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CHAPITRE IX.

DES PROFITS ET DES SALAIRES.

Ainsi que nous venons de le faire observer, c'est lorsqu'il s'agit de la rémunération équitable du travail que se manifeste avec le plus de force la difficulté de concilier la morale des intérêts, préconisée par l'économie politique anglaise, avec l'amélioration du sort des classes ouvrières.

La science des richesses démontre qu'il faut nécessairement produire au plus bas prix possible. L'entrepreneur d'industrie ne peut, en effet, à cause de la concurrence universelle, obtenir de grands bénéfices que par la modicité du prix de la main-d'œuvre. Lorsque les premiers besoins, les besoins impérieux, sont satisfaits, les produits en quelque sorte superflus ne sont demandés qu'à la condition du bon marché; il faut alors, ou que l'entrepreneur borne ses bénéfices, ou que l'ouvrier soit rétribué le moins possible. La concurrence d'industrie amène donc nécessairement une concurrence d'économie sur les salaires.

L'économie politique veut que les services de l'entrepreneur d'industrie soient chèrement rétribués, car il faut considérer, dit-elle : 1o la nécessité de trouver des capitaux; 2o les qualités personnelles et les connaissances que ses fonctions exigent; 3o les risques auxquels il s'expose (1). Quant à l'ouvrier, pourvu qu'il reçoive de quoi ne pas mourir de faim, il doit étre satisfait.

On a peine à le croire, mais c'est là à peu près, cependant, la conclusion qu'il faudrait tirer de ce passage de M. J.-B. Say:

« Les travaux simples et grossiers pouvant être exécutés par tout homme, pourvu qu'il soit en vie et en santé, la condition de vivre est la seule requise

(1) M. J.-B. Say ajoute assez naïvement : « C'est dans cette classe que se font presque toutes les grandes fortunes. »>

Quand la charité distribue les richesses, elles sont la toute-puissance de l'homme ; elles créent pour ainsi dire un monde nouveau dans l'ordre nouveau; elles font naître en tous lieux l'abondance et la vie. (Code de la Bienfaisance.)

Meliùs est parum cum justitià quàm multi fructus cum iniquitate.

(Proverb.)

pour que de tels travaux soient mis en circulation. C'est pour cela que le salaire de ces travaux ne s'élève guère, en chaque pays, au-delà de ce qui est rigoureusement nécessaire pour y vivre, et que le nombre des concurrents s'y élève précisément au niveau de la demande qui en est faite, car la difficulté n'est pas de naître, mais de subsister. Du moment qu'il ne faut que subsister pour s'acquitter d'un travail, et que ce travail suffit pour pourvoir à cette subsistance, elle a lieu.

« Il y a cependant ici une remarque à faire. L'homme ne naît pas avec la taille et la force suffisantes pour accomplir le travail même le plus facile. Cette capacité, qu'il n'atteint guère qu'à l'âge de quinze ou vingt ans, plus ou moins, peut être considérée comme un capital qui ne s'est formé que par l'accumulation annuelle et successive des sommes consacrées à l'élever. Par qui, comment ces sommes ont-elles été accumulées? C'est communément par les parents de l'ouvrier, par des personnes de la profession qu'il suivra, ou d'une profession analogue. Il faut donc que dans cette profession les ouvriers gagnent un salaire un peu supérieur à leur simple existence, c'est-à-dire qu'ils gagnent de quoi s'entretenir, et, de plus, de quoi élever leurs enfants.

« Si le salaire des ouvriers les plus grossiers ne leur permettait pas d'entretenir une famille et d'élever des enfants, le nombre de ces ouvriers ne serait pas tenu au complet; la demande de leur travail deviendrait supérieure à la quantité de travail qui pourrait être mise en circulation; le taux de leur salaire hausserait jusqu'à ce que cette classe fût de nouveau en état d'élever des enfants en nombre suffisant satisfaire à la quantité de travail pour demandée. »

« C'est ce qui arriverait si beaucoup ne se mariaient pas. Un homme qui n'a ni femme ni enfants peut fournir son travail à meilleur marché qu'un autre qui est père. Si les célibataires se multipliaient dans la classe ouvrière, non seulement ils ne contribueraient point à recruter la classe, mais ils empêcheraient que d'autres pussent la recruter. Une diminution passagère dans le prix de la maind'œuvre, en raison de ce que l'ouvrier célibataire pourrait travailler à meilleur marché, serait bientôt suivie d'une augmentation plus forte en raison de ce que le nombre d'ouvriers diminuerait. Ainsi, quand même il ne conviendrait pas aux chefs d'entreprise d'employer des ouvriers mariés, parce qu'ils sont plus rangés cela leur conviendrait, dût-il leur en coûter un peu plus pour éviter de plus grands frais de main-d'œuvre qui ne tarderaient point à retomber sur eux.

