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COUP D'EIL SUR LES INSTITUȚIONS RELATIVES AUX INDIGENTS HORS D'État de travAILLER.

Je vole aux asiles pieux

Où la tendre pitié, pour adoucir leurs peines, Joint les secours divins aux charités humaines.

(DELILLE.)

Les institutions dont nous venons de nous occuper, complètent la série de celles qui s'appliquent aux indigents hors d'état de travailler. Ceux-ci, ne pouvant accomplir la loi sociale du travail, devaient avoir pour protectrice la loi céleste de la charité, et ici, non-seulement la charité particulière était appelée à leurs secours, mais encore la charité publique et légale devait intervenir comme tutrice naturelle de ces membres de la société devenus mineurs.

Sans doute, dans le nombre de ces malheureux, il peut s'en trouver qui soient tombés dans l'infortune par leur faute, et que la sagesse, la modération, l'économie, la prévoyance, eussent préservés de ce déplorable état d'abjection et de misère. Mais la société, en abandonnant les principes de la religion et de la morale, en négligeant de répandre l'instruction, en laissant se propager les pernicieuses doctrines de la philosophie matérielle, en donnant elle-même de si funestes exemples, n'a-t-elle pas contribué à leur malheur? Jusqu'à ce jour, elle a tenu trop peu de compte, dans la théorie et la pratique de l'économie politique, de l'influence des vertus morales. Peut-elle se plaindre de ce que la classe indigente en soit dépourvue? D'ailleurs, dans le système actuel de l'industrie, l'insuffisance des salaires est en quelque sorte consacrée ; peutelle se concilier avec l'épargne?

Ainsi, soit par des motifs de charité, soit par des motifs de justice, la charité légale devait s'occuper du soulagement des indigents hors d'état de travailler. Pour ceux-là, nous avons reconnu, sinon

le droit à l'assistance obligée de la part de l'état, du moins celui de l'assistance de la charité exercée au nom de l'état.

Nous pensons que ce droit est imprescriptible. Toutefois, il doit être satisfait avec les réserves que prescrit la prudence.

C'est dans ce but que nous avons demandé :

1° Que tout ouvrier malade, ou vieillard, ou infirme, ne fût admis dans les hôpitaux ou dans les hospices, qu'à défaut d'impossibilité d'être soigné dans sa propre famille.

2o Qu'il fût exigé, de tout ouvrier admis aux secours publics, la preuve qu'il a placé dans les caisses d'épargnes ou de prévoyance la portion disponible de son salaire.

5o Qu'aucun individu marié ne soit admis aux secours publics, sans avoir justifié que son union est légitime.

Pour donner à la charité légale un caractère plus marqué de liberté et d'indépendance, nous avons indiqué, comme auxiliaire de chaque institution, des associations volontaires de bienfaisance. Nous en réclamons pour les malades, les vieillards estropiés, les femmes en couches, les aliénés, les enfants orphelins, abandonnés et trouvés, les aveugles, les sourds-muets, enfin pour chaque classe de malheureux. Il importe essentiellement que l'assistance légale soit toujours exercée par les ministres volontaires de la charité. C'est ainsi que le droit du pauvre, reconnu en fait, se confond aux yeux de tous, dans la pratique d'une charité libre et volontaire. C'était là la difficulté du problème,

et il nous semble qu'elle peut être ainsi résolue. | générale que peut entraîner ce système des secours En terminant ces observations, il convient de se publics. On en trouvera la récapitulation dans le rendre compte, du moins par aperçu, de la dépense tableau ci-après.

TABLEAU des dépenses annuelles occasionnées par le nouveau système d'organisation des secours publics en faveur des INDIGENTS HORS D'ÉTAT DE TRAVAILLER.

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Nota. 59,368,320 fr. répartis sur 32,000,000 habitants donnent 1 fr. 82 c. par individu. 207,000,000 fr. répartis sur 23,400,000 habitants donnent 8 fr. 85 c. par individu.

2,500,000 59,368,320 fr.

207,000,000
148,231,480 fr.

CHAPITRE XIV.

DES INSTITUTIONS RELATIVES AUX INDIGENTS QUI PEUVENT TRAVAILLER.

