Page images
PDF
EPUB

l'âme, qui est tout l'homme en dernier résultat, ne peut-être que de se rapprocher de la source de la perfection, c'est-à-dire de Dieu : l'homme doit y tendre sans cesse; là est pour lui la véritable, la suprême loi du progrès.

Mais cette loi n'abandonne pas l'homme physique, car les perfectionnements moraux assurent complétement l'amélioration de la vie terrestre. Nous l'avons déjà dit, et nous croyons l'avoir prouvé l'union du travail et de la charité suffiront pour le bonheur des hommes et pour l'ordre des sociétés, si les progrès de ces deux principes s'opèrent de concert et dans un but commun (1).

L'époque actuelle semble chercher le progrès en toutes choses les mots de progrès, progressif, sont dans toutes les bouches, dans tous les écrits. Cette tendance a ses avantages, mais elle a ses dangers. Le progrès n'est que le développement d'un principe vrai, juste, bon, utile, par conséquent immuable, et dont les conséquences doivent avoir les mêmes attributs. Tout autre prétendu progrès n'est qu'une erreur fatale et n'engendre que troubles et malheurs. C'est ainsi qu'en abusant des grands principes de liberté et d'égalité proclamés par le christianisme, on produit toujours la licence et l'anarchie. Changer ce qui existe, sous prétexte d'améliorer, est plus souvent une révolution qu'un progrès, et cependant un abîme immense sépare l'une de l'autre. Développer les vertus morales et sociales, refouler les vices et les passions mauvaises, tels sont les seuls progrès auxquels la société doit tendre sans cesse, si elle veut accomplir la loi de son perfectionnement.

L'homme périt. Les sociétés, qui périssent aussi à leur tour, peuvent cependant se perpétuer d'une manière indéfinie. Elles ont donc un principe de perfectionnement plus étendu, mais qui ne saurait être toutefois d'une nature différente; car, en définitive, les sociétés ne se composent que d'hommes, et la loi qui régit l'individu s'applique nécessairement aux individus identiques, réunis par le lien social: seulement cette loi embrasse alors les relations que les hommes sont appelés à former en

tre eux.

L'homme a une destinée religieuse. Pour l'accomplir, il doit tendre au progrès moral. Les sociétés sont soumises aux mêmes lois, car, elles aussi, ont une destinée religieuse.

che l'homme de sa destinée religieuse, constituent donc la véritable civilisation.

Celle-ci ne consiste pas uniquement dans le raffinement des arts, ni dans la plus grande culture des sciences, mais dans l'égalité civile que le christianisme seul a établie, dans la douceur des mœurs générales, dans la générosité du droit public et des gens, dans la diffusion de la charité, dans la propagation du sentiment religieux, c'est-à-dire de ce qui est bon, juste et vrai.

De toutes parts, aujourd'hui, on invoque le progrès on demande à avancer en civilisation. Mais sur ces points on est bien loin de s'entendre, parce que le but n'est ni compris, ni déterminé. Les deux grandes sectes philosophiques demandent également les progrès de la civilisation sociale; mais chacune les veut conformes à ses principes. Il faut cependant choisir.

L'école sensualiste ne s'occupe que du perfectionnement de l'état physique de l'homme; elle cherche à persuader que la perfection morale naîtra infailliblement de l'augmentation des richesses matérielles; que l'accroissement du bien-être de l'individu le ramènera à la dignité de sa propre nature; que le bonheur matériel conduit à la morale pratique : qu'ainsi tous les efforts des sociétés doivent avoir pour but principal d'améliorer la condition physique de la race humaine. Les progrès des arts, des sciences, de l'industrie, le développement de l'intelligence, la réforme des institutions politiques, produiront ce résultat, qu'il faut obtenir à tout prix, fût-ce même par le malheur de quelques générations. C'est en effet ainsi, ou à peu près, que se résument les doctrines du matérialisme philosophique et économique, et qu'elles entendent le but des sociétés et les progrès de la civilisation.