« Les ouvrages des femmes sont peu payés, par la raison qu'un très-grand nombre d'entre elles sont soutenues autrement que par leur travail et peuvent mettre dans la circulation le genre d'occupations dont elles sont capables, au-dessous du taux où se fixeraient leurs besoins (1).

« J'ai dit que ce qu'il fallait pour vivre était la mesure du salaire des ouvrages les plus communs et les plus grossiers; mais cette mesure est très-variable. Les habitudes des hommes influent beaucoup sur l'étendue de leurs besoins. La mesure de ce qu'il faut pour vivre dépend en partie des habitudes du pays où se trouve l'ouvrier. Plus la valeur de la consommation est petite, plus les produits auxquels il concourt sont à bon marché; s'il veut améliorer son sort et élever les salaires, le produit auquel il concourt renchérit, ou la part des autres producteurs diminue.

« Il n'est pas à craindre que les consommations de la classe ouvrière s'étendent bien loin, grâce au désavantage de sa position. »

« Les salaires de l'ouvrier se règlent contradictoirement par une convention faite entre l'ouvrier et le chef d'industrie. Le premier cherche à recevoir le plus, le second à donner le moins possible. Mais, dans cette espèce de débat, il y a, du côté du maître, un avantage indépendant de ceux qu'il tient déjà de la nature de ses fonctions. Le maître et l'ouvrier ont bien également besoin l'un de l'autre; mais le besoin du maître est moins immédiat, moins pressant. Il en est peu qui ne pussent vivre plusieurs mois, plusieurs années même, sans faire travailler un seul ouvrier; tandis qu'il est peu

(1) M. Say ne paraît point avoir complétement établi la cause de la modicité du salaire des femmes. Si ce salaire n'est pas aussi élevé que celui des hommes, cela tient surtout à ce qu'elles consomment moins, et qu'en général leur travail n'est pas d'une

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d'ouvriers qui pussent, sans être réduits aux dernières extrémités, passer plusieurs années sans ouvrage. Il est bien difficile que cette différence de position n'influe pas sur le réglement des salaires. Ajoutez qu'il est bien plus facile aux maîtres de s'entendre pour tenir les salaires trop bas, qu'aux ouvriers pour les faire augmenter. Les premiers sont moins nombreux, et leurs communications plus faciles; les ouvriers, au contraire, ne peuvent guère s'entendre sans que leurs ligues aient un air de révolte que la police s'empresse toujours d'étouffer. Le système qui fonde les principaux gains d'une nation sur l'exportation de ses produits, est même parvenn à faire considérer les ligues d'ouvriers comme funestes à la prospérité de l'état, en ce qu'elle entraînerait une hausse sur les marchandises d'exportation, laquelle nuit à la préférence qu'on veut obtenir sur les marchés de l'étranger. Mais quelle prospérité que celle qui consiste à tenir misérable une classe nombreuse dans l'état, afin d'approvisionner à meilleur marché des étrangers qui profitent des privations que vous vous êtes imposées! Pourquoi ne pas laisser les intérêts des hommes chercher librement leur niveau? »>

En vérité, le cœur se serre lorsqu'on voit la science poser en quelque sorte en principe, que c'est uniquement pour fournir à l'industrie une suffisante population d'ouvriers, qu'il convient de donner à ceux-ci un salaire un peu plus que suffisant pour vivre, afin qu'ils puissent s'entretenir et élever leur famille : que c'est dans ce seul but qu'il faut proscrire le célibat des ouvriers ; qu'on la voit, disons-nous, se féliciter de ce que les consommations de la classe ouvrière ne puissent pas s'étendre bien loin, grâce au désavantage de sa position, et enfin calculer froidement la valeur et le salaire d'un homme par l'accumulation des. capitaux employés à se rendre propre au travail !

