Page images
PDF
EPUB

SOBRIÉTÉ.

SOBRIÉTÉ. (Morale.) Tempérance dans le boire et le manger, ou, pour mieux dire, dans la recherche des plaisirs de la table.

La sobriété, en fait de nourriture, a, d'un côté, pour opposé la gourmandise, et de l'autre, une trop grande macération. La sobriété dans le boire a pour contraire l'ivrognerie.

Je crois que la sobriété est une vertu très-recommandable; ce n'est pas Épictète et Sénèque qui m'en ont le mieux convaincu par leurs sentences outrées, c'est un homme du monde, dont le suffrage ne doit être suspect à personne. C'est Horace, qui, dans la pratique, s'est quelquefois laissé séduire par la doctrine d'Aristippe, mais qui goûtait réellement la morale sobre d'Épicure.

Comme ami de Mécène, il n'osait pas louer directement la sobriété à la cour d'Auguste; mais il en fait l'éloge dans ses écrits d'une manière plus fine et plus persuasive, que s'il eût traité son sujet en moraliste. Il dit que la sobriété suffit à l'appétit, que par conséquent elle doit suffire à la bonne chère, et qu'enfin elle procure de grands avantages à l'esprit et au corps. Ces propositions sont d'une vérité sensible; mais le poëte n'a garde de les débiter lui-même. Il les met dans la bouche d'un homme de province, plein de bon sens, qui, sans sortir de son caractère et sans dogmatiser, débite ses réflexions judicieuses avec une naïveté

qui les fait aimer. Je prie le lecteur de l'écouter, c'est dans sa satire ij, l. II:

Qua virtus, et quanta, boni, sit vivere parvo:
(Nec meus hic sermo est, sed quem præcepit Ofellus
Rusticus, ab normis sapiens, crassáque Minervá)
Discite, non inter lancès, mensasque nitentes,
Quùm stupet insanis acies fulgoribus, et quùm
Acolinis falsis animus meliora recusat:

Verum hic impransi mecum disquirite. Cur hoc?
Dicam si potero. Malè verum examinat omnis
Corruptus judex.

« Mes amis, lạ sobriété n'est point une petite vertu. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Ofellus, c'est un campagnard sans étude, à qui un bon sens naturel tient lieu de toute philosophie et de toute littérature. Venez apprendre de lui cette importante maxime; mais ne comptez pas de l'apprendre dans ces repas somptueux, où la table est embarrassée par le grand nombre de services, où les yeux sont épris de l'éclat d'une folle magnificence, et où l'esprit disposé à recevoir de fausses impressions, ne laisse aucun accès à la vérité. C'est à jeun qu'il faut examiner cette matière. Et pourquoi à jeun? En voici la raison, ou je suis bien trompé : c'est qu'un juge corrompu n'est pas en état de bien juger d'une affaire. »

Dans la satire viij, l. II, v. 105, Horace ne peut encore s'empêcher de louer indirectement les avantages de la sobriété. Il feint qu'un de ses esclaves, profitant de la liberté que lui donnait la fête des Saturnales, lui déclare cette vérité, en lui reprochant son intempérance. «Croyezvous, lui dit-il, être bien heureux et moins puni que

moi

quand vous cherchez avec tant d'empressement ces tables servies délicatement et à grands frais? Ce qui arrive de là, c'est que ces fréquens excès de bouche vous remplissent l'estomac de sucs âcres et indigestes; c'est que vos jambes chancelantes refusent de soutenir un corps ruiné de débauches,»

Qui, tu impunitior illa,

Quae parvo sumi nequeunt obsonia captas?
Nempe inamarescunt epula sine fine petitœ,
Illusique pedes vitiosum ferre recusant
Corpus.

Il est donc vrai que la sobriété tend à conserver la santé, et que l'art d'apprêter les mets pour irriter l'appétit des hommes au-delà des vrais besoins, est un art destructeur. Dans le tems où Rome comptait ses victoires par ses combats, on ne donnait point un talent de gages à un cuisinier; le lait et les légumes, apprêtés simplement, faisaient la nourriture des consuls, et les dieux habitaient dans des temples de bois. Mais lorsque les richesses devinrent immenses, l'ennemi les attaqua, et confondit par sa valeur

ces sybarites orgueilleux.

