pale des indigents, se trouvait à peu près inter- dont on admire de loin le beau ciel, la mer . dite; la domination française était parfois azurée et les édifices si pittoresques, ne m'apesante et sévère, mais les établissements de vaient pas préparé à ce hideux tableau. Presque charité avaient été respectés. Tous les efforts, tous les habitants riches et aisés s'étaient entous les capitaux s'étaient reportés vers l'agri- fuis (2). Tous les hommes vigoureux et énergiques culture : les travaux des champs et l'esprit défendaient leur indépendance hors des murs de d'association, si puissant et si fécond en pro- la cité; il ne restait dans cette ville si belle, et nadiges, dans cette contrée qui lui doit sa conser-guère si opulente et si animée, qu'une multitude vation et même son existence, soulageait effica- de vieillards, de femmes et d'enfants , pâle, sicement la misère. Il y avait des souffrances lencieuse, affamée, que l'excès de la misère et réelles sans doute, mais je les attribuais à des de la terreur réduisait à la plus déplorable et à circonstances exceptionnelles et passagères. La souvent à la plus honteuse dégradation. Les étapaix devait, tot ou tard, rouvrir pour la popu- blissements religieux et charitables, en partie lation indigente toutes les sources du travail, conservés, mais fort appauvris, répandaient , de l'aisance et du bonheur. Je me livrais à seuls quelques secours, devenus impuissants. Là, cette espérance en faveur d'un peuple qui sup- | il ne fallait pas chercher bien loin les causes de portait sa triste destinée avec une résignation l'indigence : une guerre nationale, devenue si touchante et si courageuse , lorsque je fus atroce par d'effroyables représailles; une ad ; transféré soudainement dans l'un des départe- ministration militaire, uniquement occupée du ments nouvellement créés en Catalogne (1). soin de pourvoir, par les moyens les plus Une guerre acharnée désolait toute la Pénin- prompts , à la solde et à la nourriture de l'arsule espagnole. Les provinces soumises à nos ar- mée; une foule d'aventuriers, accourus pour faire mes gémissaient sous le joug despotique le plus fortune; la disparition de l'industrie; tout, enarbitraire et le plus oppressif; tout était sacrifié fin, n'expliquait que trop bien une situation au salut et au bien-être de l'armée conquérante. alors commune à la plupart des villes de l'EsC'était la seule et suprême loi : loi nécessaire pagne, mais qui, née avec la guerre, devait peut-être, mais toujours bien dure et bien aussi cesser avec elle. cruelle. Mon séjour à Lérida donna lieu aux mêmes Ceci n'est pas un reproche que j'adresse à observations. Tout ce que je pus procurer de à nos généraux; la guerre, et une guerre de cette soulagements aux malheureux indigents de cette nature, conduit forcément à ces terribles ré- ville, je le dus aux secours seuls du clergé et de sultats. Les archives municipales de Barcelone la charité religieuse ; d'autres soins préoccuet de Lérida m'offrirent bientôt la preuve que paient l'administration et les chefs de l'armée. lors de la guerre de la succession la même op- Non loin de là, cependant, le royaume de Vapression excitait les mêmes plaintes; le nom du lence, sous le gouvernement de l'habile et vailduc de Vendôme faisait encore, un siècle lant duc d'Albuféra, offrait alors une exception après, tressaillir de frayeur les petits enfants et bien rare. Le vainqueur de Tarragone et de leurs jeunes mères. Tortose avait voulu compléter sa gloire par le Toutefois, rien ne me frappa plus vivement bonheur du peuple conquis. Il sut y parvenir . que l'aspect de la population de Barcelone au et parer ainsi son nom d'une illustration nouprintemps de 1812. L'approche de cette ville velle (3). qui semble sortir d'une immense et gracieuse J'étais destiné à voir peu de temps après le corbeille d'orangers, de myrtes et d'aloës, et spectacle des malheurs de la guerre, dans le (1) Comme préfet à Lérida , chef-lieu des Bouches-de-l'èbre (1812). (2) Une terreur profonde avait été la suite des mesures cruelles prises par un général qui n'appartient pas à la France. A celte époque, monseigneur le prince de Conti et son altesse royale madame la duchesse de Bourbon donnèrent de grands exemples de bienfaisance et de générosité. (3) Nous aimons à rappeler ici les nobles souvenirs laissés à Tarragone par M. le vicomte d'Arlincourt , auditeur au con seil d'état, intendant de cette province dépendante du gouvernement du duc d'Albuféra , et par M. Delaage, son successeur. Le gouvernement de l'Aragon , confié au loyal comte Reille et à M. le baron Lacuée, intendant général , dont la haute probité est