votre dague, et ne cessez de faire tant de carnage que vous en avez fait, votre royaume est perdu, et votre personne en grand péril, et je vous prie en grâce de vous en garder; car je parle loyalement avec vous, étant à cette heure où je ne peux et ne veux dire que vérité. » Alors tout s'enflamme et s'irrite. Il ne trouve que des rebelles, et ne vit plus que dans la guerre et le meurtre. Tous ceux qu'il frappe sont coupables, et plus il trouve de coupables, plus il frappe. Enfin il résout d'assassiner don Fadrique son frère, soupçonné d'une intrigue avec Blanche de Bourbon. << Le roi avait envoyé chercher don Fadrique (Frédéric), son frère, qu'il avait résolu de tuer. Il fit appeler de bon matin, dans sa chambre, l'infant don Juan d'Aragon, son cousin (1), et lui fit faire serment sur la croix et l'Évangile, ainsi qu'à Diego Perez Sarmiento, adelantado-maior de Castille, de tenir secret ce qu'il leur dirait. Ils le jurèrent tous deux, et ensuite le roi dit à l'infant : « Cousin, je sais bien, et vous savez aussi, que don Fadrique mon frère, maître de Saint-Iago, vous veut grand mal, ainsi que vous à lui, et à cause des di verses choses qu'il a faites contre mon service, je veux le tuer aujourd'hui : et je demande que vous m'aidiez à cela, en quoi vous me ferez grand service. Quand il sera mort, j'ai l'intention de partir pour la Biscaie, et d'aller tuer don Tello, mon frère. Je vous donnerai les terres de Biscaie. » L'infant don Juan répondit ainsi au roi : » Seigneur, je vous tiens à merci de m'avoir fait participer à vos secrets; et il est vrai, seigneur, que je veux beaucoup de mal à don Fadrique et à ses frères, de même qu'ils me haïssent à cause de vous: aussi me plaît-il beaucoup que vous ayez résolu de tuer le maître. Et si tel est votre bon plaisir, moi-même je le tuerai. Cette réponse plut beaucoup au roi; mais Diégo Perez (1) Assassiné par Pierre d'Aragon, son frère. Sarmiento, qui était là, dit à l'infant : « Seigneur, qu'il vous suffise de ce que le roi ordonnera, car les archers ne manqueront pas pour tuer don Fadrique; » et depuis cette époque, Diego Perez fut durement haï du roi. .. » Cependant, lorsque le maître de Saint-Iago vint à Séville avec beaucoup de chevaliers, le roi le reçut de bonne grâce en apparence, lui demandant s'il avait de bons logemens, et quand il repartirait. Don Fadrique, qui ne se doutait de rien, et qui avait volonté de servir le roi, et de lui faire plaisir, lui répondit bonnement qu'il partirait le lendemain, et que quant à ses logemens, il ne savait pas quels ils seraient, mais qu'il croyait bien qu'ils seraient bons. Le roi lui dit d'aller s'assurer de ses logemens, et de revenir auprès de lui; et le roi disait cela, pour qu'il ramenât avec lui beaucoup de ses gens dans l'Alcazar. Le maître de Saint-Iago quitta le roi, et alla visiter dona Maria de Padilla, qui était avec les filles du roi, dans un autre appartement du palais, qu'on nomme la chambre du limaçon; et dona Maria savait tout ce qu'on avait résolu contre le maître, et quand elle le vit, ne pouvant lui dire le secret du roi, elle lui fit un accueil et chère si tristes et mélancoliques, que tout le monde aurait pu deviner ce qu'elle ne disait pas. Et elle avait les larmes dans les yeux en le regardant, car elle était femme très-bonne et de bon sens et de cœur gentil, et elle ne se payait pas des choses cruelles que le roi faisait. » Le maître partit de là et s'en alla dans la cour de l'Alcazar, où l'on gardait les mules, pour s'en aller à ses logemens et revenir ensuite : et il ne trouva pas les bêtes, car les portiers du roi avaient fait sortir tout le monde de la cour, et chassé les mules, et fermé les portes, ainsi qu'on leur avait commandé; et le maître, quand il ne trouva pas les mules, ne savait ce qu'il devait faire, ni s'il retournerait vers le roi. Et un de ses chevaliers, nommé Suer Guttierrez de Navalès, Astu por rien, qui avait vu des mouvemens dans l'Alcazar, et qui se doutait de quelque chose de mal, lui dit : « La petite porte est ouverte ; sortez, d'ici, les mules ne manqueront pas. » →→→→ - Et il le lui répétait plusieurs fois, car il pensait que, si le maître parvenait à sortir, il pourrait s'échapper, ou du moins que ses gens le défendraient et mourraient avec lui. En ce moment, deux chevaliers, qui ne savaient rien de ce qui se tramait, vinrent, de la part du roi, dire à don Fadrique : « Seigneur, le roi vous demande. » Et le maître s'en alla devers le roi tout effrayé, car il commençait à se douter du fait; et à mesure qu'il entrait dans les appartemens du palais, il voyait qu'il était seul, car les tiers avaient reçu l'ordre de ne laisser passer personne. Le roi était dans la chambre de fer, la porte fermée; et le maître de Saint-Iago frappa à la porte, que l'on n'ouvrit pas. Un archer du roi sortit ensuite de la chambre où le roi était, et le