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véritablement soutenir son existence par un travail qu'il refuse d'employer (1): tous les autres sont plus ou moins dans l'impuissance d'exister par leur propre industrie : un grand nombre ne peuvent être admis dans les hospices. Pour être en droit de blâmer l'aumône, il faudrait, auparavant, avoir pourvu au soulagement de toutes les misères réelles, et ce but n'a pas encore été même entrepris.

La religion, lorsqu'elle était exclusivement chargée du soin des pauvres, parce que ses biens étaient leur patrimoine, exerçait à leur égard le patronage le plus efficace. Elle avait multiplié en leur faveur les établissements charitables, les associations pieuses, les écoles, les exhortations au travail et à la vertu. Quant aux malheureux qui n'avaient pu trouver place dans les asiles ouverts à toutes les infortunes, elle les recommandait à la charité des fidèles, et surtout des riches; elle les secourait indistinctement. Là s'arrêtait son pouvoir. Elle n'avait pas une mission de police pour surveiller et dénoncer les vagabonds qui, simulant des plaies factices, trompaient la commisération des âmes sensibles. Cette mission rentrait dans les attributions du pouvoir politique. Le ministère du prêtre, protecteur naturel du malheur, ne pouvait se changer en ministère de répression et de sévérité.

crire et d'en donner l'exemple : le bienfait et la reconnaissance lui sont dus. Les abus ont été la suite d'une organisation sociale imparfaite, de la négligence des gouvernements, et surtout de l'absence de ces sentiments charitables et religieux que le clergé ne cessait d'exciter dans les cœurs. Il faut dire enfin qu'il y a quarante ans, ce que l'on appelle paupérisme n'était pas connu en France, et que les fâcheuses conséquences de la misère ne se sont révélées, de manière à alarmer les philanthropes et les gouvernements, que depuis les révolutions modernes survenues dans l'ordre politique et dans les doctrines philosophiques et économiques.

Aujourd'hui, nous le croyons, le précepte de l'aumône individuelle ne suffit plus pour apaiser le mal. Toujours sacré, toujours nécessaire, il doit recevoir une direction analogue à de nouveaux besoins. Si, d'une part, la misère a fait de déplorables progrès, les sciences physiques, les sciences administratives, la science même de la charité, en ont fait de parallèles; et certes nous sommes loin de penser que le clergé français, qui n'est pas en arrière de ce mouvement progressif des lumières, et qui a vu avec tant de douleur s'accroître l'indigence publique, se refuse à entrer dans cette voie nouvelle de l'aumône. Mais la part d'influence qui lui a été laissée dans la direction de la charité est si faible, qu'il y aurait double injustice, à l'époque où nous vivons, à lui imputer l'inefficacité des efforts du pouvoir politique. Dépouillé de ses biens, dépouillé du trésor plus précieux encore du patronage du malheur et de l'éducation de l'enfance, il ne peut que proclamer incessamment le précepte de la charité et de l'aumône. Ce devoir il le remplit comme toujours. C'est aux gouvernements à faire le leur, puisqu'ils ont assumé sur eux la responsa

A l'époque dont nous parlons, le nombre des pauvres était d'ailleurs peu considérable, et les secours étaient aussi plus abondants. Seulement l'indigence frappait davantage les regards, parce qu'elle ne se manifestait que par la mendicité. C'est cette image sensible de la misère qui blesse la délicatesse de nos sybarites modernes, et a conduit les philosophes et les économistes de l'école anglaise au reproche fait au christianisme d'encourager la fainéantise et la mendicité par le précepte❘bilité de la misère. absolu de l'aumône.