une vertu de famille , rivalisait avec celui du royaume de Valence en bonne administration et en justice. Ces noms et celui du général Decaen sont demeurés purs de tout soupçon et de tout reproche. ceur même de la France, ou la réaction néces- Le chef-lieu du département (2) avait vu longsaire de la politique de Napoléon avait conduit temps prospérer des manufactures de tissus l'Europe entière en armes. La misère couvrait grossiers consommés en Espagne et dans l'inténos campagnes et nos villes; je m'en affligeais rieur de la France. La guerre avait interrompu profondément, mais sans m'en étonner. J'avais leurs travaux; la paix leur rendit leur activité. appris que guerre et misère marchent rarement Mais le temps avait marché; de nouvelles relal'une sans l'autre. tions commerciales s'étaient établies ailleurs; de Soudain, et comme par enchantement, l'ap- nouveaux goûts avaient fait naître d'autres beparition des Bourbons en France fit évanouir ce soins. Des industries rivales s'étaient créées triste tableau. Tous les cours s'ouvrirent à l'es- et avaient adopté l'emploi des mécaniques; pérance; la paix ramena le travail, l'industrie, beaucoup de bras demeurèrent donc sans emla sécurité. L'indigence eut sa part des bienfaits ploi. Un jour, les ouvriers, renvoyés de leurs de cette grande rénovation sociale. ateliers, résolurent de s'en prendre aux maCe fut sous ces auspices que la confiance du chines et menacèrent sérieusement l'établisseroi Louis XVIII m'appela à l'administration de ment qui, le premier, les avait substituées aux l'un des départements du midi (1). Rien ne sau- forces humaines. Le tumulte fut grand; l'autorait décrire l'enthousiasme, la joie, l'ivresse qui rité parvint, non sans peine, à contenir la futransportaient les habitants de cette contrée; ce reur de ces nouveaux luddistes. Lorsqu'ils furent n'était que fêtes, que joies pures, que touchante calmés, on les blama, et certes, avec juste raifraternité. L'agriculture, longtemps privée de son; on déplorait leur ignorance aveugle et bras et de bestiaux, reprenait un essor inoui. absurde; on les engageait à prendre patience et L'industrie locale reparaissait active, prospère. à chercher une industrie plus profitable. MoiTout était en voie de progrès. L'invasion du même, je puisais dans les écrits d'Adam Smith 20 mars arrêta ce développement remarquable; et de M. Say des conseils apparemment fort bons, ce fut là peut-être le moins funeste de ses effets, mais qui, pour le moment, ne donnaient ni du car l'union des Français venait d'être irrépara- travail, ni du pain. Des ateliers de charité, des blement détruite. travaux agricoles, et surtout l'assistance de la Néanmoins, à la suite de cet événement, les charité religieuse profondément émue, furent traces de la misère dans les provinces du midi beaucoup plus ellicaces que nos dissertations étaient trop peu sensibles pour appeler l'atten- d'économie politique. -- L'ordre revint, mais tion spéciale de l'administration. Au sein d'une déjà le paupérisme avait jeté de profondes rapopulation plus essentiellement agricole que cines que l'on a vues plus tard se développer manufacturière, le paupérisme ne se montrait rapidement. que comme un accident de localité qui pouvait Sur ces entrefaites, une mesure générale suptrouver ses remèdes dans la localité même. ' prima les dépôts de mendicité. Les mendiants Un dépôt de mendicité, administré avec une refluèrent dans les villes et les campagnes ; il rare perfection, avait éloigné l'apparence ex- fallut se borner à poursuivre sévèrement les térieure de la misère. La charité religieuse mendiants valides et à tolérer les autres, moyensoulageait abondamment les ouvriers pauvres nant une marque extérieure qui les autorisât à å qui n'osaient solliciter l'aumône; tout semblait réclamer, dans les communes, l'aumône et les présenter un état de choses satisfaisant pour l'ad- secours de la charité. ministration, et de plus, les théories d'économie Je dus réfléchir à cette situation devenue affli. politique, qui commençaient alors à pénétrer geante. Je cherchai de nouveau dans les préen France, paraissaient préparer des ressources | ceptes de l'économie politique, dont je faisais infaillibles pour anéantir successivement l'in- alors une étude spéciale, les moyens d'améliodigence et la mendicité, à l'aide des progrès de rer successivement le sort de la classe ouvrière; l'industrie et des lumières, et d'une meilleure mais je n'aperçus que dans un bien long avenir direction à donner aux institutions charita- la possibilité d'appliquer ces séduisantes théobles. ries. L'exemple des luddistes de Montauban 2 revenait souvent à