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s'il fera un bénéfice égal à la diminution de la main-d'œuvre, mais seulement s'il pourra vendre un peu moins cher que ses rivaux. Tous les ouvriers de l'Angleterre seraient mis sur le pavé, si les fabricants pouvaient, à leur place, employer des machines à vapeur avec 5 p. 0/0 d'économie.

« D'ailleurs, le perfectionnement des machines et l'économie du travail humain contribuent d'une manière immédiate à diminuer le nombre des consommateurs nationaux; car tous les ouvriers qu'on ruine étaient des consommateurs. Dans les campagnes, l'introduction des grandes fermes a fait disparaître la classe des fermiers paysans qui travaillaient eux-mêmes, et qui jouissaient cependant d'une honnête aisance. La population a été considérablement diminuée (1); mais la consommation a été plus réduite que son nombre.

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« Un changement analogue a eu lieu dans la population des villes. Les découvertes dans les arts mécaniques ont toujours, pour résultat éloigné, de concentrer l'industrie dans un moindre nombre de marchands plus riches. Elles enseignent à faire, avec une machine dispendieuse, c'est-à-dire avec un grand capital, ce qui se faisait autrefois avec un grand travail. Elles font trouver l'économie dans l'administration en grand, la division des opérations, l'emploi commun, pour un plus grand nombre d'hommes à la fois, de la lumière, du chauffage, et de toutes les forces de la nature. Aussi les petits marchands, les petits manufacturiers disparaissent, et un grand entrepreneur en remplace des centaines, qui, tous ensemble, n'étaient peut-être pas si riches que lui. Tous ensemble, néanmoins, étaient de meilleurs consommateurs quelui. Son luxe dispendieux donne un bien moindre encouragement à l'industrie que l'honnête aisance de cent ménages qu'il a remplacés.

« En Angleterre, le commerce et les manufactures occupent 959,632 familles, et ce nombre est suffisant à pourvoir de tous les objets manufacturés, non pas seulement l'Angleterre, mais encore la moitié de l'Europe et la moitié des habitants civilisés de l'Amérique. L'Angleterre est une grande manufacture qui, pour se maintenir, est obligée de vendre à presque tout le monde connu. Faudrait-il offrir une récompense à celui qui trouverait le moyen de faire accomplir le même ouvrage par 90,000 ouvriers, de le faire accomplir par 9,000? Si l'Angleterre réussissait à faire accomplir tout l'ouvrage de ses champs et tout celui de ses villes par des machines à vapeur, et à ne compter pas plus d'habitants que la république de Genève,

(1) M. de Sismondi est dans l'erreur. La population n'a pas diminué pour cela; mais les fermiers cultivateurs dont il est question sont tombés à l'entretien des paroisses, et contribuent

tout en conservant le même produit et le même revenu qu'elle a aujourd'hui, devrait-on la regarder comme plus riche et plus prospérante?

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M. Ricardo répond positivemeut oui. Pourvu, dit-il, que son revenu net et réel, et que ses fermages et profits soient les mêmes, qu'importe qu'elle se peuple de dix ou de douze millions d'individus?

Quoi done! la richesse est tout, et les hommes ne sont absolument rien? Quoi! la richesse ellemême n'est quelque chose que par rapport aux impôts? En vérité, il ne reste plus qu'à désirer que le Roi, demeuré tout seul dans l'ile, tournant constamment une manivelle, fasse accomplir par des automates tout l'ouvrage de l'Angleterre!....

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Quelque désirable qu'il fût pour la société d'empêcher une découverte qui n'est excitée par aucune demande nouvelle de travail, qui ne mettra pas la marchandise produite à portée de nouveaux consommateurs, mais qui remplacera, cependant, et rendra inutile un certain nombre de producteurs nationaux ou étrangers, il n'y a aucun moyen d'y apporter des obstacles directs. Si nous empêchions, dans nos ateliers, l'adoption d'une machine nouvelle, nos voisins ne seraient pas aussi scrupuleux que nous : ils feraient la guerre avec leurs engins à vapeur, leurs machines à filer et toutes leurs inventions nouvelles. C'est une guerre à mort où l'on est forcé de se défendre. Tout au moins ne faudrait-il pas commencer.

