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pour lesquels il est disposé à sacrifier beaucoup d'autres jouissances lorsqu'elles doivent être achetées au prix d'un travail excessif. L'économie, la prévoyance, exigent d'ailleurs un sacrifice toujours plus ou moins grand des jouissances présentes. Or, comment obtenir ce sacrifice, comment le concilier avec ce besoin de bien-être matériel que l'on cherche incessamment à exciter?

D'un autre côté, le système actuel de l'industrie manufacturière étant basé sur la concurrence universelle et tendant à concentrer les bénéfices dans les mains des entrepreneurs, les ouvriers se trouvent soumis à une condition tellement précaire que toute idée de prévoyance et d'économie doit disparaître à leurs yeux par l'impossibilité de la réaliser, car le loisir employé à développer leur intelligence, serait un vol fait au travail qui à peine les nourrit.

Dans une telle situation, et en l'absence de toute morale religieuse, l'ouvrier qui ne connaît que le moment présent, qui ne voit, dans une destinée bornée à la vie terrestre, d'autre bonheur que de satisfaire, autant et aussi souvent qu'il le peut, le besoin des jouissances qui se trouvent à sa portée, cet ouvrier vivra au jour la journée, dépensera ses modiques épargnes au cabaret, négligera le soin de sa famille, cherchera dans le travail de ses enfants une ressource pour vivre, et, s'il le peut, pour ne pas travailler. Et celui qui s'abstiendrait des cabarets, qui vivrait dans l'intérieur de sa famille, et trouverait, dans sa sobriété, de quoi exister sans contracter de dettes, celui-là serait un rare phénomène et passerait sans doute aux yeux de ses compagnons pour une dupe digne de pitié. Car dans l'ordre social créé par le matérialisme, l'homme qui ne se procure point tous les plaisirs qu'il peut obtenir sans s'exposer au châtiment des lois humaines, n'est au fond qu'un véritable imbécile.

Quelle est, au contraire, la perspective que la théorie chrétienne montre à l'ouvrier religieux?

Celui-ci, par vertu plus encore que par intérêt, sera l'ami du travail, de l'ordre, de la frugalité. Accomplir ses devoirs de fils, d'époux, de père, de citoyen, de chrétien sera le but auquel il tendra sans cesse. C'est pour l'atteindre qu'il cherchera à développer son intelligence, à conserver ses forces, à acquérir de l'habileté, à faire des épargnes. Plein de respect pour lui-même comme pour les autres, il sera avide d'une bonne renommée, car il saura très-bien que l'estime et la confiance se donnent plutôt à la probité qu'à l'habileté sans vertus. Si ses travaux prospèrent, il s'élèvera avec joie à un degré de plus dans l'échelle sociale; s'ils le laissent dans la médiocrité, dans l'indigence même, il ne murmurera point, car il saura aussi que cette vie

passagère n'est qu'une épreuve et que les pauvres entrent plus aisément au royaume éternel que les riches dont la récompense est en ce monde.

C'est ainsi que par l'enchaînement des idées les plus simples, on est amené à reconnaître que l'instruction, l'intelligence, l'adresse, la santé et l'économie, conditions nécessaires de l'amélioration des classes ouvrières, découlent d'une source unique, le sentiment religieux, et que ce sentiment doit se puiser, se fortifier et se conserver dans une éducation véritablement religieuse. Toute l'économie sociale repose donc sur l'éducation et la religion.

L'économie politique anglaise n'a pas méconnu sans doute les dangers funestes de l'immoralité et de l'ignorance dans les classes ouvrières. Elle voit, comme nous, que l'ignorance, l'imprévoyance, la débauche et la misère se tiennent en quelque sorte par la main; elle veut en garantir les ouvriers; mais ses remèdes sont nécessairement impuissants lorsqu'ils ne sont pas dangereux. L'immoralité et l'ignorance sont les conséquences inexorables d'un système fondé sur le matérialisme. L'éducation industrielle, si elle n'est en même temps morale, ne fera que développer les mêmes vices, seulement ils seront, peut-être, moins vulgaires et moins grossiers.

