Page images
PDF
EPUB

l'échafaud ont fait éprouver à ce royaume depuis 1789, Malthus trouva dans ce résultat une nouvelle preuve de l'énergie du principe de la population. Il attribue du reste l'accroissement de la population, durant ces temps de guerre et de troubles, à une plus grande prospérité de l'agriculture occasionnée par la division des propriétés, au plus grand nombre de mariages et d'enfants et à l'aisance plus généralement répandue parmi le peuple agricole. Les moyens de subsistance ayant augmenté, la population devait naturellement s'accroître et compenser ainsi les pertes provenant des guerres et des discordes civiles.

[ocr errors]

sur le principe de la population, c'est à l'examen et à la critique approfondie que méritait un écrit aussi remarquable, où se révèle d'ailleurs un zèle si ardent pour l'humanité, que l'on doit les opinions plus justes et plus sûres que l'on s'est formées aujourd'hui sur la population et des effets de son accroissement sur le bonheur des individus et des sociétés, comme sur la direction qu'il est préférable de donner en certains cas aux applications de la charité publique.

M. J.-B. Say reconnaît, avec Malthus, « que, malgré la prévoyance attribuée à l'homme et la contrainte que la raison, les lois et les mœurs lui

Tel est l'exposé sommaire du célèbre système de imposent, la multiplication des hommes va toujours Malthus sur le principe de la population.

Ces nouvelles doctrines, ainsi que nous l'avons fait observer déjà, opérèrent une véritable révolution dans la plupart des idées généralement adoptées en économie politique.

non-seulement aussi loin que leurs moyens d'exister le leur permettent, mais encore un peu au-delà : il est affligeant de penser, mais il est vrai de dire que, même chez les nations les plus prospères, une partie de la population périt tous les ans de besoin, non pas positivement du défaut de nourriture, mais parce qu'elle n'a pas tout ce qui est nécessaire pour vivre.» Cet auteur, qui a fort approfondi la question de la population, partage, en général, les opinions de Malthus, et admet en principe que la рориlation tend tonjours à déborder ses moyens d'exister. M. Mill déclare que la misère générale de l'espèce humaine est un fait que l'on ne peut expliquer qu'à l'aide d'une des deux suppositions suivantes : ou la population a une tendance à s'accroître plus rapidement que les capitaux, ou bien l'on a empêché, par des moyens quelconques, les capitaux de suivre la tendance qu'ils ont à s'accroître (2).

L'ouvrage de Malthus ne pouvait manquer de produire une sensation profonde il proclamait des vérités tristes et sévères, mais frappantes et graves. Plein de faits intéressants, de sentiments nobles, de vues importantes présentées avec conscience et un talent supérieur, respirant constamment la morale la plus pure, il apparaissait en quelque sorte comme un phare lumineux élevé au milieu de l'océan social pour préserver les passagers des écueils semés sur leur route. Non-seulement il faisait justice des préjugés et des erreurs qui excitaient imprudemment le développement indéfini de la population, mais encore il faisait apercevoir que, dans plus d'une circonstance, les bienfaits de la charité, loin d'extirper la mendicité et l'indigence, pouvaient leur servir d'aliment et d'appui. Il donnait donc une direction plus éclairée et plus sûre aux moyens par lesquels on peut amé-régler leur nombre, en diminuant parmi eux la fréliorer la condition des travailleurs et celle des pauvres. Un grand nombre d'écrivains se hâtèrent de se ranger au système de Malthus; quelques-uns poussèrent plus loin les conséquences qu'il en avait tirées, puisqu'ils n'hésitèrent pas à conseiller aux gouvernements d'interdire formellement le mariage aux pauvres (1); d'autres en abusèrent au point de proscrire la plupart des institutions de charité.

Les propositions de Malthus et l'exagération évidente de quelques-unes des assertions de son ouvrage devaient rencontrer de nombreux antagonistes; mais tous s'accordèrent, en général, à reconnaître les services qu'il avait rendus à la science. C'est en effet aux idées puisées dans l'Essai

(1) Entre autres, M. Stewart.

(2) Éléments d'économie politique.

(3) Des Principes de l'économie politique et de l'impôt.