« Toutes les récompenses offertes pour l'invention des machines sont désormais devenues dangereuses. Aucune ne l'est plus, peut-être, que le privilége qu'on accorde à un inventeur. La suppression de ce privilége est probablement la seule chose que le gouvernement puisse faire pour proléger directement les pauvres ouvriers contre ce qu'on a assez bien nommé le pouvoir scientifique.»

M. de Sismondi voudrait que toutes les inventions fussent immédiatement soumises à l'imitation de tous les rivaux de l'industrie. Il termine par faire remarquer que si rien ne peut empêcher que chaque découverte nouvelle dans les mécaniques appliquées n'affecte le sort de la population manufacturière, et puisque c'est un danger auquel elle demeure constamment exposée et contre lequel l'ordre civil ne présente pas de préservatif, c'est du moins une raison pour que, dans un état, cette population ne soit pas nombreuse, et pour ne pas élever un peuple dans l'intention d'en faire les manufacturiers et les boutiquiers de l'univers.

M. de Bonald s'exprime ainsi sur le même sujet

à l'augmentation de la taxe des pauvres et de la population mise à la charge de la charité légale.

relativement à la France : « Les machines que tous les jours la science de la mécanique invente et perfectionne, ne sont pas en usage depuis assez de temps pour qu'on ait pu juger encore avec certitude l'effet qu'elles doivent produire sur la société. Mais s'il est permis de le conjecturer d'après ce que nous en connaissons, on peut croire que l'immense quantité de bras qu'elles économisent, tandis qu'elles multiplient à l'infini la production, doit, en diminuant le travail, diminuer en même temps la consommation, et par conséquent la population; et n'est-ce pas déjà à cette cause qu'il faut attribuer l'incroyable vileté du prix de certains produits des fabriques, qui, autrefois, se vendaient à un prix bien plus élevé, lorsqu'il y avait pour les produire un plus grand nombre d'hommes, et mieux payés?

« Il y a, ce me semble, quelque contradiction à ne se servir que de machines pour produire et à

(1) Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en plaçant ici l'extrait d'une lettre qui nous fut adressée, en 1826, sur les luddistes (briseurs de métiers) qui troublaient l'Angleterre à cette époque, par M. de Tollenare, écrivain que distinguent ses talents littéraires, ses connaissances en économic politique et son dévouement éclairé à l'amélioration des classes souffrantes. Ses observations fournissent la preuve des dangers de l'accroissement et de l'agglomération des populations industrielles, même lorsqu'elles ont acquis des habitudes d'économie et de prévoyance, si elles ne sont pas soumises aux lois de la morale religieuse.

« Les désordres qui ont lieu à présent à Manchester, je les ai vus régner, en 1814, à Sheffield et à Nottingham. Dans tout le canton, ce n'étaient qu'attroupements insurrectionnels d'ouvriers, meurtres, appels à l'insurrection, incendies et démolitions de manufactures et de métiers. Je crus qu'on avait inventé une nouvelle machine qui rendait un grand nombre de bras inutiles, et que la faim portait les désœuvrés aux violences qui affligeaient l'industrie. Comme un étranger court peu de risques dans les troubles de pure localité, je me transportai à Nottingham, tant pour connaître la nouvelle machine, s'il était possible, que pour étudier la manière dont on calmait une révolte d'ouvriers. Quel fut mon étonnement lorsque j'appris que les machines qui servaient de prétexte à l'insurrection n'étaient autres que les métiers à bas, connus et employés depuis un siècle! Il y avait bien eu quelques perfectionnements daus ces instruments qu'on avait ingénieusement disposés pour la fabrication des tulles. Mais ce n'était encore qu'une goutte d'eau dans l'Océan. L'ancien métier, connu de tous les bonnetiers, était cefui qu'on attaquait, et je m'en assurai par mes yeux en examinant ceux qu'on avait brisés. Voici quelle était la cause de cette insurrection: les ouvriers avaient beaucoup gagné pendant la guerre, qui avait permis d'augmenter leurs salaires; on leur avait recommandé les caisses d'épargnes et de prévoyance ils y avaient eu recours. On leur avait inspiré le goût de l'ordre dans leurs ménages. Ils étaient devenus économes. Enfin, ils avaient des avances devant eux. Appuyés sur les économies, ils refusaient l'abaissement des salaires nécessité par la circonstance de la paix. Ils prétendaient, au contraire, les faire augmenter. Ce n'était pas l'exaspération de la faim, mais une résistance systématique, raisonnée, sinon raisonnable, qui les portait aux hostilités. Il fallut, après plusieurs semaines de désordres, alors secondés par l'émission de la fameuse