ma pensée. D'un autre côté, amener un excès de population ouvrière et mile département de Tarn-et-Garonne offrait deux sérable, il ne me cacha point la préférence qu'il populations bien distinctes : l'une, heureuse et accordait à l'agriculture sur les manufactures; paisible par l'agriculture; l'autre, misérable et il voyait même, dans l'avenir , une crise fatale agitée par les vicissitudes fréquentes de l'in- menacer les états qui auraient suivi , sans prédustrie. Mais celle-ci, nie disais-je, est sans doute caution, le système industriel de l'Angleterre. victime de la routine, de l'ignorance et d'une J'avoue que cet entretien et les révélations crise passagère. De beaux jours luiront un jour de Malthus ébranlèrent un peu ma foi dans les pour elle; l'industrie, perfectionnée et déve- théories d'économie politique; néanmoins, je loppée, se chargera de réparer les maux qu'on cherchai à me rassurer en comparant l'état de lui impute. Les rapports brillants que l'on pu- la France avec celui de l'Angleterre, sous le bliait de toutes parts sur la prospérité de l'An- rapport de la marche de la population. La difgleterre me semblaient une démonstration sans férence était énorme; je crus inutile de prévoir réplique, et ne permettre aucun doute, aucune les malheurs de si loin. D'ailleurs, Malthus pouobjection. Que faire, cependant, des pauvres vait avoir été égaré par l'esprit de système : les ouvriers qui ne pouvaient attendre ? Heureuse- circonstances où il avait observé la misère des ment pour eux, la charité religieuse était là, ouvriers anglais n'étaient pas les mêmes qu'en toujours vigilante, toujours infatigable, tou- France ; l'alarme eût donc été prématurée. jours prête au moment du besoin. C'était donc Peu de temps après, je fus chargé d'administoujours à elle, qu'en dernière analyse, il fallait trer un des départements de la région presque recourir. centrale de la France (2). L'industrie de cette J'achevais de lire l'ouvrage de M. le comte de contrée , essentiellement agricole, s'exerce exLaborde sur l'esprit d'association. Ce tableau clusivement sur les produits du sol; elle a su , magnifique de la prospérité de l'Angleterre me en outre , profiter des avantages d'une heureuse faisait plus que jamais déplorer la lenteur des situation locale. Aussi la misère était-elle peu progrès de la civilisation de France; il excitait sensible dans les villes , et presque nulle dans dans mon âme une sorie de jalousie nationale, les campagnes. La charité religieuse, toujours et, le dirai-je ! j'en étais presque humilié. Je vigilante, suffisait à la soulager. Quelques tracommuniquai ce livre à un homme pour lequel vaux publics, pendant la saison rigoureuse, j'éprouvais une grande sympathie, et dont le occupaient tous les bras oisifs. Rien ne mettait savoir profond s'alliait à la modestie la plus tou à des épreuves trop pénibles la sensibilité de chante (1). « C'est très-bien, me dit-il ; mais il l'homme et la sollicitude du magistrat. faut voir maintenant le revers de cette belle Je quittai au bout de deux ans les bords riants médaille. » Le lendemain, il m'envoya l’Essai et paisibles de la Charente , pour exercer les sur le principe de la Population de Malthus, mêmes fonctions dans la capitale de l'ancienne que son cousin, M. Pierre Prévost, de Genève, Lorraine (3). Ici je trouvai une industrie trèsavait traduit depuis quelques années ; nous le développée, mais en général spéciale aux prolûmes ensemble, et je ne pus lui dissimuler ma duits du sol, et favorisée par une abondance surprise, car il me semblait que la déplorable extraordinaire de combustibles ligneux; des ; misère dont Malthus signalait l'existence en communes riches par leurs forêts , plus riches Angleterre, pouvait plus rationnellement être encore par un excellent régime municipal, et attribuée au système industriel qu'à un excès par les traditions de charité encore vivantes des de population, ou que du moins ces deux causes bons ducs de Lorraine et du monarque le plus avaient agi simultanément. Ainsi, ce dévelop- bienfaisant qui fut jamais. pement de l'industrie aurait amené un immense Nancy, la ville de Stanislas; Lunéville, sa accroissement d'indigence. Telle était aussi résidence habituelle ; Toul et quelques autres l'opinion de M. Bénédict Prévost. Dès longtemps cités importantes, étaient sans doute fort dépersuadé qu'un excès de production peut et doit chues de leur ancienne splendeur; cela s'expli 2 (1) M. Bénédict Prévost, de Genève, professeur à la faculté de théologie protestante de Montauban, mort en 1821. (2) Le département de la Charente (l'ancien Angoumois). (3) Le département de la Meurthe. quait