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besoins des pauvres. Alors la population et l'indus- | antique mission dont le christianisme les avait intrie n'avaient point encore obtenu cet accroissement qui a si prodigieusement multiplié les classes ouvrières, et par conséquent l'indigence. Des fondations d'hospices, des largesses plus ou moins bien distribuées semblaient former toutes les applications de la charité. Il n'existait pas, à proprement parler, de charité publique dans le sens que nous attachons à cette dénomination.

Aujourd'hui, le clergé, les hôpitaux, les anciens propriétaires ne peuvent plus remplir la noble et

vestis d'une manière à peu près exclusive. Il ne paraît pas que les nouveaux favoris de la fortune s'empressent de revendiquer ce privilége. Il leur serait d'ailleurs difficile d'en remplir les obligations, tant ont été énormes les progrès de l'indigence. Il a donc fallu que la charité publique se constituât; et il serait injuste de méconnaître ce qu'elle a opéré de bien et de réparations, toutes les fois qu'elle s'est appuyée sur les principes de la véritable charité.

CHAPITRE VI.

DES INSTITUTIONS EN FAVEUR DES PAUVRES ANTÉRIEUREMENT AU CHRISTIANIsme.

L'Écriture-Sainte nous apprend que l'agricul- | ture était l'unique occupation des anciens patriarches. Or, il existait peu de pauvres au sein des sociétés naissantes, car l'agriculture, qui forme alors leur principale industrie, éloigne nécessairement l'indigence, et la terre, qui n'est point ingrate, nourrit toujours ceux qui la cultivent. Il en fut constamment ainsi chez les peuples qui s'adonnèrent à l'agriculture, et les sociétés modernes fournissent encore la preuve de cette antique vérité.

Les livres saints n'offrent la trace d'une pauvreté véritable, c'est-à-dire incapable de se suffire à elle-même, qu'à l'époque de Moïse, après les malheurs, les désastres et les persécutions sans nombre dont le peuple hébreu fut accablé.

Ce législateur sublime était trop prudent et trop éclairé pour ne pas s'occuper à la fois des moyens de secourir l'indigence et de la prévenir.

Aussi, dès qu'il eut délivré ses frères de la servitude d'Égypte, il les conduisit sur les limites du pays de Chanaan, et ordonna à Josué de faire entre eux une répartition exacte des terres. Ses lois eurent pour but principal de maintenir les proprié

tés dans les familles.

Moïse autorisa, il est vrai, l'esclavage volontaire; mais il décida : 1o que les esclaves pourraient toujours se racheter, en remboursant à leurs maîtres

On demandera comment faisaient les anciens qui n'avaient point d'hôpitaux. Ils avaient, pour se défaire des pauvres et des infortunés, deux moyens que les chrétiens n'ont pas : l'infanticide et l'esclavage.

(CHATEAUBRIAND.)

la somme pour laquelle ils s'étaient vendus; 2o qu'au bout de sept ans (1), ils seraient tous libres sans rançon, à moins qu'ils ne préférassent rester dans leur condition. S'ils rentraient dans l'esclavage, ils n'en pouvaient plus sortir qu'à l'époque de l'année judiciaire qui revenait tous les cinquante ans. Les maîtres étaient tenus de pourvoir aux besoins de leurs esclaves. Cette obligation a été de tous les temps et de tous les pays. L'intérêt des maîtres était attaché à son observation; mais sans doute elle dut être remplie imparfaitement, à l'égard des vieillards et des infirmes, chez les peuples où la religion ne l'avait pas impérieusement consacrée. A cette époque primitive, et lorsque la charité chrétienne n'avait point encore apparu, il existait une institution digne de lui servir en quelque sorte de précurseur. C'était l'hospitalité. Cette vertu, qui avait sa source dans les sentiments les plus généreux du cœur humain, était surtout en honneur chez les Israélites. L'Écriture-Sainte et les pères de l'église en offrent une infinité d'exemples. La Genèse nous représente Abraham constamment occupé à rechercher des hôtes, et il ne s'en rapportait de ce soin qu'à lui seul. Loth, Gédéon, Laban,

