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la civilisation modernes, et l'inquiétude qui tourmente les classes ouvrières, sont des faits qu'il n'est plus possible de contester. Et s'ils sont la plaie la plus dangereuse de la grande famille européenne, ils sont également les phénomènes les plus remarquables de l'époque actuelle, car leur apparition remonte à l'ère des progrès que la philosophie, la politique, et l'économie publique se vantent d'avoir obtenus au profit de la civilisation.

Depuis un quart de siècle seulement, on avait commencé à soupçonner leur existence; aujourd'hui, le paupérisme montre à nu ses colossales et hideuses proportions.

Aussi l'ordre social, longtemps contenu en Europe dans une sorte d'équilibre entre les divers éléments de la population, semble-t-il à la veille d'une commotion générale. De toutes parts des avertissements sinistres indiquent que nous touchons au moment d'une transition violente, résultat inévitable d'une situation forcée. La lutte est même engagée sur quelques points du globe, entre la portion de la société qui possède les richesses et celle qui ne vit que de son travail. Cet antagonisme, aussi vieux que la société même, toujours vivace, mais comprimé par les institutions, adouci par la religion et les mœurs, et apaisé par la charité, n'avait éclaté, pendant des siècles, qu'à de rares et courts intervalles. Aujourd'hui, complétement révélé par de grandes révolutions politiques, il se fortifie de l'anarchie qui règne dans les doctrines morales, philosophiques et économiques. La misère des classes ouvrières est devenue la question de l'époque actuelle: elle est immense, mais elle est brûlante, pour ainsi dire, et les gouvernements paraissent hésiter à l'aborder complé

tement.

Beaucoup de théories cependant ont été publiées, et de terribles expériences ont été faites, dans le but de résoudre le grand poblème de l'extinction de la misère publique. Jusqu'à ce jour le mal n'a fait que s'aggraver.

A-t-on pris une fausse voie? la misère humaine serait-elle inhérente à l'espèce humaine, ou bien, résultat nécessaire de la nature des choses, serait elle une des dures mais inévitables conditions de

(1) M. J.-B. Say.

notre ordre social? de nouveaux besoins auraientils créé de nouvelles privations?

Enfin, aurait-on enlevé aux peuples quelque aliment moral dont l'absence a fait naître une faim plus dévorante de jouissances matérielles? Quelle que soit leur importance pour le bonheur de l'humanité, ces questions sont encore indécises, et l'on a droit de s'en étonner dans un siècle qui se glorifie d'avoir porté si loin le perfectionnement des sciences humaines et surtout d'une science destinée à améliorer la condition de toutes les classes de la société.

Il existe, en effet, une science qui, non-seulement s'applique à démontrer le mécanisme de la formation et de la distribution des richesses, « mais qui en découvre les sources, qui montre les moyens de les rendre abondantes, et enseigne l'art d'y puiser chaque jour davantage sans les épuiser jamais (1). »

que

Cette science prouve, dit-on, « que la population peut être à la fois bien plus nombreuse et incomparablement mieux pourvue des biens de ce monde; constate que les intérêts des riches et des pauvres, les intérêts d'une nation et ceux d'une autre nation ne sont pas opposés entre eux, et que toutes les rivalités ne sont que des vanités. Il résulte de ces démonstrations qu'une foule de maux, qu'on croyait sans remèdes, sont, non pas seulement guérissables, mais faciles à guérir, et qu'on n'en souffrira qu'autant qu'on voudra bien (2). »

Assurément, c'est à une science ainsi définie et formulée et dont les théories, proclamées depuis plus d'un demi-siècle, ont été expérimentées sur une très-vaste échelle, que l'humanité, la charité religieuse et la politique étaient en droit de demander le soulagement complet les classes souffrantes de la population. Mais les résultats, il faut bien le dire, sont loin d'avoir répondu aux promesses; et quelque forte part que l'on puisse faire à une fausse application des principes de la science et aux obstacles que l'application, même la plus judicieuse, aurait pu rencontrer, on est forcément conduit à penser que la science a trop présumé d'elle-même ; qu'elle a bien plutôt enseigné l'art de produire les richesses que celui de les répartir

(2) M. J.-B. Say.

