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mondi, que l'on puisse interdire le mariage aux ouvriers et aux pauvres. Une pareille exclusion serait tout à fait contraire à la justice et à la liberté naturelle. Mais la loi pourrait, sans blesser ces droits imprescriptibles, imposer, relativement au mariage, des conditions aux ouvriers qui sollicitent ou reçoivent des secours publics, et aux chefs des grands établissements d'industrie qui leur donnent du travail (1). Les gouvernements devraient surtout appeler le sacerdoce chrétien à fortifier; par ses conseils, les précautions que croirait devoir prendre la société à cet égard; car, il ne faut pas s'y tromper, l'abstinence du mariage ne saurait jamais être plus efficacement inspirée aux pauvres que par le sentiment religieux (2). Nous reviendrons plus tard sur cette question impor-❘

tante.

4o Enfin, il est évident, ainsi que nous chercherons à le démontrer bientôt par de nouvelles observations, que le célibat des prêtres et des ordres monastiques n'a jamais pu exercer d'influence fàcheuse sur les progrès de la population. Conforme aux conseils du christianisme, nécessaire à l'ordre et au bonheur des sociétés, il semble aujourd'hui avoir trouvé grâce aux yeux de l'économie politique. Sans doute un jour viendra (et peut-être n'estil pas éloigné) où les gouvernements seront ame

(1) On pourrait appliquer à cette considération d'intérêt général le même principe qui porte le gouvernement à empêcher les jeunes soldats de se marier, à refuser l'admission des remplaçants mariés, et à n'accorder de permission de mariage aux officiers et aux soldats en congés illimités, que sur la preuve des avantages et des garanties que présentent le mariage sollicité. (2) « La religion chrétienne, qui respecte la liberté autrement que certains philosophes, possède surtout la ressource des sacrifices volontaires pour corriger l'excès de la multiplication des pauvres. C'est par elle qu'on peut espérer de contenir les sexes jusqu'à l'àge où ils peuvent s'unir avec moins d'inconvénients pour eux et pour l'état. Elle seule peut résoudre un secret, et parvenir, non pas à empêcher, mais à retarder les mariages. L'effet général en sera tout ce qu'il peut être pour la société et les familles. » (De Raineville père, Mémoire sur les colonies d'indigents).

nés par la force des choses et par un plus grand développement de lumières et de liberté, à autoriser la formation de nouvelles associations célibataires de travail et de charité, qui ne rechercheront plus l'opulence, mais l'utilité, et dont le but, dans l'état actuel de la civilisation, se conformera aux besoins nouveaux de la société.

On vient de le voir par tout ce qui précède si l'équilibre nécessaire à maintenir entre la population et les moyens de travail et de subsistance se trouve rompu ou prêt à l'être, si la sécurité et le bonheur des peuples sont menacés par un surcroît de popu lation indigente, ce n'est point aux institutions qui ont si longtemps régi l'univers chrétien qu'on est fondé à l'attribuer. Le mal appartient tout entier à des erreurs et à de fausses théories sur les principes de la population, de la richesse et de la civilisation sociale. Le philosophisme et l'économie politique anglaise ne nous ont offert, sur la surabondance de la population indigente, que des railleries, de stériles regrets, et des conseils immoraux, funestes ou impraticables (3): leurs doctrines ont laissé des traces déplorables partout où elles se sont fait jour; il est donc temps de reconnaître qu'il existe une science plus sûre et plus humaine, et d'y attacher désormais nos espérances comme nos recherches.

(3) Parmi les plus étranges documents économiques de notre époque, on doit citer une circulaire de M. Dunoyer, préfet du département de la Somme, et membre de l'académie des sciences morales, relativement aux secours à accorder aux indigents, adressée en 1833 au maire de son département. Ce magistrat, après avoir jeté dédaigneusement un blâme philosophique sur l'aumône et la charité chrétienne, poursuit ainsi : « Il n'y a pas, pour les familles pauvres, deux manières de se tirer d'affaire: ces familles ne peuvent s'élever qu'à force d'activité, de raison, d'économie et de prudence; de prudence surtout dans l'union conjugale, et en évitant, avec un soin extréme, de rendre leur mariage plus fécond que leur industrie. » Que le vertueux Malthus doit rougir s'il apprend jamais que ses théories ont pu servir de texte à de telles exhortations administratives !...