« C'est une vérité incontestable, dit M. Ricardo, que l'aisance et le bien-être des pauvres ne sauraient être assurés, à moins qu'ils ne les cherchent en eux-mêmes ou que le législateur ne travaille à

quence des mariages entre des individus trop jeunes et trop imprévoyants (3). »

M. le comte Destutt de Tracy reconnaît également la justesse de la plupart des observations de Malthus. Il pense avec lui que, tant que la société n'a pas occupé tout l'espace dont elle peut disposer, tous les individus prospèrent assez facilement ; mais, quand une fois tout le pays est rempli, quand il ne reste plus un champ qui n'appartienne à personne, c'est alors que la presse commence. Alors ceux qui n'ont point d'avances, ou qui en ont de trop faibles, ne peuvent faire autre chose que de se mettre à la solde de ceux qui en ont de suffisantes. Ils offrent leur travail de toutes parts: il baisse de prix; cela ne les empêche pas de faire des enfants et de multiplier imprudemment. Bientôt ils deviennent trop nombreux : alors il n'y a plus parmi eux que les plus habiles et les plus heureux

qui puissent se tirer d'affaire. Tous ceux dont les services sont les moins recherchés ne trouvent plus❘ à se procurer que la subsistance la plus stricte, toujours incertaine et souvent insuffisante (1).

M. Droz, qui a combattu sur plusieurs points le système de Malthus avec esprit et sensibilité, est néanmoins d'accord avec lui sur la nécessité de la contrainte morale; seulement il veut parvenir à la faire pratiquer au peuple par les lumières et des moyens doux et sages. « Répandez l'instruction, dit-il que le sentiment de la dignité humaine pénètre dans les âmes ; que la situation sociale soit assez prospère pour que l'ouvrier ait quelque part aux douceurs de la vie. Il ne voudra pas se marier avant que d'être certain que sa femme et ses enfants auront le même avantage. On demande si la population tend à dépasser les moyens d'existence? Oui, dans notre état de civilisation: non, dans un état de civilisation plus avancé (2). »

Telle est à peu près la conclusion de l'ouvrage de M. T. Duchâtel sur la charité. Les véritables causes de la misère, selon cet écrivain, ne sont ni dans les fautes des gouvernements (quoique ces fautes puissent produire aussi un surcroît de pauvreté), ni dans la distribution inégale des richesses. Elles sont uniquement dans l'oisiveté, dans une trop grande multiplication des naissances, et enfin dans ces coups du hasard que le calcul et la prévoyance ne peuvent prévenir d'où il suit que travailler, ne se marier qu'avec prudence, et enfin consommer le prix des salaires avec assez d'économie pour qu'une part mise en réserve puisse faire face aux malheurs imprévus, sont les moyens d'interdire à la misère tout accès dans la société (3).

C'est aussi l'opinion de M. Blanqui, l'un des historiens de l'économie politique. «Dans leur aveugle philanthropie, dit-il, une foule de gouvernements ont encouragé le mariage et flétri le célibat. Une foule ont cru qu'il suffisait de naître pour être sûr de vivre, et de paraître aux rayons du soleil pour en être réchauffé. Ainsi leur erreur, d'accord avec une erreur plus douce et pleine d'espérance, ne fait que multiplier le nombre des victimes en croyant multiplier le nombre des heureux. Cherchons les causes de cette anomalie : les nations, comme les individus, ne vivent que du produit de leur travail. Plus un peuple, une famille, un homme produisent, plus ils peuvent satisfaire de besoins dont le premier est celui de soutenir leur existence. Or,

(1) Traité d'économie politique.

(2) Économie politique, ou principes des richesses. (3) De la Charité.

(4) Economie politique.

(5) Nouveaux principes d'économie politique.

(6) M. Rubichon, dans son ouvrage intitulé: Du Mécanisme

[merged small][ocr errors]

M. Sismonde de Sismondi, qui n'admet pas la plupart des assertions de Malthus, ne peut méconnaître cependant les dangers de la multiplication d'une population indigente. Il avoue même que, pour protéger contre ces dangers et la classe pauvre, et les enfants à naître, et les riches tenus de les assister, il ne répugnerait pas à interdire le mariage à l'ouvrier qui n'aurait pas dix acres (ou arpents) de propriétés, ou vingt acres à ferme (5).

Les observations de M. de Sismondi sur la population méritent, à raison de leur tendance toute philanthropique, une attention spéciale. Nous rapportons quelques-unes de ses idées principales à ce sujet, en regrettant d'y remarquer parfois des contradictions et des erreurs au milieu d'éclatantes vérités.

« La population se règle toujours sur le revenu. Si elle dépasse cette proportion, c'est toujours lorsque les pères se sont trompés sur ce qu'ils croyaient de leur revenu, ou plutôt lorsque la société les a trompés.