Dans notre manière de concevoir ce système des secours publics, les obligations de la charité nationale ou administrative s'arrêtent là où existe la capacité de travail. C'est là aussi que commencent les devoirs et les attributions de la charité libre et volontaire.

La carrière que celle-ci est appelée à parcourir est belle, mais est vaste et compliquée. Pour la remplir avec succès, il ne suffit pas seulement de secours matériels. L'intelligence, les lumières, le travail, la morale et la religion doivent se réunir pour procurer les immenses ressources qui devien

nent nécessaires.

L'école philanthropique anglaise veut que l'on s'adresse uniquement au travail et aux mesures qui arrêtent le principe de la population. Il faut examiner encore une fois si ce système est juste et praticable.

mais en

Pour que le travail puisse assurer l'existence d'une famille d'ouvriers, deux choses sont indispensables: d'abord, que la possibilité de trouver du travail existe; ensuite, que le salaire accordé à ce travail suffise, non-seulement à la nourriture et à l'entretien journalier de la famille, core à permettre des épargnes capables de pourvoir à des cas de maladie et d'accident, à l'éducation et à l'apprentissage des enfants, et enfin à soutenir l'ouvrier dans sa vieillesse. Si le travail n'obtient pas un tel salaire, il est évident qu'il faut suppléer d'une manière quelconque à son insuffisance.

Or, si le travail ne manque pas habituellement à l'ouvrier valide, il est de fait que, dans les grandes entreprises d'industrie manufacturière, laires ne sont pas assez élevés.

les sa

Ainsi, l'on est forcé de reconnaître en principe que, dans nos sociétés modernes, le travail ne suffit plus complétement à l'existence des ouvriers, et, par une conséquence forcée, que la charité

Plus on étudie les causes de l'indigence, et plus on reconnaît que le défaut d'éducation est celle qui fait le plus d'indigents, comme elle est, aussi, celle qui fait le plus de criminels.

(DEGERANDO, Visiteur du pauvre.)

doit fournir la portion d'existence que le travail ne donne pas.

L'école anglaise attribue l'insuffisance des salaires à la prodigalité et au défaut d'économie des beauouvriers. Il est, en effet, trop certain que coup d'ouvriers sont enclins à dépenser leurs profits en boissons et en débauches, et nous avons cité des exemples frappants de cette immoralité. Mais il faut remarquer que ce n'est pas leur superflu, portion susceptible d'être économisée, qui se consomme de cette manière : le plus souvent, c'est le nécessaire lui-même. Un ouvrier débauché se contente de pain pour pouvoir s'enivrer au cabaret de liqueurs fortes et malfaisantes.

la

Mais à quoi faut-il attribuer ces déplorables penchants? L'économie politique anglaise veut que les ouvriers aient beaucoup de besoins pour être cond'accord stamment excités au travail. Cette théorie, avec la philosophie, prétendue civilisatrice, da sensualisme, excite les ouvriers à l'amour de toutes les jouissances matérielles et à une consommation progressive. Il le faut, dit-elle, pour maintenir et accroître constamment le travail et la production.

Mais, d'un côté, la production ne peut s'étendre que par le bon marché des produits : la concurrence ne saurait se soutenir qu'à ce prix. De là découle la nécessité des procédés économiques, de la baisse des salaires. Or, comment consommer beaucoup lorsqu'on gagne peu? C'est un cercle vicieux où l'on arrive toujours forcément à des contradictions manifestes, et, ce qui est plus déplorable, à la nécessité de tenir les classes ouvrières dans un état permanent de dépendance et de misère.

L'insuffisance des salaires est donc une conséquence des principes de l'économie politique, comme la prodigalité des ouvriers l'est des préceptes de la philosophie sensuelle.

Bien plus, les deux théories provoquent égale

ment la surabondance de la population. Le penchant réciproque des deux sexes est une loi de la nature, la réunion des jeunes gens des deux sexes dans les manufactures favorise de bonne heure cet attrait puissant. Pour l'ouvrier qui passe la journée enfermé dans un atelier, le mariage devient un double besoin, et il est empressé de le satisfaire. Qui s'opposera à cette disposition? Ce n'est pas la philosophie matérielle qui invite aux jouissances terrestres, dont elle compose la destinée de l'homme. Ce ne sera pas l'économie politique, qui demande à voir s'accroître les besoins de l'ouvrier pour l'exciter incessamment au travail, et qui appelle la multiplication de la race ouvrière pour voir s'augmenter les instruments de la production à bon marché.