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demander beaucoup d'hommes pour consommer, en réduisant en même temps au plus bas prix possible le salaire du petit nombre de ceux que les machines emploient. Aussi l'on a vu, particulièrement en Angleterre, des populations entières d'ouvriers se porter avec fureur contre ces machines, et demander en même temps une augmentation de salaire (1). »

M. Droz, qui a démontré les avantages et la nécessité de l'emploi des machines, ne peut cependant s'empêcher de reconnaître les funestes conséquences de leur application à l'extension indéfinie de l'industrie.

« Lorsqu'on considère, dit-il, la marche de l'industrie en Europe, on ne peut presque pas douter que le rétultat prochain de cette lutte ne soit l'impossibilité de la continuer nulle part. Chaque jour on apprend l'ouverture d'une fabrique nouvelle ou du perfectionnement d'une fabrique ancienne qui lui

loi contre l'importation des froments au-dessus de 80 schel. le quarter (500 fr. le tonneau), que toutes les épargnes fussent consommées, pour qu'on pût remettre les ouvriers dans le servage ordinaire, pour qu'il fùt possible de rétablir l'ordre accoutumé. J'ignore si les troubles actuels de Manchester ont la même cause il se pourrait que non, parce que la majeure partie des ouvriers du Lancastershire se compose d'Irlandais sans conduite; mais il se pourrait aussi que l'affirmative fût vraie, et qu'il y eût des chefs de salaires, dont les Irlandais ne seraient que les instruments, ce dont il importerait d'avoir des informations exactes et sincères. Quoi qu'il en soit, la cause des troubles de Nottingham, en 1814, étant constante, il n'y a rien d'indiscret à en prévoir le retour. Je pense qu'elle est faite pour fixer l'attention des protecteurs du repos public. C'est avec bien juste raison que nous nous efforçons d'inspirer à nos ouvriers l'amour de l'ordre et de l'économie, la prévoyance pour les temps malheureux, etc. Mais on voit que les progrès qu'ils y feront les affranchiront de la dépendance où les tient encore leur inconduite, dépendance qui est la base du système du manufacturier actuel. Maîtres, après l'épargne, de résister, d'abord par l'inertie, aux fixations de salaires qui leur déplairont et auxquels la faim ne leur permet pas de se soustraire aujourd'hui, ils sentiront plus tard leurs forces, débattront le prix de leurs services avec la liberté dont jouissent tous les autres industriels, et, irrités par ce qu'ils appellent les anciennes prétentions à l'oppression, riches, mais passionnés, et encore incomplétement instruits, Dieu sait ce qui pourra résulter de l'énorme masse de leur puissance. En tout cas, le système actuel, l'ordre actuel seront changés. Il y aura désordre, tout le fait craindre. Et comme le prétexte n'en paraîtra pas criminel, il est bon de l'étudier en secret. Cependant rendre la classe ouvrière plus morale, et partant plus riche, est un but louable. Il faut seulement, lorsqu'on travaille à l'atteindre, prévenir l'abus qu'on en pourra faire, et cette prévoyance me paraît digne d'occuper sérieusement l'autorité au milieu de l'heureux élan industriel qui se manifeste en France, et dont je me garderais bien de demander la répression. » M. de Tollenare aurait trouvé la solution de ce problème en appelant les classes ouvrières, non-seulement à être éclairées, prévoyantes et riches, mais encore religieuses, et en demandant aux riches entrepreneurs d'industrie plus de justice et de charité. Son esprit élevé est digne de proclamer cette vérité, que son cœur comprend si parfaitement.

tion.

