ployant largement sa main gauche et en la parcourant de l'index de la droite par figures démonstratives. « Ce » n'est pas Guérin, dit-il en partant du pouce. Que diable > ferait Bonaparte de la peau d'un théophilantrope? >> Ce n'est pas Goville, continua-t-il; c'est un homme > inoffensif, étranger à toutes les intrigues, réclamé de >> très-haut, et plus que tout cela c'est le beau-frère de >> Dagoult, qui est fort bien dans ce tripot des Tuileries. 1 - Ce n'est pas Démaillot, frondeur sans conséquence, >> beau parleur sans danger, qui a moins d'influence sur >> la populace que Bonjour, Gallais ou Chalandon; ressort » usé d'un instrument qui ne joue plus; Jacobin empaillé, >> momie révolutionnaire que l'on garde tout au plus >> comme un type curieux de l'espèce, et dont la place » définitive' est à la ménagerie. » - Alors il s'arrêta, et puis il reprit : « - Ce n'est pas toi; ta vie n'est liée à » aucun système redoutable; tu tiens à tous les partis >> par quelques idées, et tu te dérobes à tous par quelques » répugnances. Les gouvernemens ne tuent pas les gens » qui marchent tout seuls, surtout quand ces gens-là » viennent d'échapper aux lisières de leur nourrice. >> D'ailleurs, tu étais au secret, tu en es descendu; et si l'on avait voulu te tuer au rez-de-chaussée, on ne >> t'aurait pas arrêté au troisième étage. Ce n'est pas toi; > c'est Renou! Renou !..... - Oui, Renou. La mort >> est sur les Vendéens. Aujourd'hui lui, demain moi. » A cette idée, il releva la tête d'un air fier, et je laissai tomber la mienne sur ma poitrine. C'était tellement cela, que je ne pouvais pas même concevoir la possibilité d'une autre chance. Renou avait été interrogé deux ou trois jours auparavant. C'était Renou. - Je rentrai au no 6, et je me jetai sur ma paille en pleurant. Renou était sur la sienne et finissait de rimer une épître qu'il m'avait adressée. Jamais je ne l'avais vu si content. « Imagine-toi, me dit-il, que je crois être venu » à bout de quelques difficultés qui m'embarrassaient >> beaucoup. Tu sais que ma femme s'appelle Angélique » et ma fille Zélinde, et j'ai voulu te parler d'elles dans » mon épître. Zélinde, Mélinde, cela va tout seul. Mais > crois-tu que je puisse faire rimer Angélique avec an» gélique? - Angélique avec angélique, bon Dieu! » Eh! oui, Angélique, nom propre, Angélique, nom de » plante, angélique, adjectif, c'est que cela ferait très» bien, vois-tu : » ou bien, << Et le parfum de l'Angélique..... >> Et son innocence angélique..... - Non, lui dis-je avec impatience... cela serait affecté... Dis plutôt : >> Et sa constance évangélique.....>>> Et je m'enveloppai du pan de laine qui me servait de couverture pour étouffer mes sanglots. « Qu'as-tu donc? >> s'écria-t-il en venant à moi.... Tu pleures, enfant! > Que le diable emporte les nerfs! Je n'ai jamais su ce que c'était. Aussi tu t'affliges trop; mais penses-tu que, » moi, je suis sur des roses ? » A cinq heures, je descendis: je m'arrêtai au troisième degré. Je pensais que c'était là que Renou allait mourir. J'éprouvais avec ma douleur quelque chose d'indéfinissable qui ne ressemblait à aucune de mes sensations passées. J'entrai au restaurant, je pris un potage au lait; je regardai presque sans voir, j'écoutai presque sans entendre. Resseguier avait mis en bataille tous les hommes en état de porter les armes sans en excepter quelques guichetiers de bonne humeur, pour exécuter une manœuvre de son invention. Custines amusait quelques dames moins belliqueuses des exercices de son chat, le plus beau, le plus adroit et le plus extraordinaire de tous les chats. Je prenais peu de part à ces plaisirs. Cette crampe terrible dont j'ai parlé en commençant me saisit tout à coup. Je n'eus que le temps de me lever et de tomber dans les bras de mon guichetier. Je revins à moi au no 6 dans les bras de Renou, que j'avais blessé en me débattant contre ses secours; son sang inondait ma poitrine. - Ah! mon Dieu, m'écriai-je, c'est Renou, et c'est du sang !... Je me remis, je m'affranchis de leurs soins, qui brisaient mon cœur, en feignant de chercher du repos. Ce n'était pas moi qui avait besoin des témoignages de leur tendresse; c'était lui, et jamais il ne s'était plus occupé de moi! Enfin, le temps s'épuisa. L'heure vint. J'entendis le qui vive, qui annonçait l'échange des sentinelles. Je m'assis. Mon sein battait si fort, que je crois qu'on pouvait l'entendre. De grosses gouttes de sueur coulaient de mon front et à travers mes cheveux. Je retenais mon haleine pour écouter. La clé cria, les verroux roulèrent, les châssis battirent. Ah! ah! dit Renou, il y en a encore un de pris, et il se rendormit. Remarquez que la position intermédiaire du no 6 nous laissait le temps de calculer les résultats dans des proportions qui s'accroissaient toujours