Mais la destinée de l'homme est-elle purement sociale? La société épuise-t-elle ou absorbe-t-elle l'homme tout entier, ou bien porte-t-il en lui quelque chose d'étranger, de supérieur à son existence sur la terre?« Cette question, dit un professeur d'histoire moderne (2), se rencontre à la fin de l'histoire de la civilisation. Quand l'histoire de la civilisation est épuisée, quand il n'y a plus rien à dire de la vie actuelle, l'homme se demande invinciblement, si tout est épuisé, s'il est à la fin de tout? Ceci, ajoute-t-il, est donc le dernier pro

Les progrès de la société vers le but qui rappro- blème, et le plus élevé de tous ceux auxquels l'his

(1) « Loin de faire rétrograder la science, le christianisme, débrouillant le chaos de notre être, a montré que la race humaine, qu'on supposait arrivée à la virilité chez les anciens, n'était encore qu'au berceau. Le christianisme croit et marche avec le temps: lumière quand il se mêle aux facultés de l'esprit, sentiment quand il s'associe aux mouvements de l'âme. Mo

dérateur des peuples et des rois, il ne combat que les excès du
pouvoir, de quelque part qu'ils viennent. C'est sur la morale
évangélique, raison supérieure, que s'appuie la raison natu-
relle dans son ascension vers le but qu'elle n'a pas encore at-
teint, » (Châteaubriand, Études historiques.)
(2) M. Guizot.

[merged small][ocr errors]

A cette question, un illustre publiciste (1) a fait cette réponse remarquable : « Les sociétés naissent, vivent et meurent sur la terre. Là, s'accomplissent leurs destinées; mais elles ne constituent pas l'homme tout entier. Après qu'il s'est engagé à la société, il lui reste la plus noble partie de lui-même, ces hautes facultés par lesquelles il s'élève jusqu'à Dieu, à une vie future, à des biens inconnus, dans un monde invisible: nous, personnes individuelles et identiques, véritables êtres doués de l'immortalité, nous devons avoir une autre destinée que les états. »

Cette conclusion, si parfaitement juste, laisse pourtant indécise la question de la destinée et du but des sociétés humaines, et par conséquent du véritable progrès auquel elles doivent aspirer. Or, cette question, la philosophie religieuse peut seule la résoudre.

La destinée des sociétés ne saurait être que de rendre les hommes plus heureux et plus parfaits par la pratique et le développement des vertus chrétiennes. Ces vertus s'appliquent essentiellement à l'homme social, et la société n'est que le théâtre où elles doivent s'exercer sans cesse. La charité n'existe même pleinement que pour la société, puisqu'elle serait sans but si l'homme était seul et isolé. Ainsi, travailler à rendre la vie plus commode et plus douce pour tous, par le progrès des arts, des sciences, de l'industrie et des institutions, mais en même temps propager dans tous les lieux et dans tous les cœurs la justice, la bienveillance, la charité, la religion; ainsi, rendre à la fois les hommes dignes du bonheur immortel qui leur est promis, et adoucir la rigueur de leur épreuve terrestre: telle est la destinée des sociétés, tel est le but de tout progrès, telle est la voie de la véritable civilisation; la raison, comme le sentiment, comme la révélation, nous dit qu'il ne saurait en exister d'autres.

Ces vérités, que l'on ne saurait contester, forment tout le fondement du christianisme. Aussi l'homme parfait, la société parfaite, se trouveraient nécessairement dans une société de véritables chrétiens. Si les passions humaines, qui combattent perpétuellement la diffusion de la morale évangé lique dans tous les cœurs, n'avaient arrêté ou amorti l'essor de ce principe sublime, il est probable que nous aurions déjà atteint le terme et la réalisation complète de la loi du progrès moral comme du progrès matériel. L'époque où nous y parviendrons est le secret de la Providence, et nous ne devons pas chercher à le pénétrer. Toutefois, plus la vie du genre humain s'avance, plus

|

le moment doit se rapprocher où les sociétés, éclairées par de longues souffrances, détrompées de funestes illusions, et persuadées qu'elles ont marché jusqu'ici dans une fausse voie, dirigeront leurs pas et leurs efforts vers la route lumineuse tracée par le christianisme. C'est après de grandes commotions sociales que le besoin de l'ordre, de la justice, de la charité, se fait surtout sentir, et que les nations demandent à se réfugier sous ces

abris tutélaires.