CHAPITRE VI.

DU CÉLIBAT RELIGIEUX.

La plupart des écrivains du 'dix-huitième siècle ont considéré l'obligation du célibat imposé aux prêtres séculiers et aux ordres religieux monastiques, comme l'une des sources de la dépopulation des états, et, par conséquent, de la langueur de l'industrie et de l'agriculture. A les entendre, la félicité publique était incompatible avec une telle institution.

L'abbé de Saint-Pierre avait même calculé que 100,000 prêtres mariés en France formeraient 100,000 familles, ce qui donnerait plus de 10,000 habitants par an et 2 millions de Français en deux cents ans; d'où il suivrait que, sans le célibat des prêtres, on aurait aujourd'hui 4 millions de catholiques de plus, à prendre seulement depuis François 1er, ce qui formerait une somme considérable d'argent (864,000,000 fr.), s'il est vrai, ainsi qu'un Anglais l'a supputé, qu'un homme vaut à l'état plus de 9 liv. st. (216 fr.).

On ne saurait nier, sans doute, que ce grand nombre de célibataires n'ait contribué à modifier

la progression de la population en France; mais peut-on raisonnablement s'en plaindre lorsqu'on approfondit le principe de la population? Toutefois, en supposant même qu'il en fût résulté quelque préjudice matériel pour l'état, devrait-on le mettre en balance avec les avantages moraux qui résultent, pour la société, du célibat des ecclésiastiques?

Chez les peuples anciens, le célibat devint presque toujours une des conditions essentielles pour les personnes qui s'attachaient au service des autels. En Égypte, à Athènes, à Rome, parmi les Gaulois, partout on trouve des vierges consacrées. Le célibat a eu ses martyrs chez les païens; les

L'abstinence volontaire du mariage chez l'homme est la preuve de la sublimité de son être et de sa raison.

ORTES.

Il est sublime de voir l'homme né libre chercher en vain son bonheur dans sa volonté; puis, fatigué de ne rien trouver icibas qui soit digne de lui, se jurer d'aimer à jamais l'Éternel, et se créer, comme Dieu, dans son propre serment, une volonté.

CHATEAUBRIAND.

Grecs regardaient la chasteté comme une vertu surnaturelle.

A plus forte raison, était-il de l'essence d'une religion fondée sur la spiritualité la plus parfaite, que l'inspiration divine persuadât aux hommes la nécessité d'une entière pureté de mœurs, pour approcher plus dignement des lieux qu'habite la Divinité, et se dévouer à son culte. Si nous ne trouvons pas en nous-même le germe de cette pureté, elle devait être, pour ainsi dire, une vertu révélée et de foi.

Le ministère des autels demandant une attention continuelle et une dignité d'âme et de corps singulière, la plupart des peuples avaient été portés d'eux-mêmes à faire du sacerdoce une classe sé

parée dans l'état. Ainsi, chez les Égyptiens et les Perses, comme chez les Juifs, il y eut des familles exclusivement attachées au service de la Divinité et de ses temples. Il était convenable, à l'idée que les peuples religieux se formaient de l'objet de leur adoration et de leur crainte, que tous ceux qui s'en rapprochaient fussent distingués et révérés. Il y eut des religions où l'on jugea qu'il était nécessaire de leur ôter l'embarras d'une famille. Ce fut là patirculièrement l'esprit du christianisme même dès son origine. La loi du célibat chez les évêques, les prêtres et les diacres, est aussi ancienne que l'Église. Ce n'est pas qu'il y eût de loi divine écrite qui défendit d'ordonner prêtres des personnes mariées, ni aux prêtres de se marier (1); Jésus-Christ n'en a fait aucun précepte; mais l'esprit et le vœu de l'Église

(1) La pratique même des premiers siècles est formelle. On ordonnait prêtres des hommes mariés; il était seulement dé

primitive commandèrent à ses principaux ministres de vivre dans une grande continence, et depuis de vivre dans une grande continence, et depuis lors, l'autorité suprême a établi la règle invariable du célibat dans l'Église catholique.