« Vouloir précipiter dans les entreprises d'industrie tous les gens riches, serait un projet absurde ce qu'on doit raisonnablement désirer, c'est que l'opinion proscrive l'oisiveté.

« Un entrepreneur de tissus est un homme utile; mais, s'il veille à l'éducation de ses nombreux ouvriers, s'il ouvre des écoles pour leurs enfants et pour eux-mêmes, s'il en fait des êtres intelligents et probes, si l'oisiveté, la misère, le vice disparaissent des environs de la manufacture, ce n'est pas seulement un riche fabricant, c'est un citoyen digne de la reconnaissance publique, c'est un bienfaiteur de la contrée qui l'a fait naître. »

permet d'augmenter ses produits. On apprend | folies, en se propageant, anéantiraient la civilisaaussi, chaque jour, que quelque marché s'est fermé au commerce libre, et qu'un peuple libre qui n'avait auparavant jamais songé aux manufactures, a résolu à son tour de se suffire à lui-même et de n'être plus, selon l'expression aussi fausse que vulgaire, tributaire de l'étranger. Chaque fabricant, au lieu de songer à son pays qu'il connaît, a en vue l'univers qu'il ne peut connaître, et l'univers se resserre toujours plus pour lui. La souffrance est universelle chaque manufacturier a perdu une partie de ses capitaux: partout les ouvriers sont réduits à un salaire qui suffit à peine à les faire vivre misérablement. On apprend, il est vrai, tantôt dans un canton, tantôt dans un autre, que la fabrication se ranime, et que tous les ateliers sont occupés; mais cette activité momentanée est plutôt l'effet de spéculations hasardées, de confiances. imprudentes et de la surabondance des capitaux, que de nouvelles demandes; et, en considérant le monde commercial d'un seul coup d'œil, on ne peut révoquer en doute que les profits de l'industrie diminuent encore plus que ses profits n'augmen

lent.

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Que fera-t-on lorsqu'on ne pourra plus vendre à aucun étranger? Que fera-t-on lorsque chacun sera forcé de comparer les produits de son peuple avec les besoins de son peuple, et, ne comptant plus du tout sur les illusions du marché extérieur, reconnaîtra clairement que ce peuple ne peut acheter tout ce qu'il veut vendre? Comment dira-t-on à ces artisans qu'on a multipliés avec tant d'efforts, qu'on a rendus actifs avec tant d'industrie : « Nous nous sommes trompés; nous n'avons pas besoin de vous; vous ne deviez pas vivre!.... >>

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L'approche du dénouement d'un faux système est peut-être imminente, et cette calamité fait frémir. Lorsque ce moment sera venu, toutes les barrières élevées entre les états tomberont de nouveau, parce qu'on sentira l'impossibilité de les maintenir. La fatale concurrence de ceux qui cherchent aujourd'hui à s'enlever leur gagne-pain cessera. Chacun s'en tiendra à l'industrie que la nature du sol, du climat et du caractère des habitants rendent plus profitable, et ne regrettera pas plus de devoir tous les autres produits à un étranger que de ne pas faire ses souliers lui-même. Mais, avant d'en venir là, qui sait combien de vies auront été sacrifiées à la poursuite d'une erreur! >>

« Aimons à célébrer les bienfaits que répand l'industrie; mais n'allons pas, avec quelques rêveurs, lui donner une importance exclusive. Gardons-nous de supposer que les industriels et les ouvriers soient les seuls citoyens utiles, aux dépens desquels tous les autres existent. De telles