En vain cette philosophie économique place-t-elle l'instruction des ouvriers au premier rang des moyens d'amélioration du sort des classes ouvrières: il est évident que, dans l'application rigoureuse de ses théories, l'instruction populaire ne parviendrait pas à procurer plus de travail, ni un salaire plus élevé, et que les ouvriers pères de famille sont en quelque sorte dans l'impuissance de la procurer à leurs enfants.

Ce n'est donc point dans les principes ni dans la philanthropie de l'école économique anglaise que l'on peut trouver des remèdes et des secours contre des maux qu'elle tend au contraire à faire naître et à propager.

Il est heureusement une autre philosophie économique plus digne de notre confiance, parce que ses théories reposent sur d'éternelles vérités. Voici ce qu'elle nous apprend.

Le travail peut suffire à l'existence de l'homme valide, même avec un médiocre salaire, si cet homme est intelligent, laborieux, tempérant et économe, et si sa femme et ses enfants le sont comme lui. Mais, pour qu'il puisse acquérir les qualités dont la pratique est souvent pénible, il faut qu'elles lui soient inspirées. Pour qu'il les conserve, il faut qu'il en reconnaisse la nécessité rigoureuse. Pour lutter contre les penchants sensuels qui les combattent, il faut que des considé rations toutes puissantes lui servent d'appui. Il lui faut donc une croyance, une foi, une espérance; il lui faut une religion qui lui promette le prix de ses sacrifices non-seulement dans cette vie (car si tout se bornait pour lui à la vie terrestre, il ne comprendrait pas la nécessité de se priver des jouissances physiques), mais dans une vie meilleure et qui ne finira plus.

La philosophie chrétienne lui donne toutes ces lumières comme elle l'arme de toutes ces forces.

Elle lui enseigne, en effet, que le travail est une

obligation, comme il est une épreuve, comme il est, encore, un moyen de bonheur; elle place la sobriété, la modération des désirs, les sacrifices, au rang des vertus; elle excite le pauvre à développer son intelligence par le sentiment de sa dignité; elle le console dans le malheur de sa condition par une espérance sublime; enfin, si le travail honnête ne peut lui donner le nécessaire, elle appelle à son secours la charité.

Il est évident que, pour assurer l'existence d'une famille d'ouvriers ainsi préparés par la philosophie chrétienne, il ne sera plus besoin désormais que d'un salaire suffisant. Si cette famille ne peut le trouver, nous aurons le droit d'en accuser la société, ou plutôt la cupidité des suzerains de l'industrie.

De tels ouvriers se soumettront à l'épargne, et s'imposeront même pour cela les sacrifices compatibles avec les besoins de l'existence; ils ne se marieront qu'avec la certitude de ne pas rendre leur famille malheureuse; ils ne recourront à la charité qu'à l'extrémité dernière. Mais si, malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent vivre, nous les placerons entre les mains de la charité, qui, du moins, ne les repoussera pas.

De ces principes résulte la nécessité de rendre les ouvriers religieux avant tout; car le reste leur sera donné comme par surcroît. Or, les sentiments religieux doivent être inspirés au premier âge de la vie. Ainsi, c'est de l'enfance de cette classe malheureuse qu'il faut s'occuper.

A Genève, les institutions de bienfaisance s'emparent en quelque sorte du pauvre dès qu'il vient de naître; un établissement charitable réunit pendant le jour les enfants de deux à six ans qui seraient abandonnés de leurs parents, que des occupations appellent hors de chez eux. Dès que l'enfant est en âge d'apprendre, les écoles gratuites lui sont ouvertes. Là, non-seulement il apprend à lire, à écrire, à calculer, mais il reçoit l'apprentissage d'une profession industrielle. Une école rurale de pauvres forme une génération d'agriculteurs laborieux et sages qui seront suffisamment instruits. D'âge en âge, de condition en condition, l'ouvrier trouve, dans les institutions de bienfaisance, des secours habilement gradués pour correspondre à ses besoins jusqu'à la fin de sa carrière. Cet exemple, donné par une ville soumise exclusivement au régime municipal, qui exerce sa charité dans les bornes circonscrites d'une population bien connue, serait peut-être difficile à imiter complé tement dans un vaste royaume. Néanmoins, il nous semble que l'on peut établir pour les classes ouvrières de la France un système analogue de secours. Dans notre projet d'amélioration, nous prendrons

