» n'eût expiré contre cet immobile sacerdoce; si quel» ques-uns d'entre nous n'avaient pu aussi, au péril de > leur vie, garder religieusement, sous la protection de > la Vesta domestique, les livres de lin où sont écrites >> les annales des familles qui ont assisté à la fondation >> de Rome, dont les auteurs ont vu tracer le sillon des >> murs inviolables. Le géniús des familles, l'âme immor>> telle, présentée par le nom qui ne meurt point, passe » du père au fils; et le fils, qui a vécu dans ses pères, >> a pris part lui-même aux rites augustes qui fondèrent >> la cité romaine sur une base éternelle. Ainsi donc , tout n'a pas péri. Nos traditions voilées vont revivre; >> par leur essence propre, elles sont immortelles comme » l'âme des nobles races. Magnanime Brutus, ton deuil >> fut porté par toutes les femmes des hommes puissans >> qui composent le peuple impérissable des Quirites, >> femmes prophètes d'un peuple sacré! Magnanime Bru» tus, tu n'épargnas pas ton propre sang, et le sang ne > fut pas épargné à tes héroïques funérailles. Mais ce >> fut un sang plébéïen, digne holocauste de ta grande > ombre! Ce fut un sang plébéïen qui arrosa ton tom>> beau, impassible vainqueur du monstre de la promis» cuité ! Le sang des plébéïens n'est bon qu'à fonder notre >> puissance. Aussi toutes les nations latines ont-elles » voulu, il vous en souvient, concourir à ce sacrifice solennel. Par condescendance et par pitié pour nos >> cliens, pour ceux que nous reçûmes jadis à l'asile, et » qui sont restés attachés à la glèbe romaine, nous ne » voulûmes pas prendre les victimes parmi eux. Peut-être >> tes mânes, généreux Brutus, peut-être tes mânes n'ont » pas été satisfaits; peut-être aurions-nous dû penser >> que le sang des cliens étrangers ne pouvait pas suffire » à tes mânes indignés, car enfin tu n'avais pas été avare > de ton propre sang. >>> Cependant Mutius Valérius, frère de Publicola et d'un autre Valérius mort à la bataille du lac Régille, se lève Том. 4. 13. et dit : « Je me tairai sur l'outrage qui a été fait tout à » l'heure à mon noble frère; je ne veux pas introduire >> la discorde parmi nous. Il avait cru, lui, le grand » Publicola, qu'il fallait ou ne pas chasser les rois, ou >> améliorer le sort des plébéïens. Abstenons-nous de » toute querelle; mais examinons avec sagesse, pendant » que toute autorité est intacte entre nos mains, exa>> minons s'il est possible de tenir nos cliens courbés sous » un joug éternel, s'il est possible d'enfermer éternel>> lement leur vie obscure dans leurs corps endurcis, > comme nous les renfermons, eux, dans nos ergastu>> les, lorsqu'ils sont indociles. Ne serait-il pas temps » de choisir quelques-uns d'entre eux pour les admettre >> au bienfait d'un commencement d'initiation? N'aug>> menterions-nous pas ainsi notre force? Je ne demande » pas que les plébéïens soient un ordre dans l'État; ⚫ mais je demande que la limite des devoirs soit marquée » pour eux. Servius Tullius... » Un murmure se fait entendre dans l'assemblée des forts armés de la lance, un murmure d'indignation; et cette voix, qui interrompt le discours de Mutius Valérius, retentit de tous côtés : « Anathème égal à Servius Tullius » et à Tarquin! >> Posthumius frémit à de tels murmures : « Voyez, » s'écrie-t-il, voyez les cicatrices que j'ai conquises sur > les bords du lac Régille, croyez-vous que je les ai re» çues pour rétablir la tyrannie de Tarquin? Ah! j'en >> jure par le génie immortel de ma race, j'avais une >> bien autre pensée. Mais je ne puis confondre dans mon » juste courroux Servius Tullius et Tarquin. L'un voulut >> relever les plébéïens; l'autre voulut seulement abaisser » les patriciens. » Servilius, à son tour, s'écrie: « Voyez donc, pères » de la patrie, voyez où vous allez vous engager! Ne » viens-je pas d'entendre dire que l'on voulait rendre » aux traditions toute leur pureté? Il est donc permis de > demander si la clientelle est à présent ce qu'elle fut à » l'origine, la protection du faible et de l'opprimé. Il > ne s'agit plus du pain de Panda, distribué dans l'asile. » Vos cliens ont combattu pour vous; ils méritent une » récompense. Ne les égalez pas à vous, puisqu'ils n'ont » pas l'ame immortelle qui passe du père au fils; mais, du moins, faites-leur aimér la dépendance où ils sont ➤ placés par leur nature infime et mortelle. Ils seront cliens dévoués, à mesure que vous serez patrons • moins rigides. Les mœurs de l'héroïsme primitif ont • fléchi, et vous ne pouvez vous confier à chaque patron pour alléger le fardeau devenu trop pesant de la clientelle ! Posez la limite du droit! J'ai >>> dit. » » Alors le prince du sénat se lève, et s'exprime ainsi : « Ce que Mutius Valérius, ce que Posthumius, ce que Servilius demandent est contraire à l'essence des ⚫ choses. Il ne dépend pas de nous que les plébéïens ➡ soient des