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pulation. Se plaindre de la libéralité de cette récompense, c'est se plaindre de ce qui est à la fois la cause et l'effet de la plus grande prospérité publique.

chesse, et prévit que, tôt ou tard, les causes qui excitaient à augmenter la population devaient produire de grands désordres dans l'état social.

C'était en 1790 qu'Ortès publiait ses réflexions sur le principe de la population, écrites plus de dix ans avant cette époque.

M. le comte Pecchio fait remarquer que sa mé

5o Quoique la pauvreté, sans aucun doute, décourage le mariage, cependant elle ne l'empêche pas toujours. Elle paraît même favorable à la génération; mais si la pauvreté n'empêche pas d'engen-thode de considérer la marche constante de la nadrer des enfants, elle est un très-grand obstacle à ce qu'on puisse les élever.

« 6o C'est dans l'état progressif de la société, lorsqu'elle est en train d'acquérir successivement plus d'opulence, et non pas lorsqu'elle est parvenue à la mesure complète de richesse dont elle est susceptible, que véritablement la condition de l'ouvrier pauvre, celui de la grande masse du peuple, est plus heureuse et plus douce. Elle est dure dans l'état stationnaire; elle est misérable dans l'état de déclin. L'état progressif est, pour tous les ordres de la société, l'état de vigueur et de santé parfaite; l'état stationnaire est celui de la pesanteur et de l'inertie, la décroissance est celui de la langueur et de la maladie (1). »

Pendant que Smith publiait ces observations en Angleterre, la question de la population et de l'indigence occupait les méditations de quelques économistes d'Italie.

Ortès (2) voulut prouver que la science d'enrichir, enseignée aux nations par d'autres auteurs, était une science trompeuse et inefficace. Il prétendit que tous les biens consommables d'une nation (ou le capital national) sont proportionnés à la nation, sans que jamais il y ait un moyen de pouvoir l'augmenter chez une nation sans la diminuer chez une autre. Ce capital sera double, triple, si la population est double, triple, etc. Il n'y a de différence que dans la distribution, mais la quantité est toujours

ture et d'en déduire les lois, toujours plus puissantes que les combinaisons humaines, a été mise en pratique, de nos jours, avec un heureux succès, par M. Malthus, pour ce qui est relatif à la population. « On sait, dit-il, combien les opinions de ce dernier ont été combattues. Quelle ne serait pas la surprise de ses opposants en Angleterre, s'ils savaient qu'Ortès, en faisant, de son côté, les mêmes observations, est arrivé au même résultat que leur compatriote! La coïncidence fortuite des opinions des deux auteurs est une chose étonnante. Nés dans des régions diverses, professant des religions différentes, placés à un intervalle de trente années (sans pourtant que l'Anglais ait entendu prononcer seulement le nom de l'Italien qui l'avait précédé dans le même examen), ils arrivèrent aux mêmes conséquences. Voici le résumé des opinions les plus remarquables d'Ortès sur la population :

1o La population se maintient, augmente ou diminue toujours proportionnellement en conséquence des richesses maintenues, augmentées ou diminuées auparavant, mais jamais la population ne précède les richesses.

«20 La population dépend de la liberté plus ou moins grande dont un peuple jouit.

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5o Les populations diminuent par les impôts excessifs et par l'esclavage.

« 6o Il n'est pas vrai que la population soit proportionnée aux mariages. Quand la population est arrivée à un certain point, il est bien que les mariages aillent en diminuant, afin que la population se conserve, mais qu'elle n'augmente pas.

la même. Il y a, selon lui, une loi naturelle qui s'op- | la raison.
pose à ce que les biens communs puissent augmenter
chez les uns sans qu'il en résulte un pareil besoin
pour les autres, de manière que l'un ne puisse être
plus aisé sans que l'autre le soit moius. Ce qui pa-
raît superflu chez quelques particuliers ne fait que
représenter ce qui manque chez plusieurs autres.
Lorsqu'il s'ouvre quelque source de bien, sous
un certain aspect, il s'en ferme certainement quel-
que autre sous un autre aspect, ou bien il se crée
aussitôt un nouveau besoin. Ainsi, là où il y a plus
de riches, il y a plus de pauvres.