Les écoles du peuple, telles que les conçoit l'économie anglaise, donnent promptement aux enfants, il est vrai, la clef des sciences. Leur but principal est de leur fournir les moyens de savoir de bonne heure lire, écrire, calculer, et de pouvoir se livrer bientôt avec quelque profit, à un travail mécanique. Les parents obtiennent ainsi l'avantage de ne pas supporter longtemps la dépense de l'instruction élémentaire et de retirer plus tôt quelques bénéfices du travail de leurs enfants. Mais cet avantage est-il réel? est-il surtout durable et désirable?

Dans l'état actuel de l'industrie, et d'après les principes économiques anglais, il est difficile qu'un enfant, obligé de travailler de toutes ses forces pour gagner un chétif salaire, puisse trouver le temps de perfectionner et d'appliquer son instruction. Quelques-uns, plus intelligents et plus robustes, parviendront peut-être à sortir de la ligne commune; mais la masse continuera de se perdre dans cette foule d'êtres condamnés à travailler mécaniquement, à consumer leur jeunesse et leur santé dans des ateliers malsains ou dans des lieux de débauche et d'ivrognerie, et à terminer leur déplorable vie dans la souffrance et la misère.

L'éducation chrétienne, plus lente à la vérité, ne livre pas sur-le-champ ses élèves aux travaux et aux bénéfices de l'industrie; mais, en leur enseignant avec plus de soin ce qu'ils comprendront et appli

queront mieux et n'oublieront pas, elle donne surtout ces principes qui doivent guider l'ouvrier dans la conduite de toute la vie. Elle apprend à être bon fils, bon maître et bon serviteur; elle recommande l'ordre, la prévoyance, la tempérance et la bonne direction du travail; elle cherche à ne livrer son disciple à l'industrie que lorsque le cœur comme le corps sont assez formés pour résister aux impressions morales et physiques de cette existence nouvelle. Elle ne néglige pas l'instruction industrielle, mais elle n'en fait que le complément de l'instruction morale.

Sous le rapport purement économique, l'éducation chrétienne a d'immenses avantages sur toute autre. En effet, ce ne sont pas deux ou trois années de travaux faiblement rétribués, et qui énervent prématurément les forces de l'enfant, qui peuvent jamais dédommager l'individu, la famille et la société des maux attachés à l'affaiblissement moral et physique de l'ouvrier trop promptement livré à l'industrie. L'enfant, ainsi placé de trop bonne heure dans une carrière qui devient désormais celle de sa vie entière, n'a plus de choix, plus de liberté, plus d'espoir d'un avenir meilleur. A douze ans, il ne saurait avoir d'autre vocation que celle qui lui est imposée; à quinze, il est en état de choisir un métier ou une profession, et de se placer avantageusement en apprentissage. Il peut dès-lors échapper à la servitude de la grande industrie dont les principes portent à demander de nombreux troupeaux d'ouvriers disciplinés, à bon marché. En nous servant des termes mêmes de l'école anglaise, en consentant à ne voir, dans un ouvrier, qu'un capital accumulé, il est facile de comprendre que cet ouvrier aura plus de valeur, plus d'importance et plus de rémunération dans le travail, lorsqu'il en aura coûté quelque chose de plus à ses parents ou à l'état pour lui procurer une éducation ou une instruction plus complètes.

Ce sont ces observations, basées sur l'expérience de tous les lieux et de tous les temps, qui ont constamment dirigé les principes du clergé catholique au sujet de l'enseignement populaire dont il n'a cessé de s'occuper depuis l'établissement du christianisme. Sa prudence lui a attiré, entre autres reproches, celui de s'opposer à la propagation de l'instruction parmi le peuple : nous nous réservons d'y répondre dans la suite de cet ouvrage, et cette tâche nous sera facile; mais nous devons, dès ce moment, présenter quelques réflexions.