« A peine, dit M. de Raineville, un genre de fabrication donne-t-il quelques bénéfices, qu'une foule d'hommes sans expérience, sans honneur, sans moralité, sans solvabilité même, s'y précipitent avec une étourderie prodigieuse. Les populations anciennes ne suffisent plus à leurs entreprises. On les double en quelques années en attirant des campagnes environnantes de malheureuses dupes par l'appât d'un gain plus grand, d'un travail plus facile et des plaisirs que présentent les grandes agglomérations des deux sexes. On dévore ses capitaux et ceux des insensés qui s'y laissent prendre; on encombre les marchés de produits dégénérés des qualités primitives qui en assuraient le débit; on dépasse outre mesure tous les besoins de la consommation. Mais bientôt les consommateurs désabusés repoussent ces produits; les débouchés se ferment, les magasins sont encombrés, les capitaux compromis ou perdus. Il faut condamner les machines et les bras à l'oisiveté, et voilà que des milliers d'individus vont offrir leurs bras au rabais, épuisent leurs ressources, engagent leurs effets dans des monts-de-piété, fatiguent la charité des villes et des particuliers par leurs sollicitations, et attendent, en vivant d'aumônes, un temps meilleur qu'on leur a fait espérer, mais qui ne reviendra plus, parce que tout équilibre entre la production et la consommation est perdu. L'avilissement subit du prix du travail les condamne à plus de privations et les rend doublement malheureux. Les spéculateurs ont disparu en laissant un surcroît de population à la charge des villes et des habitants. Ces légions d'ouvriers hâves et décharnés, rongés de vices et des maladies qui en sont la suite, ont perdu, avec l'innocence de leurs premières mœurs, le goût de la vie des champs et la force nécessaire pour en supporter les travaux. Voilà ce qui reste de cette fausse prospérité, de cette exaltation sans mesure de l'activité industrielle! Quelques jours d'ivresse et de longues an

nées de souffrance qu'on ne peut soulager, car rien ne répare les mœurs et les forces perdues, si ce n'est la religion avec ses prodiges. Où est la force de l'état avec une semblable population? Nous ne craignons pas de le dire, si toute la France était ainsi façonnée par l'industrie, des millions de ses enfants ainsi abâtardis ne suffiraient pas à l'entretien d'un régiment de cinq cents hommes. Que l'on interroge les généraux qui ont fait les levées du recrutement; ils ne nous démentiront pas. Dans les cantons industriels, la dégradation de l'espèce y est telle, que la plupart des jeunes conscrits y sont impropres au service militaire; ce qui double la charge de la population rurale, et condamne let petit nombre de jeunes gens sains et bien conformés que présentent les villes : injustice légale dont les désordres de l'industrie sont la cause. »

« L'Europe, dit encore sur le même sujet M. de Sismondi, est arrivée au point d'avoir, dans toutes ses parties, une industrie et une fabrication supérieures à ses besoins.

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Que l'on parcoure les rapports du commerce, les journaux, les récits des voyageurs, partout on verra les preuves de cette surabondance de production qui passe la consommation, de cette production qui se proportionne, non pas à la demande, mais aux capitaux qu'on veut employer, de cette activité des marchands qui les porte à se jeter en foule dans chaque nouveau débouché, et qui les expose tour à tour à des pertes ruineuses dans le commerce, dont ils attendent des profits. Nous avons vu les marchandises de tout genre, mais surtout celles de l'Angleterre, la grande puissance manufacturière, abonder dans tous les marchés de l'Italie, dans une proportion tellement supérieure aux demandes, que les marchands pour rentrer dans une partie de leurs fonds, sont obligés de les céder avec un quart ou un tiers de perte au lieu de bénéfice. Le torrent du commerce, repoussé de l'Italie, s'est jeté sur l'Allemagne, sur la Russie, sur le Brésil, et y a bientôt rencontré les mêmes obstacles. >>

