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été perfectionnés ou complétés de nos jours pour le soulagement de tous les genres d'infortunes et de souffrances. C'est ainsi que, tour à tour, les vieillards, les infirmes, les orphelins, les enfants trouvés ont obtenu des asiles spéciaux et les soins les plus éclairés. C'est ainsi que, presque partout, ces établissements ont été confiés à ces admirables associations de filles chrétiennes qui renouvellent chaque jour les prodiges et les miracles de la plus sublime charité. Non contente d'avoir créé les asiles du malheur, la religion distribuait aussi des secours à domicile, produits des quêtes et des dons pieux. Dans le principe, ces secours étaient départis sous l'inspection des ecclésiastiques qui ne les appliquaient ordinairement qu'à des besoins réels et

vérifiés. Secondés par de saintes femmes ou par des hommes pieux, ils visitaient les prisonniers; ils allaient chercher dans leurs réduits les pauvres honteux qui préféraient les plus dures privations à l'ignominie de la mendicité. Les infirmes, qui n'avaient pu être admis dans les hospices ou suffisamment secourus à domicile, recouraient à la charité publique, et trouvaient surtout d'abondantes aumones aux portes des abbayes et des monastères, des châteaux et de toutes les maisons opulentes ou aisées. C'était ainsi que la religion avait pourvu à toutes les misères avant que les principes constitutifs des sociétés chrétiennes n'eussent été affaiblis ou abandonnés.

CHAPITRE VIII.

HOSPICES ET HÔPITAUX POUR LES VIEILLARDS, LES ENFANTS, LES MALADES ET LES INFIRMES (1).

Aussitôt que l'église fut libre, on bâtit différentes maisons de charité, et on leur donna différents noms, suivant les diverses sortes de pauvres : Nosocomium était l'hôpital des malades; Gerontocomium, la maison des vieillards; Xenodochium, le logement des étrangers; c'était purement l'hospice ou la maison d'hospitalité. La maison où l'on nourrissait les petits enfants à la mamelle, exposés ou autres, se nomma Brephotrophium; celle des orphelins, Orphanotrophium.

Plochotrophium était l'asile général pour toutes sortes de pauvres. Bientôt il y eut de ces maisons de retraite dans toutes les grandes villes.

Les évêques, selon Épiphane, avaient contume d'établir chez eux ces sortes de maisons, dans lesquelles ils plaçaient les estropiés et les malades domiciliés ou étrangers, et leur fournissaient la subsistance. Il leur était ordonné, par plusieurs conciles, de visiter les prisonniers, les pauvres, les lépreux, et de leur fournir des vivres et les moyens de subsister. Dès le commencement

(1) Plusieurs des notions que renferme ce chapitre et le suivant sont dues aux savantes recherches de MM. Marc, Coste et autres médecins distingués, rédacteurs du Dictionnaire des

Les besoins, la douleur, la santé les bénissent, La terre est consolée et les cieux applaudissent. Que puissent à jamais, les maux, la pauvreté, Dans les asiles saints, bénir la charité!

(DELILLE.)

de l'église, la maison épiscopale avait été l'asile des pauvres, des veuves, des orphelins, des malades, des pèlerins et des étrangers : le soin de les recevoir, de leur laver les pieds, de les servir à table, fut toujours une des principales occupations des ecclésiastiques; et, à proprement parler, les monastères étaient des hospices où tous les pauvres étaient accueillis et soulagés.

Le nom d'hospice était particulièrement consacré, par les moines rentés, à des maisons rurales (villæ) qui dispensaient, en route, les religieux de l'ordre, de s'arrêter dans les auberges ordinaires (in diversoris ). Les moines des ordres mendiants et les pèlerins recevaient le même accueil dans ces asiles enfin, dans un quartier séparé, les pauvres trouvaient, pour la nuit, un abri et la nourriture; ceux du voisinage, la soupe et le pain quotidien ; les étrangers, des provisions pour continuer leur route; on y ajoutait même une petite rétribution en monnaie, connue sous le nom de passade, devenu proverbial.

Sciences médicales, et de M. l'abbé Bergier, auteur du Dictionnaire de Théologie.