Les motifs religieux qui ont porté à exiger du prêtre chrétien le sacrifice perpétuel de ses passions terrestres et de tous les liens de famille, sont trop évidens pour qu'il ne soit pas superflu de les énumérer; mais indépendamment des considérations toutes spirituelles, on aperçoit, dans le célibat ecclésiastique, des avantages politiques et sociaux qui seuls auraient suffi pour le rendre nécessaire. Nous trouvons, à cet égard, dans un journal de province, qui comptait d'illustres coopérateurs, et dont la disparution prématurée doit exciter de justes regrets (1), des réflexions aussi remarquables par leur vérité que par leur énergie.

« Le célibat, dit M. Guizot, a empêché que le clergé chrétien ne devînt une caste.

Ajoutons qu'il a conservé dans l'Église catholique le double élément de l'indépendance et du progrès; de l'indépendance, en épargnant à ses pasteurs la plus forte moitié des tentations de mutisme, de courtisanerie, et de subjection aveugle au pouvoir, bassesses que l'homme repousse encore assez pour lui-même, mais auxquelles succombe aisément, dans l'intérêt des siens, la tendresse paternelle; du progrès, en lui faisant recruter ses chefs çà et là, dans tous les rangs de la société, à la différence du clergé stationnaire de l'Égypte et de l'Inde. Il a paré à ces scandaleuses transmissions de bénéfice de père à fils, et de beau-père à gendre qui déshonorent l'anglicanisme. C'est ainsi, grâce au célibat, que s'est maintenue, chez les seules nations catholiques, la dignité du sacerdoce, sentiment auguste et délicat, qui se manifeste moins encore par la vénération du prêtre, que par une impitoyable sévérité pour les fautes remarquées à l'instant même, et signalées de cent pas loin, comme doit ressortir en effet la moindre tache sur la neige ou sur l'hermine; tandis qu'on y prend à peine garde et qu'on a perdu jusqu'à l'idée typique de la perfection sacerdotale dans ces malheureux pays où l'on fait d'une cure une dot; où l'on s'habitue à voir la honte d'une fille de ministre retomber sur son père et lui fer

fendu de se marier après la promotion aux ordres, ou de passer à de secondes noces après la mort d'une première femme. L'usage d'ordonner prêtres des personnes mariées a subsisté et subsiste encore dans l'Église grecque, et n'a jamais été formellement improuvé par l'église latine.

(1) Le Courrier Lorrain, qui recueillait les pensées de MM. l'Abbé de La Mennais, Gerbet, Lacordaire, Decoux, Prosper de Dumast, etc.. et dont la direction était confiée à l'estimable M. Boiselle, ce journal a cessé par les mêmes motifs qui ont arrêté la publication de l'Avenir.

(2) Nous aimons à citer ici l'opinion d'un académicien dont

mer la bouche sur les désordres de sa paroisse; où les tribunaux retentissent fréquemment de procès en adultère intentés contre un prêtre; où l'homme des autels, fût-ce le plus honnête, voit la gravité de son ministère à chaque instant compromise dans des commérages de femme, ne peut jamais donner à Dieu que les restes d'un temps absorbé par les minuties domestiques, et sent avec regret la fécondité d'une épouse tarir l'aumône entre ses propres mains! Qui ne connaît, d'après M. J. de Maistre et lord Byron, la profonde abjection, la servilité rampante où sont tombés les popes russes et les papas grecs? Et le professeur Marhneixe n'a-t-il pas hautement avoué que, dans les états allemands, la plupart luthériens, ses confrères ne sont plus que des officiers de police?

<< La seule confession pénitencielle, cette immuable loi si bien gravée dans l'Écriture-Sainte et dans la tradition, serait assez, d'ailleurs, pour interdire au clergé toute autre union qu'avec Dieu et l'humanité souffrante; assez pour lier, pour marier le prêtre à l'autel par une chaîne de diamants. La rompre, c'est, quoi qu'on en dise, attenter aux mœurs nationales aux consciences, à toute la sécurité domestique.