à mesure que la funèbre escouade s'approchait de nous. Le bruit finit à notre porte, et le brouhaha d'usage nous avertit. Je ne savais trop que c'était pour nous qu'on venait. Quand notre gond commença à gronder, je me soulevai pour voir. Il y avait un guichetier qui portait cette longue pelle de fer où une torche est plantée, et après, quatre soldats dont les fusils n'avaient point de baïonnettes; ensuite un homme, vêtu à peu près en officier, qui jeta un regard d'étonnement sur nous. Je suppose qu'il entrait dans une prison pour la première fois. La longue chambre était éclairée par cette torche qui blanchissait les points éloignés de lumières flottantes et bizarres, à travers lesquels je distinguais vaguement le bonnet blanc de M. de Goville et le bonnet d'un rouge obscur du vieux Guérin. Cette inspection muette achevée, l'officier prononça un nom qui n'était 4 pas celui de Renou. C'était mon nom, mon double nom. Ce déplacement d'idées se confondait avec trop d'impressions différentes, pour qu'il soit possible de le définir. Je me levai. Je marchai. Je sentis des mains qui me touchaient, des bras qui me pressaient. Démaillot rampait sur son lit pour s'approcher de moi. Renou était tombé sur le sien, avec ses deux poings sur les yeux. Je franchis bientôt le linteau de la chambrée en me nommant. Beauvoir rugissait dans sa cage comme un pauvre lion dont on égorge le chien familier. Je descendis machinalement en courbant la tête sous deux guichets. Je n'avais pensé à rien. Aux quatre ou cinq degrés qui précèdent le troisième guichet, je m'arrêtai. Je savais que c'était là, et je le savais comme si je l'avais vu. Je cherchai à mettre de l'ordre dans mes idées. Je nommai en esprit quatre personnes qui occupaient mon cœur, et je joignis à cela un élan de confiance vers le Dieu inconnu, qui allait me recevoir ou m'abandonner. Cela est très-court, et cela est très-facile. Le porte-flambeau est déjà passé, et les larges langues de feu de son cierge de bitume flamboyaient sur les trois degrés de la cour. Je jetai un coup-d'œil en arrière. Je vis l'homme qui était venu me chercher, et deux ou trois de ses acolytes qui se tenaient un peu en haut sur les degrés supérieurs de l'escalier, comme pour éviter l'éclaboussade de la décharge. Je lançai la tête en avant, en cherchant à droite et à gauche la bouche d'un canon de fusil. La torche répandait assez de lumières pour me détromper. Les quatre soldats étaient à l'autre extrémité de la cour, et bâillaient sur leurs mousquets. « Marchons-nous? me dit l'officier en me bourrant brutalement les reins de la poignée de son sabre. - Où allons-nous donc, Monsieur? n'est-ce pas là ? – Eh non, par Dieu! c'est au greffe, par-devant M. Onain, inspecteur-général des prisons. >>> C'est qu'il s'agissait purement et simplement de s'assurer que les externes avaient fait un faux rapport, en racontant, sur la foi des apparences qu'offrait mon infirmité, que j'avais été empoisonné à Sainte - Pélagie. Je ne fus pas long à signer cette déclaration. La visite du médecin suivit, et comme il n'y avait pas de raison pour que mon irritation nerveuse fût tout-à-fait calmée, ce respectable M. Bouquet me trouva, en dépit de moi, très - bon pour l'infirmerie. Mes amis d'habitude n'y étaient pas. Je ris aujourd'hui de pitié et de honte en pensant à la déception qui m'avait trompé ce jour-là, et peut-être bien d'autres fois; mais quel homme aurait passé à travers ces impressions sans leur payer un tribut? Et puis tous les hommes reçoivent-ils les impressions de la même manière? Et puis un malheur fortement ressenti, pour être une illusion, cesse-t-il d'avoir été un malheur? Et puis, comme disait Diderot, il y a plusieurs sortes d'histoires: des histoires vraies qui n'ont pas d'intérêt, des histoires intéressantes qui ne sont pas vraies, des histoires dont l'intérêt et la vérité sont relatifs, parce que la perception de l'intéressant et du vrai se modifie selon l'organisation de l'homme qui raconte et la disposition de ceux qui écoutent. Hier, je contemplais avec une admiration toujours nouvelle, du balcon de l'Arsenal, les effets variés du soleil couchant sur les fabriques resplendissantes des deux rives de la Seine, et je m'extasiais à la vue de Sainte-Geneviève, avec son dôme d'or qui se perd dans les cieux, et cet occident magnifique drapé d'une immense tenture de pourpre. Un passant qui avait entendu mon soliloque poétique, me dit: « Monsieur, il n'est pas d'usage à Paris de tendre des >> draperies de pourpre sur l'occident, même le jour de » la Fête-Dieu, et quant au dôme de Sainte-Geneviève, » vous pouvez vous tenir pour certain qu'il n'est pas » d'or, mais de bonnes pierres de taille. » Je n'eus pas un mot à répondre à cet homme. Il venait du faubourg Saint-Jacques. CH. NODIER. |