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Ce qui serait étonnant, disons mieux, ce qui serait contre la nature des choses, c'est qu'une œuvre si simple et si profonde, si unique et si vaste, fût l'œuvre des hommes, et qu'elle ait pu se former, s'arrêter, et se maintenir immuablement au sein de ce flux et reflux incessant de nos opinions, de nos volontés, et de nos accidents terrestres, si la main. de Dieu n'y était dedans.

Ces considérations doivent dominer toutes nos Études. Nous en avions déjà touché quelques mots, mais il fallait les rappeler ici, parce que leur cas d'application va devenir de plus en plus fréquent.

Mais tous les hommes ne sont pas également propres à saisir de prime abord cette divine harmonie, et la différence ne vient pas seulement de la nature de leur esprit, mais aussi de la force de leur volonté et souvent même des préoccupations où les retiennent plongés les affaires de leur condition. De là la nécessité pour ceux qui veulent les initier à ces sublimes contemplations, quand ils n'en possèdent pas déjà l'objet par la foi, de le leur présenter par le raisonnement et à l'aide d'une méthode philosophique qui ménage la faiblesse de leur vue inexercée à la lumière, et les conduise, par des transitions douces, de clartés en clartés, jusqu'au foyer de la vérité même.

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C'est là le motif qui, tout en ajournant les preuves extrinsèques, qui seront mieux goûtées quand on aura vu que d'elles seules ne dépend pas la foi, nous a fait présenter cependant, en premier lieu, les preuves préliminaires comme un acheminement

aux preuves intrinsèques dont nous avons fait le centre de notre plan comme étant le plus en rapport avec la disposition actuelle des esprits.

Nous avons suivi en cela la méthode si poétiquement tracée par Platon sous la belle allégorie de la Caverne. Ce philosophe, dont on a si bien dit qu'il était la préface humaine de l'Évangile, représente en effet, comme on le sait, l'ignorance où sont les hommes ici-bas du souverain bien, sous l'image de malheureux qui seraient relégués dans les profondeurs d'un antre obscur, et qu'une longue route, creusée à travers les replis du souterrain, sépare de la clarté du jour. C'est là qu'ils vivent depuis leur enfance, le cou et les pieds enchaînés : immobiles dans leurs entraves, condamnés à ne point tourner la tête, ils ne voient que les objets qu'ils ont en face, pendant que derrière eux, sur une hauteur, un feu brille dans le lointain. Entre eux. et cette flamme passent des objets réels dont les ombres se meuvent sur le fond de la caverne, seul côté qu'ils peuvent regarder, et habitués qu'ils sont à ne voir que ces ombres, ils les prennent pour des réalités.

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« Mais, dit Platon, brisons leurs fers. Un des

captifs est délivré, il se lève aussitôt, il tourne » la tête, il marche, il rencontre le foyer de lu

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mière, mais trop faible pour ce qu'il éprouve,

ébloui, accablé d'un si vif éclat, il voudra fuir et >> retourner à ce qui ne l'éblouit pas voilà, dira»t-il, la réalité.

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» Maintenant arrachons-le de ce gouffre, qu'il

»> nous suive à travers ces routes pénibles et es

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carpées, traînons-le malgré lui jusqu'à la lumière >> du jour comme il frémit de cette violence, com- » me il s'indigne! Tout à coup le jour frappe ses » yeux; ses yeux remplis de tant de clarté ne distinguent aucun des objets que nous appelons réels; ce changement soudain l'aveugle, et ce » n'est que peu à peu qu'il découvrira ce monde » nouveau pour lui........ D'abord, ses regards s'arrê— » teront plus facilement sur les ombres; puis sur l'image des hommes et des autres corps terres» tres que le miroir de l'eau lui représente; puis » sur les corps eux-mêmes; ensuite il contemplera » les cieux voilés par la nuit, et la lune, les cons» tellations, dont la lumière tempérée l'éblouira >> moins que le soleil et les feux du jour.... Enfin » le soleil, non plus sa faible image que l'eau ré>> fléchit ou qui brille sur la terre, le soleil même ne le fait point reculer: il ose l'admirer sur le » trône des airs. C'est alors qu'il reconnaît dans cet » astre le père des saisons et de l'année, le roi de » ce monde visible, et le principe de tout ce qui frappe les sens des hommes. Tels doivent être » les progrès de sa raison.

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» Voilà notre condition. La prison souterraine >> c'est le monde visible; le feu qui brille dans l'om» bre c'est notre soleil; le captif qui monte sur la » terre et dont les yeux s'ouvrent à de nouveaux spectacles, c'est l'âme qui s'élève à la source de l'intelligence. Oui, j'ai conçu pour notre âme ce >> noble espoir est-il raisonnable? Dieu le sait.

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Mais j'ose dire les pensées qui naissent en moi '.... >> Mais comme les prisonniers du souterrain ne pou» vaient tourner leurs regards, de la nuit vers la lu» mière, qu'avec le corps tout entier, il faut que l'intelligence, cette puissante faculté de l'âme, s'ar» rache AVEC L'AME ENTIÈRE aux êtres créés, pour aller contempler l'éternelle lumière de l'être créa» teur. O homme, voilà le souverain bien que je >> t'ai promis1! »

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On peut dire que voilà l'apogée de l'intelligence. Et cependant qu'est-ce? un rêve, un espoir, une aspiration vers le souverain bien. Mais, par le Christ, ce souverain bien s'est mis tellement à notre portée que les plus communes intelligences possèdent et pratiquent, dans le train le plus ordinaire de la vie, ce que, dans les élancements de son génie contemplatif, Platon ne faisait que soupçonner.

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République, liv. VII, traduction de Victor Leclerc. Platon exprime admirablement bien, dans le dernier passage souligné, ce que nous avons reproduit avec insistance plusieurs fois, savoir que l'étude de la vérité religieuse n'est pas une affaire de l'intelligence seule, mais de l'âme tout entière, c'est-à-dire du cœur et de la volonté qui doivent s'arracher aux étres créés et se retourner à la fois vers le souverain bien, c'est-à-dire se convertir. Mot parfait qui résume tout.

CHAPITRE II.

EXPOSITION DE LA MORALE ÉVANGÉLIQUE.

Habitués dès leur enfance à voir se lever et se coucher sur leur tête l'astre du jour, les hommes passent souvent une longue vie et meurent sans s'être donné une seule fois le spectacle de la lumière même qui les éclaire, et traversent un monde de prodiges sans les soupçonner.

Telle est notre conduite à l'égard de la lumière de l'Évangile et des beautés sans nombre dont la main du Christ a semé le monde moral.

Cette doctrine de l'Évangile, qui a régénéré l'univers, ne nous trouve si insensibles et si languissants que parce qu'elle n'est plus nouvelle... la bonne nouvelle.

Pour bien en juger, il faudrait pouvoir nous détacher par la pensée de tout ce que nous en savons déjà. Il faudrait pouvoir refaire la nuit autour de nous, la nuit profonde et horrible où était enveloppé le monde païen avant l'apparition du christianisme, pour en être frappé comme il le fut. Alors, comme lui, nous tomberions tous à ses pieds.

Mais cela est bien difficile, car la morale évan

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