Relativement à la population, Ortès observa qu'elle avait une progression beaucoup plus rapide que l'accroissement des subsistances et de la ri

(1) Recherches sur les causes de la richesse des nations. (2) Moine camaldule, né à Venise en 1713, most en 1790.

que

« 7° Le célibat est autant nécessaire le mariage pour conserver une population. Reprocher le célibat à un célibataire, serait la même chose que reprocher le mariage aux hommes mariés.

« 8° L'abstinence volontaire du mariage chez l'homme est la preuve de la sublimité de son être et de sa raison (1).

(3) Ortès était orthodoxe exclusif, cependant on trouve dans ses écrits beaucoup d'idées très-libérales. Il ne dissimule

Ricci (1), contemporain d'Ortès, établit sur le principe de la population et sur la direction à donner à la charité, des opinions dont l'analogie avec celles professées onze années après (1793) par Malthus, est extrêmement frappante. Ici l'on doit encore remarquer comme un fait assez curieux la marche parallèle de l'économie politique en Italie et en Angleterre. En effet, tandis que Malthus, professeur distingué par ses vertus autant que par de rares talents, méditait ses nouvelles théories sur la population et sur la charité publique, Ricci, magistrat italien, de mœurs douces et irréprochables, se livrait aux mêmes pensées et se trouvait conduit à des conclusions presque identiques. Mais leurs opinions ne furent pas également accueillies dans les deux pays. En Angleterre, une répression hostile s'attacha aux ouvrages de Malthus et dénonça leur tendance comme immorale. En Italie, ni Ortès, ni Ricci, dont les doctrines concordaient avec celles de l'auteur anglais, ne furent réfutés avec aigreur, et encore moins regardés comme des hommes immoraux. Au contraire, Ricci augmenta en réputation et en estime auprès de son gouvernement, et le plan de réforme qu'il proposa de tous les instituts pies de son pays reçut l'approbation la plus formelle (2). La situation des deux nations, si différente sous le rapport de l'industrie et de la population, explique cette diversité dans les jugements portés sur les théories communes aux écrivains anglais et italiens.

Quoi qu'il en soit, tandis qu'Adam Smith se plaisait à proclamer l'accroissement rapide de la population comme le fondement et l'indice de la prospérité nationale, d'autres publicistes y apercevaient la source des plus grandes calamités pour les individus. L'expérience de vingt années acquise à cet égard en Angleterre sembla résoudre la question en faveur de cette dernière opinion: une nouvelle école fut opposée à celle de Smith, et puisa ses principales doctrines dans l'Essai de Malthus, sur le principe de la population. Nous devons exposer, avec quelque étendue, un système qui a opéré de si grands changements dans les idées reçues.

Franklin avait déjà observé qu'il n'y a aucune limite à la faculté productive des plantes et des animaux, si ce n'est qu'en augmentant de nombre, ils se dérobent mutuellement leur subsistance.

Comme lui, Malthus fut frappé de la tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée.

point son aversion pour l'Angleterre, dont il prédit la ruine. (1) Ricci, né à Modène en 1742, mort en 1799. Il fut l'un des directeurs de la république cispadane.

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De plus, Malthus avait constaté que dans les états du nord de l'Amérique, où les moyens de subsistance ne manquent point, où les mœurs sont pures et les mariages précoces, la population, pendant un siècle et demi, avait doublé rapidement tous les vingt ans; et que dans les établissements de l'intérieur, où l'agriculture était la seule occupation des colons, la population doublait en quinze ans.

Sir W. Petty, croyait même qu'il était possible, à la faveur de quelques circonstances particulières, que la population pût doubler en dix ans.

Suivant une table d'Euler (calculée sur une mortalité d'un individu sur trente-six) les naissances étant aux morts dans la proportion de 3 à 9, il s'ensuivait que la période de doublement devait être de douze années 4/5.

De ces faits, Malthus crut pouvoir établir, malgré les assertions de Smith et la dénégation formelle, mais dénuée de raisonnements et de preuves, de Voltaire (3), que lorsque la population n'est arrêtée par aucun obstacle, elle doit doubler au moins dans l'espace de 25 ans, et croître ainsi de période en période dans une proportion géométrique. D'un autre côté, il était prouvé qu'on n'obtient pas avec la même rapidité la nourriture nécessaire pour alimenter un plus grand nombre d'hommes.