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<< Suffirait-il donc, dit Ferrère (un laïc, un avocal), suffirait-il, pour épouser nos filles, de préparer la séduction dans ces entretiens justement révérés, dont la religion elle-même éloigne l'œil et l'oreille d'un père? Ah! s'il en était ainsi, hâtons-nous, fermons à cette religion l'entrée de nos demeures! »

Le célibat ecclésiastique est donc évidemment une nécessité morale et sociale pour un peuple chrétien; il prive l'état de quelques citoyens producteurs de la richesse matérielle; mais ceux qu'il lui enlève, pour les consacrer à Dieu, travaillent à former des citoyens utiles et vertueux : il ne leur a ôté l'embarras d'une famille et des affaires domestiques que pour donner l'exemple d'un sublime dévouement, que pour les faire veiller plus attentivement au maintien de la religion, dont les principes ne peuvent être altérés sans que le repos et l'harmonie des états soient troublés profondément (2). Les bienfaits que le christianisme verse incessamment sur les sociétés sont assez grands, assez précieux pour qu'on ne lui envie pas le mérite du

nous aimons la personne et le talent, autant que nous honorons le caractère. M. Brifaut, en payant un juste tribut d'éloges à l'ouvrage publié récemment par M. Aimé Martin, sur l'éducation des femmes, s'exprime en ces termes :

<< Parmi les diverses questions que M. Aimé Martin sait approfondir avec un talent philosophique devenu bien rare, car il a pour auxiliaire la franchise, il en est une d'une importance majeure qu'il n'a fait qu'effleurer, et qui méritait cependant l'examen attentif du sage et du chrétien je veux parler du mariage des prêtres. L'auteur se décide un peu trop légèrement, à mon avis, pour l'affirmative: outre qu'un tel sujet demande,

:

sacrifice qu'il impose à ses ministres. Doit-on se plaindre des libéralités de la nature, parce que, dans cette riche profusion de graines qu'elle produit, il y en a quelques-unes de stériles?

Quant au reproche contraire et plus moderne, celui d'encourager imprudemment la population, nous répondrons qu'il est vrai que la religion chrétienne recommande d'avoir soin des mariages et de rendre heureuse et facile l'éducation des enfants; il est vrai qu'elle considère la sainteté et le bonheur des mariages comme un intérêt public et une source de félicité pour les états (1); il est vrai encore qu'elle contribue à la conservation de la population en réprouvant les mauvaises mœurs, en apportant des secours et des consolations aux malheureux, aux malades, en un mot à tous ceux qui souffrent. Mais là se borne toute son intervention sur les progrès de la population; car il est réel qu'elle place la continence au rang des vertus les plus méritoires, et proclame hautement la préférence qu'elle donne à l'état du célibat sur celui du mariage. On ne peut donc lui reprocher ni de nuire à la population, comme l'ont fait les philosophes du dix-huitième siècle, ni de trop l'encourager, comme l'affirment les économistes modernes. La religion se tient à cet égard dans la plus juste mesure, dans celle que l'économie politique elle-même est contrainte aujourd'hui de demander comme un bienfait.

Le célibat des ordres monastiques, de même que le célibat ecclésiastique, devait nécessairement modifier la progression de la population générale; mais, pour l'un comme pour l'autre, nous n'avons plus de justification à présenter à cet égard. Ce n'est point, lorsque tant de plaintes s'élèvent sur une surabondance de population, que l'on peut

