dre, que le faiseur d'almanachs en a menti, et que de telles absurdités, pour avoir si long-temps cours, ont eu besoin de s'appuyer sur la plus déplorable ignorance. Un des plus grands services qu'ait pu rendre au peuple la Société pour la propagation des connaissances utiles, a été la publication, faite sous ses auspices, du British Almanac (l'Almanach britannique) pour 1828. On peut dire que cette publication, en donnant la mesure de la réforme à opérer dans les almanachs populaires, a ruiné de fond en comble la puissance des astrologues, qui pouvait encore durer long-temps, en dépit du dégoût que le peuple témoignait déjà pour leurs impostures. Jetons un coup-d'œil rapide sur les changemens arrivés, seulement dans le court espace de 1828. 1. Le bonhomme Robin n'est plus. Il est mort, comme le laird de Dumbiedikes, le blasphème sur les lèvres, et la bouche toujours altérée d'eau-de-vie. Ses dernières paroles n'étaient plus qu'un mélange confus du plus inepte radotage et de la plus basse dépravation. Robin était âgé de cent soixante-huit ans : il offrait l'image parfaite d'un homme qui, par miracle, aurait vécu si long-temps. Il avait conservé tous les vices des générations qu'il avait traversées. Dieu fasse paix au pauvre Robin! 2. Partridge est toujours florissant. Ses prédictions sont, dit-il, calculées sur le méridien de Londres, et il apprend au peuple éclairé de la capitale « qu'une éclipse » de lune, qui doit avoir lieu au mois d'octobre. 1829, >> regarde spécialement l'Espagne et le Portugal. Cette >> éclipse présage des insurrections, des troubles, et la >> guerre civile dans la Péninsule. » Partridge est, on le voit, un grand sorcier: n'est-il pas temps qu'il aille rejoindre ses ancêtres? Il a toujours été particulièrement dévot à la lune : cette dévotion touche de près à l'impiété; elle a été jusqu'à lui faire avancer, dans son almanach de 1828, que « la lune seule donnait la vie à tous les êtres animés. » J'en suis fâché pour Partridge; mais la lune elle-même, dans sa toute-puissance, ne saurait le tirer de l'extrémité où nous le voyons réduit. 3. Francis Moore a cessé de blasphémer. Ses principes politiques ont aussi subi de grandes modifications. Naguère orangiste inflexible, il prédisait toujours une grande persécution suscitée par les catholiques contre l'église anglicane: aujourd'hui, c'est tout autre chose. « La route, » dit-il, vient d'être maintenant ouverte à tous par la >> sagesse du parlement. Chacun peut, sans distinction >> de croyance, prétendre désormais à servir son roi et >> son pays. » Bravo! Lorsqu'un astrologue commence à parler raison, il y a quelque espoir que le duc de Newcastle (1) lui-même pourra se convertir à temps, et ne mourra pas dans l'impénitence finale. Du reste, Francis Moore annonce toujours d'avance les variations de l'atmosphère; il parle de Saturne qui « doit amener de grands orages au mois de janvier ; » il prophétise, comme à l'ordinaire, la mort de « Sa Sainteté le pape; » il décrit avec beaucoup d'étendue l'influence des signes de la lune sur le corps humain, sur les cuisses, les jambes, les pieds, et autres parties qu'on nous dispensera d'appeler par leur nom; enfin il parle avec une foi risible de l'influence que la planète de Jupiter ne peut manquer d'avoir sur la guerre des Turcs et des Russes. Encore voit-on clairement qu'il est gêné dans ses prédictions, et qu'il en sait beaucoup plus qu'il n'oserait en dire. Semblable au vieux Lilly, il exprime le désir de passer en paix le reste de ses jours, et annonce qu'il « se gardera bien à l'avenir » de trop s'éloigner du port, de peur des orages de la vie. » Pour dernier trait de caractère, il pleure son vieux compagnon Robin. Pauvre diable! nous lui prédisons qu'il mourra bientôt lui-même imbécille, et après avoir perdu toutes ses dents. Il est devenu vraiment un objet (1) On sait que le duc de Newcastle a été l'un des plus violens adversaires de l'émancipation catholique. : de pitié. Ce sont aujourd'hui les marchands de chansons qui crient ses prédictions dans les rues : nous les avons sous les yeux, accompagnées d'hiéroglyphes merveilleux, el tout cela nous a coûté la bagatelle d'un sou. Il est impossible de tomber plus bas. 4. La compagnie des Stationers a enfin publié ellemême un excellent almanach populaire, à bon marché. Il n'y a que des éloges à donner