L'homme est assujetti à une place limitée. Lorsqu'un arpent a été ajouté à un autre arpent, jusqu'à ce qu'enfin toute la terre fertile soit occupée, l'accroissement de nourriture dépend de l'amélioration des terres déjà en valeur. Or, cette amélioration, par la nature de toute espèce de sol, ne peut faire des progrès toujours croissants : au contraire, elle en fera qui décroîtront graduellement, tandis que la population, partout où elle trouve de quoi subsister, ne reconnaît point de limites et que ses accroissements deviennent une cause active d'accroissements nouveaux.

<< Partout où il se trouve une place où deux personnes peuvent vivre commodément, avait dit Montesquieu, il se fait un mariage. La nature y porte

(2) Histoire de l'économie politique en Italie.

(3) Il n'est pas vraisemblable que Malthus ait eu connaissance de l'opinion de Voltaire sur la palulation.

assez lorsqu'elle n'est pas arrêtée par la difficulté des subsistances. Les peuples naissants se multiplient beaucoup. Ce serait chez eux une incommodité de vivre dans le célibat. Le contraire arrive lorsque la nation est formée. Les pays de pâturage sont peu peuplés, parce que peu de personnes y trouvent de l'occupation. Les terres à blé occupent plus d'hommes et les vignobles infiniment davantage (1). » D'après ces calculs, Malthus arriva à reconnaître qu'en partant de l'état actuel de la terre habitable, les moyens de subsistance, dans les circonstances les plus favorables, ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une proportion arithmétique. Ainsi, lorsque l'espèce humaine croît comme les nombres 1, 2, 4, 8, 16, etc., les subsistances croissent seulement comme les nombres 1, 2, 3, 4, 5, etc. Par conséquent, après deux siècles, la population serait aux moyens de subsistance, dans le rapport de 256 à 9; après trois siècles, dans le rapport de 4,096 à 15.

Malthus ayant porté ses investigations sur l'état de la population de presque toutes les parties du monde connu, et particulièrement de l'Europe, où le rapport des naissances aux mariages est de 4 à 1, crut trouver partout une situation qui confirmait son système. Il lui parut même démontré que chez toutes les nations du globe ( bien que l'accroissement de leur population, interrompu par des causes plus ou moins énergiques, ne s'effectuât pas dans une proportion absolument géométrique ) il existait une tendance de multiplication telle, que des maux déplorables pouvaient seuls les préserver d'un excédant funeste d'habitants (2). Ainsi, des émigrations forctes, des guerres destructives, la famine, ou des maladies exterminatrices chez les classes inférieures, étaient l'unique moyen de rétablir l'équilibre, qui, par conséquent, ne pouvait se soutenir qu'à force de malheurs individuels. Épouvanté de ce résultat de ses recherches, il donna l'éveil aux gouvernements et appela, sur un sujet aussi grave, les regards des philanthropes, des économistes et des hommes

d'état de tout l'univers.

La misère et le malheur, causés par un accroissement de population trop rapide, avaient été entrevus distinctement, et de violents remèdes à ces

(1) De l'Esprit des lois.

(2) Malthus convient lui-même que pour faire, sous ce point de vue, l'histoire d'un peuple, il faudrait que plusieurs observateurs s'appliquassent, avec une attention minuticuse, à faire des remarques tant générales que particulières et locales sur l'état des classes inférieures et sur les causes de leur bien-être et de leurs souffrances. Pour tirer ensuite de pareilles observations quelques conséquences sûres et applicables à ce sujet, il faudrait une suite d'histoires écrites d'après ces principes, et qui s'étendit à plusieurs siècles. On peut dire qu'à cet égard, fait observer encore Malthus, la science est encore dans l'en

maux avaient été indiqués dès le temps de Platon et d'Aristote. Ce sujet avait été traité par Montesquieu, occasionnellement, et par quelques économistes français, mais sans application spéciale à l'Europe moderne. En Angleterre, toutefois, Franklin, sir J. Stewart, Arthur Young et M. Towesend en avaient parlé si clairement, que Malthus s'étonne qu'ils n'aient pas réussi, ayant lui, à exciter l'attention sur cet objet. On a vu qu'à l'époque de la publication de son ouvrage, il ne connaissait point les écrits d'Ortès et de Ricci.

