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née à son sujet; et puisque cet enfer que je crains est le souverain malheur, je ne le craindrois pas autant que je dois, si ce n'étoit pas une crainte souveraine. Je le craindrai constamment ; et, pour ne perdre jamais cette crainte, je la renouvellerai sans cesse par la méditation et par une vue fréquente des jugemens de Dieu. Tant que je vivrai en ce monde, quelques vertus que j'aie pratiquées, je ne saurai jamais avec assurance si devant Dieu je suis digne d'amour ou de haine, si je mérite ses récompenses éternelles ou ses vengeances; quand même j'aurois lieu d'être en repos, et sur le passé, et sur le présent, au milieu de tant de piéges qui m'environnent, et après des chutes si étonnantes dont on a été plus d'une fois témoin, je ne pourrai jamais me répondre de l'avenir; et dans cette double incertitude, ma plus sûre sauvegarde sera la vigilance et la crainte. Enfin, l'une des plus grandes grâces que je puisse obtenir du ciel, c'est que ma crainte soit efficace: car il y a une crainte de l'enfer stérile et infructueuse, comme il y a un désir inutile du salut. On craint et on désire, ou l'on croit désirer et craindre; mais on veut en même temps que ce désir ni cette crainte ne coûtent rien. Crainte réprouvée! En craignant, je dois agir, je dois me corriger, je dois m'avancer, je dois me perfectionner, je ne dois rien omettre de tout ce qui peut me garantir du malheur où je crains de tomber.

Tels sont mes sentimens, et puissent-ils ne s'effacer jamais de mon esprit! Si l'impie les traite de foiblesse et de timidité superstitieuse, je préférerai ma foiblesse à toute sa prétendue force; il rira de ma simplicité, et moi j'aurai pitié de sa folie, lorsqu'il ne craint point ce qu'ont craint tant d'hommes mille fois plus sages et mieux instruits que lui; de son insensibilité, lorsqu'il prend si peu de part à une affaire qui le touche de si près, et qu'il s'intéresse si peu au plus grand de tous

ses intérêts; de sa témérité et de son audace, lorsqu'il s'expose si légèrement et de sang froid à une éternelle réprobation, et qu'il n'a point de peine à en courir tout le risque. S'il s'endurcit aux avis charitables que je voudrois sur cela lui donner, et si, malgré les plus fortes remontrances, il demeure dans son obstination, à l'exemple de ces anges, qui se retirèrent de Babylone, je l'abandonnerai à son sens réprouvé, et je penserai à moi-même; je leverai les mains vers Dieu, et je lui ferai la même prière que le Prophète: Ne perdas cum impiis, Deus, animam meam (1); Ne perdez pas, Seigneur, ne perdez pas mon ame avec les impies; sauvez-la par votre miséricorde; aidez-moi à la sauver moi-même par mes œuvres. C'est une ame immortelle, c'est mon unique: ah! mon Dieu, dès qu'elle seroit une fois perdue, elle le seroit pour jamais. Préservons-nous, mes chers auditeurs, d'une telle perte; chacun y est pour soi; et de toutes les affaires, il n'en est point qui nous soit plus propre ni plus particulière que celle-là: le succès en dépend de Dieu et de nous; Dieu, de sa part, ne nous manquera pas; ne manquons pas à sa grâce, et disposons-nous, par la parfaite observation de ses commandemens, à recevoir sa gloire dans l'étermité bienheureuse que je vous souhaite, etc.

(1) Ps. 25.

E

POUR LE

XX. DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.

SUR LE ZÈLE POUR L'HONNEUR DE LA RELIGION.

Credidit ipse, et domus ejus tota.

Il crut en Jésus-Christ, et toute sa maison crut comme lui. En saint Jean, chap. 4.

C'EST d'un père de famille que l'évangile nous produit aujourd'hui l'exemple. Touché du miracle que le Sauveur du monde venoit d'opérer en sa faveur, et ayant embrassé la loi de cet homme-Dieu, il la fait encore embrasser à ses domestiques, et ne croit pas pouvoir mieux employer son pouvoir qu'à lui soumettre toute sa maison: Credidit ipse, et domus ejus tota. Ce n'est pas qu'il use de violence, ni que d'une autorité absolue il entraîne des esprits rebelles, et arrache d'eux, pour ainsi parler, une foi contrainte et forcée. En matière de religion, tout doit être libre et pleinement volontaire; et Dieu réprouveroit un culte où le cœur n'auroit point de part. Si donc cette heureuse famille s'attache désormais à Jésus-Christ, et en suit fidèlement la doctrine, c'est qu'elle y est engagée par l'exemple de son chef, c'est qu'elle y est animée par ses sages remontrances, c'est que le témoignage de ce nouveau chrétien est une instruction pour elle qui l'éclaire, qui la convainc, et que de l'honneur qu'il rend à la foi, elle apprend ellemême à l'honorer. Car ce fut là sans doute, mes chers auditeurs, la grâce prévenante et extérieure dont Dieu se servit, tandis qu'il agissoit intérieurement dans les

