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je n'approuve en aucune manière l'habitude de renvoyer sans distinction tous ceux qui implorent notre charité de la même manière. Une telle conduite pourrait en laisser périr plusieurs. Les hommes sont quelquefois surpris par des besoins, pour lesquels tout autre secours viendrait trop tard. Outre cela, des résolutions de ce genre nous forcent à faire une si grande violence à notre humanité, que dans peu nous pourrions étouffer le principe lui-même; ce qui est une considération très-sérieuse. Un homme bon, s'il ne s'abandonne pas sans réserve à ses sentimens, prêtera du moins l'oreille à des importunités, qui se présentent accompagnées de démonstrations sérieuses de détresse. Et, après avoir patiemment entendu les plaintes, il se dirigera lui-même, moins d'après une résolution qu'il aurait prise à l'avance sur cet objet, que par les circonstances et la crédibilité du récit qu'il entend.

II y a encore d'autres genres de charité très-bien imaginés pour que l'argent que l'on dépense aille loin; comme de tenir bas le prix des comestibles ou des combustibles, dans le cas d'un monopole ou d'une rareté momentanée, en achetant les marchandises au plus bas prix et les distribuant à prix coûtant ou à une légère perte; ou d'augmen ter par bonté le prix de quelques genres de

travail lorsque ce prix est accidentellement trop bas.

Les propriétaires des grands domaines ont en leur pouvoir de faciliter l'entretien, et, par cela même, d'encourager l'établissement des familles (ce qui est un des plus nobles buts vers lesquels les riches et les grands puissent tourner leurs efforts), en bâtissant des chaumières, divisant des fermes, élevant des manufactures, défrichant des champs incultes, posant des digues à la mer, desséchant des marais, ou tels autres expédiens suggérés par la situation de chaque domaine. Si le profit de ces entreprises n'en paye pas la dépense, que ceux qui les font mettent la différence sur le compte de la charité. Il est aussi vrai de dire que, dans presque tous ces projets, le public gagne, quel que soit le sort du propriétaire. Et lorsqu'on peut éviter la perte, cette considération doit être décisive.

C'est une question de quelque importance de savoir dans quelle circonstance les œuvres de charité doivent se faire en secret, et quand elles peuvent se faire en public, si jamais elles le peuvent, sans rien perdre de leur mérite. L'auteur de notre religion a donné sur ce sujet une règle, qui semble commander dans tous les cas le secret. « Quand vous faites l'aumône, que votre main gauche ne » sache point ce que fait votre main droite

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» afin que votre aumône se fasse en secret; et » votre père, qui voit ce qui se fait en secret » vous récompensera publiquement.» (Mat. VI, 3, 4.) D'après le préambule de cette défense, je crois cependant que le seul dessein de notre Sauveur était de défendre l'ostentation et toute publication d'œuvres de charité procédant de ce motif. « Prenez garde de ne pas faire votre >> aumône devant les hommes, à dessein d'être » vu; autrement vous n'en recevrez aucune ré>> compense de votre père qui est au ciel; quand >> donc vous ferez l'aumône ne faites point sonner » la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues, et dans les >> rues, pour être respectés des hommes: en vérité

»

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je vous dis qu'ils ont reçu leur récompense. (9. 1. et 2.) H ́y a des motifs pour faire l'aumône en public, outre ceux de l'ostentation; ceux-là ne sont point embrassés par la règle de notre Sauveur: comme, lorsque nous le faisons pour témoigner que nous approuvons certains genres particuliers de charité ou pour les recommander aux autres; ou pour faire disparaître le préjugé que l'absence de notre nom dans la liste des souscripteurs pourrait faire naître contre la charité ou contre nousmêmes. Aussi long-temps que ces motifs sont dégagés de tout mélange de vanité, il n'est point à craindre qu'ils aillent contre la règle de notre Sauveur; ils semblent plutôt s'accorder

avec une autre direction qu'il nous a donnée : « que votre lumière luise devant les hommes; >> afin qu'ils voient vos bonnes ceuvres, et qu'ils » glorifient votre père, qui est dans le ciel. » S'il est nécessaire de donner une distinction précise sur ce sujet, je n'en connais pas de meilleure que la suivante. Lorsque notre cha

rité est au-delà de notre fortune et de notre condition, c'est-à-dire, lorsqu'elle est plus grande que l'on n'aurait dû naturellement l'attendre de nous, elle doit être secrète, si le secret est praticable lorsqu'elle n'est que ce que l'on pouvait attendre de nous, elle peut être publique. Car nous ne pouvons pas espérer que notre exemple excite les autres à imiter une générosité extraordinaire; nous manquons par conséquent, dans le premier cas, de la seule raison qui puisse nous justifier, lorsque nous faisons notre aumône en public.

Après avoir ainsi décrit les différentes manières d'exercer la charité, il ne sera pas hors de propos d'examiner une espèce de libéralité, qui n'est charitable dans aucun sens de ce mot je veux parler de ceux qui donnent à manger ou à boire pour avoir l'air d'être populaires; et de ceux qui payent, nourrissent et entretiennent les compagnons de leurs plaisirs, comme chasseurs, tireurs, pêcheurs et autres semblables. Je ne dis point que cela soit criminel; je dis seulement que ce n'est

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point une charité; et que nous ne devons pas supposer, parce que nous donnons aux pauvres de cette manière, que cela tiendra la place, ou diminuera l'obligation, d'une aumône plus méritoire et plus désintéressée. III. Prétextes par lesquels les hommes se dispensent de donner aux pauvres.

I. «

Qu'ils n'ont rien à épargner, » c'est-àdire, rien à quoi ils n'aient déjà trouvé quelqu'autre usage; rien que leur plan de dépenses et les économies qu'ils ont résolu de faire ne doivent épuiser : ne se demandant jamais s'ils peuvent, ou ne se disant jamais qu'ils doivent retrancher à leurs dépenses et resserrer leur plan, afin de pouvoir donner à ceux qui ont besoin: ou plutôt, oubliant que cet objet aurait dû d'abord entrer dans leur plan.

2. « Qu'ils ont leur propre famille, et que la >> première charité commence par soi-même. » Nous examinerons l'étendue de ce prétexte, lorsque nous en viendrons à parler des devoirs des parens.

>>

3. «Que la charité ne consiste pas à donner » de l'argent, mais dans la bienveillance, la philantropie, l'amour du genre humain, la » bonté du cœur, etc. » Ecoutez St. Jacques: «si un de nos frères qu une de nos sœurs » manquent d'habit, et de ce qui leur est né» cessaire chaque jour pour vivre; et que » quelqu'un leur dise: allez en paix, je vous

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