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entreprises conduites avec prévoyance et charité. D'un autre côté, la moyenne industrie, habituée depuis longtemps à la routine des travaux manuels qui suffisaient à des besoins modérés, dépourvue de grands capitaux et peu disposée à des innovations périlleuses, n'avait pu se prêter aux changements de procédés et de goûts qui s'étaient subitement opérés ; elle devait être forcément absorbée par système des grandes manufactures.

le

Ainsi la classe ouvrière, soit qu'elle se fût attachée au char rapide et brillant de l'industrie nouvelle, soit qu'elle fût demeurée fidèle à la vieille et modeste industrie, s'est trouvée d'autant plus vivement frappée dans son existence, que la paix, la liberté, la sécurité de l'avenir et les promesses des capitalistes avaient naturellement multiplié les mariages et prodigieusement accru cette partie de la

reste, sous la domination de ses nouveaux suzerains, avait peu gagné en moralité, en lumières et en prévoyance.

Les doctrines de Smith et de ses disciples venaient de déborder sur notre sol. On leur attribua les prodiges de l'industrie anglaise et une prospérité dont on n'apercevait pas les fondements fragiles et précaires. Persuadés que la production était le seul élément de la richesse, que l'excitation à de nouveaux besoins était la véritable théorie de la civilisation, et la consommation une suite nécessaire de la production, nos principaux industriels se précipitèrent vers les entreprises manufacturières avec une furie toute française. On était avide de jouissances: il fallait obtenir des richesses largement et promptement. Tout fut entraîné dans cette voie. De grandes fabriques s'élevèrent à l'envi, et autour d'elles la population ouvrière ne manqua pas de se grouper et de s'accroître dans la progression la plus rapide. On vit surgir de nouvelles villes toutes manufacturières. D'autres s'agrandirent dé-population qui ne vit que de son travail et qui, du mesurément. Durant quelques années, un grand succès parut couronner notre industrie nationale, et principalement celle qui s'exerçait spécialement sur les produits de notre sol et s'attachait à satisfaire les besoins de la consommation intérieure. Mais on était allé plus loin on voulut s'élancer | aussi sur le théâtre de la concurrence universelle. On chercha, à l'aide des machines et des procédés les plus économiques, à rivaliser avec l'industrie anglaise pour les produits manufacturés dont les matières premières sont tirées de l'étranger. On s'aperçut trop tard que si la production pouvait être en quelque sorte illimitée, la consommation avait des bornes. Depuis longtemps tous les marchés de l'Europe et même de l'univers étaient encombrés de marchandises anglaises. Nos tissus de coton et d'autres produits, longtemps protégés par le blocus continental, mais dont l'abondance avait dépassé les limites de la consommation intérieure, ne purent être vendus. D'énormes capitaux, employés à l'établissement d'un grand nombre de fabriques, demeurèrent improductifs. Les fabricants durent ralentir leurs travaux, recourir de plus en plus aux procédés les plus économiques, diminuer les salaires au taux le plus bas, et finalement congédier un plus grand nombre d'ouvriers.

Il n'est guère resté debout, dans cette mémorable crise, que l'industrie fondée de préférence sur les produits du sol national, et les

L'agriculture n'avait eu qu'une part bien moindre dans l'emploi des capitaux que la paix avait fait reparaître.

Toutefois elle ne pouvait être étrangère au mouvement général de l'industrie. Elle s'est réellement améliorée dans plusieurs provinces, et ses produits ont été considérablement augmentés. Mais l'agriculture a cet avantage sur toutes les autres industries, qu'elle nourrit les individus qu'elle fait naître, et que les vicissitudes politiques et commerciales, si fatales à l'industrie manufacturière, ne l'affectent que faiblement ou passagèrement. Aussi parait-elle destinée à devenir prochainement la principale ressource de cette population exhubérante qu'a produite et que délaisse, aujourd'hui, l'économie politique anglaise appliquée à l'indus

trie.

Les effets des doctrines de Smith, prévus par de grands hommes d'état de la France et de l'Angleterre, devaient nécessairement se faire sentir successivement chez tous les peuples qui auraient vu se développer dans leur sein l'extension excessive des forces productives de l'industrie manufacturière. Aujourd'hui l'Angleterre, les Pays-Bas, une partie de la Suisse et de l'Allemagne, enfin quelques provinces de la France (et ce sont les plus

avancées en population et en industrie manufacturière) offrent la preuve des conséquences fatales qu'entraîne, sur le sort des classes inférieures, l'application de théories économiques et matérielles de la civilisation.