Il est vrai qu'en admettant, dans la pratique et dans le précepte, le principe général de l'utilité et de la nécessité de l'instruction dans toutes les classes, la religion, toujours prévoyante, et ne perdant pas de vue la nature et la destinée de l'homme, a dû

considérer les abus qui pouvaient résulter pour l'ordre social, de la direction donnée à l'instruction publique. Elle a pensé que la science du bien et du mal ne pouvait pas être mise à la portée de tous les esprits. Elle a voulu, d'abord, répandre la science du bien, c'est-à-dire de la vertu, sûre qu'elle était que de cette science découleraient toutes celles nécessaires et utiles à la société humaine. Elle s'est donc occupée davantage, par ce motif, de l'éducation morale de l'homme que de ses lumières, sans prétendre toutefois restreindre celles-ci; car, à ses yeux, le développement moralse lie aux progrès de l'intelligence. Mais, fidèle à la loi du progrès et en présence de l'inégalité des conditions humaines, elle a jugé qu'il ne pouvait être favorable au bonheur des individus et à la paix publique qu'un même degré d'instruction fût donné indistinctement à ceux que séparent divers degrés de travail, de fortune, de situation sociale, et par conséquent de besoins.

M. le baron de Morogues a parfaitement compris la sagesse et la profondeur de ces vues.

« C'est vers le rapprochement par la création de la richesse nouvelle, et non vers l'égalisation des situations sociales acquises, dit cet écrivain, que le gouvernement doit tendre de plus en plus, à mesure que les idées s'étendant davantage dans les classes inférieures de la société, rapprochent les besoins de ces classes de ceux des classes supérieures.

. Pour prévenir la nécessité d'un rapprochement trop grand, extinctif de l'émulation à laquelle la société doit ses progrès, il est indispensable que l'instruction soit plus étendue dans les hautes classes que dans les classes inférieures, et qu'autant que possible elle soit spéciale aux situations de toutes les familles. Il le faut ainsi, pour que la société reste progressive, parce qu'il est indispensable que les classes inférieures, qui sont et qui doivent toujours être les plus nombreuses, trouvent leur situation aussi heureuse que possible.

« L'éducation doit donner aux hommes les meilleurs moyens d'appliquer leurs efforts; mais, avant tout, elle doit les accoutumer à trouver le plus possible, dans la rémunération de leur travail, des moyens suffisants pour la satisfaction de leurs jouissances, et, à cause de cela, il ne faut pas que le développement surérogatoire de leurs idées étende leurs désirs au point de les rendre malheureux par le perpétuel chagrin de les voir sans cesse non satisfaits (1). »

Sous tous les rapports, comme on le voit, le système d'éducation et d'instruction du clergé catholique, est, ainsi qu'il devait l'être, en parfaite har

(1) De la misère des Ouvriers.

monie avec la destinée religieuse et sociale de l'homme.

La philosophie chrétienne considérant, avant tout, dans l'homme, l'être appelé à une vie immortelle, a placé au premier rang des lumières utiles, celles qui pouvaient le conduire plus sûrement à ce but sacré. De là, l'importance qu'elle a dû attacher au choix des instituteurs, à la pureté de leurs doctrines et à la nature des livres mis entre les mains des enfants. Devant s'occuper de former le cœur, avant d'éclairer l'esprit, il était dans l'ordre qu'elle préférât les maîtres les plus vertueux et les plus dignes de confiance, à ceux qui n'auraient d'autre mérite que d'enseigner plus rapidement les sciences purement humaines. Il était nécessaire, par ce motif, qu'elle formât elle-même des instituteurs religieux et perpétuels comme les ministres de la religion; de là la création de ces corps enseignants qui ont élevé nos plus grands hommes, et de là, aussi, la fondation de ces modestes instituteurs destinés aux classes inférieures.

