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semaine, et l'on n'est pas fâché que cela se ré-
pande, que cela se murmure à l'oreille, tout bas
par humilité, mais assez haut pour qu'on l'en-
tende. On sera dans les bonnes grâces de telle et
telle personne,
de tel et tel directeur, et l'on trou-
vera bien le moyen de le glisser adroitement dans
la conversation. Il y aurait sur cette matière
une suite de petits romans à faire, et ils ne man-
queraient pas d'intérêt on y verrait combien
souvent les choses de Dieu servent d'enveloppe à
toutes nos petites misérables passions, et l'on y
apprendrait que dans certaines ruches couvertes
d'insignes divins, on ne rencontre guère d'abeil-
les et encore moins de miel. Écoutez saint Au-
gustin «La vanité fait souvent à l'extérieur les
mêmes œuvres que
la charité : la vanité nourrit les
pauvres, tout aussi bien que la charité, la vanité a
ses jeûnes comme la vraie piété. En un mot, con-
tinue saint Augustin, toutes les bonnes œuvres
de la charité, la vanité peut les contrefaire, en
agitant ses beaux équipages, agitat contra super-
bia et quasi ducit equos suos (1). »

Je viens d'énumérer les principales formes de la vanité, et il y en a bien d'autres. La vanité peut se trouver partout, et elle existe toutes les fois que nous ne gouvernons pas en nous les dons de Dieu, sous l'œil de Dieu, et selon les règles de la sagesse chrétienne. Admirez encore ici com

(1) S. Aug., In Epist. Joan., tract. 8, no 9, t. III, p. 2563.

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bien la foi est d'accord avec la raison! Qu'y a t-il de plus vain que la vanité, qu'y a-t-il de plus indigne d'un esprit raisonnable? C'est le propre d'une âme élevée de ne s'attacher qu'aux grandes choses, de ne reposer que sur un terrain solide. Or, est-ce une chose sérieuse ou solide, qu'un peu plus ou un peu moins de couleur sur le visage, qu'une ligne plus ou moins arrondie, qu'une robe plus ou moins bien agencée ? Est-ce un terrain solide que l'opinion plus mobile que le vent, que la .louange des hommes, souvent mensongère comme leur cœur? Cependant, Mesdames, voilà la base des jugements, la raison des désirs, le motif des espérances, le but de toutes les illusions. O vanité humaine! que le Sage a eu raison de dire: Vanité des vanités, et tout est vanité!

Mais voici paraître le jugement de Dieu : il est écrit que la récolte est en rapport avec la semence. Le monde sème partout la vanité, il récolte presque partout le désenchantement et la déception la plus amère. Vous cherchez à satisfaire votre cœur par votre beauté et l'éclat de votre parure : d'abord, eussiez-vous l'objet de vos rêves, vous ne seriez jamais heureuse par des choses si frivoles. Mais Dieu vous punira encore d'une autre façon. Vous vouliez éclipser telle personne par vos manières, vos atours, votre esprit. La Providence permettra que les yeux s'arrêtent sur d'autres, de préférence à vous; on parlera de vous peut-être, mais on vous mettra sur un second plan, et il n'en

faudra pas davantage pour vous crucifier (1). Vous irez à telle réunion, vous penserez avoir été une des reines de la fête, et, quelques jours après, il vous reviendra qu'on a parlé surtout de telle autre personne, et chacune de ces paroles sera un glaive empoisonné pour votre cœur. — Vous avez cru plaire en telle assemblée, et vous n'avez paru que prétentieuse; on a vu que vous teniez à l'opinion, et rien n'est capricieux comme l'opinion, surtout quand on la recherche; elle s'en va loin de nous. Si vous aviez été simplement une femme sérieuse, sensée, pleine de grâces et de solides vertus; si, au lieu de courir après les éloges, vous les aviez considérés avec la noble indifférence de l'âme juste, tout le monde vous eût applaudie, et en tous cas vous auriez toujours conservé votre paix et votre tranquillité morale.

