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CHAPITRE VIII.

DES HOSPICES D'INFIRMES ET DE VIEILLARDS.

Nos observations sur l'avantage de traiter les indigents malades à domicile et au moyen des dispensaires, préférablement à leur admission dans les hôpitaux, s'appliquent avec plus de force aux soins à donner aux vieillards et aux infirmes. Il faut sans doute que les malheureux que les infirmités ou la caducité de l'âge réduisent à l'impossibilité de travailler, et qui n'ont point de famille pour les soigner, soient admis dans un asile charitable; mais il nous semble juste et moral de laisser aux enfants et aux parents proches le soin de pourvoir à l'existence de ceux envers lesquels la nature, la religion et les lois leur commandent de l'exercer. La charité publique pourrait leur accorder, en cas d'indigence constatée, un secours à domicile.

Il serait convenable également d'ordonner, pour l'avenir, qu'aucun ouvrier ne pût être admis dans un hospice, pour cause d'extrême vieillesse, qu'autant qu'il aurait constamment placé des épargnes, compatibles avec son salaire, dans les caisses de prévoyance établies dans la ville de sa résidence.

Nous avons déjà fait observer combien la perspective assurée aux ouvriers, à la fin de leur carrière, d'être reçus sans condition dans un hospice, tend nécessairement à leur enlever toute idée d'économie et de prévoyance pour leurs vieux jours. En même temps, elle affaiblit dans leur cœur et dans celui de leurs enfants les sentiments d'affection, de respect et de devoirs mutuels qui se rattachent aux noms de père et de fils. Elle détruit les liens moraux les plus sacrés et les plus nécessaires à l'ordre social. On voit trop souvent des enfants dénaturés refuser de rendre à un père âgé ou infirme les soins que demandent la voix du sang, la reconnaissance et les préceptes de la religion. Les lois punissent cet attentat. Il faut que les mœurs publiques le repoussent non moins fortement; et pour cela il est important que la charité publique n'agisse pas dans un but contraire.

Non moins dignes de pleurs quand le sort les offense,
La débile vieillesse et la fragile enfance.
Un enfant, un vieillard ! qui peut les voir souffrir?
L'un ne fait que de naître, et l'autre va mourir.
(DELILLE.)

Sous le rapport économique, il y aurait double avantage à secourir le vieillard indigent au sein de sa famille indigente. Dans la vie de famille, on tire encore parti d'un reste de force, et ceci s'applique aux vieillards comme à un grand nombre d'infirmes, car toutes les infirmités n'entraînent pas incapacité absolue pour le travail. La famille est une société naturelle où chacun met sa part de contribution aux soins du ménage, où l'un supplée à l'autre. Le vieillard ou l'infirme peut garder les enfants, la maison, etc., ou rendre beaucoup d'autres petits services, surtout à la campagne.

Dans tous les cas, les secours à domicile devraient être préférés, sous le rapport de l'économie et de la charité, puisque la pension d'un vieillard à l'hospice peut en faire subsister trois ou quatre dans leurs familles.

Ainsi, il est dans les intérêts de tous de n'ouvrir aux vieillards la porte des hospices que lorsque les soins de famille leur manquent absolument. Dans le cas même où le vieillard n'aurait pas une famille à lui, il faudrait essayer de lui en trouver une adoptive, qui consentît à s'en charger.

A Genève, au lieu de recevoir les vieillards dans les hospices, on les met en pension à la campagne. Cette méthode est excellente, et doit être employée partout où les localités et les mœurs permettent de la mettre en usage avec de suffisantes garanties. On a vu, dans les premiers volumes de cet ouvrage, qu'un système analogue avait été adopté dans quelques communes du département du Nord, mais que son application était devenue aussi abusive qu'inconvenante. Non-seulement on mettait en pension des vieillards qui pouvaient et devaient être soignés par leurs enfants, mais encore c'était au rabais et dans une adjudication publique que l'on fixait la pension du vieillard infortuné. Nous dûmes proscrire cette coutume immorale, et ordonner que désormais les vieillards fussent placés de gré à gré

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Les hospices d'aliénés sont d'une nature mixte, puisqu'ils reposent sur le double principe de la charité et de la sécurité publique. Néanmoins ils doivent être rangés dans la classe des établissements hospitaliers, et régis d'après les mêmes principes. Les congrégations religieuses d'hommes ou de femmes, sous la direction de médecins éclairés, sont éminemment propres aux soins que réclament les infortunés que le sort a privés de la raison et de l'intelligence, car ces soins doivent être constamment empreints de douceur et de charité.