Tel est l'effet inévitable d'une production désordonnée; et l'on ne peut méconnaître que l'emploi des machines n'ait puissamment contribué à cette exubérance de production. Si l'on pouvait conserver encore des doutes à cet égard, ils seraient sans doute dissipés par un document d'une haute importance récemment publié sur cette question. Nous voulons parler du rapport fait le 22 février 1832, à l'Académie des sciences, par MM. Gérard et Molard, au sujet du mémoire rédigé par M. le baron de Morogues, sur les machines, leur utilité, leurs inconvénients et les moyens d'y remédier. Nous allons en citer les principaux passa

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Que l'introduction des machines dans nos manufactures ait considérablement augmenté la production des objets nécessaires à nos besoins et à nos jouissances, c'est ce que personne ne s'avise de contester; mais ce qui n'est pas aussi certain, c'est qu'elle en amène l'équitable répartition. Ce n'est pas en masse, en effet, qu'il faut apprécier les avantages ou les inconvénients de ces innovations, il faut en suivre les effets dans toutes les classes de la société et voir si, tandis qu'elles augmentent le bien-être de presque toutes, elles ne tendent pas, dans d'autres, à priver du nécessaire un certain nombre d'individus.

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L'usage des machines ne s'introduit jamais dans une branche d'industrie sans priver aussitôt de travail un assez grand nombre d'ouvriers. A la vérité, la misère qui en résulte pour eux n'est que temporaire, s'il faut en croire la plupart des économistes et bientôt, soit par la création de quelque nouvelle industrie, soit par l'extension de celles déjà créées, on voit se rétablir l'équilibre entre la demande et l'offre du travail. Mais cette assertion trouve des contradicteurs, qui assurent que chacune des mutations dont nous parlons jette insensiblement un certain nombre d'individus dans cette classe déjà trop nombreuse d'hommes dont les moyens d'existence n'ont rien d'assuré, et que l'oisiveté en elle-même, autant que la misère qui en est la suite, pousse à l'immoralité. C'est à cette dernière opinion que se range. M. de Morogues ; seulement, au lieu d'être reporté par cette considération à repousser les machines, il cherche les moyens de neutraliser les effets fàcheux de leur introduction. L'extension du commerce extérieur ne peut procurer à la classe ouvrière qu'une augmentation momentanée de travail; car la concurrence de toutes les nations et les progrès de l'industrie chez la plupart d'entre elles, resserrent de plus en plus le champ des bénéfices qu'on peut obtenir en approvisionnant leurs marchés.

Le prix des produits de l'industrie anglaise qui se sont écoulés au-dehors, de 1808 à 1828, s'est réduit, suivant M. de Morogues, aux 3/7 du prix des mêmes produits vendus sur les mêmes marchés pendant les six années précédentes, et il est clair, en effet, d'après l'état progressif de l'Europe, qu'on ne peut conserver l'avantage d'approvisionner un marché étranger qu'autant qu'on diminue de plus en plus le prix de la marchandise offerte, ce qui ne se peut qu'autant qu'on arrive à un abaissement sur les frais de fabrication par le perfectionnement des machines. A mesure que les produits manufacturés de l'Angleterre devinrent l'objet d'exploitations plus étendues, les villes de Birmingham et de Manchester se peuplèrent aux dépens des pe

pe

ont créé environ 4,833,000 propriétaires sur 52 millions d'habitants. Ainsi, nous sommes un propriétaire sur 7 individus ; tandis qu'en Angleterre on n'en compte qu'un sur 28. En 1828, le nombre des pauvres était, chez nous, égal à 1/13 de la population. En Angleterre, il était égal à 1/4 (2) : aussi, à la même époque, tandis que nous n'avions qu'un accusé sur 857 habitants, l'Angleterre en avait un sur 134. »