Il est vrai que M. Say blâme le système de concurrence universelle, et qu'il serait tenté d'autoriser les ligues formées entre les ouvriers pour obtenir une fixation plus avantageuse de salaires. Mais l'extension indéfinie de l'industrie, qu'il ne cesse de proclamer, n'amène-t-elle pas inévitablement cette concurrence, et la condition des ouvriers qu'il semble plaindre, n'est-elle pas le résultat forcé de ses théories?

M. Say dit ailleurs : « L'humanité aimerait à voir les ouvriers et leurs familles vêtus selon le climat et la saison elle voudrait que, dans leurs loge

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aussi grande valeur. La raison et l'économie politique veulent que le profit soit en rapport de la valeur ajoutée par le travail à l'objet fabriqué.

ments, ils pussent trouver l'espace, l'air et la chaleur nécessaires à la santé; que leur nourriture fût saine, assez abondante, et même qu'ils pussent y mettre quelque choix et quelque variété. » Mais, ajoute-t-il bientôt : « Il est peu de pays où des besoins si modérés ne passent pour excéder les bornes du strict nécessaire, et où par conséquent ils puissent être satisfaits avec les salaires accoutumés de la dernière classe des quvriers. » On croirait qu'il va conclure en faveur d'une augmentation de salaires; nullement l'économie politique veut au contraire, dans l'intérêt de la production, que ces salaires soient tenus constamment au taux fixé par le strict nécessaire.

M. Say désapprouve les chefs d'industrie qui, toujours prêts à justifier les œuvres de leur cupidité, soutiennent que l'ouvrier, mieux payé, travaillerait moins, et qu'il est bon qu'il soit stimulé par le besoin. Smith, dit-il, qui avait beaucoup vu et parfaitement observé, n'est pas de leur avis. « Une récompense libérale du travail, dit cet auteur, en même temps qu'elle favorise la population de la classe laborieuse, augmente son industrie, qui, semblable à toutes les qualités humaines, s'accroît par la valeur des encouragements qu'elle reçoit. Une nourriture abondante fortifie le corps de l'homme qui travaille : la possibilité d'étendre son bien-être et de se ménager un sort pour l'avenir, en éveille le désir, et ce désir l'excite aux plus vigoureux efforts. Partout où les salaires sont élevés, nous voyons les ouvriers plus intelligents et plus expéditifs. Ils le sont plus en Angleterre qu'en Écosse, plus dans le voisinage des grandes villes que dans les villages éloignés. Quelques ouvriers, à la vérité, quand ils gagnent en quatre jours de quoi vivre pendant toute la semaine, restent oisifs les trois autres jours; mais cette inconduite n'est pas générale. Il est plus commun de voir ceux qui sont bien payés, à la pièce, ruiner leur santé en peu d'années par le travail. »

M. Say, pour remédier à l'insuffisance des salaires, recommande les vieillards, dont l'économie politique n'a plus besoin, à la charité et aux associations de bienfaisance. Il réprouve les prodigalités des ouvriers : « Les orgies de la populace, dit-il, sont des jours de deuil pour le philosophe!...

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Il était difficile que cet écrivain ne laissât pas échapper sur le sort des ouvriers quelques sentiments philanthropiques; son silence, à cet égard, eût été la complète condamnation de la science. Mais dans quelles contradictions perpétuelles s'estil laissé entraîner en voulant développer et fortifier les théories de Smith, et à quelles conclusions est-il amené!...

C'est pour exposer les ouvriers à ruiner leur santé par un travail forcé qu'il convient d'accorder au travail une récompense libérale.

C'est pour obtenir les produits au plus bas prix possible qu'il faut réduire les salaires au strict nécessaire des ouvriers.

D'un autre côté, pour obtenir d'abondants produits, il faut exciter la consommation, et par conséquent les besoins, et comme les ouvriers forment la classe la plus nombreuse des consommateurs, c'est surtout les besoins de la classe ouvrière qu'il est nécessaire de multiplier. Ce principe est le fondement de la théorie de la civilisation.