Du reste, il est à espérer que le matériel de ces hospices et le mode de traitement de l'aliénation pourront répondre tôt ou tard aux efforts du gouvernement et aux voeux des hommes éclairés et philanthropes. Des modèles parfaits existent à cet égard en France : il ne s'agit que de les imiter.

Un point important, sur lequel nous devons ap

Non loin est un mortel que la mélancolie
Ou l'affreux désespoir a frappé de folie.
Pouvez-vous sans pitié pour son malheur affreux
Comme un vil criminel punir un malheureux ?...
Ah! si le ciel a mis la pitié dans votre âme,
Pour ces infortunés ma muse la réclame.
(DELILLE.)

peler l'attention de l'autorité publique, c'est la légalité de l'admission des aliénés dans les établissements publics et particuliers. Trop souvent ces malheureux y sont conduits sans qu'aucune des formes protectrices prescrites par les lois ait été observée. Nous pourrions citer telle grande ville du royaume où la majeure partie des aliénés, placés dans un quartier de l'hôpital général, avaient été reçus sans jugement des tribunaux, sans enquête de l'autorité compétente; et un tel ordre de choses existait depuis un grand nombre d'an

nées !.....

En principe, la famille doit subvenir à l'entretien de l'aliéné dans l'hospice. Si elle est dans l'indigence, les départements ou les communes y pourvoient en tout ou en partie. Ce système ne semble devoir entraîner aucun inconvénient moral ou économique. Il suffit d'empêcher les abus.

Il existe en France, d'après les renseignements | supportée par les familles. Des sociétés de bienfaistatistiques, 11,000 aliénés, sur lesquels il faut compter au moins 7,500 indigents. La dépense annuelle d'entretien doit s'élever, pour chacun d'eux, à environ 300 fr. Ainsi, la dépense totale serait de 2,250,000 fr., dont une grande partie peut être

sance, appliquées au soulagement moral des aliénés, auraient un but aussi charitable qu'utile. On ne peut donc qu'exprimer le vœu de les voir se former et s'étendre partout où les besoins peuvent l'exiger.

CHAPITRE X.

DES MAISONS D'AVEUGLES ET DE SOURDS-MUETS.

Les aveugles et les sourds-muets indigents se trouvent placés, par le malheur de leur destinée, dans cette catégorie d'êtres infortunés auxquels la charité et l'économie politique reconnaissent, d'un commun accord, que la société doit secours et protection. Ils doivent donc être mis au rang des indigents dont l'état doit se charger, au moins pour leur instruction morale et industrielle, sauf à les rendre ensuite à leurs familles.

L'expérience a prouvé que les aveugles pouvaient acquérir, dans certains métiers, une assez grande capacité pour gagner leur vie au moyen d'un apprentissage suffisant. La belle institution de Paris a résolu ce problème si intéressant pour l'humanité.

Dans votre luxe, ingrats! trompant la Providence,
N'épuisez donc pas seuls votre injuste abondance.
Aux droits de votre sang sacrifiez vos droits,
Et corrigez le ciel, le hasard et les lois.
(DELILLE.)

Les observations qui précèdent s'appliquent aux sourds - muets, dont le nombre, en France, est évalué à environ 20,000, sur lesquels le quart appartient à la classe indigente ou malaisée.

On ne saurait trop réclamer, de la charité publique, la création, au moins, dans chaque cheflieu de département ou d'ancienne province, d'un établissement spécial en faveur des jeunes aveugles et des sourds-muets (1). Les villes et les départements devraient être chargés d'y entretenir gratuitement, pendant le temps nécessaire, ceux reconnus susceptibles de recevoir une instruction suffisante, et dont les familles seraient dans une indigence notoire et constatée.