chez un laïque qui le traite, une sorte de mesure et de ménagement que M. Aimé Martin, d'ailleurs sévère et délicat observateur des convenances, ne me paraît pas avoir suffisamment gardé, je trouve que s'il fait ressortir avec force les inconvénients du célibat, il ne se rend pas assez compte des raisons qu'on peut opposer à l'état contraire. Il ne voit que les épreuves fâcheuses par où les sens du prêtre peuvent passer, et, pour protéger sa vertu, il invite à se marier. Mais voit-il le prêtre époux, père, grand-père? le voit-il au milieu d'une famille qui le dispute au monde, sa première famille? Le voilà un pied dans le sanctuaire, un pied dans le siècle; le voilà qui se partage entre les intérêts de Dieu et ceux de ses enfants. Et que devient l'enthousiasme sacré? où puisera-t-il cette charité ardente qui embrassait le genre humain? Tout garrotté des liens de la paternité, songera-t-il à voler, comme Las Casas, à la conquête des âmes dans les contrées les plus lointaines; à répandre son cœur et sa bienfaisance, comme Vincent de Paule, sur tous les malheureux connus ou inconnus, qui meurent sans secours dans les mille coins de la terre qu'il habite; à couvrir, comme Fénélon, son siècle et les siècles à venir, des rayons vivifiants de son génie philanthropique ; à unir, enfin, comme François de Sales, tous les cœurs et toutes les volontés dans l'amour des hommes? Mais que fais-je? et à quoi bon raisonner? les faits

avoir besoin de réfuter les vieilles ou nouvelles déclamations de l'erreur et de la mauvaise foi. Nous nous bornerons donc à faire remarquer que sans le célibat des ordres monastiques, nous eussions été privés de cette milice sacrée de sœurs hospitalières, de religieux dévoués aux soins de l'humanité et de l'instruction populaire, qui fait encore l'ornement de la chrétienté, et dont le modèle ne se trouve nulle autre part que dans la religion catholique. Nous n'eussions pas connu ces illustres et nobles phalanges de chevaliers dont les annales renferment de tels prodiges de courage et de charité, que l'on a peine aujourd'hui à les comprendre. Soulager l'humanité, propager l'instruction, apaiser la Divinité par de sublimes sacrifices et de tendres prières, tel fut le but primitif des institutions monastiques. Si les passions humaines altérèrent à la longue leur principe religieux, si l'opulence, l'oisiveté et les vices pénétrèrent dans quelquesuns de ces établissements, c'est que le siècle avait corrompu l'origine de ces associations et les avait entraînées dans des voies tout humaines. Ces abus, qui servirent de prétexte à la réforme, nous ne les défendons pas assurément. Mais n'est-il pas juste de faire remarquer que, dans les temps mêmes où ces abus existaient, le paupérisme était à peu près inconnu en Angleterre, comme il l'est encore dans la plupart des états catholiques. La majeure partie des revenus du clergé et des ordres religieux se dépensait en aumônes, en établissements pieux ou charitables, et venait souvent au secours de l'état. En Angleterre, comme en France, leur violente transmission en d'autres mains a sans doute fait élever de grandes et rapides fortunes; mais peut-on affirmer qu'elle ait réellement servi à améliorer beaucoup le

ont plus d'éloquence que les arguments. Que M. Aimé Martin prête l'oreille, et qu'il juge.

<< Dans la ville d'Auch éclata un vaste incendie : l'archevêque, M. d'Apchon, l'apprend, court, arrive sur le théâtre du désastre; il voit, au plus haut étage d'une maison en flammes, une pauvre femme qui balançait, à une fenêtre, le berceau de son enfant, en implorant, par ses cris, la pitié publique, non pour elle, mais pour cette faible créature que les feux allaient envelopper. Le pasteur regarde autour de lui; partout la consternation et la stupeur. Debout, immobile, les bras croisés, les yeux tristement attachés sur cette scène de désolation, un homme du peuple, dans la vigueur de l'âge, se tenait à côté du prélat, qui lui crie : « Cinquante louis de pension si tu montes là-haut; » et de ses mains il appliquait, lui-même, sur le mur embrasé et à moitié croulant, une échelle qu'on venait d'apporter par ses ordres. Monseigneur, je suis père, je me garde pour mes enfants! Moi, je suis chrétien, je m'expose pour mes semblables. » L'intrépide pasteur dit, s'élance sur l'échelle, parvient au grenier, où les flammes l'avaient dévancé, sauve la mère et l'enfant, et redescend au milieu des bénédictions d'un peuple qui n'oubliera jamais le sublime dévouement de cet apôtre.»