Ainsi, d'une part, vous cherchez à faire naître chez les ouvriers des goûts et des besoins de jouissance qui leur étaient inconnus; de l'autre, vous êtes forcés d'avouer que le bas prix du travail peut seu! faire une production facile à consommer, et vous établissez que le salaire doit être fixé au strict nécessaire : vous blâmez les ouvriers qui cherchent à se procurer quelques jouissances grossières : vous leur reprochez quelques heures de repos et d'inaction. Vous voulez que l'ouvrier songe à sa vieillesse et place à la caisse d'épargnes, et vous ne lui donnez tout justement que ce qu'il faut pour ne pas mourir de faim!...

On le voit, il est impossible de concilier des principes aussi contradictoires. La science économique anglaise s'est placée, à cet égard, dans un cercle d'erreurs inextricables, par cela seul qu'elle n'a tenu aucun compte de la nature et de la dignité de l'homme et du but moral de la société.

Pour consoler l'humanité, on doit se hâter de dire que d'autres écrivains ont considéré la question du salaire des ouvriers sous un point de vue plus charitable et plus vrai. Voici l'opinion de M. Droz, que nous avons rangé à si juste titre au premier rang des économistes de l'école française moderne. « Il est juste que la part du fabricant puisse surpasser de beaucoup celle de l'ouvrier, qui se livre à des travaux faciles, qui n'a point besoin d'avances, et dont la part est garantie. Mais les profits qui naissent de bas salaires et de hauts prix, sont odieux. Les prix courants des salaires sont presque toujours au-dessous de leur valeur réelle. Observons les nombreux éléments dont elle se compose. Il faut que l'ouvrier gagne ce qu'exigent son entretien et celui de sa famille. Il faut que les jours de travail soient assez rétribués pour subvenir aux besoins des jours où l'on ne travaille pas, et ces derniers ne sont pas seulement les jours de fêtes; ce sont encore ceux où l'on ne peut se procurer de l'ouvrage, et ceux où des maladies contraignent à l'inaction, ainsi qu'à de nouvelles dépenses. Enfin arrive une longue maladie, la vieillesse, pour la

quelle il faut que le revenu de l'ouvrier lui permette de faire des épargnes. Qu'on juge s'il y a beaucoup de pays et d'époques où les salaires soient portés à leur valeur !

« Le travail est une espèce de marchandise. Le prix en est donc réglé par le rapport entre l'offre et la demande. Il est évident que le prix du travail ne peut être, d'une manière permanente, au-dessus de ce qu'il faut à l'existence des travailleurs. Mais on a trop de preuves que ceux-ci peuvent être réduits à ce qu'il faut strictement pour exister. On voit même les salaires descendre, et rester quelque temps au-dessous d'un taux si bas. Alors, l'ouvrier se dépouille de ses modestes économies. Il vend, pièce à pièce, son chétif mobilier. Il n'est plus vêtu, il se couvre de haillons, et se soutient en retranchant de sa nourriture.

<< Le taux des salaires n'est pas réglé par le prix des subsistances. Dans les temps de disette, on voit une concurrence de misère réduire les travailleurs à s'offrir avec anxiété pour le prix le plus vil. Cependant la classe qui vit de salaires forme les trois quarts de la population. Comment parler de prospérité lorsque tant d'hommes sont dans la misère! Aussi longtemps qu'on verra, même dans les pays riches, une multitude d'individus manquer des choses nécessaires, on pourra dire que l'économie politique n'a pas découvert les principes qui doivent diriger l'industrie, ou que l'administration ne sait pas profiter de ces principes.

« Le premier, le plus sûr remède contre les maux dont nous venons d'être frappés, serait l'instruction, le développement moral des facultés intellectuelles dans toutes les classes de la société.

« C'est un grand crime que de retenir injustement le salaire des ouvriers. On commet ce délit, si l'on abuse de leur situation, et lorsqu'on les force à travailler pour un prix inférieur à celui qu'on devrait leur donner. Quand l'éducation du pauvre est bonne, celle du riche est sans doute bonne aussi. Dans cet état de la société, les entrepreneurs ne veulent pas, ou, par respect humain, n'osent pas abuser trop de leurs avantages. On les voit même, alors, essayer d'ajouter aux salaires, en imaginant des établissements de bienfaisance, des associations de secours, des caisses d'épargne, pour subvenir aux besoins de l'âge et du malheur.»

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res, peut avoir de funestes effets. La baisse du prix des marchandises a des résultats bien différents. Cette baisse accroît la demande, et devient une source de profits.