Nous examinerons, dans les chapitres suivants, le caractère d'une sorte de charité nouvelle qui s'est parée faussement du nom de philanthropie, et celui de la charité religieuse applicable à notre époque sociale. Celle-ci, agrandie par l'immensité des besoins, éclairée par les lumières que le temps et de tristes expériences ont amenées, demeurera toujours céleste, pure et féconde; l'autre ne cessera de porter la froide et aride empreinte d'une société matérialisée. De leur rapprochement surgira encore la différence des deux systèmes philo

Il est facile de concevoir que des aumônes, toujours sagement distribuées et appliquées, peuvent produire infiniment plus de bien que des dons indiscrètement prodigués au pauvre. Nous nous proposons de le démontrer ailleurs; mais ce qu'il nous importait d'établir, c'est que le principe de l'aumône est sacré et nécessaire; que l'erreur même dans son application est toujours respectable, et qu'enfin il est injuste et inexact d'attribuer au clergé catholique les abus de la mendicité, puisqu'il n'a jamais dépendu de lui de les prévenir et de les empê-sophiques. L'un dira: « Enfermez les mendiants, cher. S'il ne lui était pas donné de pourvoir à tous les besoins, de soulager toutes les souffrances; si l'aumône était la seule ressource de presque tous les malheureux, il était de son devoir de la pres

(1) Voir le livre II, chap. IV.

supprimez les asiles des vieillards et des orphelins, proscrivez l'aumône, parce qu'elle humilie et dégrade le pauvre et favorise l'oisiveté; ne vous occupez que d'encourager le travail et l'industrie, ou plutôt, faites disparaître la propriété, que tous partagent les biens et les richesses; que la société

bien que nous avons pu faire, et non du mal que nous n'avons pu empêcher. Il faut donc nous en tenir à la leçon de saint Paul : « Faire le bien sans nous lasser et sans nous rebuter jamais (1), et laisser à Dieu et à ceux qui tiennent sa place ici-bas le soin de punir et de réprimer le mal. Écoutons un jeune poëte qui n'a jamais été mieux inspiré que lorsqu'il a puisé à la vraie source de toute poésie.

« Donnez, riches! l'aumône est sœur de la prière.

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Hélas! quand un vieillard sur votre seuil de pierre, «Tout raidi par l'hiver, en vain tombe à genoux;

ne soit plus qu'une vaste communauté industrielle | jugera nos œuvres, il nous demandera compte du occupée de se procurer toutes les jouissances matérielles. Ainsi, vous n'aurez plus de pauvres ni de mendiants. » La charité religieuse dira au contraire : « Conservons les bases de l'ordre social qui reposent sur la propriété, l'hérédité, la famille, l'inégalité des conditions humaines. Conservons et améliorons les asiles offerts à la faiblesse, à la vieillesse, aux infirmités, à l'enfance abandonnée; faisons tourner les efforts de la charité et de l'esprit d'association vers toutes les améliorations morales et économiques que réclament les classes souffrantes; donnons à l'industrie une direction qui soit favorable aux intérêts des entrepreneurs, mais non moins favorable encore à ceux des ouvriers, par une juste fixation des salaires ; favorisons l'agriculture, la grande nourrice des hommes; faisons l'aumône, mais avec discernement, avec générosité, avec la sensibilité et la délicatesse d'un secours fraternel; surtout efforçons-nous de faire pénétrer dans tous les cœurs le sentiment de la bienfaisance et de la justice. Avec la régénération morale des classes ouvrières par l'éducation de l'enfance, nous obtiendrons la réforme de l'indigence, nous conduirons le peuple à l'aisance et au bonheur par la

vertu.

Mais, en attendant que les deux systèmes puissent être complétement jugés, ne cessons de respecter, de pratiquer le précepte de l'aumône, et de le considérer dans toutes ses formes, dans toutes ses applications, comme un rayon émané de la charité, c'est-à-dire de Dieu même. Lorsque Dieu

<< Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
<< Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,

« La face du Seigneur se détourne de vous......

« Donnez! pour être aimés du Dieu qui se fit homme;

« Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme,

« Pour que votre foyer soit calme et fraternel,

« Donnez! afin qu'un jour, à votre heure dernière,
<< Contre tous vos péchés, vous ayez la prière
« D'un mendiant puissant au ciel.

<< Comme une aumône, enfant! donne donc ta prière

« A ton père, à ta mère, aux pères de ton père :

« Donne au riche, à qui Dieu refuse le bonheur;

« Donne au pauvre, à la veuve, au crime, au vice immonde ; Donne à tous, donne aux morts, enfin donne au Seigneur !

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CHAPITRE III.

DE LA VRAIE ET DE LA FAUSSE PHILANTHROPIE.

