PORTRAIT DE PIE VII, DE SIR THOMAS LAWRENCE. On publie dans ce moment une magnifique estampe, d'après le portrait en pied de Pie VII par sir Th. Lawrence. C'est une nouvelle qui intéresse tous ceux qui aiment la peinture. Avant de louer comme il le mérite l'auteur du tableau, il est naturel de rendre grâce à l'artiste à qui l'on doit la jouissance de ce nouveau chefd'œuvre. Un peintre est heureux de rencontrer un interprète aussi fidèle que M. Cousins, et c'est justice d'associer le graveur à une gloire qu'il étend. Celle de sir Thomas ne peut guère s'accroître, au moins dans sa patrie, où depuis longues années, sa supériorité comme peintre passe pour incontestable. Ses ouvrages, comme tout ce qui a un grand mérite, ont excité parmi nous à leur apparition successive beaucoup de critiques et d'éloges. C'est un espèce de concert qui ne saurait que flatter celui à qui il s'adresse. Où est la gloire qui a brillé tout d'un coup sans nuages et sans disputes? celle apparemment que le public ne donne pas, et qui se fait entre quelques complaisans qui s'enferment pour se louer. Grâce à sir Th. Lawrence et encore à quelques peintres anglais dont les ouvrages ont paru avec éclat à nos expositions, le temps n'est plus où on demandait sérieusement s'il y avait des peintres en Angleterre, à peu près comme on demandait plus anciennement s'il y avait un théâtre. Quantité de personnes en France connaissent à peine le nom de Reynolds, pas plus qu'on n'avait ouï prononcer celui de Shakespeare il y a quatrevingts ans. On sait à peine que, tandis que la pauvre peinture se mourait dans toute l'Europe, qu'elle şe traînait énervée, déshonorée sur les traces de Vanloo et de quelques génies de même force, un vrai génie, Reynolds, continuait les grands maîtres en Angleterre, et il faut bien le dire, malgré un profond respect pour notre gloire nationale, il les continuait de manière à n'avoir point été surpassé par tout ce qui s'est fait depuis. Lawrence a succédé à la réputation de Reynolds, son maître, et tout imbu de ses traditions, n'est pas moins plein d'originalité. On trouve dans son portrait de Pie VII, autant que dans ses meilleurs ouvrages, ce talent particulier qu'il a eu seul peut-être à un si haut degré, celui de rendre d'une manière frappante l'âge, la complexion, toute l'habitude de ses modèles. Il paraît que le pape fut peint peu de temps avant sa mort; au moins la maladie avait-elle déjà imprimé sur ses traits cette tristesse et cette langueur, sinistres présages de destruction. Pie VII est entouré de mille chefs-d'œuvre et de toutes les merveilles du Vatican; mais sa pensée est distraite et son œil éteint; on ne peut regarder sans attendrissement cette belle figure; on y voit tout d'un trait la vie troublée de ce prélat, né pour la paix, et jeté par le hasard au milieu de chances orageuses. Rien n'égale la beauté des mains et des accessoires, qui relèvent avec un art infini les parties sur lesquelles le peintre a voulu fixer l'attention. Par le grand nombre de ses productions capitales, Lawrence rappelle tout-à-fait ces anciens peintres dont la fécondité nous étonne, et que nous sommes conve nus de nous figurer retirés dans leur atelier, soigneux de leur réputation seulement par de beaux ouvrages, peu hommes d'intrigue et de salons. Sir Thomas, qui, par son immense talent, peut se passer de l'intrigue, n'est pas moins courtisan poli que grand peintre. Ses personnages en prennent sans doute cet air noble et cette tournure distinguée qu'il sait donner à presque tous. Son talent se sent d'habitudes élevées et du commerce de l'aristocratie. Ce qu'on se demande avec le plus de surprise, c'est comment il suffit à tant de choses; car, malgré l'apparente facilité de sa manière, rien n'est plus consciencieux que son travail. Arrivé à un âge où on songe plutôt à vivre sur sa gloire passée qu'à en chercher de nouvelle, il semble un jeune homme plein d'ardeur, qui aurait sa fortune et sa réputation à faire. Ses tableaux, qu'on prendrait pour autant d'improvisations, tant sa touche a de vivacité, sont étudiés avec un soin qu'il porte jusqu'au scrupule, dans l'imitation de certains traits caractéristiques; et c'est là véritablement où il excelle, et où personne ne l'a sans doute égalé. Les artistes anciens avaient craint d'animer leurs portraits des mouvemens rapides des passions, et rien de plus sage que cette retenue. Ils peignent des figures sérieuses dans des attitudes simples et tranquilles. Pas plus de ces