Si l'on réunit à ces causes génératrices de la misère publique d'anciennes habitudes de fainéantise et d'immoralité, favorisées en Angleterre par la taxe des pauvres, ailleurs par le vice des institutions et la marche stationnaire de la charité; si l'on approfondit l'état de dénuement moral et physique dans lequel la plupart des hauts industriels ont laissé croupir les familles d'ouvriers; si l'on réfléchit enfin à l'affaiblissement général des principes religieux et charitables survenu dans les diverses classes de la société, on pourra comprendre comment, en Angleterre, en Suisse, dans les Pays-Bas et dans plusieurs départements de la France les plus voisins de l'Angleterre et de la Belgique, le nombre des nécessiteux s'élève au dixième, au huitième, et même au sixième de la population générale.

Des calculs que nous avons lieu de croire trèsrapprochés de la vérité portent à environ 1,586,340 (le vingtième 39/108 de la population totale) le nombre des pauvres qui existaient en France au 1er janvier 1830, y compris 198,183 mendiants. Le cinquième de ces pauvres appartient à 6 départements de la région du nord, où, sur une population de 3,288,207 individus, on trouve 348,731 indigents, c'est-à-dire 1/9 de la population générale. Ces mêmes contrées présentaient des hordes menaçantes de mendiants de tout sexe et de tout âge, dont le nombre est évalué à environ 34,000.

Cette situation fâcheuse était encore bien loin de se manifester au même degré dans les autres parties du royaume, et particulièrement dans les départements de l'est et du midi, mais elle n'en prouvait

que mieux la cause et l'origine du mal. Toutefois, si un pareil état de choses devait alarmer les gouvernements et émouvoir les âmes cha

(1) La France Nouvelle.

(2) Voir les arrêtés du préfet du département de l'Aisne, cités dans le chapitre II du livre II de cet ouvrage.

(3) Circulaire de M. Dunoyer, préfet de la Somme, en décembre 1833. Voir le chapitre V du livre Ier.

(4) Le progrès du paupérisme commence à se faire sentir aux États-Unis d'Amérique, où l'on a adopté en partie les lois anglaises sur les pauvres et le système industriel de l'Angleterre. Dans l'espace de trente années, le nombre des pauvres s'est ÉCONOMIE POLITIQUE.

ritables au moment où l'on cherchait à le constater (en 1829), combien n'a-t-il pas dû s'aggraver depuis qu'une révolution nouvelle est venue ébranler encore une fois l'ordre social en France et en Europe?

Un journal ministériel (1) porte à 5,000,000 le nombre ordinaire des indigents dans le royaume, et évalue au double celui qui existe depuis les événements de juillet 1830. Ces calculs sont évidemment exagérés; mais nous croyons que, sans encourir le reproche de chercher à grossir le chiffre de la misère publique, on peut affirmer que le nombre des indigents s'est doublé, a triplé même momentanément dans les villes manufacturières et dans les départements que dans le cours de cet ouvrage nous avons classés dans la zone souffrante. On a vu l'administration publique, dans ces contrées où l'aristocratie industrielle avait établi plus spécialement son empire, tantôt proclamer officiellement la nécessité d'une taxe des pauvres et se déclarer impuissante à faire respecter les lois et la propriété (2); tantôt recommander aux familles ouvrières de ne pas rendre leurs mariages plus féconds que leur industrie (3).

En Angleterre le nombre des pauvres s'élève à 3,900,000, c'est-à-dire au sixième de la population totale. Dans le royaume des Pays-Bas, la proportion est d'un septième : elle est d'un dixième en Suisse.

Dans la totalité de l'Europe, le rapport du nombre des pauvres à la population générale est d'un vingtième environ (4).

Assurément c'est en présence de faits aussi graves que l'on peut apprécier les résultats de l'économie politique anglaise. Ce n'est plus à cette science que l'on demandera le soulagement de la misère publique; il est évident que c'est désormais à d'autres sources qu'il faut puiser les remèdes à des maux que l'on pourrait imputer peut-être à bon droit à la science elle-même, et que bien certainement, du moins, elle n'a su ni prévenir ni empêcher.

accru dans une proportion qui, d'abord réduite à un indigent par trois cent trente-trois habitants, s'est élevée à un indigent par cent habitants, et, enfin, à un indigent sur quarante habitants environ. La taxe des pauvres s'est augmentée dans la même proportion. Nous donnerons plus de détails ce sujet dans le livre II de cet ouvrage; mais il est facile d'apercevoir d'avance, dans les progrès du paupérisme en Amérique, la présence des mêmes causes qui ont produit de si terribles résultats dans le royaume de la Grande-Bretagne,

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Il faut donc reconnaître que la science économique, telle qu'on l'a faite, n'est pas la théorie du bonheur des peuples.