(1) On voit dans l'Écriture que Jacob s'engagea à servir sept ans le patriarche Laban, pour obtenir la main de Rachel,

Job, Tobie, Salomon pratiquent ou vantent cette | premiers patriarches: on la voit en honnneur dans

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Telle fut chez les Hébreux la pratique de l'hospitalité. Exercée comme on vient de le dire, cette vertu n'était autre que la charité entendue de la manière la plus large et la plus généreuse, puisqu'elle fournissait l'abri, la nourriture, des vêtements quand ils étaient nécessaires; qu'elle poussait même la recherche jusqu'à pourvoir à ce qui était de pur agrément, et qu'elle embrassait, dans sa touchante sollicitude, les pauvres voyageurs, les étrangers et les inconnus.

Moïse établit les droits des pauvres à la pitié publique, et prescrivit les devoirs à remplir envers eux. Il y aura- toujours des pauvres parmi vous, dit-il à son peuple : c'est pourquoi je vous ordonne d'ouvrir votre main aux besoins de votre frère qui est dans la misère et qui demeure dans votre pays."

Il ordonne qu'on laisse quelque portion de la récolte dans les champs, pour les pauvres, précepte qui, plus tard, donna lieu à la touchante rencontre de Ruth et de Noémi. La dime de la troisième année appartenait aussi aux indigents de plus, tous les travaux de l'agriculture devaient être suspendus tous les sept ans, et ce que la terre produisait d'elle-même leur était également dévolu.

Outre ces divers soulagements, Moïse prescrivit les prêts sans intérêt en faveur de ceux qui seraient dans le besoin.

L'année jubilaire entraînait l'abolition de toutes les dettes. Moïse compléta ce système en faisant un précepte de l'aumône et de la charité envers le prochain.

Il n'existait pas de médecins chez les Hébreux; l'art de guérir était inconnu ainsi, les hôpitaux : eussent été sans objet et sans utilité. Les progrès de la science et ceux de la civilisation ont seuls pu donner naissance à de semblables établissements

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la Grèce, à Carthage, et enfin chez les premiers Romains. Les ordonnances et les préceptes de Moïse concernant les pauvres se retrouvent aussi, mais plus confusément et presque dénaturés, dans les sociétés païennes. Ainsi, à mesure que les traditions de la loi primitive s'éloignent et s'effacent, on voit les caractères de la charité primitive finir par disparaître et faire place à un profond oubli des lois de l'humanité. L'altération des mœurs produite par le paganisme, et qui conduisit aux lois barbares qui réglèrent les droits de la guerre et amenèrent l'esclavage, peut faire présumer le sort réservé trop souvent aux enfants, aux vieillards et aux infirmes indigents.

La charité, telle que la pratiquaient les anciens, n'était point appuyée sur le sentiment qui en fait à nos yeux une des plus belles attributions de l'humanité. Chez eux, les soins que recevait l'infortune ne portaient pas sur ce principe de dévouement qui n'a pu naître dans le cœur de l'homme que lorsqu'il a été réchauffé par les rayons d'une lumière céleste. L'importunité et la crainte étaient le stimulant le plus réel de la bienfaisance: aussi repoussait-on l'enfance et la vieillesse, parce qu'on ne les craignait pas. La première périssait exposée, et, pour se débarrasser de la seconde, on a souvent employé des expédients affreux par leur cruauté.

