils meurent elle les rendra à la vie; ils sont sous le joug de l'esprit mauvais : elle les en affranchira. Les miracles de la bonté seront le signe de leur mission et les œuvres de leur pouvoir. Ils imiteront leur Maître. C'est son Esprit qui agira en eux et par eux. Leur foi les incorporera à lui et restera la condition de leur activité surhumaine. La puissance de guérir les maux physiques et de commander à la mort pourra être suspendue; l'influence sur les âmes et l'autorité sur les esprits mauvais ne le seront jamais. Qu'importe, après tout, que le corps souffre et meure, si l'âme vit saine, libre, consolée ?

Jésus continue sa fonction messianique par l'apostolat, œuvre d'affranchissement, de justice, de miséricorde infinie, qui arrache aux doctrines impures les esprits tyrannisés et avilis par elles, réveille les consciences mortes, donne aux désespérés la consolation de Dieu, et guérit les misères, les langueurs qui entravent la marche du monde.

En même temps qu'il munit ses apôtres de la force de l'Esprit, Jésus leur montra quelles vertus il exigeait d'eux : la bonté qui se donne; le désintéressement qui s'oublie; la pauvreté qui se dégage de tout; la confiance qui se remet à Dieu sans réserve; la persévérance et le courage que rien ne déconcerte.

<< Vous avez reçu gratuitement, vous donnerez pour rien. N'ayez ni or, ni argent, ni aucune monnaie, dans vos ceintures; ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni chaussure, mais seulement des sandales; ni verge, mais seulement le bâton du voyage (1); car à l'ouvrier est due sa nourriture. »>

Voilà l'apôtre tel que Jésus le veut. Être bon qui a tout

(1) D'après saint Matthieu, Jésus défend le bâton et les chaussures; d'après

reçu de Dieu, il doit donner sans calcul et imiter la générosité de Dieu. Ses mérites ne sont que néant sans la munificence divine dont il a été l'objet; ce qu'il a reçu pour rien, il le donnera pour rien. L'Esprit ne s'achète ni ne se vend; celui qui le reçoit est heureux, celui qui le communique, plus heureux encore; ce surcroît de joie sera son trésor et suffira à sa récompense.

L'expansion est en raison de la bonté. Les meilleurs sont les plus expansifs. De toutes les forces l'Esprit de Dieu est la plus communicative. Les âmes rayonnantes se font aimer; en s'ouvrant elles-mêmes, elles provoquent l'ouverture. C'est la première vertu de l'apôtre.

Comme il est généreux, il sera désintéressé. Il ne doit avoir aucun souci terrestre. Qu'a-t-il à faire de la richesse de ce monde? Il possède les incorruptibles trésors de Dieu. En le voyant ainsi affranchi de l'amour des choses qui passent, les hommes comprendront qu'il vit de ce qui ne passe pas; et sa pauvreté effective leur fera soupçonner la réalité des biens impérissables du Royaume qui leur est annoncé. Pourquoi s'inquiéterait-il des nécessités de la vie? Dieu a ordonné toutes choses de sorte que l'ouvrier qui mérite sa nourriture, la trouve toujours. L'être stérile disparait; mais celui qui fait œuvre utile est digne de vivre, et il vivra de la Providence du père. L'âme de Jésus était débordante de cette confiance filiale; il veut que ses apôtres en soient remplis, car elle est l'expression même de l'amour pour le Père céleste dont il leur révélait le nom et la bonté.

L'apôtre vivra des dons de ceux qu'il aura évangélisés; c'est tout ce qu'il en recevra, tout ce qu'il leur demandera. La reconnaissance de ceux qu'il aura guéris et sauvés ne lui manquera pas. Les bienfaits terrestres peuvent faire des ingrats; les dons de Dieu, jamais. Les premiers n'améliorent pas; les seconds sanctifient.

Quelle sera la tactique de ces envoyés militants?

Jésus la leur enseigne jusqu'aux moindres détails. Dans ce saint Marc, il les permet et les tolère. La conciliation des deux textes contradictoires en apparence est facile. Le bâton défendu est évidemment le matah, qui indique un objet qui peut servir à l'attaque ou à la protection; celui qui est autorisé est le bâton de voyage, le maschan. Les deux sens sont impliqués dans le pádov des Grecs.

Quant aux chaussures, celle qui est permise est la sandale que portent les pauvres. Cf. LIGHTFOOT, Hora hebraica, ad h. 1.

premier essai d'évangélisation, il ne veut pas qu'ils aillent seuls, mais deux à deux, afin de se soutenir l'un l'autre (1).

Il ne les envoie pas non plus aux assemblées publiques des synagogues ni à la foule. Il craint pour eux, timides encore et mal éprouvés, le péril d'un apostolat éclatant et bruyant; il sait la véhémence des passions populaires promptes à se soulever, difficiles à apaiser; il connaît la subtilité et la ruse des docteurs; il veut épargner aux siens des luttes trop fortes; et, en attendant qu'il leur donne, avec la plénitude de son Esprit, la terre immense à évangéliser, il leur recommande une action plus humble, plus tranquille, une sorte d'apostolat individuel et domestique dont la famille sera le centre et le point d'appui.

- «En quelque ville ou village que vous entriez, enquérezvous du plus digne, et demeurez chez lui jusqu'à votre départ. Et, en franchissant le seuil de sa maison, dites : Que la paix soit sur elle! La maison en est-elle digne? Votre paix viendra sur elle, sinon, votre paix reviendra sur vous. Que si nul ne vous reçoit et n'écoute votre parole, sortez de cette maison et de cette ville, en secouant la poussière de vos pieds. Elles ne sont plus pour vous qu'une maison et une ville profanes; entre vous et elles, il n'y a plus rien de commun, traitez-les en païennes.

« Je vous le dis en vérité, au jour du jugement, il y aura moins de rigueur pour Sodome et Gomorrhe que pour cette maison et cette ville-là. »

L'envoyé de Jésus est un messager de paix. Comme son Maître, il ne connaît ni la violence ni l'oppression : il est de la race des enfants de Dieu, des débonnaires et des pacifiques. Son << schelam » n'est point une vaine formule polie, il a une vertu sacramentelle, étant l'expression vivante et effective de l'Esprit de Dieu dont il est le porteur. Cet Esprit déborde de ceux qu'il anime, et il se plaît à agir par eux, autour d'eux; en se communiquant, il enrichit non seulement ceux qui le reçoivent, mais ceux qui le donnent; et, s'il est repoussé, il revient en bénédiction à celui qui l'a offert. Mais le sort des âmes réfractaires à l'appel divin est effrayant. Le désastre des villes maudites est moins terrible que l'état de l'homme, lorsque l'amour de Dieu offensé se retire de lui, l'aban

(1) C'est au choix de Jésus évidemment qu'il convient de rapporter l'appariement des Douze dans la nomenclature des Evangiles *.

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