« Si la population s'accroît lorsque les moyens. de la maintenir ne s'accroissent pas, la nation est frappée de la plus cruelle des calamités : la terre consume alors ceux qu'elle ne peut nourrir. De quelque manière qu'il survienne une disproportion entre le revenu et la population, c'est toujours ou le capital ou la demande de travail qui diminue, et c'est toujours la classe ouvrière qui souffre et qui est privée de son revenu (6).

« Plus le pauvre est privé de toute propriété, plus il est en danger de se méprendre sur son revenu et de contribuer à accroître une population qui, ne correspondant point à la demande du travail, ne trouvera point de subsistance. Cette observation est assez ancienne pour avoir passé dans le langage et avoir été transmise de la langue latine aux langues modernes. Les Romains appelèrent prolétaires ceux qui n'avaient point de propriété, comme si, plus que tous les autres, ils étaient ap

[blocks in formation]

pelés à avoir des enfants, ad prolem generandam.» | Lorsqu'on a permis qu'il existât une classe. dont l'habitude fût de ne rien avoir, dont l'idée de richesse fût simplement d'exister, dont l'idée de pauvreté fût de mourir de faim; lorsqu'on a permis, que sa subsistance fût ménagée si juste, qu'on ne pût rien en retrancher; ceux qui vivent dans cette condition ne forment, pour les objets de leur affection, que les vœux qu'ils forment pour euxmêmes. Le malheureux ouvrier de ces manufactures qui ne gagne que huit sous par jour, et qui souffre souvent de la faim, ne se refusera pas luimême au mariage. On l'a accoutumé à ne point voir d'avenir plus éloigné que le samedi, où l'on paie les comptes de la semaine. On a ainsi émoussé en lui les qualités morales et le sentiment de la sympathie. On lui a trop souvent fait connaître la douleur présente pour qu'il soit très-effrayé de la douleur future que pourront éprouver sa femme et ses enfants. Si sa femme gagne aussi huit sous, si les enfants, tant qu'ils sont en bas âge, sont pour lui un titre pour recevoir quelques secours de l'hôpital, de la charité publique, ou, en Angleterre, de la paroisse; si, arrivés à six ou sept ans, ils commencent déjà à gagner quelque chose, ses enfants, loin de diminuer son revenu, lui paraîtront l'augmenter. Sa famille deviendra d'autant plus nombreuse, qu'elle sera plus à charge à la société, et la nation gémira sous le poids d'une population disproportionnée avec les moyens de la mainte

nir.

«M. Malthus a établi en principe que la population de tout pays était limitée par la quantité de subsistance que ce pays peut fournir. Cette proposition n'est vraie qu'en l'appliquant au globe terrestre tout entier, ou à un pays qui n'a nulle possibilité de tirer des autres aucune partie de sa subsistance. Jamais la population n'a atteint la limite des subsistances possibles: jamais probablement elle ne l'atteindra. Tous ceux qui auraient envie des subsistances, n'ont ni le moyen ni le droit d'en demander à la terre; ceux au contraire auxquels les lois accordent le monopole des terres, n'ont nullement intérêt à leur demander toute la subsistance qu'elles

(1) M. J.-B. Say fait remarquer « que M. de Sismondi confond ici les moyens d'exister avec les subsistances. Si les subsistances sont, pour la plupart des hommes, la portion essentielle de leurs moyens d'exister, elles ne sont pour une famille illustre qui a toujours occupé des emplois importants à la cour et dans les armées, qu'un objet de dépense secondaire. Il ne faut à une famille d'ouvriers, pour subsister, que du pain, de la soupe, quelques vêtements et un abri. Il faut de plus, à une famille noble, des terres à partager entre les enfants, des pensions ou des places dont le nombre est borné, des mariages qu'on appelle convenables, c'est-à-dire où le personnel du conjoint est une considération secondaire et où le rang et la for

peuvent produire. En tout pays les propriétaires se sont opposés et ont dû s'opposer à un système de culture qui tendrait uniquement à multiplier les subsistances et non à augmenter leurs revenus. Longtemps avant que la population soit arrêtée par l'impossibilité où serait le pays de produire plus de subsistance, elle l'est par l'impossibilité où se trouve cette population d'acheter cette subsistance ou de travailler à la faire naître.