équitablement, et, qu'ainsi, au lieu de soulager l'indigence, elle a très-probablement contribué à la propager. Ce doute est grave et mérite que l'on examine attentivement l'accord et la relation des faits et des principes. Or, un tel examen réclame nécessairement quelques notions préalables sur l'origine, le but et les théories de l'économie politique, et sur les variations que la science a subies jusqu'à nos jours. Cette digression était nécessaire pour pouvoir apprécier l'influence des doctrines de l'économie politique sur le sort des classes ouvrières et pauvres; nos lecteurs voudront bien nous la pardonner.

a

« L'économie politique ne s'est réellement manifestée comme science que vers le milieu du siècle dernier (1). Mais ses éléments remontent à l'origine même du monde, car le travail, et par conséquent l'industrie, ont été imposés aux premiers hommes comme nécessité de leur existence physique. Ils remontent surtout à la famille, puisqu'avec elle naquit l'économie domestique, qui n'implique, à la vérité, qu'une civilisation en quelque sorte patriarcale et ne suppose qu'une sociabilité presque individuelle. Puis viut l'économie nationale lorsque la civilisation s'établissant de famille en famille eut changé la tente du patriarche en cité, et les enfants d'un père commun en citoyens d'un même état. Dès-lors les éléments de la richesse se compliquèrent en se multipliant. Il fallut coordonner des intérêts distincts et souvent opposés. Il y eut des dépenses communes, une fortune publique en dehors des fortunes privées, et, par conséquent, une législation complexe dans son but, puisqu'elle avait à assurer l'une sans épuiser l'autre. La science gouvernementale commença aussitôt, et la sphère d'action devint nécessairement plus grande à mesure que l'état étendait ses frontières ou que l'accroissement de sa population étendait ses besoins (2).

« Les développements pratiques de l'économie politique chez les anciens peuples furent forcément bornés par les obstacles que l'état peu avancé de la navigation et de l'industrie, et plus encore la nationalité exclusive des cultes et des législations apportaient aux relations réciproques des états. Tant que

(1) Les économistes français écrivaient sous le règne de Louis XV; les recherches d'Adam Smith sur la nature et les causes de la richesse des nations parurent en 1776.

l'esclavage marchait à la suite des conquêtes et que le droit des gens demeura inconnu, les relations des peuples durent être extrêmement circonscrites et les progrès des arts utiles, lents et sans cesse interrompus (3). »

Les institutions relatives à l'amélioration du sort des pauvres ne pouvaient guère être l'objet de la législation du paganisme, non pas parce qu'il n'existait point d'indigents, mais parce que l'esclavage semblait être à la fois leur condition naturelle, en même temps que la garantie de leur existence. Moïse seul, dans ses Codes immortels, qui consacraient le droit de propriété, leur avait assuré une protection constante. Dans le reste de l'antiquité, les plans de société se rapportant au soulagement des pauvres, se réduisent à deux, représentés, dans ce qu'ils ont d'essentiel, par l'institut de Pythagore et la république de Platon. L'institut de Pythagore, séminaire de législateurs, reposait sur la destruction de tous les droits individuels de propriété, réunis et absorbés dans la personne du chef, lequel, par des commissaires nommés à cet effet, faisait répartir les fonds communs entre les membres de l'association.- La communauté des biens, qui formait un des fondements de la république de Platon, impliquait le système contraire à l'absorption des droits individuels, c'est-à-dire leur extension illimitée, ou le droit de chacun à tout (4). Mais il est évident que ces plans ne pouvaient s'appliquer qu'à une population circonscrite dans d'étroites limites, et devaient disparaître lorsque la société recevrait une extension progressive. « Le christianisme présenta au monde un autre type social. Il renfermait d'abord le droit de propriété, droit fixe, déterminé comme chaque existence sociale et qui favorise, par son énergie intime, l'activité humaine et la production même de la propriété. Avec le droit de propriété, il réalisait le principe de liberté qui en est inséparable; ces deux principes devinrent l'aurore d'une ère nouvelle pour le genre humain. La grande réformation sociale date de la même époque que la grande réformation religieuse. Le christianisme ne se bornait pas à apporter à l'univers les vérités morales. Des

(a) M. Decoux, Conférences sur l'économie politique. (3) Idem.

(4) M. l'abbé Gerbet, Conf. sur la philosophie de l'histoire.

tiné à devenir la religion et le lien commun de tous les hommes, il fut aussi le véritable élément de la civilisation universelle. Par lui, le droit des gens introduit dans le nouveau code des nations, l'abolition de l'esclavage, la propagation des lumières, le prosélytisme de la charité et de la bonne foi, la chute des préjugés et des cultes nationaux, les croisades, les missions étrangères enfin, assurèrent au commerce et à l'industrie des conquêtes rapides. De toutes parts, dans la législation, comme dans la richesse publique, il y eut un progrès gigantesque. Cette merveilleuse facilité à profiter de chaque découverte utile se manifesta lorsque la boussole fut enfin connue de l'Occident. Bientôt la mer devint comme la grande route des peuples chrétiens. La sécurité pour les personnes et les propriétés multiplia à l'infini les rapports des peuples entre eux, et le négociant, sans inquiétude pour sa fortune, put transformer ses capitaux en marchandises et les envoyer dans tous les ports de la république chrétienne (1). »