Il est remarquable que ce soit à l'époque même où les nouvelles doctrines philanthropiques conçues en Angleterre se répandaient sur le continent, et livraient une guerre acharnée au catholicisme et aux antiques institutions de la monarchie française,

<< L'humanité compatit, la bienfaisance répand des consolations, la charité seule se dévoue, et c'est par ce dévouement que la religion de J.-C. opéra tous ses miracles. La bienfaisance n'a paru qu'à la suite de la charité, et la morale si touchante dont notre siècle se fait gloire se compose des lambeaux de l'Évangile dont nous avons déchiré le titre. » (L'abbé LEGRIS-DUVAL.)

que les mots de pitié, de bienfaisance et de philanthropie aient commencé à usurper la place du mot charité, le seul capable d'exprimer complétement le but et l'origine de cette vertu, fondement sublime de la religion chrétienne.

La prétendue philanthropie a pris naissance en Angleterre. La charité chrétienne, violemment frappée par la réforme religieuse dont le début fut la destruction des asiles charitables et l'abandon des infortunés, n'eut plus de ministres avoués dans ce royaume. Le mariage des prêtres enlevait nécessairement au clergé la sainte et noble mission de père et de bienfaiteur des pauvres; la religion anglicane ne s'occupant plus des indigents, il fallait que l'humanité des individus et l'économie publique suppléassent à son intervention. Dès-lors la charité devait nécessairement se réduire, en Angleterre, à une vertu purement humaine, soumise aux intérêts, aux calculs, à la discussion des hommes. Ainsi, l'on peut dire que, fille du protestantisme, elle est à la véritable charité ce que l'erreur est à la religion véritable; car, à proprement parler, elle n'est guère que la charité à l'usage de l'indifférence religieuse.

D'un autre côté, on peut apercevoir, dans cette importation anglaise, une conséquence de la direction donnée alors aux esprits, et l'un des moyens calculés par les novateurs anglo-français. En vantant l'humanité, la bienfaisance, et se montrant les amis zélés des classes inférieures, leur but évident était de prouver au peuple que la religion catholique et ses ministres n'étaient point indispensables à leur protection et à leur bonheur. Aussi, dans les plans formés pour assurer la félicité publique, avait-on soin de signaler, comme obstacles à leur accomplissement, les institutions politiques

abus inséparables d'antiques institutions sociales, devinrent le texte des plus véhémentes déclamations. Beaucoup d'hommes honnêtes et vertueux, entraînés par une impulsion dont ils ne pénétraient pas le but, s'associèrent, par leurs écrits et par leur généreux dévouement, à une ligue qui, dans leur principe, semblait ne tendre qu'à la suppression des abus. Le meilleur des rois approuvait et encourageait par son exemple un mouvement moral tourné vers l'amélioration du sort des peuples. Plus tard, l'édifice social de la France s'écroula avec fracas, en ébranlant le monde entier dans sa chute. Alors, comme au temps de Henri VIII, l'on vit les prétendus amis des hommes dépouiller les hospices des biens que leur avaient légués des siècles de charité religieuse, et ne s'occuper des pauvres que pour les punir de leur misère.

Nous n'aurons point assurément l'injustice de confondre avec ces hypocrites philanthropes les hommes vertueux et éclairés (1) qui, sans vouloir porter atteinte à la religion, ni lui arracher violemment l'empire de la charité, avaient cherché à donner à l'exercice de la bienfaisance une direction plus appropriée aux besoins des temps et des lieux. En introduisant en France des institutions propres à éclairer le peuple, à le rendre économe, prévoyant, industrieux, en offrant à la charité le secours des perfectionnements produits par les progrès des sciences morales et économiques, en s'attachant enfin à améliorer l'organisation de la société, ils méritaient, à juste titre, d'être consi

et religieuses qui régissaient le pays. Les philoso-dérés comme de véritables bienfaiteurs des pauvres.

phes réclamaient le pouvoir de faire le bien, qu'ils promettaient de réaliser au plus haut degré possible. Ils savaient à merveille qu'en se montrant animés de ces vues d'amélioration, et en offrant au peuple l'attrait du partage des richesses du clergé et de la noblesse, ils allaient acquérir une popularité immense et en même temps attacher à leur cause une foule d'hommes naturellement disposés au bien, mais dont les principes religieux étaient affaiblis ou ébranlés. Or, cette portion de la société était fort nombreuse alors en France, à la suite des mœurs corrompues de la régence et du règne

de Louis XV.