facilement par la disparition des grands cause au paupérisme de la ville la chute du établissements qui répandaient partout le mou- commerce de Saint-Domingue, la répression de vement et la vie. Cependant la misère n'était la traite des noirs, les habitudes d'ivrognerie grande que parmi les ouvriers employés jadis des ouvriers, et la grande agglomération d'inaux anciennes manufactures de tabac ou atta- dividus cosmopolites qui accompagne toujours chés aux fabriques modernes de coton. Nulle les grandes cités. La misère était peu sensible part des institutions de charité plus nombreuses, dans les campagnes de la partie nord du déparplus magnifiques, plus prévoyantes , n'avaient tement. été créées pour soulager et prévenir l'indigence L'indigence avait bien plus d'intensité dans et le malheur. L'étude du paupérisme, dans les autres départements de la Bretagne; on l'excette province si remarquable, conduisait donc pliquait par l'état peu avancé de l'agriculture seulement à faire admirer le perfectionnement et de l'instruction populaire, par la cessation de de l'industrie nationale et les bienfaits d'une l'ancienne industrie des toiles de Bretagne et agriculture éclairée, et enfin à bénir les fon- par la difficulté des communications intérieures. dations du philosophe bienfaisant." Sur la rive gauche de la Loire s'étendait cette C'est là que j'eus le précieux avantage de contrée si célèbre contrée si célèbre par d'illustres malheurs. L'arencontrer un agronome célèbre, M. Mathieu griculture régnait presque sans partage dans la de Dombasle , savani modeste et laborieux, qui Vendée ; la charité y était vivante comme aux dès longtemps prodiguait ses veilles , sa santé premiers temps du christianisme ; là, le paupéet sa fortune, à l'avancement de l'art agricole, risme eût été peut-être inconnu si la guerre cisans autre ambition que celle d'être utile à son vile n'avait laissé des traces cruelles et profondes pays. J'eus bien viie compris que ses théories sur cette terre d'héroïques et mélancoliques d'économie politique reposaient sur le dévelop- souvenirs (1). pement de l'industrie nationale, c'est-à-dire de A Nantes, comme dans le reste du départecelle qui s'exerce sur les produits du sol. Jaloux ment, la pauvreté n'avait guère d'autre soutien de seconder ses vues éclairées, et de l'aider à et d'autre refuge que la charité religieuse : aussi répandre les fruits de sa longue expérience, je cette vertu sublime se manifestait-elle sous les fus assez heureux pour contribuer , avec lui, à formes les plus touchantes, les plus ingénieuses la création de la ferme exemplaire de Roville, et les plus variées. Tandis que la philanthropie dont la renommée est européenne, et dont l'in-industrielle n'avait pu offrir aux indigents qu'une fluence commence déjà à se faire sentir en école Lancastrienne, et, de loin en loin, les proFrance. duits de quelques souscriptions à des bals, à des Ma destinée administrative me transporta concerts ou autres réunions de plaisir, la reliensuite dans l'une des provinces de l'ancienne cion consolait et soulageait des milliers d'inforBretagne. Le siège de l'administration était fixé tunés, fondait une multitude d'asiles pour l'enà Nantes, la ville la plus populeuse et la plus fance, le malheur et le repentir, et accomplissait importante de cette partie de la France. Cette ainsi en silence son auguste vocation. Ce fut à cité, jadis métropole du commerce des Antilles, cette époque qu'à l'imitation de l'heureux et longtemps le foyer d'une prospérité inouie, exemple donné à Bordeaux, par M. le baron avait cruellement souffert des désastres de Saint-d'Haussez, je conçus le projet de créer, pour la Domingue. Toutefois de nombreuses manufac- ville de Nantes, une maison de refuge pour les tures s'y étaient établies; l'emploi des machines mendiants invalides. Cette institution, achevée économiques avait pris une notable extension; par les soins de mon honorable successeur (le de grandes fortunes industrielles s'étaient rapi- baron de Vanssay), reçut les plus puissants sedement élevées, et cependant l'échelle de la cours de monseigneur l'évêque de Nantes et de misère publique se développait sur les plus lar- son clergé si digne d'un tel pasteur. La mendiges proportions. A côté d'une extrême opulence cité fut dès-lors interdite; seulement, pour ense faisait remarquer une pauvreté excessive; tretenir dans les cæurs le précepte religieux de de fréquentes émeutes d'ouvriers , et des murmures faiblement contenus, trahissaient le mal (1) Le département de la Vendée est celui qui a conservé les meurs les plus pures. C'est celui qui produit le moins d'enfants aise