Voici les principales conclusions de l'Essai sur le principe de la population :

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a

4o Les obstacles particuliers, et tous ceux qui arrêtent le pouvoir prépondérant, en forçant la population à se réduire au niveau des moyens de subsistance. peuvent tous se rapporter à ces trois chefs: la contrainte morale ( ou la prévoyance dans le mariage), le vice et le malheur. »

Ainsi, suivant Malthus, le grand obstacle à la population est le défaut de nourriture; mais ce principal et dernier obstacle n'agit d'une manière immédiate que dans le cas où la famine exerce ses ravages, ce qui n'arrive guère que dans les pays privés de commerce et d'industrie; par exemple, chez les habitants de la Terre-de-Feu, placés au plus bas degré de l'échelle sociale. Là, la population atteint en général si exactement le niveau du produit moyen des subsistances, que le plus petit déficit dans celui-ci, résultant d'une saison défavorable, plonge ces-peuples dans la plus affreuse misère. Il en est de même

fance; et il y a plusieurs questions importantes sur lesquelles on n'a que des données très-imparfaites. Par exemple, quel est le nombre des mariages comparé à celui des adultes? A quel point la difficulté de se marier favorise-t-elle le vice? quel est le rapport de la moralité des enfants chez les pauvres et chez les riches? déterminer les variations du prix réel du travail; observer à différents périodes, le degré d'aisance et de bonheur dont jouissent les classes inférieures de la société, etc. Une histoire fidèle du genre humain où ces questions seraient résolues, jetterait beaucoup de jour sur la manière dont agit l'obstacle constant qui arrête la population.

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chez les nations indigènes de l'Amérique et dans les égale et ne fassent que le mal auquel il est imposîles de la mer du Sud.

Les obstacles immédiats au principe de la population se composent de toutes les coutumes et de toutes les maladies que peut faire naître la rareté des moyens de subsistance, en y joignant toutes les causes physiques et morales indépendantes de cette rareté, qui tendent à enlever la vie d'une manière prématurée.

sible de se soustraire. Prétendre les écarter est une entreprise vaine. Ainsi, tous les obstacles que l'on a reconnus ayant paru se réduire à ces trois classes: la contrainte morale, le vice ou le malheur, si ce point de vue est juste, le choix ne peut être douteux. Puisqu'il faut que la population soit contenue par quelque obstacle, il vaut mieux que ce soit par la prudente prévoyance des difficultés qu'entraîne

Malthus distingue ces obstacles en destructifs et la charge d'une famille, que par le sentiment actuel privatifs. du besoin et de la souffrance.

Malthus fait remarquer encore que les maux physiques et moraux semblent être les instruments em

Parmi les obstacles destructifs, il place les occupations malsaines, les travaux rudes et excessifs, › l'extrême pauvreté, la mauvaise nourriture des en-ployés par la Divinité pour nous avertir d'éviter, fants, l'insalubrité des grandes villes, les excès de tout genre, toutes les espèces de maladies et d'épidémies, la guerre, la peste et la famine.

Les obstacles privatifs ne consistent guère que dans l'abstinence du mariage jointe à la charité. C'est ce que Malthus entend par contrainte morale, c'est-àdire la privation qu'un homme s'impose à l'égard du mariage, par un motif de prudence, lorsque sa conduite, pendant ce temps, est strictement morale (1).

Parmi les obstacles destructifs, ceux qui paraissent une suite inévitable des lois de la nature composent exclusivement cette classe que Malthus désigne sous le nom de malheur. Ceux, au contraire, que nous faisons évidemment naître nous-mêmes, comme les guerres, les excès de tout genre et plusieurs maux que l'on pourrait éviter, sont d'une nature mixte. C'est le vice qui les suscite, et ils amènent à leur suite le malheur.