La marche des réformistes de cette époque fut habile et persévérante. Tous les désordres qu'enfantent la misère, l'oisiveté et l'ignorance, ils les attribuèrent aux aumônes des couvents et du clergé. Silencieux sur les services rendus à l'humanité, et surtout aux pauvres, par le christianisme, la mendicité du célibat des prêtres et des moines, les

(1) En France, Turgot, Parmentier, Tenon, Lagaraie, Larochefoucault-Liancourt; en Angleterre, Howard, Jérémie Ben

Presque tous, au reste, furent les victimes de l'anarchie, et si quelques-uns ont mérité un reproche, c'est de n'avoir pas aperçu que la première base de la réformation qu'ils avaient entreprise, devait être la morale religieuse, et que, sans christianisme, il n'y a plus de véritable charité; car la charité, réduite à des proportions tout humaines, est sans doute encore un bien, mais un bien imparfait et souvent stérile.

C'est donc à l'affaiblissement des principes religieux qu'il faut attribuer, en France comme en Angleterre, cette dégénération de la charité. Elle était inévitable. Lorsqu'on a rougi d'être chrétien, on a dû rougir de la charité chrétienne. Cependant la misère était là, toujours plus vivace, toujours plus importune; d'une part, la sympathie qui n'a pu s'effacer pour les maux d'autrui; de l'autre, la pudeur et peut-être la crainte nécessitaient quelques efforts en faveur de l'indigence. L'économie politique, les sciences, l'administration, la politi

tham; en Allemagne, Woght, Rumford, etc., honoreront toujours l'humanité.

que ont donc fait aussi, en France, un mélange de calculs, de combinaisons et d'humanité qui a pris le nom de philanthropie. Ce mélange est la vertu de la civilisation matérielle, comme la charité chrétienne est demeurée la vertu de la civilisation religieuse.

il

L'antagonisme des deux systèmes philosophiques se manifeste surtout entre les deux charités; mais y a cette différence que la charité chrétienne, sans rien perdre de son principe, peut s'enrichir de tout ce que la philanthropie peut avoir de bon et d'utile et agrandir ainsi sa puissance et sa sphère, tandis que la philanthropie, pour atteindre à la sublimité de la charité, doit s'anéantir et se confondre dans le sentiment religieux.

La charité vit de dévouement, d'abnégation, de sacrifices. C'est ainsi qu'elle a produit ces admirables corporations charitables qui font encore la gloire et l'admiration de l'univers. La philanthropie veut le bien, mais seulement par des considérations morales et humaines, mais sans sacrifices, sans dévouement absolu, et, pour l'opérer avec suceès, elle est toujours forcée de recourir à la charité religieuse elle-même. Ainsi, la charité conserve toujours un immense avantage sur sa rivale; il sera complet et absolu lorsqu'elle aura pris pour elle ce qui lui appartient, c'est-à-dire tout ce que des vues purement morales et humaines ont pu découvrir de bon et d'utile pour le soulagement des classes indigentes.

Plus que jamais la charité doit se trouver au niveau du siècle sous le rapport des lumières et de l'observation; et de là dérive pour elle l'obligation d'une extrême tolérance, qui fait d'ailleurs l'un de ses plus précieux attributs.