SUR LE ZÈLE POUR L'HONNEUR, etc. 213 ames, et qu'il y répandoit les rayons de sa lumière. Si ce maître n'eût pas cru, ou si, dissimulant sa foi, il n'eût pas eu l'assurance de s'en déclarer, tant de sujets soumis à son obéissance et témoins de sa conduite, seroient demeurés dans les ténèbres de l'infidélité; mais parce qu'il ne se contenta pas de croire, et qu'il parla selon sa créance, qu'il s'expliqua hautement, qu'il confessa Jésus-Christ de bouche et par œuvres, sa conversion seule fut le principe de toutes les autres conversions: Credidit ipse, et domus ejus tota. Or voilà le zèle que je voudrois allumer dans vos cœurs. Voilà, chrétiens, par où je voudrois corriger mille scandales que nous causons à notre religion, et qui la déshonorent. Je vais vous faire comprendre ma pensée mais pour vous la bien développer, j'ai besoin de l'assistance du Saint-Esprit, et je la demande par l'intercession de Marie: disons-lui: Ave, Maria.

:

Nous avons tous une obligation indispensable et naturelle d'honorer notre religion, comme nous en avons une d'honorer notre Dieu. Ces deux obligations sont fondées sur le même principe, et l'une est une suite nécessaire de l'autre. Dieu et la religion, dit saint Thomas, ne se peuvent séparer; car Dieu est la fin dernière que nous cherchions, et la religion est le moyen qui nous lie à cette fin. Comme il est donc impossible d'aimer la fin sans aimer le moyen, aussi est-il impossible d'honorer Dieu sans honorer la religion. Voilà le plus noble zèle que nous puissions jamais concevoir, et celui de tous auquel nous sommes le plus étroitement engagés. C'est le plus excellent et le plus noble, parce que faire honneur à la religion, c'est le faire à Dieu même. Or, quel avantage pour une créature, qu'elle soit capable de faire honneur à son Dieu! C'est celui auquel nous sommes le plus étroitement engagés, parce que le

premier de tous les devoirs, comme les païens mêmes l'ont reconnu, regarde la divinité et la religion. L'amour de la patrie, la foi conjugale, la piété des enfans envers leurs pères, le lien des amitiés les plus intimes, tout cela est fort, et ce sont de grandes obligations; mais tout cela doit céder à l'obligation dont je parle ; et plutôt que d'y manquer, il faut être prêt de renoncer à tout le reste.

Qu'est-ce que notre religion? c'est un précieux héritage que nous avons reçu de nos ancêtres, comme ils l'avoient eux-mêmes reçu de Dieu. C'est à nous de le conserver et de le maintenir avec honneur. Moïse, Josué et les autres conducteurs du peuple de Dicu, pouvoient tout sur lui quand ils l'intéressoient par cette considération. Allons, disoient-ils, généreux Israélites, c'est pour le Dieu d'Abraham qu'il faut combattre; c'est le Dieu d'Isaac et de Jacob qui vous commande de marcher; c'est le Dieu de vos pères qui nous envoie pour vous témoigner combien il se tient offensé de vos superstitions. A cette parole du Dieu de leurs pères, ils se sentoient émus, ils obéissoient sans réplique, ils brisoient leurs idoles, les armées entières se mettoient sur pied et se présentoient à l'ennemi. Quoi donc, demande S. Chrysostôme, est-ce que Dieu étoit pour eux quelque chose de plus parce qu'il avoit été le Dieu d'Abraham, ou que leur religion étoit plus sainte parce qu'elle avoit été celle de leurs pères? Non, répond ce saint docteur; mais cependant cette vue du Dieu de leurs pères réveilloit en eux les plus purs sentimens de leur foi. Se regardant comme les successeurs d'Abraham d'Isaac et de Jacob, ils avoient honte d'avoir dégénéré de leur piété; ct ce seul motif leur inspiroit le zèle de ces grands patriarches, je veux dire, le zèle de la vraie religion.

Je ne suis, chrétiens, ni un Moïse, ni un Josué, pour

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