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» unis. Voilà le mot de l'énigme, voilà le dégage>> ment de tout l'embarras : la foi nous a rendus à » nous-mêmes, et nos faiblesses honteuses ne peu>> vent plus nous cacher notre dignité naturelle 1. » Plus on entre dans cette explication, plus on voit se rectifier sur elle toutes les contrariétés bizarres de la nature humaine. -Qui ne voit, en effet, que le malheur, pas plus que l'erreur et le vice, ne peuvent jamais nous retenir dans la basse condition où ils nous plongent et nous devenir naturels; que cette avidité et cette soif inextinguibles de grandeur et de félicité qui nous sollicitent incessamment, attestent qu'il y a eu autrefois dans cette nature un bonheur immense qui a disparu et qui a laissé à sa place un gouffre de misère et d'indigence que nous essayons vainement de remplir avec tout ce qui nous environne et qui appelle toujours à lui son premier objet? Tout ce que nous avons dit au chapitre de l'Immortalité de l'âme, pour établir cette vérité de notre avenir, n'appartient pas moins à notre passé. Si tout nous dit que nous sommes appelés à un bonheur infini, ce n'est que parce que nous en trouvons en nous la place, mais cette place elle-même atteste que nous l'avons perdu et que nous ne ferons que rentrer dans notre antique héritage en le reprenant. L'homme n'est point semblable à un pauvre qui l'a toujours été, mais à un souverain détrôné. Il porte dans son sein un sentiment continuel de son premier état. A la manière

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Bossuet, Sermon sur la mort, 2o point.

TOME II.

dont il se drape, même sous ses haillons, il est aisé de voir que ce mendiant a porté couronne. Comme un proscrit qui presse les frontières du royaume d'où il est banni, prêt à y rentrer à la première occasion, et qui en attendant nourrit mille rêves de rétablissement, l'homme, ce banni du ciel, conspire incessamment dans cette courte vie pour une restauration dont il ne désespère jamais; il poursuit du sein de toutes ses misères la flottante espérance d'un séjour primitif qui lui apparaît comme l'immuable royaume de la pureté, de la vérité, de la justice, et du bonheur, et dont il assiége toutes les avenues par la recherche de tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de bon, de beau, d'immortel, les sciences, les beaux-arts, la vertu, la Religion surtout. Et alors même qu'il paraît avoir le plus abandonné cet esprit de retour par la dégradation et l'avilissement de son être, il lui obéit encore en se faisant ici-bas, dans les misérables idoles de ses vanités et de ses passions, je ne sais quelle immortalité factice, quel ciel imaginaire, quel Éden grossier, qui, dans sa pensée pervertie, simulent encore un peu la vraie immortalité, le vrai ciel, et le bel Éden qu'il ne voit plus; comme cette épouse désolée d'Hector, dont parle Virgile, qui, réduite en esclavage sous la loi du vainqueur, trompait le veuvage de sa grande âme en se faisant sur la terre d'exil d'étroits et fragiles simulacres de la patrie : un faux Simoïs, un Xanthe desséché, une petite Troie, une image raccourcie des hautes et magnifiques tours de Pergame,

Falsi Simoentis ad undam

Libabat cineri Andromache....

... Parvam Trojam, simulataque magnis Pergama, et arentem Xanthi cognomine rivum1.

Déchéance et réhabilitation, voilà donc comme

les deux pôles autour desquels roulent tous les mystères de la nature humaine. — «

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« Il y a dans l'esprit humain deux tendances aussi distinctes » que la gravitation et l'impulsion dans le monde >>> physique, - dit une femme qui a porté bien avant la lumière de son génie intuitif dans les abîmes dn cœur humain; — c'est l'idée d'une déca» dence et celle d'un perfectionnement. On dirait >> que nous éprouvons tout à la fois le regret de >>> quelques beaux dons qui nous étaient accordés >> gratuitement et l'espérance de quelques biens » que nous pouvons acquérir par nos efforts; de >> manière que la doctrine de la perfectibilité et » celle de l'âge d'or, réunies et confondues, exci» tent tout à la fois le chagrin d'avoir perdu et l'é>> mulation de recouvrer 2. »

Mais cette doctrine de la perfectibilité, que Mme de Staël compare au mouvement d'impulsion, diffère en un point capital de celle de la décadence, comparée aussi par elle au mouvement de la gravitation. Ce point capital est que la décadence a dû venir de la nature de l'homme coupable, tandis que l'impulsion

Eneid. Lib. 111.

2 Mme de Staël, De l'Allemagne, chap. du catholicisme.

régénératrice ne peut venir que d'un secours surnaturel et suppose nécessairement l'intervention miséricordieuse de la Divinité. — En disant ceci je ne veux pas imposer un dogme, mais j'en appelle toujours à l'examen des faits, à l'observation psychologique et historique de la nature humaine.

C'est à ce résultat qu'aboutit, en effet, cette grande vérité d'expérience, énoncée par Euripide et par Ovide, que, malgré tous nos efforts pour ressaisir le bien, un dangereux penchant nous fait dévier au mal, et que de nous-mêmes nous ne pouvons nous relever. Et de là vient que les anciens, et notamment Homère et Platon, proclament à chaque page que la sagesse doit être demandée aux dieux et ne peut être acquise sans leur secours; secours surnaturel qui n'a, en effet, jamais manqué à la vertu lorsqu'elle l'a mérité par ses efforts et demandé par ses prières.

Mais ce secours, qui a toujours été suffisant, même immédiatement après la chute, n'a été donné au monde, avec toute son efficacité et son impulsion vraiment victorieuse, que par celui en qui devaient être bénies et sanctifiées toutes les nations de la terre, selon l'antique promesse faite aux premiers humains1. L'observation historique de la nature humaine vient formuler encore cette vérité en un fait

Ce n'est pas que la grâce suffisante ne prenne sa source, comme la grâce efficace, dans les mérites de l'homme-Dieu, mais elle n'en était avant sa venue qu'un rejaillissement anticipé, pour parler le langage humain.

immense. Depuis l'origine des sociétés humaines jusqu'à l'empire romain, la nature humaine a toujours été en déclinant. La force de la gravitation l'a emporté sur celle de l'impulsion. Il y a eu progrès, mais progrès dans l'erreur et dans le mal. Qui estce qui a grandi dans toute cette première période de l'histoire générale de l'humanité si ce n'est le polythéisme, si ce n'est le sensualisme, si ce n'est la plaie de l'esclavage et tous les genres de dissolutions et d'inhumanités, si ce n'est enfin l'agonie et la mort du genre humain? Nous l'avons déjà vu et il est inutile de revenir sur le tableau que nous en avons tracé à la fin du livre précédent. Au contraire, dès que celui qui devait être envoyé a eu mis le pied sur cette terre de malédiction, dès que surtout il l'a eu arrosée de son sang, qu'a-t-on vu si ce n'est l'impulsion vers le bien l'emporter visiblement sur le penchant au mal, la nature humaine se relever, et, toute faible, toute mourante, toute brisée qu'elle était, toute surchargée de ruines et de débris, sortir de l'abîme et s'élever par mille routes dans le champ de la civilisation et du progrès, de ce vrai progrès dont le panthéisme s'efforcera vainement de détourner la source, tant que les faits auront leur puissance et qu'il ne sera pas donné aux rêveries philosophiques de prévaloir sur les réalités de l'observation?

C'est ainsi que le monde moral, soit qu'on interroge ses abîmes à l'aide de la psychologie, soit qu'on étudie les mouvements et les faits qui se sont produits à sa surface, à l'aide de l'histoire, rend à la

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