tites fabriques dont les ouvriers y trouvèrent d'abord des salaires plus considérables; mais bientôt l'économie dans les frais de fabrication porta sur les salaires eux-mêmes, qui s'abaissèrent de plus en plus; enfin, il arriva un moment où les réductions durent porter sur le nombre des travailleurs : ceuxci songèrent à se reporter des grandes vers les tites fabriques; mais celles-ci avaient disparu. Ce qui est arrivé pour l'industrie est arrivé, suivant M. de Morogues, pour la culture: les journaliers se sont portés des petites fermes vers les grandes; puis, quand ils ont voulu revenir vers les premières, ils ont trouvé que la petite culture n'existait plus. Alors la plaie du pauperisme est devenue si profonde, qu'on est arrivé au point de discuter sérieusement l'opportunité de la déportation et de la restriction des mariages; et, ce qui n'est pas moins déplora-propriétés sont moins divisées, ce qui sert à explible, c'est que, pendant ces discussions, la population des prisons où sont détenus les condamnés pour certains délits contre la propriété, s'est élevée, de 1824 à 1829, dans le rapport de 3 à 6.

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« Les lois qui régissent l'Angleterre, en ayant fait successivement disparaître la petite et la moyenne culture, sont devenues une des principales causes du paupérisme, de l'agitation des ouvriers et des atteintes qu'il portent à la tranquillité publique. Sur seize millions d'habitants, la GrandeBretagne ne compte que 589,000 propriétaires fonciers (envion 118 mille familles (1)). La propriété territoriale, centralisée par les substitutions et le droit d'aînesse, ne présente que de vates exploitations rurales, dans lesquelles l'usage des machines s'est introduit comme dans les grandes fabriques, de sorte que de pauvres ouvriers sans travail surchargent également de leur misère les campagnes et les grandes villes.

. En France, la vente des biens nationaux, l'abolition du droit d'aînesse et l'égalité des partages

(1) Plusieurs écrivains portent le nombre des familles possédant les propriétés foncières, en Angleterre, de 35 à 40 mille familles seulement.

(2) Nous ignorons où M. de Morogues a puisé ces chiffres du nombre des pauvres existant en France et en Angleterre. Nos recherches nous ont donné pour résultat ; en France, 1/20 de

« En admettant, comme un principe généralement reconnu, que la misère, plus qu'aucun autre motif, provoque les délits de toute nature, l'auteur est encore d'opinion que ces délits sont plus nombreux là où il y a plus d'industriels que de cultivateurs, et qu'enfin, parmi ces derniers, il se rencontre d'autant plus de délinquants que les

quer pourquoi, depuis 1825 jusqu'à 1829, intervalle de temps pendant lequel le nombre des grandes propriétés s'est accru en France, le nombre des délits s'y est accru dans le rapport de 183 à 222 (3). »

«M. de Morogues couclut de tous ces faits, que s'il convient d'encourager l'emploi et de provoquer le perfectionnement des machines dans nos fabriques, il est encore plus indispensable d'encourager l'agriculture contre la concurrence étrangère. Il afin voudrait surtout étendre la petite culture, que par l'effet du plus grand travail manuel qu'elle exige, le plus grand nombre d'individus puissent devenir consommateurs; car, dit-il, c'est de l'aisance de notre population qu'il faut attendre le rétablissement de notre industrie. Malgré le paupérisme qui l'accable, l'Angleterre est encore la meilleure pratique de ses propres manufactures.

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Comparant la moralité des populations agglomérées au sein des grandes villes à la population clair-semée des campagnes, il fait remarquer que dans le canton de Middlesex, où se trouve la ville de Londres, on comptait en 1820 un accusé sur 424 habitants, tandis que dans le reste de l'Angleerre on n'en comptait qu'un sur 2,400.

« De même en France, en prenant une moyenne entre 1825 et 1829, on a trouvé un accusé sur 1167 habitants dans le département de la Seine, tandis que dans tous les autres départements pris ensemble, on n'en comptait qu'un sur 4,500, et que dans les départements les moins peuplés, comme ceux de la Creuse et de la Haute-Loire, il ne s'en est trouvé qu'un sur 10,000. »

la population, et en Angleterre, 1/6. (Voir le livre II, chapitres I et II.)

(3) M. le baron de Morogues aurait dû attribuer, avec plus de raison, cet accroissement de délits à l'extension croissante de la production manufacturière, et à la crise industrielle qu'elle a amenée précisément dans la période de 1825 et 1828,

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