La situation politique de la France et de l'Europe semble plus que jamais reporter les esprits et les cœurs vers la nécessité d'une grande amélioration morale. Or, la conviction d'une telle nécessité est toujours plus ou moins l'indice d'un progrès prochain. Cette vérité a été pressentie par d'illustres écrivains, au rang desquels on est heureux de compter le plus grand de nos poëtes modernes.

« Nous sommes à une des plus fortes époques que le genre humain ait à franchir pour avancer vers le but de sa destinée divine, à une époque de rénovation et de transformation, pareille peutêtre à l'époque évangélique. La franchirons-nous sans périr?

« Où allons-nous? La réponse est tout entière dans le fait actuel nous allons à une des plus sublimes haltes de l'humanité, à une organisation complète de l'ordre social, sur le principe de liberté d'action et d'égalité de droits. Nous entrevoyons, pour les enfants de nos enfants, une série de siècles libres, religieux, moraux, rationnels, un âge de vérité, de raison et de vertu au milieu des âges. Ou bien, fatale alternative! nous allons précipiter l'Europe et la France dans un de ces gouffres qui séparent souvent deux époques, comme l'abîme sépare deux continents. Le choix se fait à l'heure où je vous écris...

[ocr errors]

« Votre théorie sociale sera simple et infaillible. En prenant Dieu pour point de départ et pour but, le bien le plus général de l'humanité pour objet, la morale pour flambeau, la conscience pour juge, la liberté pour route, vous ne courez aucun risque de vous égarer. Vous aurez tiré la politique des systèmes, des illusions, des déceptions dans lesquelles l'ignorance ou les passions l'ont enveloppée; vous l'aurez replacée où elle doit être, dans la conscience (1). »

« Et nous aussi, dit sur le même sujet l'éloquent auteur d'un ouvrage récemment publié (2), nous annonçons que le christianisme doit reparaître

(1) M. Royer-Collard.

(2) De Lamartine, Politique rationnelle.

(3) De la Révolution en Europe, par M. Laurentie.

avec une splendeur nouvelle après ces longs et vagues efforts de l'intelligence humaine pour arriver à la découverte d'une vérité qui était toute trouvée. Ce sera, n'en doutons pas, le dernier résultat de tout ce mouvement de la pensée, de tout ce tumulte des opinions, de ces rêveries, de ces erreurs, de ces théories où se prennent tour à tour les hommes incertains et avides, comme pour attester que la vérité religieuse leur manque et qu'ils défaillent sans elle. Là aboutiront ces religions nouvelles, moitié burlesques, moitié sacriléges, parodies bouffonnes de ce qu'il y a de plus grave dans les rapports de l'homme à la Divinité, et qui semblent faites pour absoudre, dans un âge de lumière, le délire idolâtrique des peuples enfants; là se résoudront de même toutes les tentatives politiques des nations modernes pour formuler en constitutions les dogmes protecteurs de la liberté. Et ce pressentiment est si vrai, si universel, que ce sont des écrivains sans foi qui l'expriment dans leurs livres; ils n'oseraient dire que le vieux christianisme suffit à l'avidité des vœux populaires ; mais déjà ils s'imaginent un néo-christianisme, je ne sais quoi d'indéfini, mais dont la pensée, sans qu'ils le sachent, est chrétienne encore, parce qu'elle est une pensée de bonheur, d'amour et de liberté. Telle est la révolution morale du temps présent. Pour la préparer, Dieu a renouvelé la merveille d'un seul empire étendu sur le monde entier. Ce n'est pas l'empire d'une ville, comme fut celui de Rome à l'avénement de Jésus-Christ, c'est un empire tout moral, tout intellectuel; c'est un empire de la pensée, lequel embrasse tous les peuples et les pousse pêle-mêle à la découverte d'un dogme spécial, je ne dis pas inconnu, mais nouveau, ou, si l'on veut, renouvelé.