Dites-moi pourquoi tel projet, tel mariage, tel

(1) « Regardez une femme au milieu d'un bal, désirant d'être trouvée la plus jolie, et craignant de n'y pas réussir. Le plaisir, au nom duquel on se rassemble, est nul pour elle: elle ne peut en jouir dans aucun moment; car il n'en est point qui ne soit absorbé, et par sa pensée dominante, et par les efforts qu'elle fait pour la cacher. Elle observe les regards, les plus légers signes de l'opinion des autres avec l'attention d'un moraliste et l'inquiétude d'un ambitieux; et, voulant dérober à tous les yeux le tourment de son esprit, c'est à l'affectation de sa gaieté pendant le triomphe de sa rivale, à la turbulence de la conversation qu'elle veut entretenir pendant que cette rivale est applaudie, à l'empressement trop vif qu'elle lui témoigne, c'est au superflu de ses efforts enfin qu'on aperçoit son travail. » (Mme DE STAEL, de l'Influence des passions, c. 1, p. 57.)

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désir n'a-t-il pas réussi? Pourquoi souffrez-vous cruellement en ce que vous avez peut-être le plus désiré? Regardez à la racine de l'arbre; il y avait le ver de la vanité quand vous l'avez planté. Ah! Mesdames, si je pouvais, avec une lumière à la fois rétrospective et prophétique, éclairer tous les desseins des hommes, leurs résolutions, leurs projets, vous en montrer la cause et les secrets motifs; si je pouvais creuser le sillon où le monde dépose le germe de ce qu'il fait, je vous montrerais presque partout la vanité. Pourquoi tel mariage? la vanité. Pourquoi tel rêve d'avenir? la vanité. Pourquoi cette démarche ? la vanité. Pourquoi ce zèle apparent pour les choses de Dieu? la vanité... et toujours la vanité... Aussi ne soyez pas étonnées des misères, des angoisses, des tribulations de ce monde. Une des principales causes est dans le défaut que je signale en ce moment. Ah! si de nobles et généreux motifs présidaient aux actions des hommes, la moitié peutêtre, les trois quarts des maux disparaîtraient, et, comme dit saint Augustin, les nations feraient, l'ornement du monde, même par le bonheur de la vie présente.

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Le Sage a dit qu'en ce monde tout était soumis à la vanité, cuncta subjacent vanitati (1). Oui, Mesdames, dans la vie des femmes surtout, tout peut être soumis à la vanité, gouverné, inspiré

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par la vanité. Mais aussi tout arrive entre les mains de la justice de Dieu. Là tout est pesé, tout passe à la fournaise, et la flamme consume ce qui appartient à la paille; cet incendie ne s'opère pas sans de grandes douleurs, et la cause de cette douleur, ce n'est point la volonté de Dieu, mais bien tout ce qu'apporte le contingent de nos vanités. Ainsi la vie de plusieurs s'en va de la vanité à la douleur et de la douleur à d'autres vanités. C'est ce que le Prophète exprime par ces mots : « Les jours de leur vie s'évanouissent tristement dans la vanité, defecerunt in vanitate dies eorum (1) ». Que Dieu vous délivre de ce malheur, Mesdames, qu'il vous donne ici-bas les joies pures de l'âme juste, fondées sur le sérieux de la vertu; et que ces joies ne soient qu'une première goutte de ce torrent de voluptés que Dieu réserve à ses amis!

NOTES POUR LA QUATORZIÈME CONFÉRENCE.

« Si quidem ergo appetitus excellentiam appetit secundum regulam rationis divinitus informatæ, erit appetitus rectus, et ad magnanimitatem pertinens, secundum illud Apostoli II ad Corinth., X, 13: Nos autem non in immensum gloriamur, quasi in aliena gloria, sed secundum re

(1) Ps. LXXVII, 33.

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