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haute montagne et lui déroulant tous les maux de sa race?«< O malheureuse espèce humaine, pour

rions-nous dire avec lui, à quel abaissement des» cendue! à quel misérable état réservée! Si nous » connaissions ce que nous recevons, qui voudrait >> accepter la vie offerte, ou aussitôt ne demanderait » à la déposer, content d'être renvoyé en paix 1? »

Cette misérable condition de l'humanité accuse Dieu ou l'homme.- Et il faut ou embrasser la monstruosité de l'athéisme, ou admettre le mystère du péché originel. Il n'y a pas de milieu.

On ne peut admettre que Dieu ne soit pas juste sans nier son existence, puisque nous ne le concevons que comme la justice même. Or, sous un Dieu juste, nul ne doit être malheureux qu'il ne l'ait mérité. L'homme est malheureux, il l'a donc mérité; et, comme son malheur est héréditaire, la faute qui le lui a mérité doit être originelle.

Que ceux qui rejettent le dogme du péché originel, comme contraire à la justice de Dieu, y regardent à deux fois. Il y a un fait qu'ils ne peuvent nier, quelle qu'en soit la cause, c'est le malheur et le malheur héréditaire de l'humanité. Or, en présence de ce fait, écarter le péché originel, c'est découvrir la justice de Dieu beaucoup plus que l'imputation héréditaire de ce péché ne peut le faire, car c'est lui enlever tout principe légitime d'action. Si Dieu paraît injuste en imputant à l'enfant la faute du père, il est bien plus injuste en le

Paradis perdu, chant x1.

châtiant pour une faute que le père lui-même n'aurait pas commise; et comme il est incontestable que l'enfant est châtié, il est nécessaire d'admettre, à moins de nier Dieu, qu'il l'est pour une faute quelconque qui, n'étant pas immédiate, doit être nécessairement originelle.

Ainsi tout nous ramène à la grande vérité de la Genèse.

III. Mais, pour nous en convaincre davantage, revenons au côté psychologique de notre sujet et creusons-le plus profondément.

La nature corrompue dans laquelle nous, naissons, avons-nous dit, doit prendre sa source dans une souillure originelle, parce qu'il est contradictoire avec l'idée de la divinité et le langage de toute la nature, que l'homme soit ainsi sorti des mains de Dieu; il a dû être créé heureux et bon. C'est là ce que viennent précisément confirmer les restes de grandeur qui se retrouvent en lui.

L'homme n'est pas, en effet, tellement enfoncé dans sa corruption qu'il soit impossible de retrouver en lui des perfections qui rappellent sa constitution primitive; car il a l'idée du bien, le désir de la vertu, l'instinct secret de l'ordre. Il n'y a pas d'âme si cadavéreuse dans laquelle ne passe parfois le rêve d'une bonne action, et la multitude, en qui se trouvent plus fortement accusés, en bien ou en mal, les traits de notre nature, laisse souvent jaillir, au spectacle de la vertu, de ces admirations enthousiastes, de ces électriques sympathies, qui feraient

croire parfois que la terre est toute peuplée de natures célestes. Mais toutes ces dispositions favorables sont ordinairement latentes en nous et comme enfouies, ce n'est qu'accidentellement qu'elles paraissent à la surface, ou par des travaux soutenus qu'on peut les en retirer. C'est, dit Bossuet, comme des restes d'un édifice autrefois très-régulier et très-magnifique, renversé maintenant et porté par terre; mais qui conserve encore dans sa ruine quelques vestiges de son ancienne grandeur et de la science de-son architecte1; ou, pour emprunter cette analogie à la science, c'est comme des races fossiles et perdues dans les abîmes de l'âme, qui attestent la préexistence d'un ordre qui n'est plus et la violence du renversement qui les a fait disparaître.

De là, deux mondes, deux natures, deux hommes en nous, qui sont en lutte perpétuelle. Dans cette lutte, lorsqu'un secours surnaturel ne vient s'y mêler, l'homme parfait ne peut se relever. Il tend sans cesse à prendre le dessus, mais son ennemi le domine, le surmonte, l'accable incessamment. Cependant il est aisé de voir que la priorité d'existence est au bien, car c'est lui tout d'abord que nous concevons, que nous voulons, que nous approuvons, et le mal ne vient qu'ensuite, comme un usurpateur cruel, décimer toutes nos bonnes résolutions et faire crouler tous nos plans de réforNous visons au bien et nous touchons au

me.

mal.

I

Bossuet, 1er Sermon pour le jour de la Pentecôte.

Video meliora proboque, deteriora sequor,

disait Ovide, comme avait dit Euripide, comme a dit depuis Racine après saint Paul, car les faits psychologiques sur lesquels nous raisonnons sont ce qu'il y a de plus avéré et de plus constant dans la nature humaine.

Et ce que nous disons ainsi du cœur de l'homme par rapport à la vertu, nous pouvons le dire de son intelligence par rapport à la vérité et de tout son être par rapport au repos et au bonheur. Tout l'homme porte en lui cet étrange phénomène de grandeur et de misère, de prétention et d'impuissance, d'espérances et de déceptions. Son intelligence, son cœur, ses sens, trois théâtres de confusion et de lutte entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal, entre le plaisir et la douleur, et toujours avec cette particularité frappante qu'il y a déclinaison fatale, propension vers l'erreur, vers le mal, vers la misère, et qu'il nous faut sans cesse remonter péniblement et à la sueur de notre front les sentiers de la vérité, de la justice, et du bonheur.

Voilà l'homme. Il est à lui-même le mystère le plus désolant, l'énigme la plus désespérante.

Tous ceux qui se sont hasardés dans son explication ont failli à l'œuvre et n'ont fait que fausser les données du problème.

Les uns, en effet, ne voyant en lui que ce qu'il y a de grand, en ont fait un dieu; les autres, ne voyant que ce qu'il y a de bas, en ont fait le rebut

de la nature; un troisième parti enfin, ne sachant plus que deviner touchant la cause de ce grand mélange, r'y a vu qu'un jeu du hasard dont il s'est fait une arme contre la Providence.

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La divine philosophie du christianisme seule, héritière des enseignements et des promesses de la tradition du mosaïsme, est venue toucher au but : - « Vous vous trompez, ô sages du siècle, a-t-elle » dit. L'homme n'est pas les délices de la nature, puisqu'elle l'outrage en tant de manières : l'hom>> me ne peut non plus être son rebut, puisqu'il a quelque chose en lui qui vaut mieux que la na>>ture elle-même. D'où vient donc une si étrange disproportion? et pourquoi vois-je ces parties si >> mal rapportées? Faut-il le dire? et ces masures >> mal assorties, avec ces fondements si magnifiques, »> ne crient-elles pas assez haut que l'ouvrage n'est >> pas en son entier?-Contemplez cet édifice, vous » y verrez des marques d'une main divine; mais l'inégalité de l'ouvrage nous fera bientôt remar» quer ce que le péché a mêlé du sien. O Dieu! quel est ce mélange? j'ai peine à me reconnaître. » Est-ce là cet homme fait à l'image de Dieu, le » miracle de sa sagesse et le chef-d'œuvre de ses » mains? c'est lui-même, n'en doutez pas. D'où >> vient donc cette discordance? c'est que l'homme » a voulu bâtir à sa mode sur l'ouvrage de son créa» teur, et il s'est éloigné du plan: ainsi, contre la régularité du premier dessein, l'immortel et le >> corruptible, le spirituel et le charnel, l'ange et » la bête en un mot, se sont trouvés tout à coup

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