« Alors, la lettre de change vint imprimer au commerce un mouvement égal à celui que la navigation avait reçu de la boussole. Le crédit individuel se manifesta sous cette forme; une nouvelle route frayée vers les Indes, et la découverte de l'Amérique, affranchirent le commerce européen de toutes les entraves et lui donnèrent un monde nouveau pour vassal: les cinq siècles qui avaient précédé, furent comme une magnifique introduction à ces événements. Le catholicisme, jusqu'alors régulateur suprême de la civilisation et arbitre souverain du droit des gens, avait tenu ses promesses, la vérité de ses dogmes put être démontrée même par son utilité pour la prospérité matérielle de l'univers (2). »

Malgré le retour des nationalités religieuses produit par la réforme, et malgré les haines de peuple à peuple qui en furent le résultat, l'essor imprimé par le catholicisme au développement de l'industrie et du commerce ne fut point interrompu mais ce grand élément civilisateur, subor

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(1) M. Decoux, Conférences sur l'économie politique. (2) Idem.

(3) On a trop oublié les encouragements que Colbert accorda à l'agriculture. Ce grand ministre était trop éclairé pour ne pas savoir que la France était essentiellement agricole : aussi à son

donné désormais, dans plusieurs états, au pouvoir politique, ne put répandre dès-lors librement et complétement les bienfaits qu'il est sans doute de sa destinée de procurer un jour au monde entier. Dès ce moment, encore, le sort des pauvres si efficacement amélioré par le christianisme, fut exposé à des vicissitudes nouvelles; l'égoïsme pénétra dans toutes les entreprises industrielles, et amena peu à peu le monopole du commerce, des capitaux et de l'industrie.

L'économie politique, qui n'est que l'économie de nation à nation comme l'économie nationale n'est que l'économie de famille à famille, remonte évidemment à l'existence même du droit des gens ; mais elle ne pouvait être qu'une science d'observation, et il a fallu une longue expérience pour parvenir à distinguer, parmi tant d'intérêts divers, celui de la majorité et de la minorité. Pendant longtemps cette science ne fut que pratique et le domaine à peu près exclusif de l'administration.

Le premier système régulier d'économie politique est celui de Colbert. Sully avait enrichi la France en accordant une faveur marquée à l'agriculture et en diminuant les impôts. Les économies royales, qui attestent à la fois la noblesse, le génie et le cœur paternel du bon Henri et la sagesse et les vertus politiques de son austère et fidèle ministre, résument les idées de l'administration sous ce règne mémorable. Colbert leur fit prendre une nouvelle direction. Sans négliger l'agriculture (3), il s'attacha surtout à multiplier les manufactures appliquées' aux produits nationaux. Persuadé que l'abondance du numéraire était la mesure véritable de la richesse des nations, il voulut que la France exportât le plus et importât le moins. C'est sur ces bases que fut fondé son fameux système auquel on a donné le nom de mercantile. A son exemple, toute l'Europe adopta la doctrine de la balance du commerce, des douanes et du régime prohibitif des produits étrangers. Il est vraisemblable que les longues guerres qui marquèrent le règne de Louis XIV nécessitèrent en grande partie

entrée au ministère il diminua l'impôt sur les terres, favorisa la multiplication des bestiaux, et s'attacha ensuite à réduire la taxe du sel. Son système ne perdit pas de vue la protection de l'industrie nationale, et de sages réglements préservèrent les ouvriers contre le monopole des entrepreneurs de manufactures.

l'établissement de ce système de nationalité dont, culture, des manufactures et du commerce (2). Le

les résultats ne furent pas toujours heureux.

Les conséquences de la direction imprimée par Colbert à l'administration générale, ne pouvaient échapper à l'esprit philosophique qui commençait à se développer dès les dernières années du dixhuitième siècle. On doit reconnaître dans cette première tendance à la liberté d'examen des questions d'utilité publique, les premiers pas que faisait la science de l'économie politique pour réunir en un seul faisceau les lumières éparses de l'administration pratique et de l'administration spéculative. Cette réunion ne fut complétement opérée que par Adam Smith, mais avant lui avaient paru plusieurs écrivains français et italiens auxquels il est juste d'accorder une portion de la gloire dont on a entouré le nom du fondateur de l'économie politique.