Il n'était guère de grand monastère dans les campagnes, où l'hospitalité ne fût ainsi exercée, et cet exemple était suivi dans les châteaux et dans les fermes.

Les abbayes, surtout celles de femmes, situées hors des villes, possédaient, dans les places fortifiées, pour s'y retirer pendant les guerres, des maisons de refuge qui s'appelaient aussi hospices. C'est ainsi que les riches abbayes de la Flandre et du Hainaut avaient encore, au commencement de la guerre de 1791, leur refuge dans les places de guerre de ces provinces, à Landrecies, au Quesnoy, à Douai, à Valenciennes, à Lille, etc. La Grande-Chartreuse avait le sien à Grenoble, comme les dames de Remiremont à Nancy.

Personne n'a fait le voyage d'Italie sans avoir apprécié, avec admiration et attendrissement, les secours que les voyageurs de toute condition et de toute religion trouvent dans la sollicitude des bons religieux du mont Saint-Bernard et du Mont-Cenis. On peut considérer leurs maisons comme les métropoles des hospices, parce qu'il n'en existe pas de plus dignes de ce nom, et qui l'honorent davantage.

Dans quelques paroisses de Paris, des curés bienfaisants appelaient hospice la maison de charité qu'ils avaient formée pour distribuer à leurs pauvres, soit en médicaments, soit en aliments, les secours momentanés, propres à prévenir pour plusieurs la nécessité de recourir aux grands hôpitaux, et d'y changer, quelquefois, en une maladie grave une indisposition passagère. Ces maisons pastorales furent le prélude, et sans doute l'origne, des dispensaires que nous avons adoptés plus

tard.

Le premier fait qui constate l'assignation, en France, de revenus particuliers aux maisons de charité, se rapporte à la fondation de l'hôpital de Lyon par le roi Childebert. Le cinquième concile d'Orléans, tenu en 549, défend d'aliéner les biens de cet hospice et de les abandonner à l'église. Le second concile de Tours, en 570, prescrivit que chaque paroisse eût à entretenir ses pauvres habitants pour qu'ils ne fussent pas vagabonds. Charlemagne ordonna que la quatrième partie des biens ecclésiastiques fût exclusivement destinée au soulagement des pauvres. Depuis cette époque, les hôpitaux se multiplièrent, et ces établissements étaient déjà très-nombreux sous le règne de Charlesle-Chauve.

Dans les temps malheureux qui suivirent la chute de la maison de Charlemagne, les pauvres furent à peu près abandonnés. Comment auraientils été secourus par le clergé qui avait lui-même tant de peine à subsister? Où auraient-ils trouvé des aumônes suffisantes à une époque où l'on voyait éclater si fréquemment des famines si horribles! Il fallut attendre des temps plus heureux pour fonder de nouveaux hôpitaux et pour rétablir les anciens. L'époque des anciennes croisades et celle de l'affranchissement des communes vit multiplier ces fondations. Les maladies contagieuses qui régnèrent pendant les treizième et quatorzième siècles rendaient ces asiles absolument nécessaires, et la France en dut une grande partie à l'un de ses plus grands rois.

Jamais, dans aucun temps, la charité ne s'était répandue comme au treizième siècle. Saint Louis trouva dans son cœur le moyen de la faire régner en France par des fondations admirables dont

Les hospices avaient, en général, des infirmeries quelques-unes lui ont survécu (1). les malades.

pour

Les premiers modèles d'hôpitaux spécialement consacrés aux malades, et de succursales pour les convalescents, sont dus à ces femmes chrétiennes, illustres descendantes des Scipion, des Émile et des Fabius, qui s'étaient retirées dans la Palestine pour y continuer leurs études sublimes sous la direction de saint Jérôme. C'est à Jérusalem et à Bethleem, vers la fin du troisième siècle (selon M. Mongez), que la première institution de ce genre fut fondée.

Cet exemple fut bientôt imité dans toutes les provinces qui embrassaient la religion chrétienne. Les souverains, les évêques, les ecclésiastiques, le personnes pieuses s'occupèrent à l'envi de former de semblables établissements.

(1) Saint Louis avait envoyé des commissaires dans les provinces, pour dresser un état des pauvres laboureurs que la vieil

En 1248, il fit restaurer, par Eudes de Montreuil, l'Hôtel-Dieu de Paris, qu'il protégea con

stamment.