« Voilà le mouvement du monde, mouvement

immense et rapide qui a dû longtemps effrayer par ses brusques accidents et ses secousses imprévues, mais qui doit finir par se régler et suivre les voies communes de l'ordre. Nous touchons à ce moment. La pensée humaine, après avoir erré hors du christianisme, depuis la réforme, revient à son point de départ et y ramène les nations par la liberté, pour les y fixer plus tard par une autorité intelligente et réglée.

« Nous verrons ce retour; c'est un beau spectacle réservé à ce siècle : les crimes et les folies des hommes n'auront servi qu'à lui donner plus d'éclat et de grandeur. »

Ces considérations, quoique bien élevées, nous ramènent au but principal de notre ouvrage. Si le progrès est désirable et nécessaire, c'est surtout pour cette portion de l'humanité placée au plus bas degré de l'échelle sociale. Ce sont les pauvres, en proie aux besoins, à l'ignorance, aux séductions, aux vices qu'engendre la misère privée des lumières religieuses, qui appellent cette grande amélioration morale que tous les hommes généreux doivent hâter de tous leurs efforts : c'est pour eux qu'il faut presser l'arrivée de cette époque de charité si solennellement promise.

Nous avons montré que le christianisme, appliqué à toutes les conditions de l'état social, avait la puissance de donner aux hommes la civilisation morale la plus parfaite, sans exclure, et, au contraire, en leur procurant toutes les jouissances conformes à leur nature et à leur destinée. Le christianisme ne fait exception de personne; mais il accorde une prédilection particulière à tout ce qui souffre sur la terre. Ainsi le développement de la charité offre le plus sûr remède à l'indigence, parce que cette vertu sublime renferme le principe de tout véritable progrès.

CHAPITRE V.

DU PRINCIPE DE LA POPULATION.

Toutes les questions que font naître l'examen des causes de l'indigence et de l'inégalité des conditions humaines, et la recherche des conséquences qui dérivent des théories de la civilisation et de la

Qu'importait à Dieu la population de la terre? n'aurait-il créé les hommes que pour les voir éternellement naître et mourir?

loi du progrès, viennent se confondre dans une question d'une extrême importance, celle du principe de la population et de ses effets sur le sort des classes inférieures de la hiérarchie sociale.

Ici nous quittons les régions de la haute philosophie pour nous placer sur un terrain plus dégagé des théories, plus accessible aux faits de l'ordre matériel et de l'expérience pratique. Mais la question n'en est pas moins vaste, et elle exige de nombreux développements. Nous essaierons de la traiter dans son ensemble, en nous resserrant néanmoins dans les bornes convenables.

Déjà l'économie politique anglaise commence à s'apercevoir qu'un excès de population peut devenir funeste au bonheur des individus et des sociétés. L'un de ses disciples s'écrie douloureusement:

et passagères. D'où vient donc qu'aujourd'hui on se trouve amené à discuter quel est le véritable principe de la population, quels sont ses rapports nécessaires avec les moyens de travail et de subsistance; si les progrès de la population sont en juste proportion avec l'accroissement parallèle des produits de l'agriculture et de l'industrie, et comment il convient de régler les uns et les autres de manière à prévenir le malheur et les désordres qui menacent les sociétés? Il est évident que l'équilibre est rompu, et que ce phénomène se rattache à une cause qui n'a pas encore été aperçue. Or, le seul fait de nature à exercer une influence éner

« Pauvres mortels que nous sommes! il ne s'agit pas pour nous de naître, mais de vivre et de ga-gique sur le principe de la population est l'applicagner notre subsistance. Quoique la terre soit bien vaste et bien déserte encore dans plus d'une contrée, nous accourons trop nombreux au banquet de la vie (1). »