L'esprit d'association charitable pourrait se di

Il serait donc convenable que chaque départe-riger avec fruit vers une œuvre aussi recommanment du royaume envoyât dans cette maison quel-dable. ques jeunes aveugles qui, après s'y être instruits dans les différentes parties qu'on y enseigne, pourraient à leur tour, enseigner la même industrie à leurs compagnons d'infortune.

On calcule qu'il existe en France environ 3,050 aveugles susceptibles de recevoir l'instruction. Sur ce nombre, 2,000 à 2,500 devraient être admis gratuitement dans les instituts spéciaux, à cause de l'indigence de leurs familles.

Il s'agirait d'entretenir annuellement :
1o Jeunes aveugles indigents, 2,500.
2o Jeunes sourds-muets de naissance, 5,000
La pension est évaluée à 500 fr. par an.

Ainsi la dépense totale s'élèverait à 5,750,000 fr.

(1) L'éducation des jeunes sourds-muets comprendrait l'enseignement des vérités religieuses, d'après les plans de monseigneur d'Astros, archevêque de Toulouse.

(Voir le chapitre XIV du livre III, page 305 et suivantes.

CHAPITRE XI.

DES HOSPICES D'ORPHELINS ET D'ENFANTS ABANDONNÉS.

Le droit des orphelins et des enfants abandonnés indigents, à l'assistance publique, est inscrit en caractère trop manifeste dans le code de la religion et de la charité, pour qu'il soit permis de le révoquer en doute. La seule question qui se pré sente à leur égard est celle de savoir s'il est préférable de les recevoir et de les conserver dans des hospices spéciaux, ou de chercher à leur donner une famille, en les plaçant en pension chez des maîtres ouvriers ou chez d'honnêtes cultivateurs.

Nous ferons remarquer à ce sujet que les motifs qui engagent à laisser les veillards pauvres ou infirmes dans leurs familles, lorsqu'ils en possèdent une, et à se borner en leur faveur à des secours à domicile, ne peuvent s'appliquer entièrement à des enfants auxquels il est plus humain, plus moral, et enfin plus utile, sous le rapport de la société, de donner les moyens de pourvoir un jour par eux-mêmes à leur existence. Nous pensons donc que ce n'est qu'après leur avoir procuré l'éducation morale et l'instruction nécessaires, par les soins de nos admirables hospitalières, qu'il faudrait chercher à confier définitivement ces enfants aux soins d'une famille adoptive. Les mesures suivies à ce sujet en Angleterre, et qui sont communes aux enfants trouvés, nous paraissent très-sages, et méritent d'être prises pour modèles.

Visitate pupillos in tribulatione eorum.

de cinq ans alors ils reviennent à l'hospice des orphelins pour y recevoir les premiers principes d'une instruction élémentaire. A quatorze ans, on les met en apprentissage chez d'honnêtes maîtres ouvriers ou fermiers, avec la condition expresse qu'on veillera alternativement à la pratique de leurs devoirs religieux. Ce système nous paraîtrait susceptible d'être pratiqué en France; mais nous demanderions que la préférence fut toujours donnée à l'agriculture sur toutes les professions industrielles à enseigner aux enfants.

Réserver spécialement les orphelins et les enfants abandonnés robustes à la carrière des armes, comme cela se pratique dans quelques états, serait une disposition contraire à nos lois. Elle nous semble également opposée aux principes d'une véritable charité. Ainsi nous nous abstiendrons d'en examiner les avantages.

D'après des renseignements statistiques, il doit exister en France 18,000 orphelins ou enfants abandonnés, dont la dépense individuelle peut être calculée à environ 85 fr. par an. La somme totale s'élève à 1,360,000 fr.

Le soulagement des enfants orphelins ou abandonnés nous paraît devoir exciter à juste titre les efforts des associations de charité. L'on peut donc concevoir l'espérance de ne pas les voir demeurer étran

Ces enfants demeurent en nourrice jusqu'à l'âge gères à cette œuvre si éminemment pieuse et utile.