En effet, jusqu'à ce qu'il soit reconnu que l'homme est créé uniquement pour multiplier ses jouissances par l'excitation des besoins; qu'il soit prouvé que l'amour du repos n'est pas dans la nature humaine; jusqu'à ce qu'il n'y ait plus dans le monde ni plusieurs états, ni peuples différents; jusqu'à ce que les mœurs, les intérêts et les langues se confondent, que les chaînes de montagnes s'abaissent, et qu'enfin la terre devienne une seule et vaste monarchie universelle; jusqu'alors, disonsnous, il est à craindre que les théories de Smith et de ses disciples ne puissent jamais aboutir à un ordre social compatible avec la paix et la félicité de l'espèce humaine. Ces doctrines ne seront donc jamais applicables, si ce n'est dans ces âges futurs que l'école politique américaine et le saint-simonisme prédisent à nos derniers neveux. On a dit quelquefois que les économistes formés par Quesnay n'étaient plus de ce siècle. On pourrait dire, avec plus de justice, que les disciples exagérés de Smith sont en avant de plusieurs siècles sur l'époque actuelle; et, cependant, ils veulent tout régir, tout régler pour le moment même; leurs écrits ne sont que des invasions perpétuelles sur la politique, la religion, les institutions et les gouvernements. A la vérité, rien négale l'élasticité qu'ils ont su donner à leur science. Si l'on veut combattre un de leurs principes par des considérations morales ou politiques, ils répondent aussitôt : « Vous sortez des limites de la science, ce n'est pas notre affaire : nous n'avons mission que d'indiquer comment se forment les richesses. » A la bonne heure; mais, dans ce cas, permettez qu'à notre tour, nous négligions quelques considérations économiques lorsqu'il s'agira des grands intérêts de la morale et du bonheur des peuples. Depuis les écrits de Smith et de MM. Say et Ricardo, on ne saurait sans doute refuser à l'économie politique les formes et les attributs d'une véritable science. Mais,

(1) Un écrivain habile et religieu➜(M. Decoux, l'un des collaborateurs de l'Avenir) semble destiné à remplir avec succès cette noble et vaste mission, si l'on peut en juger par le discours d'ouverture des conférences publiques d'économie politique qu'il avait commencées à Paris au mois de mars 1832, et que des circonstances particulières l'ont forcé d'interrompre.

pour faire admettre tous ses principes comme vrais et absolus, il leur reste encore à prouver qu'ils ont répandu le bien-être dans toutes les classes de la société humaine : or il est douteux qu'elle y parvienne jamais.

Résumons-nous sur les faits qui résultent de

cette controverse.

Le bonheur et la paix des nations ont décliné en raison de l'extension forcée de l'industrie et du développement exagéré d'une civilisation matérielle.

Le but de la société ne saurait être seulement la production des richesses; ce but est la plus grande diffusion possible de l'aisance, du bienêtre et de la morale parmi les hommes. Les théories de l'école anglaise ne sauraient y conduire : elles doivent donc se modifier ou faire place à des doctrines plus sûres.

:

Déjà nous l'avons fait remarquer, une nouvelle école d'économie politique apparaît, plus morale et plus humaine, qui s'occupe bien plus de l'aisance des individus que de la richesse de nations, et du bonheur de tous que de la propriété de quelques classes; qui cherche enfin à rendre à chaque homme la dignité, la liberté et la portion de bienêtre qui lui appartiennent sur la terre. Mais, pour atteindre ce but généreux, il lui reste encore un pas à faire c'est de confondre et d'unir étroitement, par un anneau indissoluble, la science des richesses matérielles avec la science des richesses morales; c'est, en un mot, de prendre pour base le grand élément civilisateur, le christianisme (1); car n'est-ce pas lui surtout qu'il faut invoquer, lorsqu'il s'agit d'apaiser les souffrances de la grande société humaine? En effet, les maux de l'humanité, presque tous inhérents à la destinée religieuse de l'homme, ne peuvent s'expliquer que par la religion comme ils ne sauraient se guérir que par elle.

