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tradition mosaïque sur l'attente d'un libérateur conforme à Jésus-Christ, sont des plus imposants. Il faut savoir douter, mais il faut aussi savoir reconnaître la vérité quand elle brille, quand elle est là.

Et cependant nous n'avons pas fini d'en rassembler tous les rayons; car il nous faut achever de parcourir toutes les nations et demander à chacune d'elles si elle est bien vraie cette parole de la Genèse d'où nous sommes partis : Iste erit expectatio gentium', et celle-ci du prophète Aggée : Movebo omnes gentes : et veniet DESIDERATUS CUNCTIS GENTIBUS, et celle-ci enfin d'Isaïe: LEGEM EJUS EXPECTABUNT INSULÆ3.

5. Un témoignage bien éminent nous rappelle chez la nation grecque. Ce n'est pas la fable, c'est la philosophie par son plus pur organe qui va le faire entendre.

Déjà, au chapitre de la Nécessité d'une seconde révélation, nous avons consigné cette parole de Socrate A moins qu'il ne plaise à Dieu de vous envoyer quelqu'un pour vous instruire de sa part, n'espérez pas de réussir jamais dans le dessein de réformer les mœurs des hommes. Nous n'avons dû alors considérer cette parole que comme l'expression du désespoir de la philosophie humaine à

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guérir l'humanité. En ce moment il nous est possible d'établir qu'elle provenait aussi de l'espoir et de l'attente formelle d'un envoyé du ciel.

Laissons parler Socrate, il va lui-même s'en expliquer clairement. C'est dans le second dialogue d'Alcibiade. Alcibiade se rend au temple pour faire un sacrifice; il rencontre Socrate et le consulte sur ce qu'il doit demander aux dieux. Socrate lui conseille de s'abstenir de toute demande dans la crainte de s'attirer des maux pour des biens, et le dialogue continue ainsi :

SOCRATE.

« Le meilleur parti que nous ayons à prendre » c'est d'attendre patiemment. Oui, IL FAUT ATTEN>> DRE QUE QUELQU'UN VIENNE nous instruire de la ma» nière dont nous devons nous comporter envers les » dieux et envers les hommes. »

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ALCIBIADE.

Quand est-ce que viendra ce temps-là, et qui est-ce qui nous enseignera ces choses? car » il me semble que j'AI UN DÉSIR ARDENT DE CON>> NAÎTRE CE PERSONNAGE. »>

SOCRATE.

<<< Celui dont il s'agit s'intéresse à ce qui nous » touche. Mais il le fait, à mon avis, à la manière >> dont Homère raconte que MINERVE en agit à l'é>> gard de Diomède. MINERVE dissipa le brouillard qu'il avait devant les yeux, afin qu'il pût distin

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» guer les dieux d'avec les hommes1. Il est pareille>>ment nécessaire que le brouillard épais qui réside >> maintenant sur les yeux de votre entendement soit dissipé, afin que vous puissiez dans la suite >> distinguer au juste le bien d'avec le mal. »

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ALCIBIADE.

« QU'IL VIENNE DONC et qu'il dissipe quand il lui >>>> plaira ces ténèbres. Je suis, quant à moi, tout disposé à faire tout ce qu'il lui plaira de me pres» crire, moyennant que je puisse devenir meilleur » que je ne suis. »

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« Je vous le dis encore, CELUI dont nous parlons » désire infiniment votre bien. »>

ALCIBIADE.

<< Ne serait-il donc pas plus à propos de différer » l'offrande des sacrifices JUSQU'A CE QU'IL VIENNE? »

SOCRATE.

« Vous avez raison, il vaudrait mieux prendre » ce parti que de courir les risques de ne savoir

Voici le passage d'Homère auquel il est fait allusion: « J'enlève de tes yeux le nuage qui les couvrait auparavant, » pour que tu distingues sans peine les dieux d'avec les hom» mes. Si quelque divinité se présente, garde-toi d'attaquer >> aucun des immortels.» ( Traduction de Dugas-Montbel.) C'est ce nuage qui est resté sur les yeux des juifs : Velamen cordis.

. TOME II.

» si en offrant des sacrifices on plaira à Dieu, ou si >> on ne lui déplaira pas. »

ALCIBIADE.

« A la bonne heure donc; QUAND CE JOUR-LA SERA » VENU nous ferons nos offrandes à Dieu. J'ESPÈRE » MÈME DE SA Bonté qu'il n'est pas fort éloigNÉ 1.

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Le célèbre Clarke, dans son Traité de l'existence de Dieu, de la Religion naturelle, et de la vérité de la Religion chrétienne, a été un des premiers apologistes qui aient invoqué ce frappant témoignage. C'est la traduction qui en est donnée dans la version française de ce Traité, par Ricotier, que nous avons suivie de préférence. Lord Bolingbroke, le Voltaire de l'Angleterre, dans ses Remarques critiques sur cet endroit du livre de Clarke, avoue la justesse de cette citation; il prétend seulement que le sentiment particulier de Socrate ou de Platon n'est pas décisif".

Nous croyons que nos lecteurs en jugeront tout autrement lorsqu'ils remarqueront surtout que ce sentiment particulier de Socrate était le sentiment universel que les ténèbres de l'idolâtrie n'avaient fait que recouvrir sans l'étouffer 3.

Plat. in Alcib 11. Oper. T. 1, p. 100-101.

2 OEuvres de Bolingbroke, vol. v, p. 214, 215, 216, édit. in-4°.

3 L'idolâtrie n'était presque tout entière qu'une corruption du dogme de la médiation, et elle prouve invinciblement la vérité de ce dogme, lié d'une manière inséparable à celui de

:

C'était là l'opinion du savant Foucher sur ce passage de Platon - « On voit par ce dialogue, dit-il, que l'attente certaine d'un docteur uni» versel du genre humain était un dogme reçu qui >> ne souffrait point de contradiction'. »

Du reste, en maint endroit des OEuvres de Platon on trouve exprimée la doctrine d'un médiateur qu'il appelait le verbe (λóy05), par l'entremise duquel devait s'établir un rapport d'enseignement divin entre l'homme et Dieu, et qu'à cet effet il appelait sauveur, Dieu, fils de Dieu. « Au commencement » de ce discours invoquons le Dieu sauveur, afin » que, par un enseignement extraordinaire et mer» veilleux, il nous sauve en nous instruisant de la

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la dégradation de notre nature. Dans l'attente perpétuelle et confuse où étaient les peuples de cet envoyé céleste, ils croyaient le voir dans tous les personnages extraordinaires qui paraissaient dans le monde; de là, observe le savant Foucher, cette multitude de demi-dieux, sauveurs et libérateurs, que créait partout la foi dans le sauveur promis. Mais ces faux libérateurs ne répondant point aux espérances et aux besoins des hommes, ils en attendaient sans cesse de nouveaux (Cicéron nous dit qu'on comptait trente-deux Hercules successifs), et le vrai Messie était toujours, sans qu'elles le sussent elles-mêmes, comme l'avait appelé Jacob : LE Désiré de TOUTES LES NATIONS. Il en était de ces faux libérateurs comme des sacrifices, on les multipliait en raison même de leur impuissance, et cette multiplicité attestait tout à la fois et la vérité d'une promesse de salut pour la terre et que l'heure de son accomplissement n'avait pas encore sonné.

I

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Mémoires de l'Académie des inscriptions, tome LXXI, p. 147, note.

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