Quant aux méthodes d'enseignement, le clergé devait également préférer celles associées aux bons principes et aux bonnes mœurs, à celles qui ne se recommandaient que par une économie de temps et de dépense; car il ne pouvait envisager un objet aussi grave que l'éducation, comme une entreprise en quelque sorte d'industrie.

On lui a reproché de n'avoir pas adopté ces méthodes nouvelles si pompeusement prônées d'un côté et si sévèrement proscrites de l'autre par des opinions passionnées. Nous devons dire que, sur ce point, les ecclésiastiques éclairés sont demeurés en dehors de ces controverses. Pour eux, toute méthode peut avoir des avantages, pourvu qu'elle ne détourne pas du but important. Il ne s'agit pas, en effet, d'arriver à la course, mais d'arriver sûrement et à temps. Or, le but est de former des hommes vertueux et utiles, des hommes possédant la science du bien et capables de résister à la science du mal. Les méthodes les plus parfaites ne peuvent être profitables qu'entre des mains qui sachent les employer dans ce but.

Quelque estimables que soient les instituteurs primaires laïques, et, de quelques méthodes qu'ils se servent, il est bien difficile que pour eux l'enseignement ne soit pas plus ou moins un objet de spéculation. Livrés aux soins d'une famille, ils sont trop fréquemment distraits de leurs importantes fonctions. Les succès d'une école et d'une méthode tiennent bien souvent à l'homme qui les dirige. Or,

(1) Ce vœu a été énergiquement exprimé par M. le baron Ch. Dupin, dans son ouvrage sur les forces productives et commerciales de la France : « Comment se fait-il que le fléau récent d'un impôt sur l'instruction de la jeunesse, établi sous

si cet homme trouve plus d'avantages dans une autre carrière, il est vraisemblable qu'il la préferera, et l'on ne saurait lui en faire un reproche dans un temps où l'on s'efforce de mettre en quelque sorte l'enseignement au rabais. Un tel système ne présente donc aucune garantie de durée, encore moins de perpétuité. Cependant l'enseignement de l'enfance pauvre méritait de devenir un véritable sacerdoce. C'est cette noble pensée qui a fait naître ces instituts religieux consacrés aux classes indigentes. Là tout est marqué du sceau de la durée, du dévouement et du désintéressement. Rien de plus parfait à cet égard que les écoles des frères de la doctrine chrétienne pour les villes. La nécessité de réunir au moins trois de ces instituteurs religieux dans chaque établissement, rend, il est vrai la dépense d'une pareille école trop considérable pour la majorité des petites communes. Mais il existe des institutions destinées spécialement aux populations peu nombreuses et qui peuvent fournir à bien peu de frais un maître consacré à cette touchante mission. Les services que les religieuses hospitalières et institutrices rendent à l'enseignement des jeunes filles, donnent la mesure de ceux que l'on obtiendrait ainsi pour l'éducation des garçons de la classe ouvrière. Sous la restauration, plusieurs évêques, notamment en Bretagne, s'étaient occupés de former, dans leurs diocèses, des écoles normales d'instituteurs religieux. Les événements politiques ont interrompu leurs travaux et ajourné la réalisation de ces vues évangéliques. On doit le regretter vivement dans l'intérêt des classes inférieures.

Lorsqu'il s'agit en quelque sorte de l'avenir de la population pauvre, l'économie dans l'enseignement public ne saurait être que d'un intérêt secondaire. Mais ici cet avantage ne serait pas perdu. Il est bien certain que l'état, les communes, les hôpitaux et les particuliers recouvreraient au centuple, par la diminution de l'indigence, les avances faites dans le but de procurer aux classes ouvrières une éducation véritablement chrétienne.