CHAPITRE XII.

DES HOSPICES D'ENFANTS TROUVÉS.

Qui susceperit parvulum talem In nomine meo, me suscepit. (SAINT MATH.)

Les mesures qui pourraient diminuer le nombre des enfants trouvés, et prévenir les abus de leur admission dans les hospices, appartiennent à des considérations de morale et de législation que nous examinerons ailleurs. Nous ne considérerons donc en ce moment les hospices d'enfants trouvés que dans leur rapport avee le bien-être et l'avenir de ces enfants.

A cet égard, nous pensons que les principes adoptés pour les orphelins et les enfants abandonnés leur sont entièrement applicables.

Ainsi, pendant les six premières années, ils devraient être confiés, comme ils le sont en général aujourd'hui, aux soins de bonnes nourrices, ou, à leur défaut, de sœurs hospitalières; de six à quatorze ans, instruits dans la religion et dans les notions élémentaires qui peuvent leur être utiles; à quatorze ans, placés en apprentissage, et, de préférence, suivant leur force et leur aptitude, chez des fermiers ou cultivateurs, et avec les garanties suffisantes qu'ils recevront des principes et des exemples salutaires.

Notre législation s'oppose à ce que ces enfants. soient exclusivement dévoués à servir l'état dans la carrière des armes. Nous n'avons pas non plus à leur accorder la liberté, comme en Russie, ni la noblesse, comme en Espagne. Des philanthropes estimables désireraient qu'on dirigeât leur éducation vers les sciences, les arts ou les professions libérales. Nous ne partageons pas leur avis, tout en rendant justice aux motifs qui l'ont dicté. Sans doute, si, parmi ces enfants, il s'en trouvait quelqu'un qui annonçât des dispositions extraordinaires, il faudrait s'empresser de cultiver avec soin et de favoriser par l'éducation le développement de ces dons la nature n'accorde que rarement; mais, hors que de ces cas particuliers, nous ne pensons pas que l'état doive faire plus, pour ces enfants, que ce qu'il pourrait faire pour ceux de la classe indigente à laquelle ils appartiennent.

Il est d'ailleurs d'une haute moralité que le préjugé défavorable attaché à leur naissance illégitime ne soit pas entièrement détruit. La condition la plus humble, compatible avec un bonheur réel, est donc ce qui leur convient le mieux, parce qu'elle les expose moins qu'une autre à des blessures de vanité et d'amour-propre. Cette condition, ils la trouveront surtout dans l'agriculture; et c'est pour ce motif, autant que par de nombreuses considérations d'économie sociale, que nous désirerions voir transformer les maisons d'enfants trouvés en institutions agricoles, ainsi que nous aurons l'occasion de l'exposer dans la dernière partie de cet ouvrage.

En Angleterre, l'on a établi en principe, qu'aucun enfant, fruit d'une union illégitime, ne serait admis dans les institutions de charité fondées par l'état ou les particuliers. Les enfants exposés sont recueillis sans doute, mais entretenus comme orphelins. Ce système nous semble parfaitement se concilier avec les lois de la charité qui doivent toujours être empreintes du respect dû à la moralité publique. Nous conseillerions de l'introduire en France, avec la condition, toutefois, que les précautions les plus exactes fussent prises pour que jamais un orphelin ou un enfant abandonné, de parents légitimes et connus, ne pût être confondu, dans le reste de sa vie sociale, avec les enfants illégitimes.

Les jeunes enfants, adoptés par la charité, sont en Angleterre, l'objet d'une foule d'associations de bienfaisance qui s'occupent spécialement des moyens de leur procurer de l'instruction et un avenir heureux. Sans doute de semblables associations se formeraient en France, si une impulsion suffisante était donnée à la charité particulière. Pour satisfaire de généreuses et libérales intentions, nous émettrons le vœu qu'une société de personnes charitables et amies des lumières, s'occupât spécialement de rechercher, parmi les orphelins, les enfants

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