Puisqu'il paraît que, dans l'état actuel des sociétés, l'accroissement naturel a été constamment et efficacement contenu par des obstacles réprimants; puisque ni la meilleure forme de gouvernement, ni aucun plan d'émigration, ni aucune institution de bienfaisance, ni le plus haut degré d'activité, ni la direction la plus parfaite de l'industrie, ne peuvent prévenir l'action de ces obstacles qui, sous une forme ou sous une autre, contiennent la population dans de certaines bornes, il s'ensuit, d'après Malthus, que cet ordre est une loi de la nature et qu'il faut s'y soumettre. La seule circonstance qui est à notre choix est la détermination de l'obstacle le moins préjudiciable à la vertu et au bonheur; car tout ce que peuvent les gouvernements en s'investissant des lumières, et les efforts de l'industrie en obéissant aux directions les plus sages, c'est de faire en sorte que les obstacles inévitables qui arrêtent la population agissent d'une manière plus

(1) Le libertinage, les passions contraires au vœu de la nature, la violation du lit nuptial, en y joignant tous les artifices créés pour cacher les suites des liaisons criminelles ou irrégu

dans notre conduite, ce qui n'est pas assorti à notre nature et ce qui pourrait nuire à notre bonheur. Les moralistes païens ont toujours envisagé la vertu comme l'unique moyen d'obtenir le bonheur dont l'homme peut jouir ici-bas; et, parmi ces vertus, ils mettaient au premier rang la prudence; quelques-uns même y rapportaient toutes les autres. La religion chrétienne place notre félicité présente et future dans l'exercice des vertus qui peuvent préparer à de plus sublimes jouissances, et exige en conséquence, avec plus de rigueur, que nous soumettions nos passions à l'empire de la raison, ce qui est la première maxime de la prudence. Une société vraiment vertueuse éviterait les souffrances de tout genre qui accompagnent les morts prématurées, sous toutes les formes variées qu'elles peuvent revêtir. Le but du Créateur paraît être de nous détourner du vice par les maux qu'il entraîne, et de nous engager à la pratique de la vertu par la félicité qui marche à sa suite. Un tel plan, autant que nous pouvons en juger, est digne de sa bonté. Les lois de la nature, relativement à la population, ont manifestement cette tendance. Il est donc impossible d'en tirer un argument contre la bonté divine qui ne soit également applicable à tous les maux auxquels nous sommes assujettis. « J'ai souvent vu mettre en opposition, dit Malthus, la bonté de Dieu et l'article du Décalogue où il déclare qu'il punira les péchés des pères sur les enfants. A moins que d'élever l'homme jusqu'à la nature des anges, ou, en général, d'en faire un être fort différent de luimême, il est impossible de se soustraire à la loi dont on est disposé à se plaindre. Ne faudrait-il pas un miracle perpétuel pour que les enfants ne se ressentissent pas, dans leur effet civil et moral, de la conduite des parents? Il paraît donc indispensable, dans le gouvernement moral de cet univers, que

lières, sont des obstacles privatifs, qui appartiennent manifestement à la classe des vices.

(Malthus.)

les péchés des pères soient punis sur leurs enfants.» Dans tout le cours de son ouvrage, Malthus combat vivement les préjugés qui, sous le rapport même moral, encouragent les mariages et leur fécondité. Il fait observer que les pays de l'Europe où les mariages sont le moins fréquents, ne sont pas ceux où les vices contraires aux bonnes mœurs deviennent plus dominants. La Norwège, la Suisse, l'Angleterre et l'Écosse sont au rang de ceux où prévaut l'obstacle privatif (la contrainte morale), et l'on ne les cite pas comme des exemples d'excessive corruption. Les femmes s'y respectent davantage, et par conséquent les hommes y sont moins vicieux (1).

Malthus reconnaît que pour avoir le droit d'accuser le peuple d'imprévoyance dans le mariage, il faut commencer par l'instruire. Jusqu'à ce que l'obscurité qui règne encore sur le principe de la population soit dissipée et que le peuple soit éclairé sur la véritable cause de ses souffrances, jusqu'à ce qu'on lui ait appris que c'est à lui-même qu'il doit les imputer, on ne saurait dire que chaque homme soit laissé à son propre et libre choix sur la question du mariage (2).