Sans doute le sentiment de la pitié n'était pas éteint dans tous les cœurs, et ne pouvait être perdu entièrement dans les erreurs du paganisme; mais, en général, il ne pouvait guère être excité que par l'intérêt matériel, si ce n'est dans quelques âmes naturellement humaines et généreuses. Les lois des républiques de la Grèce et de Rome sont empreintes d'une rigueur qui prouve combien les mœurs publiques étaient éloignées de cette sympathie compatissante pour la faiblesse ou le malhenr, que la nature avait gravée dans le cœur des premiers hommes. Tout était sacrifié à un farouche patriotisme. Dans les temps où la force et la fatalité étaient les divinités suprêmes, l'esclavage était quelquefois même une institution d'humanité. Le sort des esclaves n'était pas toujours malheureux. Xénophon se plaît à rappeler la douceur avec laquelle les Athéniens traitaient les leurs. A Athènes, comme ensuite à Rome, les esclaves s'étaient propagés, perpétués en quelque sorte, comme une seconde famille, dans la maison du maître qui avait permis leur mariage.

Les enfants des esclaves étaient élevés sous les yeux des grands et avec la perspective d'être affranchis: Térence et Phèdre sont deux beaux exemples des adoucissements apportés à l'esclavage, et sans doute Térence se souvenait de son premier

état, lorsqu'il faisait dire à l'un de ses personnages dramatiques: Homo sum, humani nihil à me alienum puto. On connaît le tendre intérêt que Cicéron portait au rétablissement de Tiron, son illustre et savant esclave, qu'il avait été obligé de laisser malade à Patras après son retour d'Athènes, et auquel la postérité est redevable du recueil des admirables lettres du plus grand des orateurs.

A Rome, la liberté était rendue à l'esclave qui, dans sa maladie, avait été abandonné par son maître. L'esclave traité trop rigoureusement pouvait faire intervenir le magistrat, à l'effet de forcer le maître inhumain à lui trouver une autre condition.

Dans les maisons des opulents patriciens, on distinguait un grand nombre d'offices relevés et de fonctions honorables confiées à des esclaves.

Chez les anciens Germains, les esclaves pouvaient être affranchis, et parvenir à la qualité de fermiers et même de propriétaires.

Mais on sait aussi comment étaient traités les ilotes à Sparte; on sait avec quelle cruauté les empereurs romains sacrifiaient la vie d'un esclave à leur moindre caprice. Malgré les lois, d'horribles cruautés étaient commises envers ces infortunés. Il paraît certain que les Romains reléguaient les esclaves vieux et malades dans une île du Tibre, et les y laissaient mourir de faim. Les anciennes lois mêmes ne protégeaient que trop ces excès d'inhumanité (1).

Ainsi donc, comme l'a fait observer M. de Châteaubriand, l'esclavage et l'infanticide étaient les moyens de diminuer l'indigence et le malheur dans les siècles de la plus haute civilisation de la Grèce et de Rome. Quant aux citoyens libres, chez lesquels sans doute il devait se trouver des pauvres et des êtres souffrants, les institutions établies en leur

(1) La loi aquilienne assimilait en quelque sorte les esclaves aux bêtes. « La seule définition de l'esclave disait tout: non tam vilis quam nullus: moins vil que nul. Le maître avait le droit de vie et de mort sur l'esclave, et l'esclave ne pouvait acquérir qu'au profit du maître. Vous lisez au livre XXI du livre Ier de l'édit Ediles, au sujet de la vente des esclaves : « Ceux qui vendent des esclaves doivent déclarer aux acheteurs leurs maladies et leurs défauts; s'ils sont sujets à la fuite ou au vagabondage; s'ils ont commis quelques délits ou dommages;

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« Si, depuis la vente, l'esclave a perdu de sa valeur; si, au contraire, il a acquis quelque chose, comme une femme qui aurait eu un enfant; .

« Si l'esclave s'est rendu coupable d'un délit qui mérite la peine capitale; s'il a voulu se donner la mort; s'il a été employé à combattre contre les bêtes dans l'arène, etc.