Ce triste avertissement, écho de celui que Malthus donnait à la fin du dernier șiècle, a peut-être encore, pour la majeure partie de la France, le caractère de la nouveauté. Pendant longtemps, les publicistes de tous les pays n'ont cessé d'encourager la population. Jusqu'à l'époque où Malthus fit paraître son célèbre ouvrage, on avait paru croire qu'une population nombreuse était l'expression la plus certaine, comme la cause la plus active de la prospérité des états. Les encouragements donnés presque partout aux mariages et à la fécondité, annoncent assez que cette opinion était devenue un axiome de gouvernement et de politique. La philosophie moderne allait même jusqu'à faire un reproche au christianisme du célibat des prêtres et des ordres religieux. Aujourd'hui on se plaint du développement excessif du principe de la population quelques nations éprouvent une véritable surcharge d'habitants, et jettent un cri d'alarme. Que s'est-il donc passé en Europe depuis un demisiècle?

La fécondité de la terre a nécessairement des bornes. La production du travail manufacturier a des limites marquées par la consommation. Il est évident qu'une population qui s'accroîtrait au-delà des moyens de subsistance que peuvent offrir son territoire, son industrie et son commerce, devrait nécessairement voir s'introduire dans son sein, d'abord le défaut ou l'insuffisance du travail, ensuite la rareté des subsistances, les besoins, les privations, et enfin la dure et cruelle indigence. Mais en Europe, depuis l'établissement du christianisme, l'équilibre entre la population et les moyens de subsistance s'était constamment maintenu, et n'avait été troublé que par des circonstances locales

(1) M. Blanqui.

tion des théories anglaises sur l'économie politique et la civilisation européenne. C'est depuis leur application que l'on commence à se plaindre de l'exhubérance de la population, et ces plaintes s'élèvent précisément dans les lieux mêmes où cette application a été plus généralement pratiquée. Un tel rapprochement semble former un commencement de preuve. Les notions que nous allons exposer compléteront peut-être la démonstration.

Nous n'avons sur la marche de la population, dans l'univers ancien, que des observations nécessairement bien imparfaites. Mais lors même que les documents historiques que l'antiquité nous a transmis sur ce point auraient une plus grande certitude, on n'en pourrait tirer aucune induction applicable au principe de la population tel qu'il se manifeste à l'époque actuelle. Chez les peuples anciens, les mœurs, les institutions, la religion même, qui autorisaient l'infanticide et l'esclavage, tendaient à arrêter la population dans les classes misérables. C'était par des moyens violents que l'on se procurait ou que l'on faisait disparaître tour à tour la population que l'on jugeait nécessaire ou nuisible à la prospérité de l'état. Ces moyens sont encore à l'usage des peuples étrangers aux principes du christianisme.

Il est facile de comprendre combien le nouvel élément civilisateur qui apparut au monde avec l'évangile, devait, par ses progrès, rendre à la population sa marche libre et naturelle. En abolissant l'esclavage et l'infanticide, en proclamant la charité comme la première des vertus, en prêchant la paix à tous les hommes, le christianisme avait écarté les obstacles qui entravaient l'accroissement de la population générale. Toutefois, par l'effet d'une prévoyance profonde, il dut modifier, en raison des temps, l'ordre suprême donné, au commencement du monde, aux premiers hommes, celui de croître et de multiplier. Cet ordre il le modifia par la sainteté du mariage et par le conseil du célibat. Nous reviendrons plus tard sur ces hautes considérations.

Bien que le sacerdoce catholique présidât aux naissances, aux mariages et à la mort des fidèles, ce n'est que par degrés et en quelque sorte de nos jours, que l'on est parvenu à constater d'une manière régulière l'état de la population et ses divers mouvements (1). Il règne encore beaucoup d'obscurité sur l'état véritable de la population de la France et de l'Europe à des époques peu éloignées, et la question de savoir s'il convenait d'encourager ou de restreindre la population est demeurée longtemps indécise ou même ignorée. La statistique, science toute moderne, pouvait seule éclairer sur ce point les gouvernements et l'administration.