« La subsistance, proprement dite, ou le pain, a pu manquer à la classe pauvre. Son défaut a pu arrêter cette multiplication rapide que M. Malthus regarde comme une loi du genre humain. Mais la nourriture ne manque pas à la noblesse, que son nom et ses prérogatives signalent au milieu de ses concitoyens, de manière qu'on peut toujours s'assurer des progrès des générations dans ce corps particulier de l'état. On fait remonter l'origine des Montmorency tout au moins jusqu'à l'époque de Hugues Capet, et l'on ne saurait douter que dèslors tous ceux qui avaient droit de porter ce beau nom ne l'aient soigneusement conservé. Les Montmorency n'ont jamais manqué de pain leur multiplication, selon le système de M. Malthus, n'a jamais été arrêtée par le défaut de subsistance; leur nombre aurait donc dû se doubler tous les vingtcinq ans. A ce compte, en supposant que le premier ait vécu en l'an 1000; dès l'an 1600 ses descendants auraient dû se trouver au nombre de 16,777,216. La France, à cette époque, ne comptait pas tant d'habitants. Leur multiplication continuant toujours. de même, l'univers entier ne contiendrait plus aujourd'hui que des Montmorency, car leur nombre se serait élevé, en 1800, à 2,147,475,648. Ce calcul a l'air d'une plaisanterie. Il ne laisse pas que nous représenter avec évidence, d'une part, la multiplication possible d'une seule famille, si l'on ne tient compte que des facultés virtuelles de l'espèce humaine; d'autre part, l'obstacle que la volonté de l'homme apporte toujours à cette multiplication, obstacle tout à fait indépendant de la quantité des subsistances, car il arrête, avant les autres, les rangs les plus élevés de la société, ou ceux qui sont le plus à l'abri de la misère (1).

de

tune sont de rigueur. C'est la crainte de ne pas réussir à pourvoir ainsi une nombreuse famille qui impose cette réserve, soit pour contracter des mariages, soit pour en user. Si les Montmorency n'ont jamais manqué de moyens d'exister, c'est précisément parce qu'ils se sont peu multipliés. Mais en même temps, comme ces moyens d'exister, pour les grandes familles, sont beaucoup plus rares et d'une acquisition plus difficile que la cabane et la soupe qui suffisent aux besoins du pauvre, ce sont, après tout, les grandes familles qui se perpétuent le moins.» (Cours complet d'économie politique.) Nous ne pensons pas que les réflexions de M. J.-B. Say, sur les causes qui ont pu arrêter la multiplication des grandes familles, soient parfai

« Le but de la société n'est point rempli aussi longtemps que le pays que cette société occupe présente des moyens pour nourrir une population nouvelle, pour la faire vivre dans le bonheur et dans l'abondance, et que ses moyens ne sont pas mis en usage. La diffusion du bonheur sur la terre fut le but de la Providence. Il est empreint dans toutes ses œuvres, et le devoir de l'homme et des sociétés d'hommes est de s'y conformer.

« Tandis que plus des trois quarts de la terre habitable sont privés, par les vices de leurs gouvernements, des habitants qu'ils devraient nourrir, nous éprouvons aujourd'hui, dans toute l'Europe, la calamité contraire, celle de ne pouvoir maintenir une population surabondante qui surpasse la proportion du travail demandé, et qui, avant de périr de misère, fait partager ses souffrances à toute la classe de ceux qui vivent du travail de leurs

mains.

« Ce sont ces variations dans la demande du travail, ce bouleversement dans l'existence des pauvres artisans qui donnent aux états une population surabondante. Déjà arrivée dans le monde, elle n'y trouve plus de place pour exister, et elle est toujours prête à se contenter du plus bas terme auquel il lui sera permis de vivre. Il n'y a point de condition si dure qu'on ne trouve des hommes prêts à s'y résigner volontairement. »

α

a Le gouvernement trompe les malheureux ouvriers sur le revenu qu'ils peuvent attendre de leur industrie; il les expose le plus souvent encore à se tromper eux-mêmes. C'est ce qui arrive lorsqu'il encourage l'établissement d'une organisation sociale qui multiplie le nombre de ceux qui n'ont rien, qui vivent au jour la journée, qui ne sont appelés à prendre aucune connaissance du marché pour lequel ils travaillent, et qui sont par conséquent à la merci de leurs maîtres. Ce n'est pas la classe des pauvres, mais celle des journaliers qu'il faut faire disparaître, qu'il faut faire rentrer dans la classe des propriétaires.