L'hospice des Quinze-Vingts fut commencé en 1260.

Vers l'an 1259, Saint Louis fit élever, à Pontoise, un vaste hôtel-Dieu où il plaça d'abord treize religieuses de la règle de saint Augustin, sous la conduite de Béatrix de Quescalone qui en fut la première prieure. La charité de ces bonnes sœurs attira un si grand nombre d'indigents infirmes que le monarque leur donna sa maison de campagne de Pontoise et les bois qui en dépendaient, pour entretenir autant de religieuses qu'il serait nécessaire. Cette donation est de 1261.

L'hôpital ou l'hôtel-Dieu de Compiègne fut

lesse ou les infirmités mettaient hors d'état de travailler. Ce sage et picux monarque se chargeait de pourvoir à leur subsistance.

fondé par lui vers 1259. Quand cet édifice fut achevé, Saint Louis, assisté du roi de Navarre et de ses fils, y porta le premier malade dans un drap de soie, avec l'aide de son gendre Thibaut VI. Louis de France et Philippe (le Hardi) portèrent de même le second, et les princes et hauts barons les autres. Il n'existait point encore de cimetière pour cet hospice. Un des malades étant mort, Saint Louis voulut qu'on l'inhumât très-loin, afin que tous ceux qui le rencontreraient priassent pour lui. Il assista à cet enterrement, et même ensevelit le mort de ses propres mains. Les villes de Vernon et du Pont-de-l'Arche lui durent également leur hôtel-Dieu.

Dès que le saint roi faisait son entrée dans une ville, son premier soin, après avoir prié dans une église, était de se rendre aux hospices, même les plus éloignés, et d'y servir et soigner lui-même les malades. A Paris, à Compiègne, à Orléans, à Vernon, à Pontoise, on le vit plus d'une fois demeurer des heures entières auprès de ces malheureux, tellement que les sergents d'armes qui l'accompagnaient ne pouvaient souvent endurer le tableau dégoûtant des infirmités humaines, ni l'infection qui s'exhalait de ce foyer de maladie. Louis seul y paraissait ainsi qu'une bonne mère au milieu de ses enfants, et recommandait les malades à ces pieuses filles placées à leur chevet comme une compensation aux maux qui nous affligent (1).

La venue de saint Vincent de Paule fut une ère nouvelle pour les établissements charitables. Les semences de charité qu'il avait jetées dans les cœurs religieux, produisirent, outre les institutions d'enfants-trouvés, dont nous allons bientôt parler, un grand nombre d'autres fondations au profit des diverses classes de l'humanité souffrante. Une généreuse émulation s'empara de tous les gens riches et dura encore longtemps après que ce grand homme n'était plus. Sur quarante-huit hôpitaux ou maisons de charité que possédait Paris en 1789, il y en avait vingt dont la création appartenait au siècle de Vincent de Paule. Toutefois, l'admission des enfants-trouvés, dans les hospices, diminua considérablement les ressources de ces établissements, et ce fut au préjudice des autres pauvres, ainsi qu'on le verra dans la suite.

Depuis les successeurs de Clovis jusqu'à Louis XVI, nous comptons bien peu de rois de France qui ne se soient montrés charitables et aumônieux.

Louis XVI, qui a mérité si parfaitement le titre de Juste couronné, donna une attention touchante

(1) Extrait de l'Histoire inédite de Saint Louis par le marquis F. de Villeneuve-Trans, auteur de l'Histoire de René d'Anjou et des Monuments des grands maîtres de Saint-Jean de Jérusalem, membre de l'Institut de France.

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à l'amélioration des hôpitaux. Sous le ministère de M. Necker, il voulut se faire rendre un compte fidèle de la situation de ces établissements, et ordonna qu'un lit particulier fût affecté à chaque malade de l'Hôtel-Dieu de Paris, au lieu de huit malades ou moribonds, dont chaque lit était auparavant chargé.

A cette époque, on comptait en France sept cents hôpitaux ou hospices et environ cent établissements de trois ou quatre lits fondés par des particuliers.

