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tenir et à lui donner une unité quelconque, preuve d'autant plus grande de la force interne de cette unité et de la puissance de concentration qu'elle puisait en elle-même, c'est-à-dire dans la vérité, la vérité d'une grande promesse révélée au genre humain dans ses patriarches et dans ses chefs, et mêlée confusément avec les autres débris des vérités primitives qui s'engloutissaient de plus en plus, et que la seconde révélation, objet de cette promesse, devait redonner au monde pour toujours.

Mais il est un caractère particulier de cette tradition qui prouve cela plus clairement encore peutêtre, et, chose étrange! c'est un autre ennemi, c'est Voltaire qui s'est complu à le faire ressortir et à nous donner ainsi une arme contre lui, tant la vérité a de force par elle-même que la combattre c'est l'établir!

« C'était, de temps immémorial, a-t-il dit, une >> maxime chez les Indiens et les Chinois que le »sage viendrait de l'Occident. L'Europe, au con>> traire, disait que le sage viendrait de l'Orient. » TOUTES LES NATIONS ONT TOUJOURS EU BESOIN D'UN » SAGE. >> Par ces derniers mots, il est clair que Voltaire a voulu insinuer que cette expectative universelle d'un sage n'était qu'une illusion du besoin que toutes les nations en avaient.

Or, cela prouve parfaitement le contraire.

Si le désir d'un sage pouvait être une illusion du besoin qu'on en avait, Voltaire aurait raison, il faut en convenir, car jamais l'humanité ne s'est égarée dans des voies plus ténébreuses et plus cor

rompues que dans ces temps du paganisme, où, comme nous l'avons vu, la folie et le crime étaient montés jusqu'au ciel, où un Platon n'osait professer en public l'unité d'un Dieu, qui avait valu la mort à Socrate, où philosophie et athéisme étaient synonymes, comme le disait Cicéron, et où la superstition, comme il le disait encore, répandue chez tous les peuples, tyrannisait la faiblesse humaine.

Mais qui ne voit que c'est précisément ce grand besoin qu'on avait d'un sage qui faisait qu'on ne devait pas le sentir, puisque le sentir eût été sagesse, et que le propre de ce besoin est de s'ignorer luimême en raison même de son intensité? La preuve qu'il n'en était rien et qu'au contraire les esprits se faisaient une illusion diamétralement opposée, c'est que jamais il n'y eut plus de prétendus sages que dans ces temps, et que lorsque LE VRAI SAGE Vint à paraître, il fut crucifié.

Voltaire, comme Boulanger, s'est donc percé lui-même du trait qu'il destinait à la vérité, et de sa remarque que toutes les nations avaient besoin d'un sage, on doit conclure que l'expectative du sage par toutes les nations ne pouvait être une illusion, mais devait être nécessairement fondée sur quelque grande vérité primitive, qui n'a pu se soutenir aussi universellement contre toutes les illusions de l'orgueil et de la folie humaine que par une force originelle qu'elle puisait dans son antiquité et dans l'autorité d'une première révélation.

Encore moins peut-on expliquer autrement cette

particularité que le sage attendu devait venir, au dire de toutes les nations, sur un même point de l'espace terrestre, bien qu'il fût respectivement à leur opposite, et sur un point qui se trouve précisément celui désigné par tous les oracles et les traditions mosaïques, et où, par le fait, le sage a paru.

en

Rappellerons-nous enfin les autres caractères sensibles de l'objet de cette tradition qui embrasse du même lien la déchéance et la réhabilitation du genre humain? - Le mal introduit dans le monde par la désobéissance et le désir de savoir;- la femme, cédant la première à l'instigation du serpent, traînant l'homme dans sa chute et par lui toute l'humanité; tout le genre humain depuis lors se jugeant coupable et puni;- cherchant également partout un soulagement expiatoire dans la pratique des sacrifices, c'est-à-dire par l'entremise d'une victime médiatrice ayant le pouvoir de racheter la faute héréditaire par son sang, et attendant pardessus tout enfin un libérateur qui serait cette victime dévouée qui abolirait toutes les autres victimes, qui viendrait en Orient, qui naîtrait d'une vierge, qui serait fils de Dieu, qui désarmerait la justice de son père, qui abattrait l'antique ennemi de l'homme sans le détruire entièrement, qui réunirait tous les peuples de la terre dans une pacifique et fraternelle unité, et qui établirait dans leur sein un règne de réconciliation et de vérité pour toujours.

Qui peut nier que les traditions universelles se soient accordées également sur tous ces points, et qui peut voir dans un accord si universel, sur des

circonstances si nombreuses et si singulières, une chimère, une vision, sans être lui-même le plus visionnaire, le plus borné, et le plus opiniâtre des humains?

Mais ces aperçus, et généralement tous ceux qui ont fait la matière de ce second livre, vont passer à l'état de réalité objective dans le chapitre suivant.

CHAPITRE V.

DE LA VENUE ET DU RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST.

Nous avons jusqu'ici marché, comme les mages, sur la foi d'une étoile; l'étoile polaire de l'espérance de toutes les nations. Nous l'avons vue se lever sur le berceau du monde, rayonner d'une lumière de plus en plus vive sur le peuple juif, scintiller à travers même les ténèbres du paganisme, s'en allant toujours devant nous et nous invitant à la suivre par le phénomène de son apparition et de sa marche, également visible de tous les points de l'univers dont elle a concentré tous les regards.—Mais voici qu'elle s'est arrêtée tout à coup il y a dix-huit cents ans. En ce temps-là l'espérance des nations eut un terme, leurs antiques traditions s'évanouirent, les sacrifices furent abolis, les oracles cessèrent 1.

1 Cette dernière circonstance de la cessation des oracles, vrais ou faux, organes de l'esprit de vérité ou de l'esprit de mensonge, frappa tellement Plutarque qu'il en fit l'objet d'une recherche philosophique qu'il intitula: - Des Oracles qui ont cessé et pourquoi? — Nous n'avons pas besoin de dire que son esprit paien n'apporta que des chimères ridicules dans l'explication

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