hommes, quand ils ne sont que des mortels. • L'union vague et profane, que protège au sein du contubernium la seule volonté libre du patron, est > frappée d'incapacité pour produire les effets de stabilité et de perpétuité qui donnent droit à la cité éter» nelle. Cette union même, toute illégitime et injuste » qu'elle est, ne peut se contracter qu'en vertu de » l'amulette sacrée du patron. Reconnaissez donc, à un tel signe, qu'une barrière est posée par la nature et > par la religion. Que les patrons veuillent bien se concilier, par de bons traitemens, l'amour et le zèle de leurs cliens; mais nous ne pouvons prescrire aucune • règle. La justice suppose l'égalité. A eux, la mansuétude! A vous, l'impunité ! >>> Plusieurs sénateurs parlent à la fois. Voici leurs discours confus et tumultueux : « Oui, oui, que les patrons ▸ se concilient l'amour de leurs cliens, mais que les cliens continuent de tout devoir à la libre volonté de > leurs patrons. En effet, quels sont les degrés possibles > de subordination? Quelle sorte de hiérarchie voudriez» vous établir? Quelle serait la reconnaissance du client, > si le bienfait du patron était imposé par la règle? > Plus tard, ne viendrait-on pas contester de nouveau » sur les limites, pour les agrandir, car enfin les limites > ne seraient plus posées par la nature même? Le fait > lutterait sans cesse contre le droit, il lutterait d'une » lutte sans fin. Au lieu d'un majestueux repos, vous » auriez un combat éternel. Le lien social finirait par se » rompre. Nous entrerions inévitablement dans l'anar» chie. Heureusement que les destins ont pourvu, mieux que nous ne saurions le faire, à la conservation des >> attributs du patriciat. Les plébéïens sont exclus, ex» clus à jamais, exclus par la puissance des choses, de >> la noble cité romaine. Elle est fondée sur les auspices, » et eux-mêmes savent bien qu'ils sont inhabiles à ac> quérir les auspices, puisque les auspices sont l'ex> pression de la parole divine des ancêtres, et qu'ils » sont, eux, sans ancêtres. Ils ont, mieux que quelques> uns d'entre nous ne le croient, le sentiment de leur >> nature infime et nécessiteuse. » « Au milieu de cet orage, Valérius, Posthumius, Servilius, veulent encore élever la voix; on refuse de les entendre. Le vainqueur du lac Régille, que n'intimident point de telles clameurs, parvient cependant à se faire écouter : « Je le vois avec douleur, dit-il, si les >> plébéïens, que vous méprisez, avaient à délibérer » entre eux, je ne doute pas que leur assemblée ne fût >> tumultueuse comme celle-ci! Pères de la patrie, vous » vous dégradez vous-mêmes. Les plébéïens ne s'élèvent » pas, c'est vous qui descendez ! >>> Le vieillard agite sa lance, tous les sénateurs agitent en même temps la leur: un calme solennel s'établit, tout semblable au calme majestueux de l'Olympe, lorsque les dieux ont fait taire les tempêtes. D Posthumius continue : « Croyez-vous, dit-il, que Servius Tullius fût sans sagesse et sans prudence? ► N'avait-il pas raison de penser que les plébéïens ne doivent pas être traités à l'égal des animaux? Ne nous sont-ils pas analogues par leurs sens? N'auraient-ils > point enfouies au fond de leur être les mêmes facultés humaines que nous manifestons spontanément et gé» néreusement? Est-ce donc avec vérité que nous nions en eux la capacité du bien et du mal? Toute responsabilité morale leur est-elle à jamais interdite? Ne sont-ils pas dociles ou indociles au commandement, selon que le commandement leur paraît juste ou injuste? >> Est-ce toujours, est-ce quelquefois à la façon des brutes qu'ils s'y soumettent, ou qu'ils y résistent? Leurs assentimens, aussi bien que leurs répugnances, n'ont-ils pas des motifs au-dessus de l'instinct? S'ils >> pouvaient avoir une volonté, et que cette volonté vínt s'identifier avec la vôtre, dites-moi si vous n'acquerriez pas un moyen de plus d'exercer vos propres conseils? Dites-moi si votre volonté, fortifiée du concours de 2) tant de volontés, ne s'accroîtrait pas de tout le mouve>> ment intellectuel que vous laisseriez se développer en >> eux ?... Mon discours, je le vois, vous irrite, et je ne voudrais cependant point attiser la flamme de votre > courroux... Eh bien! je ne sortirai pas des réalités actuelles... N'est-ce pas avec leurs bras que nous combattons? Que serait, je vous le demande, toute la force de l'intelligence dans le patron, sans la force « du corps, qui est dans le nombre des plébéïens, masse » mue, en effet, par votre intelligence, mais dont votre >> intelligence a besoin pour agir? Auriez-vous pu seuls vaincre les peuples jaloux qui vous entourent? Si même > une portion de cette conscience, de ce sentiment de » soi qui fait l'homme, n'eût pas été départie à ceux >> que vous traitez avec tant de dédain, si elle n'eût pas été reconnue en eux par le roi que vous avez voulu |