M. de Sismondi, qui appartient aussi à l'école française, va beaucoup plus loin que M. Droz. II ne veut pas seulement qu'un intérêt éclairé et juste règle les transactions entre les chefs d'industrie et les ouvriers. Il demande qu'il soit établi en principe de législation que tous ceux qui font travailler soient exclusivement chargés de secourir les ouvriers dans leur détresse. Ainsi cesserait la lutte de tous les manufacturiers pour faire baisser les salaires; ainsi la société, en permettant que l'un travaille et que l'autre fasse travailler, n'éprouverait plus aucun dommage; ainsi cesseraient toutes les souffrances qu'éprouvent aujourd'hui les ouvriers. M. de Sismondi termine ses observations en citant, comme devant servir d'exemple au monde, la situation critique de l'Angleterre.

Dans la partie de notre ouvrage consacrée à l'examen de la législation sur les indigents, nous reviendrons sur les questions importantes et hardies soulevées par M. de Sismondi. Nous n'avons pas besoin de dire d'avance qu'il nous paraîtrait aussi imprudent qu'impraticable de faire intervenir le législateur dans la fixation des salaires ; mais en même temps nous exprimerons la conviction profonde que la société a le droit, et même l'obligation, de garantir l'existence des ouvriers que l'organisation actuelle de l'industrie laisse à la disposition presque despotique des entrepreneurs, et de se garantir elle-même contre le dommage que lui cause incessamment la propagation de l'indigence dans les classes ouvrières.

Quoi qu'il en soit, et pour nous résumer sur la question des profits et des salaires, nous reconnaissons volontiers, avec l'économie politique, qu'il est juste et utile que le spéculateur qui risque ses capitaux dans une grande entreprise, qui y consacre son temps, ses talents et une expérience quelquefois chèrement achetée, obtienne une large rémunération de ses soins et de ses avances; mais nous demandons qu'il trouve la plus grande part de ses bénéfices dans la consommation abondante des produits; nous demandons qu'il ne spécule pas sur les forces, sur les besoins, sur les passions des ouvriers; qu'il veille à leur santé, à leurs mœurs, à leur instruction, et qu'enfin il ne s'enrichisse pas uniquement de leurs sueurs et de leur misère.

« On ne trouve, sous l'empire de la misère, qu'une population vile, sans intelligence et sans activité. Arthur Young dit qu'en Irlande le travail est à bas prix, et non à bon marché. Il y a, dans Le bas prix des produits, toutes les fois qu'il n'a cette phrase, toute une excellente leçon d'économie pour origine que l'infériorité des salaires, ne peut politique; car les intérêts de l'entrepreneur et de être d'aucun avantage pour la société. Celle-ci n'a l'ouvrier ne sont pas opposés, comme on le croit qu'un faible intérêt, si toutefois elle en a, à voir sur l'apparence. Ce qu'on appelle baisse des salai- | s'accroître démesurément des fortunes rapides. Elle

en a, au contraire, un très-grand à prévenir l'augmentation de l'indigence produite par l'insuffisance du salaire de l'ouvrier.

Or, ce salaire est insuffisant, toutes les fois qu'il ne peut fournir à l'ouvrier, selon les habitudes et les exigences du pays qu'il habite :

1° De quoi exister convenablement, c'est-à-dire, d'avoir une nourriture saine, des vêtements solides et propres, un logement aéré et qui le mette à l'abri de la rigueur de la saison;

(1) Nous avions cherché à établir, autant qu'il était possible de le faire, le taux moyen des salaires que la justice et l'humanité prescrivaient d'allouer aux ouvriers en France : mais cette tache ayant été complétement remplie par un écrivain de la nouvelle école économique française, nous ne pouvons mieux faire que de placer ici ses calculs et ses observations.

& Voici comment on peut établir en France, dans une grande ville, la dépense nécessaire d'une famille d'ouvriers composée du chef, de sa femme, de trois enfants, ou de deux enfants et d'un vieillard.

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Ustensiles, tabac, etc.

Total.

140

19 859 fr. 15 c. « Voilà pour l'ouvrier dans l'aisance, dont les outils de travail sont fournis par celui qui l'emploie, ou qui lui sont payés par un surcroît de salaire.