Faudrait-il d'ailleurs des trésors immenses, faudrait-il grossir le budget de l'état pour obtenir les bienfaits inestimables de l'instruction religieuse? Non, assurément, une seule chose serait nécessaire; mais elle ne peut être remplacée par rien. Cette chose, c'est la liberté d'enseignement accordée à la charité et à la religion, qui, dans une concurrence libre n'ont rien à redouter de leurs rivaux. Que le monopole de l'enseignement disparaisse (1),

un système de despotisme et de fiscalité, conception digne de l'Empire, n'excite pas chaque année les réclamations les plus fortes? Pourquoi les représentants de nos intérêts à la Chambre des Pairs, comme à celle des Députés, n'accordent-ils pas

que le gouvernement se borne à cette surveillance de police qu'il doit conserver. Alors se révélera tout ce que renferme de puissance morale et intellectuelle le christianisme dégagé des obstacles qui l'ont entouré jusqu'à ce jour; alors on pourra apprécier s'il est contraire au progrès de l'aisance, de l'industrie et des lumières. Alors, mais seulement alors, il serait possible de répandre l'instruction dans toutes les classes sans craindre d'ébranler l'ordre social par l'explosion de la vanité, de l'ambition et de la cupidité. Ce résultat serait facile avec l'éducation chrétienne, puisqu'elle inspire la modération des désirs, la résignation, l'amour du travail et le respect des traditions paternelles. Il faut renoncer à l'obtenir par l'éducation purement industrielle.

Nous avions en France, en 1829, 5,000,000 d'enfants des deux sexes capables de recevoir l'instruction élémentaire, sur environ 80,000 qui pouvaient profiter de l'enseignement secondaire. C'est environ le 10 1/2 de la population. Sur ces 3,000,000 d'enfants, la moitié seulement étaient envoyés dans les écoles. En Angleterre, à la même époque, sur environ 1,600,000 enfants formant à peu près le 10 1/2 de la population générale, on comptait 1,062,000 écoliers, c'est-à-dire environ les 2/3 des enfants exis

tants dans le royaume (1). En 1852, on a constaté qu'en France, les 2/5 du nombre total des enfants de cinq à douze ans manquent absolument d'instruction, et qu'il existait dans le royaume 299,605 individus très-instruits, 11,684,612 sachant lire et écrire, et 14,766,270 ne sachant ni lire ni écrire. On voit que nos voisins sont plus avancés que nous quant au nombre d'écoles et d'élèves. Mais ce n'est point ainsi que l'on peut juger de la propagation de l'instruction, et surtout de ses effets. La population est-elle plus heureuse, plus généralement aisée, plus morale ? C'est là la question, et cette question est résolue négativement par la GrandeBretagne, où les crimes et la misère augmentent chaque jour d'une manière effrayante. Ce n'est pas assurément à cause de l'instruction trop répandue, mais parce qu'elle manque de sa base morale.

Dans les états héréditaires de l'Autriche, pays catholique, un large système d'éducation, basé sur les principes religieux, a produit les plus heureux résultats (2). Chaque village a son école, et une amende est imposée au maître qui donnerait de l'ouvrage à un ouvrier qui n'aurait pas reçu l'instruction suffisante. On fait circuler, dans les villes et les villages, des petits livres moraux à trèsbon marché, composés avec beaucoup de soin.

au gouvernement le moyen si désirable d'abandonner pour ja- rétribution universitaire qu'il regarde comme un des fléaux les mais cette honteuse et pernicieuse rétribution universitaire. Je plus déplorables qui pèsent sur notre pays, et il prend l'enla regarde comme un des fléaux les plus déplorables qui pè-gagement de ne laisser jamais échapper une occasion d'en sent sur notre pays; et je ne laisserai jamais échapper aucune occasion d'en réclamer la suppression.