On estimait alors à 110,000 individus le nombre des pauvres vieillards, infirmes ou malades qui trouvaient des secours ou un asile dans ces maisons. Voici à peu près la division des principales classes: 1° 4,000 infirmes ou pauvres d'un âge avancé et présumés hors d'état de gagner leur vie.

2o 40,000 orphelins ou enfants abandonnés, dont un grand nombre était mis en pension dans les campagnes.

Il existait en outre 70 hôpitaux destinés au service de l'armée de terre et des gens de mer. Ils renfermaient environ 6,900 individus.

M. Necker évalue à dix-huit ou vingt millions le revenu annuel des hôpitaux dont un quart appartenait à l'hôpital de Paris. Mais divers renseignements prouvent que cette estimation est inexacte. Les hospices et hôpitaux du royaume possédaient, avant la révolution, près de 40,000,000 de revenus; savoir en revenus territoriaux, 25,000,000 et 17,000,000 d'octroi. Ce sont ces derniers que, sans doute, M. Necker n'avait pas compris dans ses calculs.

On distinguait alors en France le magnifique hôpital de Lyon, ceux créés en Lorraine par Stanislas, les hôpitaux de Lille (2), de Douai (3), de Valenciennes et de plusieurs autres villes qui portent l'empreinte de la grandeur des vues de leur fondateur, et dont les règlements étaient dus à la sagesse de magistrats célèbres par leurs lumières et par leur expérience.

A Paris, le nom des hôpitaux et des hospices rappelle la charité des Saint Louis, des Larochefoucault, des Cochin, des Necker, des Beaujon, des Châteaubriand et de l'auguste fille de Louis XVI. On connaît la pieuse et charitable fondation de Rosny.

Louis XVI chercha à imprimer une impulsion nouvelle à la charité et à la rendre plus ingénieuse et plus efficace. Ce fut sans doute en obéissant, à la fois, à cette touchante inspiration et à un cœur généreux, que madame Necker conçut la pensée de

(2) L'hôpital de Lille fut bâti sous l'intendance de M. de Lagrandville.

(3) L'hôpital de Douai nous a paru mériter d'être cité comme un modèle de distribution intérieure; le plan en est dû à

fonder cet hôpital qui illustrera à jamais sa mémoire. Du reste, elle rédigea soigneusement ellemême les statuts de son établissement, et pour que le cachet de famille ne manquât à aucune de ses bonnes œuvres, les comptes rendus de l'hospice durent figurer dans les annales de la pitié, comme ceux du directeur général dans l'ordre des finances de l'état. C'est à elle que l'on doit sans doute l'obligation de ces comptes annuels, imposée, depuis, à toutes les administrations des hospices et des hôpitaux, et qui a si puissamment contribué à amener successivement l'ordre parfait de leur comptabilité.

Comme on l'a déjà fait remarquer, à cette époque voisine de si près d'une grande révolution sociale, la philosophie moderne et les doctrines de l'économie politique anglaise avaient déjà répandu sur les institutions charitables les doutes et la critique dont la religion catholique, qui les avait fondées, était le principal objet. Dès lors le paupérisme commençait à se manifester en Angleterre. La misère s'y avançait progressive, envahissante, alarmante. Les anciennes institutions charitables, détruites par la réforme, n'étaient plus là pour la soulager, et d'ailleurs elles eussent été insuffisantes dans un royaume qui, en perdant l'unité de la foi, avait perdu aussi la force de la charité, et dont le système de politique, de commerce et d'industrie, en enrichissant des familles appartenant à l'aristocratie cléricale et territoriale ou industrielle, tendait à produire incessamment le malheur et l'indigence du plus grand nombre. Il s'agissait donc bien moins de secourir la misère que de l'empêcher d'augmenter et de nuire à l'ordre public. De là prit .naissance l'économie politique appliquée à la bienfaisance, dont le dernier secret consiste à s'abstenir de secourir les pauvres, de crainte de les multiplier. Voltaire, cependant, lors même qu'il accablait de ses sarcasmes moqueurs la plupart des institutions religieuses, ne peut s'empêcher d'admirer les prodiges de la charité chrétienne. Il félicite l'humanité de ce que Rome moderne renfermait presque autant de maisons de charité que Rome antique avait d'arcs de triomphe et d'autres monuments de conquête.