[ocr errors]

Il existe dans toutes les nations une classe d'individus qui ont été rejetés hors des autres cadres de la société, qui ont perdu leur patrimoine, ou leur métairie s'ils étaient laboureurs, leur petit capital, s'ils appartenaient au commerce ou aux manufactures, et qui n'ont plus, pour vivre, que le travail journalier qu'ils font pour des maîtres étrangers. Heureuse la nation où cette classe est nombreuse! Il n'y en a aucune où elle n'existe absolument pas. Ces malheureux, aussi longtemps qu'ils seront inquiets de leur propre subsistance, songeront peu à se marier et à se charger de pour-protecteur. Le magistrat est appelé à faire respec

voir à la subsistance d'autrui. Mais aussitôt qu'une demande nouvelle de travail élève leur salaire et augmente aussi leur revenu, ils s'empressent de satisfaire à l'une des premières lois de la nature, et ils cherchent dans le mariage une nouvelle source de bonheur. Si l'élévation des salaires n'a été que momentanée, si, par exemple, les faveurs accordées par le gouvernement ont tout à coup donné un grand développement à une manufacture qui, après son premier début, ne peut plus se soutenir, les ouvriers dont les gages ont été doublés depuis quelque temps se seront tous mariés pour mettre à profit leur petite aisance. Puis, au moment de la décadence de leur manufacture, leur famille, disproportionnée avec la demande du travail, se trouvera précipitée dans la plus horrible misère.

tement fondées. Assurément, les Montmorency ont dû toujours considérer un grand nombre d'enfants comme une véritable richesse, car les rois de France ne pouvaient avoir trop de menbres de cette race si noble et si généreuse, pour illustrer et défendre le trône, et il n'est aucune famille si élevée en dignité, qui n'eût tenu à honneur son alliance. M. Say a oublié que beaucoup de rejetons des familles historiques de la France embrassaient l'état ecclésiastique, et que d'ailleurs les Mont

La société ne doit pas laisser mourir de misère ceux qui sont nés sous sa protection; mais elle ne doit pas laisser naître ceux qui ne peuvent que mourir de misère. C'est un devoir de ne point se marier quand on ne peut assurer à ses enfants les moyens de vivre; c'est un devoir, non point envers soi, mais envers les autres, envers ces enfants qui ne peuvent se défendre, qui n'ont point d'autre

ter tous les devoirs réciproques; il n'y a pas d'abus d'autorité à ce qu'il empêche le mariage de ceux qui sont le plus exposés à oublier ces devoirs. Le mariage des mendiants ne devrait jamais être permis (1); le mariage de tous ceux qui n'ont aucune propriété devrait être soumis à une inspection sévère. On aurait droit de demander des garanties pour les enfants à naître; on pourrait exiger celle du maître qui fait travailler, requérir de lui yn engagement de conserver à ses gages, pendant un certain nombre d'années, l'homme qui se marie.

« Les chefs des manufactures seraient aussi forcés d'augmenter les salaires et de s'assurer les ouvriers, par un gage annuel ou par une association quelconque dans les profits de leur entreprise. Ce serait leur affaire de chercher par quel moyen

morency, comme les autres, avaient pour premier privilége celui de répandre leur sang pour la défense et la gloire du pays. M. Say aurait peut-être trouvé dans cette dernière considération la cause réelle qui a empêché plusieurs de nos anciennes familles de se multiplier beaucoup et qui en a éteint un si grand nombre.

(1) Ce principe a été introduit dans la législation du royaume de Bavière et de quelques autres états.

ils pourraient les retirer de la condition plus que servile à laquelle ils sont réduits aujourd'hui; c'est la réforme que le législateur doit désirer avant toutes les autres, dût-elle être fatale à plusieurs manufactures. Ces manufactures ne valent pas la peine d'être sauvées, si elles ne peuvent être maintenues que par le sacrifice de victimes humaines.

Il est possible qu'une semblable législation excitât d'abord les plaintes des ouvriers; bientôt les plaintes se changeraient en expressions de reconnaissance; celles du clergé seraient plus sérieuses, puisqu'on ne peut nier que quelque libertinage ne fût la conséquence du célibat forcé de tous les pauvres. A ne considérer cependant que les mœurs, ce mal est moindre que le sacrifice presque nécessaire de ce nombre de jeunes filles qui, naissant sans ressources, sont enchaînées par la misère dans le vice.

α

« Si le mariage est sacré, s'il est un des grands moyens d'attacher l'homme à la vertu, de compenser, par des espérances naissantes, les chagrins du déclin de l'âge, de faire succéder une honorable vieillesse à une jeunesse active, ce n'est pas parce qu'il légitime les plaisirs des sens, mais parce qu'il impose au père de famille de nouveaux devoirs, et qu'il fait trouver, en retour, la plus douce récompense par les liens d'époux et de père. La morale religieuse doit donc enseigner aux hommes que le mariage est fait pour tous les citoyens également : que c'est le but vers lequel ils doivent diriger leurs efforts, mais qu'ils ne l'ont atteint qu'autant qu'ils peuvent en remplir tous les devoirs envers les êtres auxquels ils donnent l'existence.

« L'enseignement religieux a presque toujours contribué à rompre l'équilibre entre la population et la demande de travail qui doit la faire vivre. Les religions ont commencé dès l'origine de la race humaine, et par conséquent dans un temps où les progrès rapides de la population étaient partout désirables. Elles n'ont point changé de principes, lorsqu'un accroissement sans bornes de familles n'a plus donné naissance qu'à des êtres nécessairement condamnés à des souffrances physiques et à la dégradation morale. Dans presque tous les cultes, l'accroissement indéfini des familles a été toujours représenté comme une bénédiction du ciel.

(1) Nouveaux Principes d'économie politique. M. de Sismondi, en blåmant le clergé catholique et les autres cultes chrétiens de l'espèce d'encouragement qu'ils donnent à la fécondité des mariages, a tout à fait oublié que la religion chrétienne place la continence entre les époux, lorsqu'elle est l'effet d'un consentement mutuel et d'un désir de perfection, au rang des plus hautes vertus. Il aurait dû s'apercevoir que les remarques contre les casuistes catholiques, et par conséquent contre les effets de la confession, se trouvent détruites par les faits. La population a, en effet, bien moins d'accroissement dans les ÉCONOMIE POLITIQUE.

D'autre part, tandis que la religion réprimait le dé bordement des mœurs, elle attachait toute la mo ralité de la conduite au mariage, et lavait, par la seule bénédiction nuptiale, tout ce qu'il pouvait y avoir de répréhensible dans l'imprudence de celui qui contractait inconsidérément les liens de la paternité.

« Cependant, quelle que soit l'importance de la pureté des mœurs, les devoirs des pères envers ceux auxquels ils donnent le jour sont plus importants encore. Les enfants qui ne naissent que pour la misère, ne naissent aussi que pour le vice. Le bonheur et la vertu d'êtres innocents et sans défense sont ainsi sacrifiés aux passions d'un jour. L'ardeur des casuistes en prêchant le mariage pour corriger une faute, et même pour la prévenir, l'imprudence avec laquelle ils recommandent aux époux de fermer les yeux sur l'avenir, de confier le sort de leurs enfants à la Providence, l'ignorance de l'ordre social qui leur a fait rayer la chasteté du nombre des vertus propres au mariage, ont été des causes sans cesse agissantes pour détruire la proportion qui se serait naturellement établie entre la population et les moyens d'exister.

<< Considérant le mariage comme uniquement destiné à la multiplication de l'espèce humaine, ils ont fait un péché de la vertu même qu'ils enseignent aux célibataires. Cette morale combat constamment le principe universel d'intérêt et de sympathie dont nous avons parlé comme faisant la sauvegarde de la société, celui de ne point exposer à la souffrance des êtres qu'on doit chérir et protéger, de ne point appeler à l'existence des fils à qui l'on ne peut assurer une existence égale à la sienne, une subsistance qui ne les laisse pas souffrir, une indépendance qui les préserve de la corruption et du vice (1). »

Nous reviendrons plus tard sur ces dernières observations de M. de Sismondi, qui nous paraît avoir complétement méconnu les véritables principes du clergé catholique relativement à l'accroissement de la population; nous voulions prouver seulement, par cette citation de son ouvrage, que la plupart des économistes modernes se rattachaient plus ou moins aux idées de Malthus, sur la nécessité d'arrêter les progrès de la population dans les

états catholiques, en Espagne, par exemple, où l'on se confesse beaucoup, qu'en Angleterre où l'on ne connaît ni casuistes ni confesseurs. Du reste, il semble que son système devait naturellement le conduire à proclamer les avantages du célibat des prêtres et des ordres religieux. Mais il garde, à cet égard, un profond silence. S'il est dans l'erreur, du moins n'a-t-il pas attribué aux maximes du clergé catholique un but d'intérêt sordide, comme M. J.-B. Say, qui n'a pas craint de dire : Les prêtres cherchent à multiplier la population, pour peupler leurs mosquées; les potentats, pour grossir leurs bataillons. 6

« PreviousContinue »