airs d'inspirés insupportables que de ces sourires qui vous poursuivent dans des portraits ridicules, dont les vénérables originaux sont couchés dans leurs tombeaux depuis des siècles, et fort sérieux, je pense, comme dit Mercutio. Avec un rare bonheur, Lawrence évite la roideur de certains maîtres, sans tomber dans les grâces minaudières d'une époque plus récente. Ses personnages vivent réellement; ils pourraient marcher, se mouvoir. Il saisit sur les traits la nuance la plus délicate de mélancolie ou de gaîté; et ce n'est encore qu'une partie de son talent. L'effet le plus pittoresque ajoute un admirable relief à ces têtes déjà si pleines de vie. On peut le blâmer de pousser quelquefois jusqu'à l'affectation quelques recherches de contrastes piquans et inattendus; mais au milieu de ses caprices les plus bizarres, il vous captive encore: l'œil est forcé de le chercher, de venir à lui. Son tableau est une espèce de diamant qui brille tout seul là où il se trouve, et qui éteint tout autour de lui, par des moyens exagérés: d'accord; par une extrême coquetterie dans le choix de ses tons: passe; mais il frappe, il éblouit, et non pas aux dépens de la finesse et de la vérité de son dessin, qui, dans les têtes, est incomparable. Sa couleur pleine d'éclat vous fixe devant sa toile; il vous enferme dans un cercle magique pour forcer votre attention et la concentrer tout entière sur l'objet principal, sur la figure dont les yeux semblent vous suivre et vous communiquer une émotion véritable. Rien de plus répandu que cette sotte opinion que le portrait est un genre secondaire. Qu'y a-t-il pourtant de plus intéressant que les traits d'un homme célèbre ou que la naïve représentation d'une jeune et belle personne, à moins que vous ne préfériez à des yeux brillans de santé, à des lèvres fraîches et vermeilles, et à tout ce que la jeunesse peut répandre de charmes sur un visage, ces figures insipides qui se tordent et se démènent dans de grands tableaux où on ne sent que l'effort, et qui vous laissent de glace? Le peintre de portraits n'a qu'à copier, dites-vous? le modèle est devant lui; qu'il le saisisse. Mais avec les traits qui forment la physionomie, vous voulez une ame qui les échauffe et qui y respire. Le peintre qui crée un tableau, le voit ou croit le voir dans son imagination; mais qui le contraint de suivre telle ou telle donnée, et quant il en vient à l'exécution, qui me prouve qu'il ait retrouvé sur la toile seulement une ombre effacée de ce qu'il avait conçu ? Il n'est point d'artiste, point d'écrivain qui n'ait mille fois composé avec le désir de rendre précisément ce qui lui vient dans l'esprit. Je suppose la volonté la plus ferme, la tête la plus active à poursuivre ses pensées, ne lui échappent - elles pas souvent à mesure qu'elles lui viennent? On n'en donne alors que la moitié, que le quart; quelquefois l'une vous mène à l'autre de telle sorte que vous oubliez la première. La fantaisie, un hasard heureux, peuvent faire prendre à vos idées une tournure différente. Soit, au contraire, un portrait, Napoléon, par exemple, dont il faut saisir les traits un homme que tout le monde pourra voir afin de comparer la copie au modèle: il s'agit de le faire revivre, de lui donner le mouvement et la saillie sur cette surface muette, et de montrer pourtant tout ce qui l'entoure, de peindre jusqu'aux moindres détails, sans distraire l'attention que demandent les traits du visage. Voilà, et j'en demande pardon à tant de peintres soidisant d'histoire, qui, à vrai dire, ne peignent pas mieux l'histoire que la fable, voilà ce qu'on peut aussi regarder comme des difficultés. J'entends parler de la dignité du genre: de toutes les dignités, celle-ci est, à mon avis, la plus mince. La véritable est celle que l'homme imprime à son ouvrage ; un genre digne, c'est celui qui est porté à la perfection. Quant à Lawrence, il est avec ses beautés et ses défauts, ou si l'on aime mieux, avec son genre inférieur, un homme du premier rang. Il n'a point eu de rivaux dans la peinture des femmes et des enfans. Le portrait du pape, qui fournit l'exemple d'une autre espèce de mérite, prouverait la mobilitité comme l'élévation de son talent, si rien de tout cela avait besoin d'être prouvé. Quelques personnes ont prétendu que tout remplis de beautés que pouvaient être ses ouvrages, ils risquaient de corrompre le goût. On peut dire à cela qu'un grand artiste n'a jamais été considéré comme devant répondre de toutes les sottises |