<< Supposez-le dans la gêne, il ne réduira ni sur sa dépense en pain, ni sur le prix de son logement, ni sur celui de son chauffage. Il réduira sur l'accessoire de sa nourriture, sur les boissons fermentées et surtout sur les vêtements et le mobilier. Sur toutes ces dépenses, il ne pourra, qu'à grand'peine, opérer moins d'un huitième, ou environ 100 fr., de réduction; si lui et sa famille ne gagnent pas 760 fr., il sera dans la misère et aura besoin de l'assistance publique.

« Ces 760 fr. peuvent lui provenir de son travail pendant 300 jours, à 1 fr. 50 c. par jour, ci ..

De celui de sa femme pendant 200 jours, à 90 c.
Et de celui de ses enfants pendant 260 jours, à 50 c.
Total des salaires gagnés dans l'année.

450 fr.

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180

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130

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760 fr.

<< Au-dessous de ce gain, la famille de l'ouvrier est dans la misère.

2o De quoi entretenir et faire subsister sa famille, qu'on suppose se composer d'une femme et de deux enfants âgés de moins de quatorze ans ;

3o De quoi soutenir ses parents vieux et infirmes; 4o De quoi faire quelques épargnes pour les jours de repos et de maladie, et enfin pour sa vieillesse (1).

Si le salaire ne peut donner tous ces moyens à l'ouvrier, nous n'hésitons pas à le dire, il n'est plus conforme aux lois, non-seulement de la nature, de

a En partant de là pour fixer la dépense nécessaire de l'ouvrier de nos villes, nous reconnaissons que la première base à déterminer est le prix du pain.

« M. le baron Ch. Dupin l'a fixé, dans la Chambre des Députés, au prix de 32 c. 1/2 le kilogr. pour l'époque actuelle. Ce prix est celui du pain fabriqué par les boulangers, avec du froment.

«On calcule généralement que l'hectolitre de ce grain rend 80 kil. de pain, et qu'il est accordé 3 fr. de manutention aux boulangers pour ces So kilog.

« Sur 80 kil. à 32 cent. 12, faisant 26 fr. l'hect., on doit donc déduire 3 fr. pour frais de manutation; restent 23 fr. pour le prix du blé froment consommé par les ouvriers de nos villes : le prix de la mouture et du blutage se trouve payé par la vente des déchets en son, fourni par le blé, en sus de la farine.

« Ce prix de 23 fr. est beaucoup plus élevé que celui que le blé avait autrefois, s'il faut s'en rapporter à M. le baron Ch. Dupin, qui nous dit que le pain ne se vendait, en 1815, que 30 cent. le kil., et, en 1790, que 23 cent.; ce qui porte le prix du froment, en 1815, à 21 fr. l'hect., et, en 1790, à 15 fr. 40 cent., prix du froment en 1788, et non en 1790, comme l'a dit M. Dupin, puisqu'en 1790 l'hect. de froment valait 20 fr., et le pain 29 cent. le kilog.

« Il faudrait que l'ouvrier ne payât le pain que 21 cent. 1/2 le kiloz. pour que son aisance et celle de sa famille fussent complètes, et il serait nécessaire pour cela que le froment pût être récolté et vendu par le fermier au prix de 14 fr. 20 cent. l'hect., prix auquel, depuis 1772, il n'est jamais tombé en France, si ce n'est dans quelques départements pris isolément.

« La moyenne du prix du froment, dans les seize années qui se sont écoulées du 1er janvier 1815 au 31 décembre 1830, s'élève à 20 fr. 10 cent. l'hect. On ne peut guère espérer que dans l'état actuel des choses le froment tombe, année moyenne, audessous de ce prix. Nous fixerons donc le prix désirable du froment, dans le moment actuel, à 20 fr. par hect., par rapport au salaire possible de l'ouvrier des villes, qui, ainsi que l'ouvrier des campagnes, verrait le montant de ses journées employées diminué, et son salaire restreint, si le fermier et le propriétaire, gênés par une baisse trop forte sur le prix des grains, étaient contraints de réduire leurs dépenses.

« La dépense de l'ouvrier des campagnes et de sa famille est, en France, moindre que celle de l'ouvrier des villes, parce que les usages sont différents; elle ne peut guère s'établir que comme il suit à l'époque actuelle, quand le pain de boulanger vaut, dans les villes, 32 cent. 12 le kilog. »

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