<< Immédiatement après ce titre, vient un article sur la vente des chevaux et autre bétail, commençant de la même manière que celui sur la vente des esclaves : « Ceux qui vendent des chevaux, doivent déclarer leurs défauts, leurs vices ou leurs maladies, etc.

faveur se réduisent à un secours de deux oboles par jour et à une portion des victimes offertes en sacrifice pour les citoyens d'Athènes qui ne pourraient gagner leur vie, et à l'admission aux prytanées de cette ville et des autres principales cités de la Grèce; aux réfectoires conventuels de Lycurguel, aux distributions de blé et d'huile (2) ordonnées par Numa et ses successeurs; aux lois annonaires du sénat et des tribuns du peuple; aux approvisionnements des caravanserais, aux secours pour les gladiateurs qui étaient pansés et restaurés près du cirque; aux munitions des troupes dans les camps, aux greniers d'abondance destinés aux gymnases, aux réunions d'orphelins et d'étrangers. Il y avait, au port d'Ostia, une maison pour les étrangers qu'on appelait Xenodochium.

Tite-Live rapporte de fréquents exemples de la misère publique chez les Romains. L'usure exorbitante exercée sur le peuple par plusieurs membres du sénat fut la cause de la révolte si heureusement apaisée par Ménénius Agrippa. Quelques années plus tard, on vit paraître ces lois agraires qu'on présentait chaque fois qu'il s'élevait des symptômes de sédition; mais, loin de contribuer à diminuer la détresse des indigents, elles l'accrurent encore par les troubles qu'elles occasionnèrent.

Voltaire affirme que les Grecs connaissaient les hôpitaux sous le nom de Xénadokia pour les étrangers, Nosocomia pour les malades, et de Ptokia pour les pauvres. Il cite à ce sujet ce passage de Diogène Laërce concernant Bion. « Il souffrit beaucoup par la négligence de ceux qui étaient chargés du soin des malades. » Mais il résulte des immenses et savantes recherches de MM. Percy, Willaume, Mistral, et Mongez, que, dans aucun temps et chez aucun peuple de la terre, il n'y eut, avant

« Toutes les misères humaines sont renfermées dans ces textes que les légistes romains énonçaient, sans se douter de l'abomination d'un tel ordre social.

« Les cruautés exercées sur les esclaves font frémir: un vase était-il brisé, ordre aussitôt de jeter dans les viviers le serviteur maladroit dont le corps allait engraisser les murènes favorites, ornées d'anneaux et de colliers. Un maître fait tuer un esclave pour avoir percé un sanglier d'un épieu, sorte d'arme défendue à la multitude. Les esclaves malades étaient abandonnés ou assommés. Les esclaves laboureurs passaient la nuit enchaînés dans des souterrains; on leur distribuait un peu de sel, et ils ne recevaient l'air que par une étroite lucarne. Le possesseur d'un esclave le pouvait condamner aux bêtes, le vendre aux gladiateurs, le forcer à des actions infâmes. Les Romaines livraient aux traitements les plus cruels, pour la faute la plus légère, les femmes attachées à leur personne. Si un esclave tuait son maître, on faisait périr avec le coupable tous ses compagnons innocents. La loi Petronia, l'édit de l'empereur Claude, les efforts d'Antonin-le-Pieux, d'Adrien et de Constantin, furent sans succès pour remédier à ces abus que le christianisme extirpa. » (Châteaubriand, Études historiques.) (a) Epula, et Anapes.

l'ère chrétienne, rien de semblable à ce que nous appelons aujourd'hui hôpitaux. Les temples d'Esculape, en Grèce, donnaient lieu à plus de pratiques mystiques et superstitieuses qu'à des soins véritables destinés aux malades indigents. L'établissement du roi et grand-prêtre Hircan, souvent cité, et que l'on fait remonter à trois siècles avant JésusChrist, était moins un hôpital qu'un monument d'expiation à la mémoire du roi David, dont il avait violé le tombeau. Hospitium, chez les Romains, signifiait maison d'un ami, ou plutôt celle d'un aubergiste, car l'antique hospitalité patriarcale avait dû nécessairement diminuer lorsque les mouvements du commerce eurent partout multiplié le nombre des voyageurs et des étrangers.

Rien, il faut le dire, dans les sociétés païennes ne donne l'idée de l'application de la charité chrétienne, et cela devait être, puisqu'ils n'avaient aucun indice de cette céleste vertu.