roi lui dit : « Pero Lopez, arrêtez le maître. » Et Pero Lopez dit à don Fadrique : « Vous êtes pris. » Et le maître resta coi et tout étonné. Puis le roi dit à quelques-uns des ses archers qui étaient là : <«< Archers, tuez le maître de Saint-Iago. » Et cependant les archers n'osaient le faire; et un homme de la chambre du roi, qui s'appelait Rui Gonzalès d'Atienaz, et qui savait tout; cria de toute sa force : « Traîtres! que faites» vous? ne voyez-vous pas que le roi vous ordonne de >> tuer le maître? » Alors ils commencèrent à lever leurs masses pour frapper don Fadrique, et il se débarrassa des mains de Pero Lopez qui le tenait, sauta par une fenêtre dans la cour et mit la main à l'épée; mais il ne put la tirer du fourreau, parce que la croix de la poignée s'était engagée dans le cuir du ceinturon, et les archers qui le poursuivaient avec leurs masses ne pouvaient l'atteindre, parce qu'étant vigoureux et agile, il fuyait d'un côté de la cour à l'autre ; et Nugno Fernandez de Roa, qui le suivait plus qu'aucun autre, finit par lui donner un coup de sa masse sur la tête et le fit tomber, et les autres archers le frappèrent tous à la fois. Le roi, voyant que le maître était étendu par terre, sortit dans la cour, croyant qu'il trouverait d'autres gens et serviteurs de don Fadrique, et voulant les tuer. Et le roi ne trouva qu'un écuyer qui se nommait Sancho Ruiz de Vislegas, premier camérier de don Fadrique; et il s'était réfugié dans la chambre du limaçon, où était dona Maria de Padilla avec les filles du roi. Et le roi entra dans la chambre, et Sancho Ruiz avait pris entre ses bras dona Béatrix, la fille du roi, croyant échapper à la mort pour l'amour d'elle; et le roi, comme il vit cela, lui arracha des bras dona Béatrix, et le poignarda avec une dague qu'il avait à la ceinture. Puis il revint dans la cour où était le ca`davre du maître, et il trouva qu'il respirait encore, et tirant sa dague, il la donna à un de ses gens qui était Maure de nation, et il lui dit de l'achever........... Et il fit tuer également un grand nombre de parens et de serviteurs de don Fadrique; disant que ce dernier et tous les autres avaient pris part au soulèvement du royaume en faveur de la reine Blanche, comme nous l'avons raconté. Et bien qu'il leur eût pardonné, il n'avait jamais perdu le ressentiment de l'injure, ainsi qu'il y a bien paru par ses actions. » Recevoir des injures et les venger, telle est toute la vie de don Pèdre. Son opiniâtreté à punir égale l'opiniâtreté des grands à l'outrager. Ne semble-t-il pas que par leurs crimes et leurs vertus, que par leur férocité et leur courage, tous les personnages de cette scène soient plus grands que nature? C'est Albuquerque mourant, qui ordonne, par son testament, que son cadavre embaumé soit porté devant les bannières des grands vassaux en révolte, et qu'on ne l'enterre qu'après la victoire; c'est dona Urraque mourant dans le bûcher, et qu'une de ses femmes suit au milieu des flammes, « pour retenir la robe >> tombante de sa maîtresse, et garantir sa pudeur. » C'est dona Coronel en butte à la poursuite du roi, et inventant, pour résister aux désirs de Pierre et à sa propre faiblesse, un moyen aussi épouvantable qu'héroïque ; « ardentem libidinem (dit Mariana) igne extinguens, adacto per muliebria titione. » Action si éloignée de nos mœurs, que le langage moderne est incapable de l'exprimer. Cependant le pape, le roi de France, le roi d'Aragon lui déclarent la guerre. Henri de Transtamare entre en Castille et se fait nommer roi. Le peuple, persuadé que don Pèdre est l'ami des mahométans, l'abandonne. Il fuit en versant le sang sur sa route, et revient, aidé du Prince Noir, lutter contre Henri Duguesclin. Vainqueur de Najara, il pardonne à ses ennemis; «< cour» toisie dont ils le récompensèrent petitement, Froissart. » dit Duguesclin, fait prisonnier par le Prince Noir, se rachète, comme tous les historiens l'ont rapporté, pour cent mille francs; mais les détails suivans, admirables par leur naïveté héroïque, ne se trouvent que dans Lopez Ayala.. Comment messire Bertrand Duguesclin, qui fut pris en cette bataille, fut mis à rançon, et de ce qu'il en advint. << En cette bataille fut fait prisonnier messire Bertrand Duguesclin, très-grand et vaillant chevalier, qui était de Bretagne.... et bien que le prince (de Galles) eût mieux aimé le voir mort dans la bataille, parce que c'était un très-redoutable homme de guerre, pourtant quand il fut pris, il lui fit grand honneur, et l'emmena avec lui à Bordeaux. Et un jour en cette ville, niessire Bertrand fit demander au prince qu'il fut son bon plaisir de le laisser venir à rançon, car point n'était utile à son service de le retenir ainsi en sa prison, et il valait mieux le laisser libre, en acceptant le prix qui serait convenu et stipulé. Et le prince consulta son conseil, et fut arrêté que mes |