Je sais qu'il est impossible de fixer des règles sur cette partie de la tempérance, parce que la même chose peut être bonne à l'un et excès pour un autre ; mais il y a peu

gens qui ne sachent par expérience quelle sorte et quelle quantité de nourriture convient à leur tempérament. Si mes lecteurs étaient mes malades, et que j'eusse à leur prescrire des règles de sobriété proportionnées à l'état de chacun, je leur dirais de faire leurs repas les plus simples qu'il serait possible, et d'éviter les ragoûts propres à leur

donner un faux appétit, ou le ranimer lorsqu'il est presque éteint. Pour ce qui regarde la boisson, je serais assez de l'avis du chevalier Temple. «Le premier verre de vin, dit-il, est pour moi, le second pour mes amis, le troisième pour la joie, et le quatrième pour mes ennemis. >> Mais parce qu'un homme qui vit dans le monde ne saurait observer ces sortes de règles à la rigueur, et qu'il ne fait pas toujours mal de les transgresser quelquefois, je lui conseillerais alors de tems en tems des jours d'abstinence pour rétablir son corps, le délivrer de la pléthore des humeurs, et procurer, par l'exercice, de l'élasticité aux ressorts affaiblis de sa machine.

Le Chevalier DE JAUCOURT.

SOBRIQUET.

SOBRIQUET. (Littérature.) Sorte de surnom ou d'épithète burlesque qu'on donne le plus souvent à quelqu'un, le tourner en ridicule.

pour

Ce ridicule ne naît pas seulement d'un choix affecté d'expressions triviales propres à rendre ces épithètes plus significatives ou plus piquantes, mais de l'application qui s'en fait souvent à des noms de personnes considérables d'ailleurs, et qui produit un contraste singulier d'idées sérieuses et plaisantes; nobles et viles, bizarrement opposées, telles que peuvent l'être, dans un même sujet, celles d'une haute naissance avec des inclinations basses; de la majesté royale, avec des difformités de corps, répu

tées honteuses par le vulgaire ; d'une dignité respectable, avec des mœurs corrompues, ou d'un titre fastueux, avec la paresse et la pusillanimité.

Ainsi, lorsqu'avec les noms propres d'un souverain pontife, d'un empereur illustre, d'un grand roi, d'un prince magnifique, d'un général fameux, on trouvera joints les surnoms de Groin-de-porc, de Barberousse, de Pied tortu, d'Éveille-chien, de Pain-en-bouche, cette union excitera presque toujours des idées d'un ridicule plus ou moins grand.

Quant à l'origine de ces surnoms, il est inutile de la rechercher ailleurs que dans la malignité de ceux qui les donnent et dans les défauts réels ou apparens de ceux à qui on les impose : elle éclate surtout à l'égard des personnes dont la prospérité ou les richesses excitent l'envie ou dont l'autorité, quelque légitime qu'elle soit, paraît insupportable; elle ne respecte ni la tiare, ni la pourpre : c'est une ressource qui ne manque jamais à un peuple opprimé; et ces marques de sa vengeance sont d'autant plus à craindre, que non-seulement il est impossible d'en découvrir l'auteur, mais que ni l'autorité, ni la force, ni le laps de tems, ne sont capables de les effacer. On peut se rappeler, à l'occasion de ce caractère indélébile (s'il est permis d'user ici de ce terme ), les efforts inutiles que fit un archiduc, appelé Frédéric, pour faire oublier le surnom de Bourse-Vide, dont il se trouvait offensé : le peuple, dans un pays où il était relégué, le lui avait donné dans le tems d'une disgrâce qui l'avait réduit à une extrême disette. Lorsqu'une fortune meilleure l'eut rétabli dans ses états, il eut beau, pour marquer son opulence, faire dorer jusqu'à la couverture de son palais, le surnom

« PreviousContinue »