On a prétendu que les trop grandes villes et les mœurs modernes avaient nécessité l'établissement des hôpitaux et des autres institutions charitables; que l'encombrement des villes, la circonscription des logements, la multiplicité des professions mal définies, les séparations précoces de la famille, sont des causes, qui, en multipliant les accidents de la fortune, ont exigé successivement des asiles pour la misère ou la maladie. C'est ainsi qu'on voudrait ravir au christianisme la gloire des premiers établissements de charité, en réduisant ses prodiges à une question d'économie sociale. Mais, pour que cette opinion eût quelque valeur, il faudrait prouver qu'antérieurement à la publication de l'Évangile, il n'existait aucune cité populeuse, aucune industrie, aucun des usages, des besoins et des circonstances qui font naître le malheur et les infirmités. Or, il est prouvé, au contraire, que de grandes populations étaient agglomérées dans les cités; que les raffinements du luxe et de la civilisa

(1) « La charité, vertu absolument chrétienne et inconnue des anciens, dit M. de Châteaubriand, a pris naissance dans J.-C. C'est la vertu qui le distingue principalement du reste des mortels, et qui fut en lui le sceau de la rénovation de la nature humaine. Ce fut par la charité, à l'exemple de leur divin maître, que les apôtres gagnèrent si rapidement les cœurs, et séduisirent saintement les hommes. Les premiers fidèles, instruits dans cette grande vertu, mettaient en commun quelques deniers pour secourir les nécessiteux, les malades et les voyageurs. Ainsi commencèrent les hôpitaux. Devenue plus opu

tion matérielle étaient poussés à un très-haut degré, et que beaucoup de motifs se réunissaient pour exciter vivement la charité, si elle eût été connue et pratiquée. Voltaire cite le mot de Cicéron, Charitas humani generis, qui paraît s'appliquer à la charité universelle; mais, dans la pensée de cet illustre orateur, ce n'était qu'un sentiment généreux et philosophique, comme celui que Virgile prête à Didon : « Haud ignara mali miseris succurrere disco. » Il est très-vraisemblable qu'à Rome, comme dans la Grèce, le malheur, qu'on n'avait pas intérêt à soulager, était le plus souvent abandonné à une aveugle fatalité. M. de Châteaubriand a donc pu, en thèse générale, résumer dans l'esclavage et l'infanticide les moyens dont les anciens se servaient pour se passer d'hôpitaux (1).

Le type de la charité primitive s'aperçoit dans l'hospitalité des patriarches et dans la législation de Moïse. Ce que les peuples païens en ont retenu est une tradition sensiblement altérée, et ce que l'on remarque d'humain et de généreux dans leurs usages, se rapporte évidemment à la religion des patriarches, qui s'est renouvelée et fortifiée dans le christianisme. « Pour les chrétiens, ce n'est plus la crainte qui force à secourir son semblable: on fait le bien pour avoir le plaisir de le faire; on donne plus que son superflu; on se dépouille pour couvrir le pauvre; on renonce aux plaisirs de la vie pour se dévouer au soulagement des malheureux. Tout, dans cette divine doctrine, est dirigé vers ce but en inspirant le mépris des richesses, elle rend plus facile le devoir de s'en dessaisir en faveur du pauvre, elle fait de la bienfaisance un moyen d'éviter les peines qu'elle sanctionne comme un droit à jouir des biens qu'elle promet. Qu'elle est puissante cette religion qui peut inspirer aux hommes les plus sublimes vertus, les actions les plus généreuses en leur commandant des sacrifices et des privations (2)! »

lente, l'église fonda pour nos maux des établissements dignes d'elle. Dès ce moment, les œuvres de miséricorde n'eurent plus de retenue. Il y eut comme un débordement de charité sur les misérables jusqu'alors abandonnés sans secours par les heureux du monde. On demandera peut-être comment faisaient les anciens qui n'avaient point d'hôpitaux? Ils avaient, pour se défaire des pauvres et des infortunés, deux moyens que les chrétiens n'ont pas, l'infanticide et l'esclavage. (2) M. Bailly.