Montesquieu, l'un des premiers écrivains qui ait examiné le principe de la population, pensait que l'Europe était, de son temps, dans le cas d'avoir besoin de lois qui favorisent la propagation de l'espèce humaine.

Voltaire publia sur ce sujet quelques aperçus spirituels et profonds, empreints, du reste, de ce sel mordant et satirique qui caractérise ses productions les plus graves comme les plus légères.

« Le terrain de la France, dit-il, est assez bon, et il est suffisamment couvert de consommateurs, puisqu'en tout genre il y a plus de postulants que de places, puisqu'il y a deux cent mille fainéants qui gueusent d'un pays à l'autre, et qui soutiennent leur détestable vie aux dépens des riches, et enfin puisque la France nourrit plus de quatre-vingt mille moines dont aucun n'a fait servir ses mains à produire un épi de froment.

« La population a triplé partout depuis Charlemagne. Je dis triplé, et c'est beaucoup. On ne propage pas en progression géométrique. Tous les calculs qu'on a faits sur cette prétendue multiplication sont absurdes. Si une famille d'hommes ou de singes multipliait de cette façon, la terre, depuis deux cents ans, n'aurait plus de quoi la nourrir. La nature a pourvu à conserver et à restreindre les espèces. Elle ressemble aux parques qui filaient et coupaient toujours. Elle n'est occupée que de naissances et de destruction.

[ocr errors]

Quand un peuple possède un grand nombre de fainéants, soyez sûr qu'il est assez peuplé, puisque ces fainéants sont logés, vêtus, nourris et respectés par ceux qui travaillent.

en hommes, mais de rendre ceux que nous avons le moins malheureux qu'il est possible. Remercions la nature de nous avoir donné l'être dans la zone tempérée, peuplée presque partout d'un nombre suffisant d'habitants qui cultivent tous les arts, et tâchons de ne pas gâter notre bonheur par nos sottises (2). »

M. Necker trouvait un gage de sécurité pour l'état dans le nombre des naissances, qui surpassait en France celui des décès. Mais il fait observer avec raison que la population, selon qu'elle est différemment composée, n'a pas la même influence sur le bonheur des nations (3).

L'ancienne école des économistes français avait entrevu, mais peu approfondi, la grande question de l'accroissement de la population dans ses rapports avec la misère publique. Mirabeau, l'auteur de l'Ami des hommes, avait d'abord considéré la population comme une source de revenu. Depuis il reconnut qu'il avait erré, et que c'est le revenu qui est la source de la population.

Adam Smith fut conduit, par son système à envisager l'augmentation presque indéfinie de la population comme un moyen et, à la fois, comme un signe certain de prospérité et de richesse. Les principes les plus saillants qu'il établit à cet égard sont ainsi exprimés:

[ocr errors]

1o Dans la Grande-Bretagne, comme dans la plupart des autres pays de l'Europe, le nombre des habitants ne double guère que dans cinq cents ans. Si, dans les colonies anglaises de l'Amérique, on a trouvé qu'elle doublait en vingt ou vingt-cinq ans, c'est que là le travail est si bien récompensé qu'une nombreuse famille d'enfants, loin d'être une charge, est une source d'opulence et de prospérité pour les parents.

«3° Naturellement toutes les espèces animales multiplient à proportion de leurs moyens de subsistance, et aucune espèce ne peut multiplier audelà. Dans les sociétés civilisées, la demande du travail règle la population, comme le fait la demande à l'égard de toute marchandise : elle hâte la production quand celle-ci marche trop lentement et l'arrête quand elle va trop vite.

« 4° Si la récompense libérale du travail est l'effet de l'accroissement de la richesse nationale, elle «Le point principal n'est pas d'avoir du superflu devient aussi la cause de l'accroissement de la po

[merged small][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »