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classes ouvrières. Comme ces opinions ont été fort débattues, nous allons placer en regard les objections les plus saillantes de leurs adversaires.

L'un d'eux, M. Everett, auteur d'un ouvrage intitulé: Nouvelles Idées sur la population, combat, dans presque toutes ses parties le système de Malthus. Il l'a fait avec talent, mais peut-être avec une prévention inspirée par un long séjour aux ÉtatsUnis d'Amérique, où le développement rapide de la population n'a produit encore aucune des calamités qu'il entraîne à sa suite dans notre vieille .Europe.

M. Everett pense que si quelques lieux sont incommodés par un excès de population, ce ne peut être que passager. Il ne faut pas s'en prendre au trop grand nombre de mariages, mais aux vices de l'organisation sociale, qui empêchent cette population surabondante de travailler ou qui la privent de leur travail. Il croit que la France est en état de nourrir 150 millions d'habitants au lieu de 50 millions. Il ne voit en Europe que deux ou trois petits coins de terre que l'on puisse regarder comme très-peuplés, et ce sont les contrées les plus florissantes et les plus heureuses : l'Angleterre, la Hollande et la Suisse. Tout le reste est en souffrance faute d'habitants. Partisan des doctrines de Smith, M. Everett veut prouver que l'accroissement de la population est, dans le fait, la cause immédiate et active de la prospérité publique, et il affirme qu'une population double est en état de décupler le produit de son travail; de sorte que, pour des populations croissant comme les nombres 1, 2, 4, 8, 16, etc., les sommes des moyens de subsistance seront représentées par les nombres 1, 10, 100, 1,000, 10,000, etc. Enfin, M. Everett fait remarquer une contradiction, selon lui manifeste, dans laquelle est tombé M. Malthus. Celui-ci affirme, d'une part, que la faculté réelle d'accroissement de la race humaine suit une progression géométrique, et, de l'autre, qu'on ne peut citer aucun exemple d'une nation que l'influence des maux physiques et moraux n'ait pas maintenue au-dessus du niveau fixé par les produits du sol. Ces deux conséquences pourraient s'appuyer avec le même droit du nom et de l'autorité de Malthus; et cependant, dit M. Everett, elles se détruisent l'une par l'autre.

Sans partager les exagérations évidentes de M. Everett relativement au pouvoir qu'il attribue à la population de produire indéfiniment des subsistances, M. le vicomte Morel de Vindé, pair de France, membre de l'Académie royale des sciences, a aussi réfuté le système fondé par Malthus et par ses disciples. Dans un écrit publié en 1829, et remarquable par sa concision et par sa clarté, il |

s'est attaché, 1o à prouver la fausseté du principe sur lequel il est appuyé; 2o à exposer les fâcheuses conséquences qu'on en a tirées; 3° enfin, à expliquer les causes des erreurs dans lesquelles M. Malthus et ses partisans sont tombés.

les

le

M. de Vindé commence par nier le droit que disciples de M. Malthus accordent à la société d'opposer des moyens répressifs à l'excès de la population par des entraves aux mariages imprévoyants. Il établit que non-seulement la société n'a pas droit d'empêcher de satisfaire aux besoins physiques de l'homme, mais encore qu'elle n'en a pas la possibilité. A ses yeux, le mariage est la première condition de l'existence de la classe qui vit uniquement du travail de ses mains. Il demande ce que deviendrait la moitié du genre humain, c'est-à-dire les femmes, si ses adversaires pouvaient réussir dans leur philanthropique projet d'empêcher les nombreuses unions légitimes qu'ils se permettent de proscrire sous le nom de mariages imprévoyants. Il demande encore ce qu'on entend par les moyens suffisants dont les ouvriers devraient justifier avant de pouvoir se marier. Cette condition est, selon lui, impossible à déterminer. Se fondant sur ce que le plus grand intérêt de la société est d'obtenir de ses membres la plus grande somme de travail, il regarde le mariage des prolétaires comme utile à la société et devant être encouragé dans son intérêt, le mariage et les enfants étant un des moyens les plus puissants de stimuler la paresse humaine et d'accroître la somme générale du travail.

M. de Vindé nie que, dans aucun cas, la population devance rapidement la production, et il pense même que si l'une des deux progressions devait prendre quelque avance sur l'autre, ce ne pourrait être que celle de la production. Dans tout état bien constitué, où la propriété et le travail sont sans entraves, toute famille laborieuse produit toujours plus qu'elle ne consomme. La masse de ces faibles superflus individuels donne à la société un immense excédant de production; elle l'emploie utilement dans ses échanges, et elle en obtient une augmentation toujours croissante de richesse et de bonheur. Cet état prospère permet alors à la population de s'accroître et de tendre sans cesse à atteindre le niveau de cette production surabondante qui la précède toujours.

Les erreurs qui ont pu originairement séduire un génie aussi élevé aussi méditatif que M. Malthus doivent être attribuées, suivant M. de Vindé, à la préoccupation exclusive dans laquelle l'état de l'Angleterre et de l'Irlande ont constamment placé le célèbre écrivain.

Frappé du triste speetacle offert à ses yeux, Malthus a cru pouvoir ensuite généraliser des idées

que les circonstances particulières à ces deux peuples avaient fait naître dans son esprit. Il a vu en Irlande une population réduite presque universellement à la dernière misère. Il a vu en Angleterre une masse effrayante de prolétaires vivant exclusivement des salaires de l'industrie et exposés à toutes les chances de cette existence précaire; il s'est hâté d'en conclure qu'il y avait trop d'hommes; et, au lieu de fouiller plus avant et de rechercher si dans ces populations ce n'était pas plutôt la société qui manquait à ses devoirs envers cette prétendue surabondance d'hommes, il a trouvé plus expédient de s'en prendre à ces hommes euxmêmes.

Les causes du paupérisme en Irlande et en Angleterre, d'après M. de Vindé, peuvent s'énumérer ainsi en Irlande, la concentration des propriétés; l'habitation, dans les capitales, des grands tenanciers qui abandonnent leurs malheureux vassaux à la rapacité de leurs gérants; un système général | d'exploitation souvent commandé par des intérêts politiques, et plus déplorable encore que celui de nos métairies en France ; un clergé protestant jouissant de biens immenses, éternellement inaliénables et indivisibles, et que son intérêt, comme son fanatisme, met en opposition avec toute la population catholique à laquelle il est lui-même en horreur; cette même population, encore surchargée de son clergé papiste, qui n'étant ni doté, ni salarié par l'état, vit entièrement aux dépens de ses ouailles déjà si pauvres; tout un peuple sans propriété et presque sans travail, plongé depuis des siècles dans une sorte d'abrutissement dont d'autres siècles suffiraient à peine pour le rendre capable de sortir. En Angleterre : la tendance de la propriété territoriale à s'agglomérer dans les mêmes mains, la fureur des substitutions, l'énorme quantité de biens tenus en main-morte par le clergé.

<< Dans une telle situation, dit M. de Vindé, le nombre des prolétaires doit augmenter sans cesse, et jamais un de ces malheureux ne peut aspirer à prendre rang dans la société comme propriétaire. Qu'en résulte-t-il? C'est que, pour deux milliers d'hommes peut-être attachés à la propriété, il y a douze à treize millions de prolétaires attendant leur existence du travail qu'ils peuvent trouver à faire.

Mais ces hommes n'obtiennent qu'en petit nombre ce travail sur le sol même. L'immense étendue des parcs d'agrément, les cultures vertes pour faire les bestiaux gras, les instruments agricoles perfectionnés, rendent plus rares de jour en jour les travaux du journalier agraire. Une masse énorme est donc obligée de se réfugier dans l'industrie manufacturière, et là tout est pour elle accident inévitable et malhenr sans remède. D'abord, l'intérêt du

fabricant est de réduire les salaires au plus bas prix possible; de plus, si le commerce souffre, si les demandes s'arrêtent, si de nouvelles machines s'inventent, si l'ouvrage manque enfin, à l'instant deux ou trois millions d'ouvriers sont simultanément conduits de la famine à la révolte. Là, sans doute, M. Malthus trouve encore des hommes de trop. Mais j'oserai le demander à lui-même : Est-ce la faute des hommes si la société est tellement constituée, que son territoire soit envahi par quelques-uns de ses citoyens, de telle sorte que nul autre ne puisse posséder? Ouvrez le marché de la terre à tous les prolétaires, vous n'aurez plus trop d'hommes, et vous verrez sans cesse croître rapidement une population aisée, contente, et par conséquent soumise aux lois. »

Pour prouver encore mieux la réalité des causes qu'il assigne au paupérisme et la fausseté de celles que Malthus lui suppose, M. de Vindé examine l'état de la France. « Là, dit-il, la révolution a mis dans le commerce tous les biens du clergé; elle a divisé une foule de grandes propriétés; elle a détruit les mains-mortes, les substitutions, les droits d'aînesse, et, en moins de quarante années, malgré les fléaux et les guerres de la révolution et de Bonaparte, qui ont moissonné pendant vingt-cinq ans une classe de citoyens et toute notre jeunesse mâle, la France a fait naître et nourri dans le bonheur et dans l'aisance dix millions d'hommes de plus; et si rien ne vient entraver la libre disposition de la propriété, elle est bien loin encore d'être au terme de cette admirable progression. »

M. de Vindé s'appuie encore de la comparaison de la France et de l'Espagne, celui des pays de l'Europe où les vices d'organisation sociale sont le plus exagérés.

« Dans ce royaume, dont la population est réduite à un état si déplorable, les prêtres et les couvents possèdent en main-morte deux cinquièmes du territoire. La couronne et les majorats (c'est-à-dire les substitutions sans terme) paralysent pour toujours deux autres cinquièmes. A peine un dernier cinquième est-il possédé par les citoyens et livré à la circulation, non pas encore tout à fait librement, mais grevé de toutes les prestations sacerdotales et de toutes les gênes féodales. Qu'en résulte-t-il? C'est que la classe des propriétaires intermédiaires manque presque entièrement, et que la misère est le partage de tout ce qui n'appartient pas aux deux ordres privilégiés. Or, tout le monde sait à quel excès cette misère est portée. » En se résumant, M. de Vindé croit pouvoir conclure :

1o Que M. Malthus et ses disciples se sont étrangement trompés en supposant que l'excès de la po

pulation était la cause de la détresse des basses classes et du pauperisme;

2o Que la cause de ces maux est l'agglomération et l'esclavage de la propriété territoriale dans les pays pour lesquels M. Malthus a écrit; 3o Enfin que, de tous les pays de l'Europe, la France est celui qui est dans la meilleure voie. Elle seule jusqu'ici, par ses institutions et ses mœurs, amenant et conservant les proportions les plus convenables entre les propriétaires et les prolétaires, peut sans danger voir croître sa population dans une immense proportion. Pour arriver à cette perfection sociale, il n'y a qu'à laisser faire. Il est en effet démontré jusqu'à l'évidence que, partout où la propriété territoriale restera constamment libre et sans entraves, elle se distribuera nécessairement suivant les besoins de chacun et l'intérêt de tous. L'équilibre entre les propriétaires et les prolétaires, n'éprouvant alors que de très-légères oscillations, donnera toujours le travail à la demande, et la demande au travail.

Telles sont les principales considérations présentées pour et contre le système de Malthus. Quoiqu'elles semblent embrasser toutes les questions qui s'y rattachent, il nous a semblé que l'on pourrait les éclairer par des observations puisées dans les faits et dans des documents statistiques modernes, et surtout en tirer des conséquences plus importantes et plus vraies. Nous essaierons de remplir cette lacune. Nous faisons remarquer d'abord qu'en Europe la population n'a jamais suivi et est en ce moment bien loin de suivre une progression géométrique qui conduirait à des résultats véritablement absurdes (1).

En Angleterre, l'augmentation de la population paraît être actuellement de 1/60 par année. Un écrivain de la Revue britannique estime qu'elle doit se doubler en cinquante-deux ans, et M. le baron Dupin porte ce terme à quarante-huit années; mais ces deux évaluations sont évidemment exagérées.

(1) En admettant les conséquences absolues du système de M. Malthus, la terre, dans les seize premiers siècles du monde (c'est-à-dire depuis la création de l'univers jusqu'au déluge, période pendant lequel les obstacles au principe de la population n'ont pas dû se manifester dans toute leur énergie), aurait pu acquérir une population de 37,321,857,977,605,340,672 habitants or, la terre ayant 4,988,181 lieues carrées, il en serait résulté une population de près de 750,000,000,000 par lieue carrée. On s'abstiendra, après un pareil chiffre, de calculer ce que la progression géométrique aurait pu produire depuis le déluge jusqu'à nos jours. On ne saurait maintenir, sous ce rapport, le système de M. Malthus, sans arriver aux résultats les plus étranges. Il faudrait, en effet, admettre que le principe de la population tend à couvrir la terre de plus d'habitants que les mers et la terre n'en pourraient contenir, ou que les obstacles destructifs ou privatifs tendent à en moissonner annuellement un nombre presque incalculable. D'après les calculs de

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17,000,000

ans.)

En 1830..
(Environ deux millions de différence
en neuf ans.)

L'Irlande et l'Écosse (où il n'y a pas de taxe des pauvres) ne sont point comprises dans ce tableau. Leur population réunie, et celle du Hanovre, s'élèvent à 6,888,200 habitants; ce qui porte la population générale de la Grande-Bretagne à 23,888,200 habitants, ou 3,821 habitants par lieue carrée.

Quelques écrivains rapportent cet accroissement si rapide à la taxe des pauvres (poors'rate) établie en 1750, ou plutôt renouvelée à cette époque des édits d'Henri VIII et d'Élisabeth. Cependant, comme celte taxe n'a été complétement et régulièrement dire perçue que depuis 1795, on peut que la population anglaise a doublé en soixante-dix ans sous l'influence combinée de cette loi et de l'essor donné

à l'industrie, et qu'en ce moment elle doit doubler à peu près dans soixante ans. Par suite de cette progression, on peut calculer qu'en 1890 la population de l'Angleterre sera de près de 50,000,000 d'habitants. Mais comme, d'un autre côté, le taxe des pauvres a plus que décuplé dans l'espace de

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Communes du 16 nov. 1802, portait la population de l'Angleterre à 11,000,000. Le dénombrement fait sous Élisabeth donna 5,000,000; celui fait à la restauration, 6,000,000.

(1) D'après la statistique russe de M. Ziablowsky, l'augmentation annuelle de la population est de 800,000 âmes, et elle a été de 1,200,000 dans l'espace de 16 années (1816 à 1832).

(2) En l'an vi de la République (1797), on comptait en France 29,048,254 habitants, et par lieue carrée 1020. En l'an vii (1799), 33, 501,094 habitants (dont 28,801,694 pour la France ancienne) ce qui donnait 1101 habitants par lieue carrée. Dans les années 1x et x (1800 et 1801), l'addition du Piémont et de l'île d'Elbe avait porté la population à 34,576,313; elle s'accrut plus tard, par la réunion de la Hollande, des villes anséatiques, des États-Romains, du Piémont, etc. Au 1er janvier 1826, époque du dernier recensement fait sous la restauration, la population générale de la France s'élevait à 31,878,164 h., et à 1187 22/26 par lieue carrée ; au 1er janvier 1832, elle était de 32,560,934 hab. (3) « Il naît annuellement 10,000 enfants dans une population de 300,000 individus des deux sexes. Sur celle-ci, on voit, dans nos climats, environ 24,000 mariages monogamiques qui ont la durée moyenne de 21 ans et produisent, terme moyen, de 3 1/2 à 4 enfants chacun. On compte, sur cette population donnée, à peu près 93,000 jeunes gens ou enfants des deux au-dessous de 15 ans ; 6000 veuves environ et 4500 veufs. Le reste est célibataire. On a toujours remarqué que les pays libres et pauvres, tels que la Suisse, la Savoie, l'Auvergne et d'autres contrées montagneuses des régions modérément froides surtout, augmentent constamment en population, au point d'être obligées de reverser l'excédant sur les contrées de luxe et d'opulence, les villes de commerce et de manufactures, d'exportation maritime, qui font, ainsi que la guerre, une immense consommation d'hommes. Les gouvernements républicains, les classes inférieures du peuple, dans les campagnes

sexes,

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On explique l'excessif accroissement de la population de la Prusse par l'abondance et le bas prix des subsistances. Il en est sans doute de même dans les autres contrées du nord, toujours renommées pour leurs populations nombreuses et vigoureuses. Là, du moins, la multiplication des hommes n'est pas, comme en Angleterre, la multiplication de l'indigence et du malheur.

En France, sur 29,919,485 habitants existant au 1er janvier 1817 (2), l'accroissement de la population, pendant dix années de paix (1817 à 1826), a été de 1,932,060 (1/16), et le mouvement moyen annuel de 1/165 (3).

D'après le système de Malthus, la population de ce royaume, qu'aucun obstacle destructif n'a pu sensiblement arrêter dans la période ci-dessus indiquée (4), aurait dû s'accroître de 11,967,700 individus, et se composer de 59,858,870 habitants au bout de vingt-cinq ans, c'est-à-dire en 1842. Or il est plus que probable qu'à cette époque la population de la France ne dépassera guère 35,577,251 individus, et qu'elle n'aura pas gagné, dans ces vingt-cinq ans, au-delà de 5,457,766 habitants. Il

surtout, multiplient davantage les hommes, tandis que la population décroit sous un régime despotique ou oppressif, comme en Turquie et dans l'Inde, pays si fertiles, et dans les hauts rangs de la société, comme dans les grandes villes où règnent le luxe, les voluptés et les mœurs dépravées. Ainsi, il n'est point vrai, comme l'ont dit quelques publicistes, que le nombre des hommes s'accroisse toujours là où se trouvent les plus grands moyens de subsistance; car le riche trouve que ses enfants l'appauvrissent, parce qu'il consomme et ne produit pas, tandis que les pauvres, dont le travail crée plus qu'ils ne consomment, tirent leurs richesses et leur soutien du nombre de leurs enfants. (Virey, Dictionnaire des sciences médicales).

En rendant justice à la sagacité de la plupart des observations du savant docteur, nous devons faire remarquer qu'il attribue aux formes du gouvernement, sur le principe de la population, une influence qui leur est tout à fait étrangère. On a vu que les états monarchiques, tels que la Prusse, la Russie, l'Autriche, l'Angleterre, etc., étaient ceux où l'accroissement de la population était le plus rapide. D'un autre côté, il suppose à la classe pauvre une prévoyance qui lui manque entièrement. Il faut 15 à 18 ans avant qu'un enfant puisse devenir le soutien et la richesse de son père. Pendant ce temps, il n'est guère, pour l'ouvrier indigent, qu'une source de sollicitude et une charge plus ou moins pesante. Si les ouvriers avaient cet esprit de calcul qu'on leur accorde, ils ne se marieraient qu'avec prudence et probablement plus tard qu'ils ne le font ordinairement. Il est plus vrai d'attribuer, pour cause réelle, à la rapide multiplication des classes ouvrières, une imprévoyance totale de l'avenir, qui les fait céder sans réflexion à l'attrait puissant qui rapproche les sexes.

(4) La disette de 1816 fut une cause de mortalité dans certaines contrées ; mais ses résultats n'ont pas affecté essentiellement la marche et les progrès de la population générale.

lui faudrait donc près de cent vingt ans pour être doublée (1).

Toutefois il est évident que la France, depuis près de cinquante années, a pris un accroissement de population très-notable, et que, sous ce rapport, elle est dans une époque de progrès réel. Avant le milieu du dernier siècle, on n'évaluait qu'à environ 1/720 l'augmentation annuelle de la population. M. Moreau, qui fit paraître, en 1777, des recherches et considérations sur la population de la France, jugeait que cette population ne pouvait doubler avant deux siècles et demi ; mais ce qui pouvait être vrai dans l'état des choses à cette époque ne l'est plus aujourd'hui. M. le comte Chaptal, dans son ouvrage sur l'industrie française, publié en 1819, fait remarquer qu'il est prouvé que, depuis vingt-cinq ans (c'est-à-dire depuis 1794), la population de la France a augmenté d'environ un sixième, ou de plus de 4 millions d'habitants, « Il faut en convenir, dit-il, le spectacle de guerres sanglantes et continues (1), le tableau de nos dissensions civiles ne nous avaient pas préparés à de pareils résultats. Nous voyons partout des

(1) Quelques savants pensent cependant que le progrès de la population en France doit être plus rapide. Ils se fondent sur ce que, dans le mouvement de la population du royaume pendant 12 années (1817 à 1828), le nombre moyen des naissances a été de 967, 756 ; celui des mariages, de 233,126; et celui des décès, de 777,379. Ainsi, pendant les 12 années, l'accroissement aurait été de 188,378; s'il se soutenait, la population augmenterait de moitié en 64 ans, serait doublée en 110 ans, et s'il ne survenait aucune cause perturbatrice du mouvement ascendant de la population depuis 12 ans, la France aurait, en 1940, plus de 60 millions d'habitants. M. Charles Dupin porte à 105 ans cette période de doublement; d'autres auteurs assignent, comme plus certain, le terme de 117 ans.

Pour compléter ces notions de statistique sur la population de Ja France, nous plaçons ici quelques calculs extraits de l'Annuaire du bureau des longitudes, pour 1831.

Sur un million d'individus nés en France en même temps, un peu plus de moitié parvient à l'âge de 20 ans : un peu plus du tiers à 45 ans aucun à 110 ans.

Presque un quart des enfants meurt dans la première année. Moins d'un tiers arrive à l'àge de 2 ans. Les individus de 4 ans meurent dans la proportion de 1 à 53: ceux de 10 ans, dans la proportion de 1 à 130. Le dernier àge est celui où la mortalité est la moins grande.

A partir de la naissance, la vie moyenne est de 28 ans. A partir d'un àge plus avancé, tel que 5 ans, le chiffre de la vie moyenne croit sensiblement : il est de 43 ans, à dater de cet âge.

On compte une naissance par 31 habitants, un décès sur 39. Les décès masculins sont plus nombreux que les décès féminins.

On compte un mariage sur 130 habitants; 3 ou 4 enfants légitimes par mariage. Le rapport des naissances féminines aux naissances masculines est de 16 à 15. Il naît 1/15 de plus de garçons que de filles (en Europe, sur 100 filles, il naît 106 garçons; les deux extrêmes de cette moyenne sont offerts par la Suède et par la Russie; il naît, sur 100 filles, 109 garçons, en Russie, et 104 en Suède).

Pour les enfants naturels, la proportion des filles aux garçons est

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causes de destruction, de dépopulation. Nous ne trouvons nulle part la cause d'une reproduction aussi rapide, aussi extraordinaire. Cependant, si nous comparons le présent au passé, nous pourrons faire cesser l'étonnement à cet égard. Autrefois un jeune homme ne pouvait s'établir que lorsqu'il avait atteint sa vingt-cinquième année; mais la difficulté d'obtenir la maîtrise lui présentait de nouveaux obstacles, et prolongeait son existence de célibataire d'une manière indéfinie. Aujourd'hui l'élève qui sort de chez son maître est pressé de travailler pour son propre compte, et il ne le peut qu'en s'associant à une femme qui soigne son ménage, de manière que les mariages des gens de métiers sont devenus infiniment plus communs. D'après le recensement des ouvriers de divers métiers qui sont établis en ce moment dans les villes, le nombre en est plus que le double de ce qu'il était sous le régime des corporations. Il n'est donc pas étonnant que la population se soit accrue. Si à cette cause puissante de l'accroissement de la population on ajoute la diminution de la mortalité que produit la vaccine (1), la division des grandes pro

moins faible. Il naît en France un enfant naturel sur 33 légitimes. Suivant M. Peuchet, les naissances des måles sont de 1/17 en sus des naissances des femelles (de 1/16 dans les campagnes, de 1/19 dans les villes). Il meurt 1/19 de plus d'hommes que de femmes. Il meurt 23 enfants sur 100 dans la première année de la vie. Le rapport des naissances à la population est de 1 sur 28, 3528/10,000. Le rapport des décès la population est de 1 à 30, 974/10,000; des naissances aux décès, de 30 9/100 à 28 3/10. Le rapport des mariages à la population est de 1 à 132, 7811/10,000. Le rapport des naissances aux mariages est de 4 1/3 à 1. Le rapport des naissances illégitimes aux légitimes, dans les villes, est de 1 à 6.

M. le comte G. Garnier, calcule qu'en France la quantité moyenne du produit de chaque mariage est entre 3 et 4 enfants, quoique la durée commune d'un mariage puisse en donner 4 et 5 fois davantage. Il établit aussi que les mâles naissent en plus grand nombre que les femelles et dans la proportion de 16 à 15, ce qui confirme les précédents calculs.

(2) « L'économie politique, dit M. T. Duchâtel, démontre avec rigueur que les batailles ne dépleuplent pas, et que parmi les fruits de la vaccine on ne saurait compter un accroissement de population. Les bienfaits de cette découverte prolongent la durée de la vie, rendent les souffrances plus rares, et empêchent que la destinée des hommes ne soit misérablement tranchée à son début : sans accroître le nombre, ils augmentent la force nationale. S'il y a population surabondante, quelque cause nouvelle de mortalité engendrée par la misère viendra rétablir le niveau. » (De la Charité.)

Tous les raisonnements des économistes ne pourront parvenir à démontrer logiquement qu'une découverte qui empêche la destinée des hommes d'être tranchée misérablement à son début, c'est-à-dire à l'âge où les chances de mortalité sont les plus nombreuses, ne devienne pas un puissant moyen d'accroissement de la population. L'assertion de M. Duchâtel doit être mise au rang des paradoxes dont fourmillent les écrits d'économie politique. Quant aux batailles, on a trop souvent répété, sans examen, le mot cruel attribué au grand Condé, après la bataille de Senef, et à la vue des morts qui couvraient le théà

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