« Ce n'est pas assez, dit-il, d'abolir toutes les institutions qui encouragent la population; il faut s'efforcer en même temps de corriger les opinions dominantes qui ont le même effet, et qui quelquefois agissent avec plus de force. Ce ne peut être, à la vérité, que l'ouvrage du temps, et le seul moyen d'y réussir est de répandre des opinions saines sur ce sujet, soit dans les écrits, soit par la voie de la conversation. Il convient d'insister plus particulièrement sur cette vérité, que ce n'est point pour l'homme un devoir de travailler à la propagation de l'espèce, mais bien de contribuer de tout son pouvoir à propager le bonheur et la vertu; que, s'il n'a pas une légitime espérance d'atteindre ce dernier but, la nature ne l'appelle nullement à laisser des descendants après lui. La ferme persuasion que le mariage est un état désirable, mais que, pour y parvenir, c'est une condition indispensablement requise d'être en état de pourvoir à l'entretień d'une famille, doit être pour un jeune homme le motif le plus fort de se livrer au travail, et de vivre

(1) L'observation de Malthus peut être vraie en ce qui concerne la Norwège, l'Angleterre et l'Écosse; quant à la Suisse, les récits des voyageurs l'ont plus d'une fois démentie.

(2) Les adversaires du système de Malthus ont supposé que son but était d'arrêter la population, tandis que, selon lui, rien n'est plus désirable qu'un accroissement de population, pourvu qu'il n'entraîne pas le vice et le malheur. C'est la diminution du malheur et du vice qui est l'objet final de son ouvrage, et les obstacles à la population qu'il recommande, ne doivent être envisagés que comme des moyens pour obtenir cette fin. « Le devoir de tous, dit-il, est à la portée de la plus simple in

avec une sage économie avant l'époque où il peut réaliser ses projets d'établissement. Rien ne pourrait plus fortement l'engager à mettre en réserve le petit superflu qu'un ouvrier marié possède toujours, et à en faire ainsi un emploi raisonnable pour le bonheur à venir, plutôt que de le dissiper dans la paresse et dans le vice. »

Malthus enfin désire vivement qu'on démontre, par tous les moyens possibles, au peuple qu'il est lui-même l'artisan de sa pauvreté lorsqu'il se marie sans avoir les moyens d'élever sa famille. Il juge convenable, avec le docteur Palmy (3), que, dans les pays où les subsistances sont devenues rares, l'état veille sur les mœurs publiques avec un redoublement d'activité; car alors il n'y a que l'instinct de la nature, soumis à la contrainte que la charité lui impose, qui puisse engager les hommes à se livrer à tout le travail et à subir tous les sacrifices qu'exige l'entretien d'une famille.

En appliquant ses recherches à la France, en 1805, époque où il publiait la seconde édition de son livre (4), Malthus fait remarquer que sur le sol de ce royaume, pendant la révolution, la population s'est accrue plutôt que de diminuer. Un tel résultat lui paraît confirmer singulièrement les principes exposés dans son Essai sur la popula

tion.

Suivant les calculs statistiques de M. Peuchet (5), les naissances s'élevaient annuellement, en France, à un peu plus d'un million. Un tiers des nouveauxnés mourait avant l'âge de dix-huit ans. Il restait chaque année environ six cent mille individus qui atteignaient cet âge.

M. Francis d'Ivernois avait estimé la perte totale des troupes françaises de mer et de terre, dans les guerres de la révolution, jusqu'en 1799, à un million et demi (6). M. le comte Germain Garnier (le savant traducteur de Smith) élevait les pertes seulement au soixantième de la population totale de cette époque, c'est-à-dire à environ cinq cent cinquante mille individus. L'évaluation de M. d'Ivernois paraît exagérée, et celle de M. G. Garnier beaucoup trop restreinte.

Quoi qu'il en soit, la population s'étant réellement accrue en France malgré les pertes que la guerre et

telligence. Il consiste à ne pas mettre au monde des enfants que l'on n'est pas en état de nourrir. »

(3. Palmy, Philosophie morale.

(4) La première édition de l'Essai sur le principe de la population parut en 1798; la deuxième édition anglaise de cet ouvrage fut publiée en 1803. Elle a été traduite, en 1809, par M. Prévost, de Genève.

(5) Statistique élémentaire de la France, par M. J. Peuchet. (6) Tableau historique des pertes que la révolution et la guerre ont causées au peuple français, par Sir Francis d'lvernois. Londres, 1799.

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