Nous voudrions n'avoir pas à répéter des vérités vulgaires; mais il faut bien le redire, puisqu'on semble l'avoir totalement oublié : la religion chré

C'est avec un vif sentiment d'intérêt et de satisfaction que nous l'avons vu embrasser la belle carrière dont nous ne parcourons aujourd'hui qu'une partie. Nous nous sommes trouvé heureux d'apercevoir la plus grande analogie entre ses idées et les nôtres. On a vu que nous avons profité de plusieurs de ses observations dans cette introduction de notre ouvrage.

tienne, loin de s'opposer au développement de la fortune publique, au perfectionnement des sciences, à l'introduction des usages et des découvertes qui rendent le vie plus commode (1), enfin aux progrès de l'utile, les encourage en prêchant constamment le respect du droit de propriété, l'amour et la nécessité du travail et de l'ordre. La religion se prête à l'éclat des arts et à la magnificence des villes elle excite à l'esprit d'association, au perfectionnement de l'agriculture et de l'industrie, et par conséquent à la production de la richesse. Seulement, et par un bienfait plus grand encore, elle apprend à régler toutes les jouissances; elle leur donne un caractère de pureté, de paix et de durée que l'on chercherait vainement en dehors de ses préceptes. Elle leur enlève toute source de regrets; elle enseigne à écarter de nos plaisirs ce qui pourrait nuire à nous-mêmes et aux autres; elle recommande tout ce qui peut rendre le travail plus prospère, l'économie plus utile, la santé plus vigoureuse, les relations des hommes sûres, pacifiques et en quelque sorte fraternelles : elle veut que la richesse et le bonheur soient répartis plus également entre tous les hommes, soit au moyen de la justice et de la charité chez les riches, soit au moyen du travail et de la prévoyance chez les pauvres; elle veut enfin que les liens sociaux soient respectés, que l'autorité légitime soit toujours reconnue et obéie, que chaque homme contribue suivant ses moyens au bonheur de ses semblables, et que l'ambition de tous soit dirigée vers le véritable bonheur de

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Non, assurément, une religion qui a inspiré Corneille, Racine, Châteaubriand, Lamartine, et tant d'autres grands poëtes et écrivains, ne condamne pas les sublimes jouissances de l'âme et de l'intelligence. Mais elle connaît l'homme, elle connait ses passions et ses faiblesses, et comme elle redoute leur entraînement, elle doit recommander de ne pas s'y livrer. Or, par exemple, que les hommes de bonne foi, parmi ceux qui fréquentent la plupart des spectacles dans les temps où nous vivons, nous disent si c'est bien là l'école des bonnes mœurs, de la sagesse et de la vertu ; si c'est là qu'on apprend à conserver la pureté de la pensée, la paix de l'âme, la modération dans ses désirs, le goût du travail, de l'étude, de la vie intérieure, enfin le bonheur qu'assure la pratique de la vertu? S'ils répondent affirmativement, nous reprocherons à la religion d'avoir inconsidérément averti les chrétiens des dangers et des abus qu'offrent les spectacles. Mais s'ils n'osent affirmer, nous la tiendrons pour prudente et charitable.

La religion ne blâme et ne craint point les travaux hardis de l'intelligence lorsqu'ils ont pour but d'étendre le domaine du vrai et de l'utile. Elle a applaudi aux découvertes de Newton, de Descartes, de Leibnitz, de Watt, aux illustres travaux des Laplace, des Delambre, des Lavoisier et des Cuvier. Mais si elle aperçoit le danger ou l'intention d'ébranler des vérités sacrées et des croyances salutaires, et d'introduire dans les esprits des doctrines propres à renverser l'ordre social, sentinelle vigilante du bonheur et du salut des hommes, gardienne des vertus et de la vérité éternelle, elle

doit avertir ou blâmer.

Bien loin de s'opposer aux progrès des arts utiles, et même des arts libéraux, la religion les a toujours honorés et encouragés. Ce qu'elle repousse, c'est l'abus, c'est ce qui peut nuire aux hommes, soit dans leur existence physique, soit surtout dans leur condition morale. Chargée de leur destinée religieuse, elle ne saurait les perdre de vue, sous ce rapport, sans cesser d'être ellemême.

La religion a travaillé constamment au développement de l'intelligence. Elle ne redoute point l'instruction du peuple, car elle sait que les lumières veritables et complètes conduisent à la religion;

mais elle doit vouloir que l'on écarte de leur enseignement ce qui peut troubler l'ordre social et porter atteinte à la pureté de la morale et de la foi. Doit-on lui en faire un reproche, et qui osera le lui adresser, sinon les hommes qui ont intérêt à détruire l'ordre et la morale publique ?