Le paisible ministère du cardinal de Fleury avait, en France et en Europe, dirigé les esprits vers les moyens d'augmenter et de consolider la félicité publique. Montesquieu, en portant le flambeau de la philosophie sur l'origine et l'esprit des lois qui régissent les sociétés, avait enseigné le grand art de découvrir, dans l'ensemble des faits moraux et physiques observés dans l'organisation sociale, les relations réciproques des climats, des institutions et des mœurs publiques. Cet illustre exemple mit sur la voie de rechercher les lois de la richesse, du travail et de la consommation, qui avaient été peu approfondies par Montesquieu lui-même. Le docteur Quesnay (1), l'un des premiers écrivains qui entrèrent dans cette carrière nouvelle, fonda la secte dite des Économistes; par elle l'attention de l'Europe fut bientôt attirée sur tous les sujets qui touchent au bonheur de la société humaine, et ses doctrines eurent une influence marquée sur plusieurs publicistes français et italiens.

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manufacturier et le commerçant ajoutent, il est vrai, quelque valeur au produit de la terre; mais cette valeur est précisément l'équivalent du travail qu'ils ont fait; c'est leur salaire. Toutes les relations avec les ouvriers de ce genre ne sont que des échanges. Le propriétaire des terres à seul le pouvoir créateur. L'or et l'argent ne sont à l'homme que d'une utilité de convention. Il n'existe point d'intérêt à faire sortir ou entrer l'argent d'un pays au profit d'un pays où d'un autre. Il ne faut point de prohibitions ni de douanes, mais une liberté entière et universelle du commerce. L'impôt doit être unique, assis sur le revenu de la terre et payé directement par le propriétaire foncier (3).

Telle était, en résumé, la doctrine de ces écrivains dont on a dû combattre quelques erreurs, mais dont les écrits ont contribué à faire disparaître de nombreux abus. On leur rendra plus de justice si l'on se reporte aux temps où ils ont vécu et peutêtre aux temps où nous vivons nous-mêmes. Ils ne pouvaient prévoir à quel point on pourrait un jour exagérer leurs théories; il faut reconnaître qu'ils ont traité tous les sujets économiques avec l'amour le plus pur du bien public et le désir ardent de soulager le sort des classes malheureuses; leurs écrits se distinguent par une douce et saine morale, et, en général, par un profond respect pour les institutions sur lesquelles se fondent le repos, le bonheur et les vertus des peuples (4). Enfin leur sagacité avait reconnu que la France était essentiellement agricole. L'expérience n'a pas, du moins, démenti ce jugement.

L'économie politique avait commencé dès longtemps à jeter quelque lueur en Italie. Déjà, en 1516, Machiavel avait dit : « La sûreté publique et la protection sont le nerf de l'agriculture et du commerce. Sous les gouvernements doux et modérés, la population est toujours plus grande, les ma

Le grand principe des économistes était que terre est la seule source des richesses. De cette source unique sortent tous les produits de l'agri-riages y sont plus libres et plus désirables. »

(1) Le docteur Quesnay était médecin de Louis XV. (2) Depuis longtemps, Bossuet avait dit : « Les véritables richesses sont celles que nous avons appelées naturelles, à cause qu'elles fournissent à la nature ses véritables besoins. La fécondité de la terre et celle des animaux est une source inépuisable de vrais biens; l'or et l'argent ne sont venus qu'après, pour faciliter les échanges.» (Politique sacrée.)

(3) Ce système fut en partie appliqué par l'assemblée con

stituante. L'impôt foncier fut porté à 300,000 millions. L'im possibilité de l'exécution fut ici, comme ailleurs, la réponse des faits aux théories; jamais l'impôt ne put être perçus (Le vicomte de St.-Chamans, Système d'impôt.)

(4) On peut citer, parmi les principaux économistes, outre le docteur Quesnay, MM. Melon, Dupin, de Chastellux, Dupont de Nemours, Forhonnais, le marquis de Mirabeau, Turgot, etc., etc.

En 1579 le comte Gaspard Scarruffi de Reggio, demandait une monnaie uniforme pour toute l'Europe; Antoine Serra, de Naples, auteur d'un traité, publié en 1613, sur les causes qui peuvent faire abonder l'or et l'argent dans le royaume, analysait le pouvoir producteur de l'industrie, et pourrait, à juste titre, être regardé comme ayant découvert le premier ce principe fondamental de la science économique moderne. Bandini, archidiacre de Sienne, écrivit, en 1737, un ouvrage publié seulement en 1775, et qui renfermait les idées les plus remarquables des économistes français ; Galiani développa et rectifia ses doctrines; Genovesi, pour lequel un simple particulier (Barthélemi Intiera) fondait, à Naples, une chaire d'économie politique (la première qui ait été établie en Europe), attribuait toute richesse au travail honnéte (1).