M. Durand, l'un des ancêtres de M. Durand d'Elcourt, ancien député, conseiller à la cour royale de Douai.

(1) Il fait remarquer que, de son temps, des abus s'étaient glissés dans l'administration de l'Hôtel-Dieu de Paris. « Les administrateurs portaient en compte 50 liv., pour chaque malade mort ou guéri. M. de Chamousset offrit de se charger à ses frais, avec une compagnie solvable, de gérer pour 50 liv. seulement par guérison; les morts étaient par-dessus le marché et à sa charge. La proposition était belle, qu'elle ne fut pas acceptée; on craignait qu'il ne pût la remplir. Tout abus qu'on veut réformer est le patrimoine de ceux qui ont plus de crédit que les réformateurs.

« Une chose singulière, ajoute-t-il, c'est que l'Hôtel-Dieu a seul le privilége de vendre la chair à son profit, en carê me, et

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« Peut-être, dit-il, qu'une maison de charité fondée pour recevoir des pèlerins, qui sont d'ordinaire des vagabonds, est plutôt un encouragement à la fainéantise qu'un acte d'humanité. Mais ce qui est véritablement humain, c'est qu'il y a dans Rome cinquante maisons de charité, de toutes les espèces. Ces maisons de charité, de bienfaisance, sont aussi utiles, aussi respectables, que les richesses de quelques monastères et de quelques chapelles sont inutiles et ridicules (1).

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Montesquieu crut apercevoir que les établissements de charité n'étaient pas toujours utiles, et ne convenaient qu'aux nations riches. « Dans les pays de commerce, dit-il, où beaucoup de gens n'ont que leur art, l'état est souvent obligé de pourvoir aux besoins des vieillards, des malades et des orphelins; un état bien policé tire cette subsistance du fond des arts mêmes. Il donne aux uns des travaux dont ils sont capables, il enseigne les autres à travailler, ce qui fait déjà un travail.

« Quelques aumônes que l'on fait à un homme nu, dans les rues, ne remplissent point les obligations de l'état, qui doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé.

« Aureng-Zeb, à qui l'on demandait pourquoi il ne bâtissait point d'hôpitaux, dit : Je rendrai mon empire si riche qu'il n'aura point besoin d'hôpitaux. Il aurait fallu dire: Je commencerai par rendre mon peuple riche, et je bâtirai des hôpitaux.

« Les richesses d'un état supposent beaucoup d'industrie. Il n'est pas possible que dans un si grand nombre de branches de commerce il n'y en ait toujours quelqu'une qui souffre, et dont, par conséquent, les ouvriers ne soient dans une nécessité momentanée.

« C'est pour lors que l'état a besoin d'apporter un prompt secours, soit pour empêcher le peuple de souffrir, soit pour éviter qu'il ne se révolte. C'est dans ce cas qu'il faut des hôpitaux ou quelque règlement équivalent qui puisse prévenir cette misère. « Mais quand la nation est pauvre, sa pauvreté

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particulière dérive de la misère générale, et elle est, pour ainsi dire, la misère générale. Tous les hôpitaux du monde ne pourraient guérir cette pauvreté particulière ; au contraire, l'esprit de paresse qu'ils inspirent augmente la pauvreté générale, et par conséquent, la particulière.

sant moyen de soulagement et d'économie. Ils ne sauraient être nuisibles qu'autant qu'on y admettrait indistinctement des individus valides ou susceptibles d'être soignés chez eux. Du reste, en adoptant les principes de Montesquieu, qui cherche évidemment à exciter l'industrie et à accroître les richesses dans tous les états, on serait forcé de conclure qu'il faut des hôpitaux chez tous les peuples, parce que tous sont appelés, par les progrès de la civilisation, à devenir industriels et riches. Ainsi se trouve repoussée la réprobation dont il frappe les hôpitaux. L'exemple des mesures prises.