Quelques personnes religieuses, et principalement des membres du clergé catholique, trop vivement frappés des maux produits par le philosophisme moderne, ont cru devoir repousser tout ce qui semblait provenir de cette origine, et par conséquent, s'abstenir de toute alliance avec les améliorations nouvelles. Il est naturel que le clergé, éloigné plus ou moins, depuis la révolution, de la direction de la charité et de l'enseignement populaire, n'ait pu séparer, dans son esprit, les choses des hommes qui les administrent, et qu'il ait entrevu plus de danger moral à confier le soin des pauvres à des, mains peu sûres, qu'il ne pouvait résulter de bien physique dans quelques perfectionnements économiques ou dans des méthodes. plus parfaites d'enseignement. Nous respectons ce sentiment, mais nous pensons que partout où la bienfaisance s'exerce, la religion doit prendre place pour avertir, surveiller et répandre sa douce et salutaire influence. La sagesse commande de ne

rien repousser aveuglément. Si, parmi les innovations proposées, il en est d'utiles et qui puissent aider à multiplier les bienfaits de la charité, s'il en est qui soient réellement propres à améliorer physiquement et moralement le sort des classes indigentes, il faut s'en emparer, se les approprier, les épurer, les compléter et les faire rentrer dans le domaine de la charité, comme étant son bien propre. La charité qui prévient et diminue la pauvreté est de la même nature que celle qui la soulage, et ce n'est même qu'en remplissant ce double objet qu'elle peut atteindre à la hauteur de sa mission divine.

Quoi qu'il en soit, il est certain que cette sorte de lutte établie sur le terrain de la charité a été infiniment regrettable et que tous les hommes de bien doivent enfin s'entendre pour la faire cesser, Un excès de zèle propre à la perpétuer ne saurait manquer d'être attribué à des préjugés peu réfléchis ou à tout autre sentiment que celui d'une charité véritable, dont le caractère, nous le répétons, sera toujours la douceur et la tolérance. Si nous osions continuer les admirables paroles de saint Paul, nous dirions ici : « La charité doit être ingénieuse, éclairée, prudente et prévoyante; elle sait se garantir de la routine, des habitudes des préjugés, elle doit tout embrasser, tout altirer. » Si dans l'ordre religieux elle est la grande vertu du ciel, dans l'ordre terrestre elle est aussi la grande vertu sociale par conséquent elle doit se prêter à tous les besoins progressifs de la société. D'ailleurs comme toutes les passions les plus nobles et les plus généreuses, la charité appliquée au soulagement de l'indigence, est soumise à de sages lois. Ce n'est pas assez de faire le bien, il faut encore le faire le mieux possible. De plus, l'intolérance en matière de charité est aussi funeste qu'en matière de religion. Elle éloigne, tandis que l'essence de la charité religieuse est d'attirer doucement les cœurs. Il est des dogmes, des principes moraux, sur lesquels assurément on ne saurait jamais transiger; mais, hors de ce cercle, il est des alliances qui ne peuvent qu'être utiles et précieuses à la religion comme à la charité. La morale pratique conduit à la religion révélée. La philanthropie réelle doit nécessairement conduire à la charité chrétienne. Tendons - lui donc la main au lieu de la repousser.

Nous regrettons profondément de ne pas trouver ces sentiments dans le morceau suivant d'un écrit célèbre à juste titre (1). « Lorsque le christianisme s'affaiblit chez un peuple, aussitôt on voit ce peuple, embarrassé du malheur, y conspirer contre

(1) Essai sur l'indifférence en matière de religion.

ceux qui souffrent on invente mille prétextes pour s'exempter de les secourir. Faire l'aumône à un mendiant, c'est favoriser la fainéantise, le vagabondage: a-t-il faim? est-il nu? Qu'il travaille. Mais c'est un vieillard! A tout âge, il y a moyen de s'oc

cuper.

C'est un enfant! Gardez-vous de l'entretenir dans l'oisiveté, on ne saurait trop combattre les habitudes vicieuses. — C'est une mère chargée d'une nombreuse famille ! Elle le dit, mais dit-elle vrai? Avant de la gratifier magnifiquement de quelques liards, il faudra s'informer; on n'en a pas le temps. Cet autre désire du travail, en cherche et n'en trouve point! C'est peut-être qu'il a mal cherché. Au reste, on y songera, et, en attendant, on ne donne point, de peur du mauvais exemple.

« Règle générale : quiconque demande, dès-lors est suspect. Écoutez ces gens-là : c'est nuire au bon ordre, c'est nuire à eux-mêmes, c'est encourager la faim.

