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gers, dont jadis des écrivains licencieux salissaient leurs pages.

Je ne me permettrai donc pas de me livrer à des détails de famille et à des réfutations aussi peu importantes pour le public, qu'elles me paraissent peu nécessaires pour les personnes qui ont pu apprécier le beau caractère de Mme de Grammont. Je me contenterai, pour éviter tout soupçon de partialité, de transcrire ici la citation suivante, tirée d'un ouvrage estimé (1).

« Le duc de Choiseul, heureux dans sa vie, heureux » dans sa mort, n'a point vu périr cette sœur chérie, » qui porta jusqu'à l'échafaud le courage d'un caractère » habitué à tout dominer, qui étonna les juges-bourreaux » lui annonçant son supplice, et qui, après s'être félicitée » devant eux d'être bientôt affranchie du spectacle de >> leurs crimes, fut près de les toucher en plaidant la » cause de sa douce et excellente amie, la duchesse du » Châtelet, en invoquant sur elle-même et sur elle seule >> leur rage qu'elle se vantait d'avoir méritée : femme >> extraordinaire, qu'il fallait hair quand on était bien » décidé à ne pas l'aimer beaucoup; qui, privée de >> l'avantage par lequel on est le plus facilement séduit, » était douée de toutes les qualités qui subjuguent et >> attachent; qui commençait par s'emparer de vous, >> bien sûre de vous faire ensuite chérir sa domination » et qui, brusquement transportée de la paisible retraite » de Remiremont à la cour, sembla, dès le premier ins>> tant, n'y être venue que pour y commander. »

On doit m'excuser d'avoir rendu cet hommage à une mémoire qui m'est si chère. Je reviens à l'ouvrage en question.

Mme du Barry n'avait aucune instruction, écrivait mal, savait à peine l'orthographe, avait un très-mauvais ton, sa seule beauté était incontestable.

(1) Biographie, Éphémérides.

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Élevée pour la seule galanterie et la moins relevée, elle eût fait son métier de maîtresse du Roi avec tranquillité et douceur, si elle n'eût été guidée par le comte Jean du Barry, surnommé le Roué, et si MM. d'Aiguillon et de Maupeou n'en eussent fait un instrument d'intrigue. Son caractère n'avait ni force ni dignité; sa vie et sa mort en sont la preuve. Mme du Barry, dont on doit plaindre la fin si malheureuse, sut la rendre sans intérêt par sa pusillanimité: c'est la seule femme qui soit morte avec faiblesse dans le cours de la révolution.

Je suis loin de nier que l'usage du monde et l'habitude de son langage n'aient modifié celui de Mme du Barry; j'ai entendu dire que l'on y avait remarqué une notable différence dans les dernières années de sa vie, et je m'étonne que l'on ait mis dans sa bouche l'expression par laquelle elle se permit de qualifier le commencement du règne de Louis XVI (1). Je la vis pour la première fois à Londres, en 1793, dans un dîné arrangé chez M. Thelluson, pour me faire trouver avec elle. Je fus placé à table près d'elle, et pendant ce dîner, où elle chercha à être aimable, elle me parla beaucoup de mon oncle, déplora les conseils qu'elle avait suivis, et me laissa entendre, avec une certaine grâce, que sa coquetterie avait été réelle pour M. de Choiseul, mais qu'elle l'avait trouvé froid et digne. Quelques lettres que j'ai d'elle prouvent qu'elle lui cachait sa malveillance peu de mois encore avant qu'elle eût obtenu son exil.

Je vais parcourir quelques faits en comparant le récit de Mme du Barry avec la vérité la plus incontestable. On raconte dans le deuxième volume, page 79, une anecdote qui me donne occasion de faire connaître, sur ce sujet, une lettre du Roi et la réponse de M. de Choiseul.

Voici ce que, dans les Mémoires, on fait dire à Mme du Barry:

(1) Volume 4, page 431.

« Le duc de Choiseul recommença à me montrer de

» la mauvaise volonté, aussitôt qu'il eut appris que, dans >> une de mes courses, M. de La Tour-du-Pin, colonel » du régiment dans lequel mon frère était capitaine, >> m'avait fait rendre les honneurs militaires.

» Le ministre reprocha à cet officier sa condescen» dance, en lui disant qu'on ne devait accorder de sem» blables distinctions qu'aux princesses du sang, et tout » au plus à des duchesses, mais non pas à de simples > femmes de qualité. Ce propos me fut répété, et il » n'était guère propre à me faire aimer celui qui l'avait >> tenu. Pour toute vengeance, j'affectai beaucoup d'amitié » pour M. de La Tour-du-Pin, que je signalai au » Roi, etc. »

Ce n'était point dans une de ses courses que ce petit incident eut lieu, c'était au camp de Compiègne, en voici la preuve :

LETTRE

DU ROI AU DUC DE CHOISEUL (1).