CHAPITRE VII.

DES INSTITUTIONS CHARITABLES DEPUIS LE CHRISTIANISME.

L'histoire des institutions charitables se lie à celle des progrès et des effets sociaux du christianisme. Le grand miracle de la charité s'était opéré pour tous les hommes, mais il devait nécessairement s'appliquer d'une manière plus immédiate aux hommes frappés par l'indigence et le malheur.

Dans l'ordre des misères humaines, le christianisme eut à s'occuper d'abord de celles qui résultaient de l'impuissance d'accomplir la grande et religieuse loi du travail. Ainsi les vieillards, les infirmes, les malades, les voyageurs frappés d'accidents imprévus, les orphelins, les enfants-trouvés, les aliénés, les aveugles, les sourds-muets, les prisonniers, étaient les pauvres qui ont dû appeler les premiers les soins de la charité religieuse. L'indigence résultant du défaut de travail et de l'insuffisance des salaires, appartient à une époque de civilisation plus avancée et à des principes d'organisation sociale qui s'écartent plus ou moins des doctrines du christianisme; néanmoins, comme toutes les autres misères, elle devait aussi trouver à son tour un refuge dans les institutions dues à la charité universelle.

Quant à la mendicité provenant du refus de travail, nous avons fait connaître que le christianisme ne l'a jamais autorisée, et l'on en trouvera la preuve dans les règlements que les papes, les évêques et les rois de France ont souvent proclamés pour la réprimer.

Ainsi que nous l'avons fait remarquer, dans les temps où les mouvements du commerce et les progrès de la civilisation n'avaient pas multiplié à l'infini le nombre des voyageurs, l'hospitalité était regardée comme le devoir et l'attribut de la puissance et de la richesse. Les premiers hospices furent des hôtelleries fondées originairement en faveur des étrangers et des pèlerins; mais la fondation des hôpitaux de pauvres infirmes ou malades repose sur

La religion a voulu, comme d'un seul coup et sous un seul point de vue, montrer qu'il n'y a point de souffrances humaines qu'elle n'ose envisager, ni de misères au-dessus de

son amour.

(CHATEAUBRIAND.)

un principe de charité universelle et toute chrétienne.

Ce fut lorsque la religion vint enseigner que les pauvres et les malades sont les membres de Dieu lui-même, que parut, dans tout son éclat et dans sa pureté et sa puissance, la vertu qui devenait dès lors l'élément universel de la civilisation. Les personnes riches, dans la primitive église, se firent un devoir de recueillir les pauvres malades, de s'en entourer, de les loger dans leurs palais, de partager avec eux leur superflu. Les persécutions exercées contre les premiers chrétiens contribuèrent même à les rendre encore plus charitables ; car ils devaient secourir les proscrits, et prendre soin des veuves et des orphelins de ceux qui périssaient pour la foi. Quand les maîtres du monde eurent reçu l'Evangile, le même sentiment leur inspira la pensée de consacrer des établissements publics à des œuvres de miséricorde. Tous les chrétiens obéirent à l'envi à cette charité que le christianisme avait placée au premier rang des lois divines pour nous apprendre qu'elle devait être le principe de toutes les lois humaines.

La charité envers les malheureux fut le caractère distinctif de premiers chrétiens. Plusieurs la poussèrent juqu'à se rendre esclaves et à nourrir les pauvres du prix de leur liberté ; ils assistaient les païens aussi bien que les fidèles. Julien luimême leur rend cette justice; il écrivait (epist. 62) à un pontife du christianisme: « Il est honteux que les Galiléens nourrissent leurs pauvres et les nôtres. » L'on ne peut nier que la pratique de la charité chez les premiers fidèles n'ait aidé puissamment aux progrès du christianisme.

Les besoins progressifs des classes pauvres et les perfectionnements de l'administration et des sciences médicales, secondés par la charité religieuse, amenèrent successivement les associations charitables et les différents établissements qui ont

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