« Henri VIII, voulant réformer l'église en Angleterre, détruisit les moines, nation paresseuse ellemême, qui entretenait la paresse des autres, parce que, pratiquant l'hospitalité, une foule de gens oisifs, gentilshommes et bourgeois, passaient leur vie à courir de couvents en couvents. Il ôta encore les hôpitaux, où le bas peuple trouvait sa sub-par Henri VIII, en Angleterre, nous paraît d'ailsistance comme les gentilshommes trouvaient la leur dans les monastères. Depuis ce changement, l'esprit de commerce et d'industrie s'établit en Angleterre.

« A Rome, les hôpitaux font que tout le monde est à son aise, excepté ceux qui travaillent, excepté ceux qui ont de l'industrie, excepté ceux qui cultivent les arts, excepté ceux qui ont des terres, excepté ceux qui font le commerce.

« J'ai dit que les nations riches avaient besoin d'hôpitaux, parce que la fortune y était sujette à mille accidents; mais on sent que des secours passagers vaudraient mieux que des établissements perpétuels. Le mal est momentané: il faut donc des secours de même nature et qui soient applicables à l'accident particulier. »

Montesquieu, en établissant ces axiomes d'économie politique, fut bien plus préoccupé de quelques abus qui tenaient à la nature des ordres religieux existant de son temps, à Rome, en Espagne et dans quelques autres états catholiques, que de la destination particulière des hôpitaux et des véritables besoins de la classe indigente. Les hôpitaux destinés aux vieillards, aux infirmes et aux malades pauvres et abandonnés, sont nécessaires chez les nations riches comme chez les nations pauvres, parce que les accidents qui frappent l'humanité existent plus ou moins en tous lieux, et que la charité commande de les soulager. Sans doute il serait préférable et peut-être plus moral (car la charité de l'homme doit d'abord s'étendre à ses parents) que chaque individu souffrant et malheureux pût recevoir de sa famille, au milieu des siens ou par les soins de ses voisins, les secours qui lui sont nécessaires. Mais le raisonnement et l'expérience prouvent que cela est impraticable sans de grands frais et sans perte de travail pour la plupart des pauvres. La population souffrante et malade est à peu près toujours la même dans les villes. Ce sont des besoins permanents auxquels il faut des secours permanents et non passagers. Les hôpitaux sont devenus, par conséquent, une nécessité et un puis

leurs bien malheureusement choisi, puisque l'accroissement prodigieux des indigents et la taxe des pauvres ont été la suite de la destruction des couvents et des hôpitaux fondés par le catholicisme, et qu'il fallu créer en Angleterre de nouveaux asiles pour les malades et les indigents.

Quoi qu'il en soit, les novateurs politiques, s'appuyant sur l'autorité imposante de Montesquieu, attaquèrent à l'envi, non-seulement les aumônes, mais les hôpitaux eux-mêmes, avec l'ardeur qui les animait contre tout ce qui portait le caractère de la religion et de la monarchie. On posa en principe qu'il serait plus utile de prévenir la misère et de diminuer le nombre des pauvres que de leur préparer des asiles. Cela valait mieux en effet; mais personne n'indiquait le moyen d'opérer ce prodige. On oubliait qu'un grand nombre d'hommes sont nés avec peu d'intelligence, d'activité et d'industrie, que beaucoup d'autres ne sont capables que de travaux très-peu lucratifs, parce qu'à la honte de nos mœurs, les talents les plus frivoles sont les mieux récompensés.

On disait que le travail et l'économie devaient procurer à l'homme des ressources pour l'avenir; mais on ne réfléchissait pas qu'il faudrait, alors, que son travail lui obtînt un salaire suffisant pour lui fournir la subsistance et des épargnes. Cependant lorsqu'il lui procure à peine une nourriture grossière, qu'il a une famille à élever, des parents vieux et infirmes à soulager, quelles ressources peut-il se ménager pour l'avenir? L'inaction forcée pendant quelques jours, un accident, une maladie suffisent pour tout absorber.

Les philosophes citaient l'exemple des Anglais qui pourvoient aux besoins publics par des associations libres. Mais ils ne disaient pas qu'outre ces associations, il existait en Angleterre une taxe forcée en faveur des pauvres ; ils ne disaient pas qu'il y avait dans ce royaume des hôpitaux que la nécessité avait forcé de rétablir, et qui, privés des soins de la charité religieuse, étaient loin de supporter la comparaison avec ceux des états catholiques.

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