« Comme je vous ai promis de vous dire tout ce qui > me reviendrait de vous, je m'en acquitte en ce mo

» ment.

» L'on dit que vous avez grondé Wurmser, je ne sais » sur quoi, mais que vous lui avez lâché un jurement bien >> conditionné.

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» L'on dit que vous avez grondé le chevalier de La Tour-du-Pin à l'occasion de Mme du Barry, sur ce

» qu'elle a dîné au camp, et sur ce que la plus grande » partie des officiers avaient dîné chez elle le jour de » la revue.

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Vous avez grondé aussi M. Foulon à son occasion.

(1) Voir le fac-simile.

• Vous m'aviez promis que je n'entendrais plus parler » de vous sur elle.

» Je vous parle avec confiance et amitié ; l'on peut se » déchaîner contre vous dans le public; c'est le sort des » ministres, surtout quand on les croit voir en opposition » avec les amis du maître; mais à cela près, le maître • est toujours très-content de leur besogne, et de la » vôtre en particulier. »

RÉPONSE

DE M. LE DUC DE CHOISEUL AU ROI.

« Sire,

» Je suis bien touché de la bonté et de la confiance. » que vous me marquez; j'en serais indigne, si je ne la » sentais pas jusqu'au fond du cœur, et si je n'y répon» dais avec la vérité de l'attachement que je vous dois.

» Je n'ignore pas tous les mauvais propos que l'on » tient, et ce qu'il y a de pire, ceux que l'on me fait » tenir. Je ne puis pas douter, en voyant ceux qui en> tourent Mme du Barry, et que Votre Majesté connaît » dans le fond de son ame aussi bien que moi, que je » ne sois un des objets particuliers de leurs inventions » malignes et de leur désir de nuire. Nous avons une > expérience très-suivie de l'estime que l'on doit avoir du >> caractère et de la personne de ceux qui ont soixante-dix » ans ou qui en ont davantage; quant aux jeunes, ils » font pitié, et croient être quelque chose en s'agitant » et en paraissant fronder et braver votre ministre. Si » je n'étais pas aussi assuré, Sire, de votre justice, de >> la bonté de votre cœur et de votre discernement sur » ce qui compose votre cour, je serais révolté des hor» reurs qui me sont revenues, et dont j'ai été l'objet.

>> Mais, en me confiant sur tous les sentimens qui sont » en moi pour votre personne, j'ai méprisé, non-seule> ment dans ce moment-ci, mais depuis plusieurs années, >> des infamies qui, en vérité, ne doivent pas atteindre » quelqu'un qui est honoré de la confiance d'un aussi » bon roi, et permettez-moi de vous dire, Sire, d'un » aussi honnête homme que Votre Majesté.

» Pour ce qui est des faits particuliers sur lesquels » Votre Majesté me fait l'honneur de m'écrire, je n'ai >> jamais dit dans ma vie un mot plus haut que l'autre » à Wurmser, je n'ai pas eu le plus léger prétexte de >> le lui dire : je ne l'ai point grondé, ni n'ai eu occasion >> de le faire au camp ; car ce n'est pas gronder de dire : » Mon cher Wurmser, dépéchez-vous, le Roi attend » depuis une demi-heure. Je ne me suis jamais servi, » vis-à-vis d'aucun officier, de termes impropres que >> j'eusse à me reprocher. Wurmser est ici et peut dire >> la vérité.

» Ce qui s'est passé au régiment de Beauce n'est pas » plus vrai, mais a plus de vraisemblance. Je n'ai pas » grondé M. le chevalier de La Tour-du-Pin, je ne lui » ai point parlé qu'il eût donné à dîner, ou qu'il en ait » reçu. Je suis, Sire, à mille lieues de pareilles misères. » Le jour que Votre Majesté a vu manœuvrer les qua> rante-deux bataillons, ont vint me dire que le régiment > de Beauce, après que Votre Majesté avait passé devant » lui, avait salué et rendu les mêmes honneurs à Mme du >> Barry ; je ne dis pas un mot à celui qui vint m'avertir.

Le soir, chez moi, l'on répéta la même chose, à » laquelle je n'eus pas l'air de faire attention. Le lende» main, en allant voir manœuvrer cette brigade, je dis

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à M. de Rochambeau que l'on m'avait rapporté que le > régiment de Beauce de sa division avait rendu des >> honneurs à des carrosses autres que ceux de la famille > royale, pendant que Votre Majesté était sur le front >> de la ligne; que cela n'était pas bien, et que je le

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