<< Il faudrait laisser en pleine liberté les hommes de tous les cultes former des établissements religieux sans cesser d'être civils, et civils sans cesser d'être religieux; des établissements dans lesquels on inspirât à la jeunesse l'amour de nos lois, le respect et le dévouement pour nos princes, le besoin de l'ordre public, les habitudes d'une sage déférence envers les magistrats, et partant un juste sentiment des droits qui nous appartiennent, comme enfants égaux d'une même institution potitique et comme citoyens d'une grande nation, etc. »

On doit regretter que M. le baron Dupin, depuis qu'il siége à la Chambre des Députés, n'ait pas trouvé encore l'occasion de réclamer suppression du monopole universitaire et la liberté entière de l'enseignement.

(1) M. le baron Dupin porte à 1/16 seulement le rapport du nombre d'enfants suivant les écoles en Angleterre, à la population en Angleterre, et à 1/30 en France. Nous avons suivi les évaluations de M. le comte Alex. Delaborde.

(2) En Autriche, les écoles sont suivies, selon M. le baron Dupin, par le treizième de la population totale; en Hollande, par le douzième ; en Bohême, par le onzième; en Styrie et en Prusse, par le huitième ; en Portugal, par un quatre-vingtième seulement.

Cet écrivain fait remarquer que la Toscane, le Danemarck, le Wurtemberg, la Bavière, la Suède et la Suisse sont beaucoup plus avancées que nous, sous le rapport de l'instruction populaire. « La péninsule espagnole, les provinces musulmanes, le sud de l'Italie, les ruines de la Grèce et les steppes de la Russie sont les seuls états où l'enseignement soit plus arriéré qu'en France. >>

Il attribue cet état de choses à la honteuse et pernicieuse

réclamer la suppression.

« S'il était possible, dit-il, que les corporations économiques, affranchies de tout motif étranger à leur institut ostensible, donnassent un enseignement qui marchât avec le progrès de l'état social, et consentissent à former les jeunes gens aux choses mêmes pour lesquelles ils doivent se consacrer étant hommes, je le dis ouvertement, je les préférerais, et de beaucoup, à notre éducationfiscale moderne. » (Forces productives de la France.)

M. le baron Dupin paraît être dans l'erreur en ce qui concerne l'Espagne, où des documents positifs établissent que, grâce aux écoles élémentaires tenues par les ecclésiastiques et les moines, la presque totalité des paysans savent lire, et même écrire et calculer. On a lieu de croire qu'il en est de même en Portugal. Dans le sud de l'Italie, et principalement dans les états romains, le nombre des écoles primaires est trèsmultiplié. Dans les moindres villages, des maîtres payés par le Gouvernement pontifical enseignent à lire, à écrire et à calculer; de sorte qu'il n'y a pas un seul enfant qui ne ne puisse recevoir le bienfait de l'instruction. A Rome, les écoles élémentaires gratuites ont été multipliées avec une libéralité extraordinaire. On peut consulter, à cet égard, les recherches statistiques de M. le comte de Tournon sur le département de Rome. Quant à la Russie, d'après la statistique russe de M. Ziablowzy, il existait, dans ce vaste empire, en 1831, 6 universités, 4 écoles de première classe, 63 gymnases, 413 écoles de district, 718 écoles de paroisse et de village, et 402 pensions particulières. Le gouvernement affectait 2,292,228 roubles à l'entretien des institutions d'instruction publique que fréquentaient environ 80,000 élèves; ce qui ne serait qu'environ 1/655 de la population totale, évaluée à 52,500,000 habitants. Mais il faut remarquer que les seigneurs russes ont presque tous établi

Ainsi les connaissances utiles ont été propagées dans | pour tout le monde. Le choix des familles indiquera la classe ouvrière et chez les peuples en général. C'est leur véritable vou, comme il attestera les besoins sans doute à ce système que l'on doit attribuer la réels du siècle. rareté des crimes qui se commettent dans les provinces dépendantes de la couronne de Hapsbourg. On regarde, dans ce pays, comme une année désastreuse, en ce qui concerne la morale publique, si deux exécutions à mort ont eu lieu à Vienne dans l'espace d'un an. C'est un grand exemple de la puissance de l'éducation morale.