Après Genovesi parut le savant Algarotti, qui a exposé si fortement les avantages que le commerce européen trouverait à se diriger sur l'Afrique, préférablement à l'Amérique et à l'Asie; vint ensuite Beccaria, si célèbre comme publiciste, dont les ouvrages d'économie politique renferment, sur les effets de la division du travail, les mêmes vérités que découvrait en même temps Adam Smith en Angleterre ; et sur le principe de la population, les considérations si habilement développées depuis par Malthus.

Verri, auteur de Méditations sur l'économie politique, dans lesquelles il donne la prééminence à l'agriculture sur l'industrie manufacturière; Paoletti, curé, qui désirait que les curés de campagne

(1) Le travail, dit Genovesi, ressemble à la souffrance, mais le plaisir est toujours fils de la douleur: c'est la loi du monde; elle est générale, et il faut l'aimer. Les Don Quichotte de la philosophie et les Sisyphes de la chimie, après s'être alambiqué le cerveau pendant longues années, ont enfin reconnu qu'il n'y a d'autre moyen de faire de l'argent que le travail honnéte. Cette conclusion fait aujourd'hui le désespoir de bien des fous. Mon bonheur serait grand de laisser nos Italiens un peu plus éclairés que je ne les ai trouvés, et surtout un peu plus attachés à la vertu, qui seule peut être la mère de tout bien. Il est inutile de penser aux arts, au commerce et à l'administration, si on ne pense pas à réformer la morale. Tant que les hommes trouveront leur compte à être fripons, il ne faut attendre grand chose des travaux méthodiques : j'en ai trop l'expérience. (Le comte Pecchio, Histoire de l'économie politique en Italie).

(2) Cet honorable exemple est donné en Suisse et en Écosse.

(3) Dans ses écrits, Ortès ne dissimule pas son aversion pour l'Angleterre, dont il prédit la ruine. Il a pour but de ses recherches l'augmentation de la population et le bien-être des

sussent et enseignassent l'agriculture (2); Vasco, auteur d'un mémoire sur la mendicité et sur les moyens de la soulager, et enfin beaucoup d'autres publicistes italiens, écrivaient sur l'économie politique à l'époque où paraissaient les ouvrages de Quesnay et des autres économistes français. Après eux, Ortès, moine camaldule, qui s'occupait, vers ce temps, de l'économie politique, et particulièrement de recherches sur le principe de la population, fut conduit, sur cet objet, à des idées nouvelles, que Ricci, en Italie, et Malthus, Angleterre, ont ensemble confirmées par leurs théories (3).

en

Ici, nous arrivons à l'époque où l'économie politique prend, en Angleterre, par les écrits d'Adam Smith, la forme et l'importance d'une véritable science. Mais on peut remarquer, à l'honneur des publicistes italiens, que Bandini fut le précurseur des économistes français, comme Beccaria et Orlès le furent des célèbres doctrines de Smith, sur la division du travail et la liberté illimitée du com

merce.

La science économique s'était avancée sur les mêmes principes, tant en France qu'en Italie. Les écrivains tendaient tous au même but : chacun d'eux s'empressait, de bonne foi, à coopérer à la réforme des abus par le renversement des obstacles qui s'opposaient à l'augmentation de la population et au développement de la richesse publique. Une longue suite d'auteurs, à force de répéter les mêmes conseils, avait presque changé les idées des contemporains et assiégé les gouvernements avec des

peuples. Mais tandis que les économistes anglais vont à ce but, en cherchant plus à accroître la quantité que la distribution des richesses, Ortès a plus en vue la distribution que la quantité. Il voudrait une équitable distribution de la richesse, parce qu'à son avis la population et le bonheur dépendent des richesses modérées et nationales. « Sans la sûreté et la propriété des biens acquis, dit-il, la population ne peut s'accroître. C'est le seul moyen d'empêcher, non qu'il y ait des pauvres (ce qui est impossible), mais bien d'en diminuer le nombre. C'est le moyen aussi de diminuer les oisifs. Pour obtenir cette plus juste distribution, au lieu de lois, d'hospices, d'hôpitaux, et de tant d'autres remèdes politiques, il ne faut qu'une seule chose, le laissez-faire. Le gouvernement ne doit s'occuper que d'empêcher l'injure et le dommage qu'un citoyen voudrait faire à un autre, mais non pas entraver la marche et le cours naturel des choses; autrement on tombe dans un labyrinthe d'inconvénients, dont les auteurs les plus ingénieux n'ont pu trouver encore le moyen de sortir. (Le comte Pecchio. Histoire de l'économie politique en Italie.)

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