« Sans recourir d'abord au même expédient que Galère, qui ordonna de rassembler sur des barques qu'on submergea, les mendiants de son empire, une douce philosophie atteint à peu près le même but par ses savants sophismes et ses bienfaisantes institutions. Elle appelle à son aide toutes les sciences physiques pour arracher à la nature le secret de quelque aliment si vil que l'avarice même puisse l'offrir sans regret au nécessiteux, et pour calculer avec précision la mesure d'angoisse, le degré de besoin au-delà duquel l'homme meurt, s'il n'est secouru, tant elle redoute le luxe de la commisération!...

que vous fassiez, il y aura toujours des pauvres parmi vous (1).

« Il y aura toujours des pauvres, afin d'empêcher l'homme de s'endurcir, afin de troubler le funeste repos de l'opulence, de réveiller au fond des cœurs la pitié, la miséricorde : il y aura toujours des pauvres, afin qu'il y ait toujours des êtres souffrants pour représenter la race humaine, si souffrante et si pauvre elle-même, qu'un seul mouvement d'orgueil, dans un enfant d'Adam, est un prodige éternellement inexplicable à la raison. Mais s'il existe toujours des pauvres, il existera toujours une religion qui les console. »

Ces éloquentes et vives paroles étincellent de vérité, lorsqu'on les applique à certains cœurs pétrifiés, tels que les ont faits les modernes doctrines philosophiques, source de cette dureté et de cet égoïsme que l'illustre écrivain fait ressortir avec tant d'énergie et de vigueur. Mais il est heureusement divers degrés entre les philanthropes modernes. Il serait injuste et trop sévère de confondre les efforts tentés par nos plus saints rois eux-mêmes, par des hommes bienfaisants, des administrateurs éclairés et des savants estimables (pour faire disparaître des désordres sociaux que l'immoralité, plus encore que la misère, produit journellement sous nos yeux) avec les théories de quelques économistes desséchés par l'amour des richesses et des jouissances mondaines, aux yeux desquels la misère est un objet de dégoût dont il faut se délivrer comme d'une image importune. Une proscription aussi exclusive ne pourrait que servir merveilleusement les adversaires de la charité religieuse et les hommes qui voudraient faire de la bienfaisance raisonnée une vertu séparée et rivale. Il est bien préférable assuremant de chercher à confondre deux choses si intimement unies dans leurs principes et dans leur fin. La charité religieuse ne saurait répugner à s'associer aux progrès des sciences morales, politiques et économiques en ce qu'ils offrent de bon et de vrai. Depuis qu'un excédant de population trop réel, dans quelques contrées de la terre, appelle ses regards et ses secours, il faut qu'elle s'entoure de moyens plus puissants, plus variés, plus efficaces.

« Afin d'épargner aux heureux du siècle la vue importune des misérables, on les séquestre de la société, on élève d'épaisses murailles entre les soupirs du pauvre et l'oreille du riche. On ravit la liberté à ceux qui ont perdu tous les autres biens; on traite en criminels ceux dont le seul crime est de souffrir, et cependant l'on vantera cette horrible inhumanité comme un chef-d'œuvre d'administration. Eh! si vous êtes indifférents, du moins ne soyez pas barbares! Ouvrez vos cachots philanthropiques, ne craignez rien, les infortunés qu'ils renferment ne vous demanderont pas même les miettes de pain qui tombent de vos tables somp- << L'homme bienfaisant et éclairé, dit M. Degétueuses; ils ne vous demanderont point la vie, ce rando, n'est pas seulement industrieux, il est adserait trop. Ce qu'ils demandent, c'est que vous ministrateur, car il corrige volontairement ce que leur permettiez de mourir en jetant un dernier re- les lois ont de plus sévère; il est magistrat, car il gard sur les lieux qui les vinrent naître, sur les punit le vol; il est financier, car, en activant le champs qu'ils cultivèrent pour vous et qui ne les travail, il permet de payer plus facilement les imnourriront plus. Ce qu'ils demandent, c'est uni-pôts et d'en établir de nouveaux sur les consommaquement ce que la nature accorde à tous les êtres et que vous ne refusez pas même aux animaux.

« Cependant, apprenez-le du grand Maître, quoi

(1) Semper pauperes habetis vobiscum. (Math., cap. XXVI, liv. II.)

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