des classes inférieures. On donnait pour trouvés. l'aumône, deux pauvres furent autorisés à re- du nord du royaume, sous des couleurs si brilcueillir, aux portes de chaque église, les offran- lantes et avec une telle profusion de chiffres et des que les personnes charitables destinaient à de combinaisons statistiques, que s'il n'explila maison de refuge pour la mendicité. quait pas les causes de la détresse des ouvriers Vers le même temps une école d'agriculture de l'Angleterre, il rassurait du moins sur le fut fondée à l'abbaye de Melleray, aux environs sort des ouvriers attachés aux manufactures de Nantes, par la munificence du roi Charles X françaises. M. Dupin poussait la conviction au et la bienveillante intervention de M. le duc de point de désirer que la majorité de notre poLa Rochefoucauld-D'Oudeauville, à qui je m'é- pulation agricole pût passer immédiatement tais empressé de faire connaître les améliora- dans les rangs des producteurs industriels. Un tions agricoles dues au vénérable et aimable tel projet pouvait justement surprendre les homabbé Saulnier, le Dombasle des instituts reli- mes même les plus enthousiastes de l'industrie, gieux. La France sait comment cette fondation, mais à coup sûr il était fait pour dissiper les dont on pouvait espérer de si heureux fruits, a alarmes des philanthropes français. disparu au milieu de nos récents orages politi- Quoi qu'il en soit, il était dans ma destinée ques..... d'exercer successivement des fonctions admiLa question de paupérisme s'était dès-lors nistratives dans chacune des diverses régions montrée à moi dans toute son importance. Je du royaume. Au commencement de 1828, je fus comprenais de plus en plus combien l'indus-promu à la préfecture du département du Nord. trie agricole était la base la plus réelle et la Je regrettai profondément la Bretagne. Mes replus sûre du bien-être des classes inférieures. grets étaient toutefois adoucis par l'espérance Un grand exemple venait d'être donné à cet de trouver dans un département signalé comme égard par un peuple très-avancé en industrie. l'un des plus avancés en agriculture, en civiliLa renommée m'avait appris la création des sation et en industrie, une population riche, colonies agricoles d'indigents des Pays-Bas, et éclairée, heureuse, où la misère serait sinon j'avais suivi, avec un vif intérêt, les progrès de inaperçue, au moins facile à soulager et à pré. ces établissements philanthropiques. Déjà, et de venir: ces idées riantes ne furent pas de longue concert avec deux hommes distingués (MM. de durée. Tollenare et le baron Marion de Beaulieu, co- Le lendemain de mon arrivée à Lille, je reçus lonel du génie, qui avait visité récemment les la visite de la commission administrative des hosinstitutions de Frédérick-Oords), je m'occupais pices de cette ville. — Avez-vous beaucoup de des moyens d'utiliser les pauvres du départe- pauvres ? demandai-je à son vénérable présiment de la Loire-Inférieure au défrichement des dent. - Plus de trente-deux mille, me répondit landes incultes de la Bretagne. L'association de il, c'est-à-dire près de la moitié de la population. l'industrie et de l'agriculture m'apparaissait - Je le fis répéter, tant cette réponse m'avait comme la solution du grand problème de l'ex- frappé d'étonnement et d'effroi. tinction de la misère. Les écrits de Malthus et On me dit ensuite que ce paupérisme effrayant de MM. de Sismondi, Droz et Rubichon, démon- n'était pas seulement particulier à la ville de traient que si le système manufacturier de l'An- Lille; que la même misère régnait, ou à peu gleterre avait pu enrichir la nation, c'est-à-dire près, non-seulement dans les villes considérales entrepreneurs d'industrie, c'était aux dépens bles du département, mais dans la plupart des de l'aisance, de la santé, de la moralité et du du co communes rurales. Dès que la commission m'eut bonheur des classes ouvrières. Mes premières quitté, je m'empressai de demander à l'estimaillusions sur ce point étaient complétement dis- ble employé supérieur (1) qui dirigeait, à la présipées; mais j'étais encore loin de penser que le fecture, l'administration des secours publics, mal eût déjà gagné une portion de la France. s'il était vrai, s'il était même possible que le Un ouvrage qui, dans le principe, produisit département du Nord fût accablé à ce point de beaucoup de sensation, venait d'exposer l'état l'excès de l'indigence. Il mit tristement et en sides forces productives de la France. L'auteur, lence , sous mes yeux, le relevé numérique des M. le baron Charles Dupin, y proclamait la situation prospère des départements industriels (1) N. Mallebrang. |