aussi l'indigent dans son enfance pour ne le quitter qu'au déclin de la vie. Nous nous efforcerons de lui donner d'abord un appui vigilant, ensuite des principes religieux assurés, et une instruction suffisante. Successivement, il acquerra l'aptitude

au travail, il acquerra le travail lui-même, et enfin la possibilité de se ménager des secours pour la vieillesse.

Tel est l'ordre que nous allons suivre, ou plutôt que nous indiquerons à la charité volontaire.

CHAPITRE XV.

DES ENFANTS DE LA CLASSE ouvrière.

Puisqu'il est vrai que, dans les sociétés modernes les plus avancées en industrie, le travail ne présente plus, aux classes ouvrières, un salaire qui leur permette d'entretenir suffisamment leurs familles et de faire des épargnes pour l'avenir, il faut que la charité supplée à cette insuffisance par des secours propres à donner, au travail plus de valeur, et à l'ouvrier plus de force et d'intelligence.

Ces secours doivent se diriger sur l'enfance de l'ouvrier, car cette époque est décisive pour son avenir. Nous avons vu que l'économie politique ne veut pas qu'on accoutume les familles ouvrières à compter sur la charité publique pour les soins et l'entretien de leurs enfants; elle craint que ce genre d'aumône n'encourage la population et n'étouffe le sentiment de la prévoyance. Mais nous avons reconnu aussi combien ces théories sont contradictoires, incomplètes, opposées à la nature de l'homme et à la loi de charité. Nous ne pouvons donc les prendre pour guide dans cette circonstance. Il nous semble que l'état a encore plus d'intérêt à posséder une population saine, robuste, morale et intelligente, qu'à arrêter l'essor de la population. En négligeant l'enfance de l'ouvrier, on s'expose à le voir un jour tomber à la charge de la société: en lui donnant des soins attentifs, on peut espérer qu'il pourra se suffire à lui-même. L'abandonner, ne rendra pas l'ouvrier père de famille plus prévoyant et plus moral. Ce sera seulement le rendre plus malheureux. Écoutons donc la voix de la charité, c'est un guide qui ne saurait tromper per

sonne.

Dans notre système, le bien est immédiat, positif, évident; le mal est douteux et éloigné. Dans le système économique, le mal est immédiat, positif,

Filii tibi sunt? Erudi illos et curva illos a pueritiâ illorum.

(Eccles.)

évident; le bien, éloigné et douteux. La raison ne permet donc pas d'hésiter.

Nous demandons, par conséquent, à la charité libre, d'entourer l'enfance de l'ouvrier indigent des soins les plus complets et les plus constants. Nous désirerions qu'il pût se former dans toutes les villes manufacturières et même dans chaque commune, une association spéciale dont l'objet serait de veiller à l'éducation physique des enfants de la classe indigente.

Nous supposons qu'avant tout, le nombre et la situation des ménages d'ouvriers indigents eussent été bien constatés, et que l'on en eût formé une liste exacte d'après laquelle l'association dirigerait ses efforts et chercherait à étendre ses ressources. Voici le cercle des devoirs que la société pourrait s'imposer:

1o Veiller à ce que chaque femme indigente en couches fût convenablement soignée pendant le temps nécessaire.

2o Assurer la bonne nourriture de l'enfant. Si la mère est d'une complexion faible ou malsaine, si elle n'a pas de lait, si elle est malade, lui indiquer et faciliter les moyens de faire nourrir son enfant, soit par une nourrice robuste soit par une chèvre, soit enfin au biberon.

3o Exiger et vérifier que l'enfant soit vacciné, tenu proprement, fréquemment lavé, qu'il n'habite pas de lieux bas, humides, insalubres; que ses vêtements soient propres, suffisamment chauds; qu'il soit couché à part; qu'on ne le laisse point errer dans les rues ni exposer à ces accidents que fait naître un défaut de surveillance, et qui rendent tant d'enfants débiles, infirmes ou estropiés pour le reste de leur vie.

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