La religion chrétienne est incontestablement la seule base d'un état social conforme à la nature de l'homme. Ce n'est qu'avec elle et par elle que l'esprit peut s'éclairer sans danger pour le cœur, le travail suffire aux besoins de tous, la paix régner toujours entre les riches et les pauvres, et la civilisation suivre ses progrès sans manquer ou dépasser le but qui lui est assigné dans la destinée de la race humaine, celui de rapprocher l'homme déchu de sa condition primitive (1). Dans l'ordre matériel lui-même, l'établissement de la morale évangélique fut le progrès le plus étonnant du genre humain. Le christianisme, aujourd'hui comme à son origine, renferme encore le germe de tous les progrès de l'avenir; loin d'être contraire à ces progrès, il les hâte, mais il les règle.

Enfin (et, dans l'objet qui nous occupe, c'est une considération immense), la religion n'est autre chose que la charité elle-même et l'unique base sur laquelle on puisse asseoir désormais la grande réformation de l'indigence. A ce titre seul n'auraitelle pas droit à tous les hommages?

En effet, tous les moyens d'améliorer le sort du pauvre ont été indiqués ou plutôt impérieusement commandés par le christianisme. Longtemps il a seul suffi aux besoins des classes indigentes, malgré le vice et les abus des institutions. Aujourd'hui, les changements subis par la grande société européenne, en multipliant les causes de l'indigence, forcent de recourir de nouveau et plus instamment que jamais à la source inépuisable et

(1)« L'espèce humaine suit une ligne progressive dans la civilisation, alors même qu'elle semble rétrograder. L'homme tend à une perfection indéfinie. Il est loin d'être remonté aux sublimes hauteurs dont les traditions religieuses de tous les peuples nous apprennent qu'il est descendu; mais il ne cesse de gravir la pente escarpée de ce Sinaï inconnu au sommet duquel il reverra Dieu. La société, en avançant, accomplit certaines transformations générales, et nous sommes arrivés à l'un de ces grands changements de l'espèce humaine. -- Sur les sociétés qui meurent sans cesse, une société vit sans cesse. Les hommes tombent, l'homme reste debout, enrichi de tout ce que ses devanciers lui ont transmis, couronné de toutes les lumières, orné de tous les présents des àges, géant qui croît toujours,

féconde de la charité. Il faut à la bienfaisance un surcroît de forces et de lumières; il faut au travail une nouvelle énergie morale; aux privations, une résignation encore plus courageuse. Le sentiment religieux peut seul les leur donner; et si l'excès de la population semblait exiger réellement les sacrifices que conseille l'économie politique, ce serait encore à la religion à les inspirer et à les obtenir.

Avant que les grandes révolutions civiles et religieuses de la France et de l'Angleterre eussent enlevé au clergé catholique ses biens et son influence, le sacerdoce était à peu près exclusivement chargé du soin des pauvres et des malheureux : la religion leur donnait encore plus encore que du pain ; elle leur donnait une nourriture morale. Du moment où, privé de ses dotations et de son rang dans l'état, il a dû demeurer, en quelque sorte, étranger à l'administration de la charité publique, le poids énorme de l'indigence privée de tout aliment moral a fondu tout entier sur les gouvernements. De là vient que, depuis la réforme, dans les états protestants, et, en France, depuis la révolution de 1789, le paupérisme, développé par l'accroissement des classes ouvrières (résultat inévitable de l'extension indéfinie donnée à la production industrielle), par les vicissitudes du commerce, par la corruption des mœurs et par le renversement d'institutions utiles, est devenu un fardeau qui a exigé la création d'une taxe des pauvres en Angleterre, et qui commence à devenir intolérable et alarmant dans quelques états de l'Europe, et même en France. C'est en vain que les gouvernements se sont efforcés de propager l'instruction et d'exciter l'industrie. Il fallait, avant tout, rendre au travail son principe moral, et donner à l'industrie une direction plus humaine et plus sociale; il fallait surtout répandre dans tous

toujours, toujours, et dont le front montant dans les cieux ne s'arrêtera qu'à la hauteur du trône de l'Éternel. » (Châteaubriand, Préface des Études historiques.)

Si l'on pouvait hasarder des conjectures sur un avenir que la main de Dieu nous a caché, nous oserions ajouter à la pensée de l'illustre écrivain que l'épreuve imposée à l'homme sur la terre durera jusqu'au moment où, par le développement progressif de son intelligence et de ses vertus, la race humaine tout entière sera redevenue digne de voir Dieu face à face, et de rentrer ainsi dans tous les biens dont la faute originelle l'a fait déchoir. C'est alors que les temps seront accomplis.... Mais, hélas! cette époque paraît encore bien loin de nous....

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