au choix exquis des matières, au soin avec lequel elles ont été disposées, à la beauté de l'impression. Cette nouvelle publication est le plus bel hommage qu'on ait pu rendre à l'almanach précédemment publié par la Société pour la propagation des connaissances utiles. L'éditeur du Nouvel Almanach anglais (c'est ainsi que la compagnie appelle l'almanach qu'elle publie) affecte de tourner en ridicule les prétentions de la Société, dont il ne fait cependant que suivre l'exemple. « Il ne veut pas, dit-il, tromper le public, et >> s'abuser lui-même, en s'engageant à publier annuelle. > ment un volume qui sera utile à toutes les classes de la >> population anglaise. » Cependant les Stationers déclarent, dans le même avertissement, que « leur but est de présenter au public, dans un petit format, une réunion de matières et de documens qui puissent être utiles à toutes les classes de la société, ou du moins avoir pour elles quelque intérêt. » Ainsi donc, quoi qu'en puisse dire le modeste éditeur, les Stationers ont atteint le but qu'ils s'étaient proposé. Ils ont donné la meilleure imitation qui eût encore parų de l'Almanach britannique (British Almanac). Ils ont eu la sagesse de s'associer à la bonne œuvre déjà commencée par la Société pour la propagation des connaissances utiles. Ils ont concouru, pour leur part, à la victoire du sens commun et du bon goût sur la sottise, l'ignorance et le mensonge. (The Extractor.) A. LESOURD. LITTÉRATURE MODERNE. DE DON PÈDRE, ROI DE CASTILLE (1), SURNOMMÉ EL CRUEL, EL JUSTICIERO, EL NECESSITADO; ET DU CHRONIQUEUR DON LOPEZ AYALA, CONTEMPORAIN DE CE PRINCE. La rigueur des jugemens dont Pierre-le-Cruel a été l'objet, les malheurs de sa vie et l'horreur de sa mort, ont inspiré à quelques historiens des scrupules et des doutes sur la justice de la sentence qui le voue à la haine (1) Don Pèdre, fils d'Alphonse XI, né à Burgos le 30 août 1334, fut proclamé successeur de son père, à Séville en 1350. Son règne n'offre qu'un long carnage dont il est lui-même la dernière victime. Après avoir fait poignarder sous ses yeux cinq de ses frères, et la plupart de ses grands vassaux révoltés contre leur suzerain, il se vit obligé de fuir devant les compagnies de Duguesclin et les troupes de son frère bâtard, Henri, comte de Transtamare, aussi cruel et plus adroit que lui. Replacé sur le trône par le secours du Prince Noir en 1367, et vaincu en 1369 par son frère, il mourut poignardé par ce dernier, le 16 mars 1369, devant le château de Montiel. de l'avenir. Roi de quinze ans, il passe les vingt années de son règne à défendre, contre sept frères bâtards, sa couronne chancelante, s'entoure des cadavres de ses ennemis comme d'un rempart, et frappé de l'anathème du pape et de l'exécration des peuples, meurt enfin, sous le poignard de son propre frère, dans la tente de Duguesclin. Un intérêt puissant s'attache, il faut l'avouer, à ces caractères maudits par l'histoire, à ces noms qu'elle excommunie. On voudrait approfondir ces âmes terribles, en connaître les mouvemens intimes, savoir par quels degrés elles sont descendues dans les crimes, et les suivre pas à pas, comme Dante pénètre de cercle en cercle, jusqu'aux derniers abîmes de l'enfer. Ensuite, une sentence si rigoureuse est-elle parfaitement juste? N'auraient-elles pas des excuses à nous donner, des erreurs à réfuter, des calomnies à effacer de l'histoire de leur vie? Nous qui avons vu l'histoire se faire, ne savons-nous pas quelle légèreté dicte ses oracles? et ne l'a-t-on pas toujours vue prompte à caresser le succès et à s'écrier: Malheur aux vaincus? Les annalistes contemporains sont unanimes dans leurs déclamations contre Pierre-le-Cruel. S'il faut les en croire, c'est une hiène couronnée, versant par volupté du sang humain, impie, inexorable : « Bestiale re, dit Matheo >> Villani, forsenato re, perverso tirano, non degno >> d'epere nomato re (1) ». Roderic Sanchez, évêque de Palencia, le nommé le Nabuchodonosor moderne (2). L'éloquent Mariana et l'élégant Ferreras ont adopté cette opinion que leur avaient léguée, avec tant de contes, le dévot évêque de Palencia, le crédule évêque de Girona, et Pierre d'Aragon (3), ennemi personnel de Pierre de (1) Script. Ital., tom. xiv, p. 43. (2) Part IV, ch. 17. (3) Dans la chronique écrite en langue catalane, sous les yeux de ce prince et par son ordre. |