En France, on allègue contre l'enseignement donné par des instituteurs célibataires et religieux, l'esprit du siècle, la volonté des pères de famille, la nécessité du progrès. On concevrait ces objections, s'il s'agissait d'accorder le monopole de l'instruction au clergé ou aux corps enseignants; mais nous ne sollicitons que la liberté pour eux comme

des écoles pour les paysans attachés à leurs terres, et qu'ainsi,
l'instruction populaire est beaucoup plus avancée qu'on ne peut
le supposer, en jugeant l'état de l'enseignement d'après le
nombre des institutions entretenues par le gouvernement.
En Turquie, d'après un principe de charité visiblement dé-

Combien ne voit-on pas, dans le peuple, les parents même les moins religieux, donner la préférence aux écoles chrétiennes sur toutes les autres? A l'époque où les écoles lancastriennes étaient devenues une affaire de mode ou plutôt de parti, nous avons vu des hommes fort prononcés dans l'opinion anti-religieuse, et souscripteurs zélés pour les écoles d'enseignement mutuel, envoyer leurs enfants aux écoles tenues par les frères de Saint-Yon. Interrogés sur cette contradiction manifeste entre leurs actes et les principes, il nous répondaient naïvement: « Nous voulons que nos enfants nous respectent et soient soumis à notre autorité (1). »

rivé du christianisme, l'instruction gratuite est donnée aux enfants du peuple. Il existe, à Constantinople seulement, plus de 500 écoles publiques.

(1) Voir, sur le même sujet, le chapitre XXII du livre III, le chapitre VIII du livre IV et le chapitre XIV du livre V.

CHAPITRE XX.

DES RÉVOLUTIONS POLITIQUES.

Si l'on a suivi avec quelque attention l'ordre de nos idées sur l'origine du paupérisme, on aura pressenti quelles conséquences fatales pouvaient naître, pour les états, de l'application des théories anglaises de la civilisation et de l'économie politique qui en dérive. En effet, le système d'industrie qu'elles ont fondé, l'inégalité monstrueuse des fortunes qu'elles consacrent, l'excès de population ouvrière qu'elles font naître, l'ignorance et l'immoralité des classes industrielles qu'elles perpétuent, les souffrances et l'asservissement de ces mêmes classes, et, enfin, l'égoïsme qui remplace la morale dans tous les cœurs, tendent sans cesse à détruire l'édifice de l'ordre social. Ces diverses causes génératrices de la misère publique, dont l'origine est commune, se dirigent, par des sentiers différents, vers un même but, dans lequel elles viennent nécessairement se réunir et se con

Tant que d'un Dieu suprême on adore les lois,
La pitié dans les cœurs fait entendre sa voix.
Mais quand un peuple impie outrage sa puissance,
Alors elle se tait, et voilà sa vengeance...
Tous les bras sont vendus, tous les cœurs sont cruels.
(DELILLE.)

fondre. Leur développement et leurs progrès amènent tôt ou tard le terrible phénomène politique appelé révolution, auquel est donné le triste privilége d'être cause et effet, c'est-à-dire de réagir fortement sur ses propres éléments, de manière à multiplier indéfiniment et la misère et ses causes. C'est ainsi que l'abíme appelle l'abíme, disent les livres saints, constants dépositaires des éternelles vérités.

Car tout s'enchaîne dans l'ordre moral des sociétés comme dans l'ordre physique de la nature: les causes qui produisent la misère dans les rangs inférieurs de la population inspirent à toutes les classes sociales la cupidité, l'ambition, l'impatience ou l'absence de tout frein religieux ou politique. Lorsque tous les rangs sont confondus, et qu'il n'existe aucune hiérarchie sociale réelle que celle de la richesse, chacun aspire au faîte des jouis

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