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(1) Bossuet, Politique sacrée.

sort des classes inférieures? L'opulence excessive du clergé catholique, le maintien en main-morte d'immenses propriétés, les abus de ces richesses ont été, il faut l'avouer, le sujet de reproches plus justes et plus graves que celui d'arrêter ou de trop encourager le principe de la population; mais étaitce un motif de proscrire entièrement les institutions monastiques? N'était-il pas possible de faire disparaître les abus et de ramener l'institution à sa première origine et à un principe si fécond en bienfaits de toute espèce? Qui peut méconnaître en effet l'utilité, la nécessité même de ces asiles où l'homme malheureux, détrompé des illusions de la vie, se réfugiait comme dans un port tutélaire; où le crime repentant venait s'expier et trouver un pardon qu'il aurait vainement attendu des hommes; où enfin des solitaires studieux se dévouaient à d'immenses recherches d'érudition dans le seul but du progrès des connaissances utiles (1)? Or, ce besoin n'est pas seulement celui des temps d'ignorance et de barbarie; il appartient bien davantage

(1) On ne peut avoir perdu le souvenir des services rendus à la science par les instituts religieux, et notamment, par la Congrégation de St-Maur. Cette savante association semble à la veille de reparaître dans les ruines restaurées de l'antique ab

aux époques de la civilisation avancée; il surgit surtout, avec une nouvelle force, aux temps de révolutions politiques qui font naître les grandes vertus comme ils voient éclore les grands crimes. Alors c'est le désir du recueillement, de la méditation, de la solitude, de la contemplation des choses sublimes qui saisit les esprits élevés; c'est le penchant à la vie intérieure, au soulagement des misères humaines qui s'empare des âmes tendres. Une foule d'êtres faibles et malheureux demandent à se réunir pour se consoler et se fortifier mutuellement par la prière, les bonnes œuvres et le travail. Ce besoin, c'est celui de la société actuelle; il doit être satisfait; il doit l'être infailliblement, car nous ne pensons pas qu'il soit possible d'étouffer un progrès de religion et de liberté. Le temps arrivera où toutes les erreurs et les préjugés propagés par l'esprit étroit du philosophisme et du monopole politique devront disparaître devant les éternels principes de la liberté morale de l'homme et les nécessités d'une haute civilisation.

baye de Solesmes. La France chrétienne et littéraire a vu avec le plus vif intérêt M. de Châteaubriand recevoir et accepter le titre de membre honoraire de la société religieuse qui vient de se former au milieu de ce vénérable monument.

CHAPITRE VII.

DU TRAVAIL.

On a fait un grand honneur à Smith d'avoir, avant tous les autres économistes, considéré le travail matériel comme le premier, et même comme le seul producteur de la richesse ; et pourtant on a pu remarquer, avec un honorable écrivain (1), que la connaissance de cette vérité est aussi ancienne que le monde.

On a aussi beaucoup exalté un célèbre professeur d'économie politique (2), pour avoir placé au rang des producteurs, et réhabilité ainsi aux yeux de l'univers économiste, les savants et les travailleurs dans l'ordre intellectuel. Or, cette classification, rigoureusement juste, n'est assurément pas mo

(1) M. Ferrier.

Par lui des passions le tumulte s'apaise,
Les chagrins sont calmés, le vice combattu;
Il ajoute au plaisir, il nourrit la vertu.
(DELILLE.)

derne. Sans enlever à Smith et à M. Say le mérite d'avoir présenté, avec beaucoup de talent, l'un, la théorie de la richesse produite par le travail matériel, l'autre, celle de la richesse résultant du travail de l'intelligence, nous devons rattacher leurs prétendues découvertes aux sources fécondes de la religion et de la véritable philosophie, plus anciennes que l'économie politique anglaise, et surtout plus pures et plus vraies.

Le travail producteur est né avec les besoins de l'homme. I remonte à cette terrible parole du Créateur offensé par la créature: Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. En effet, ce n'était

(2) M. J.-B. Say.

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