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gélique est tellement passée en nous que ce serait nous anéantir que d'en faire abstraction. Tout ce que nons voyons, tout ce que nous sommes, est son ouvrage. Ce n'est pas seulement dans le texte des livres saints, dans les prédications de ses apôtres, et dans la vie de ses disciples, qu'elle se trouve; elle respire aussi dans toutes nos institutions sociales, dans nos codes, dans nos mœurs, dans nos sciences, dans nos arts, dans nos manières, dans nos physionomies mêmes, dans toutes les créations comme dans toutes les fantaisies de l'esprit humain depuis dix-huit cents ans...; que dis-je! elle entre jusque dans le blasphème des impies et le remords des scélérats, tant elle est ancrée dans la conscience humaine. Les plus violents ennemis du christia– nisme en sont imprégnés. Ils ne peuvent le combattre qu'avec les idées et les bienfaits qu'ils en ont reçus, et ne peuvent trouver rien à lui substituer que des emprunts et des contrefaçons de lui-même. Enfin nous pouvons dire de l'Évangile ce que saínt Paul, parlant à l'aréopage, disait de Dieu : In eo vivimus, movemur, et sumus.

· M. de Châteaubriand, dans son Génie du Christianisme, a fait ressortir admirablement toute la différence que l'influence des idées chrétiennes avait introduite entre la Phèdre de Racine et la Phèdre antique. « Cette femme, dit-il, qui se consolerait » d'une éternité de souffrance, si elle avait joui d'un instant » de bonheur, cette femme n'est pas dans le caractère anti» que; c'est la chrétienne réprouvée, c'est la pécheresse tom» bée vivante entre les mains de Dieu : son mot est le mot du » damné. »

Et c'est là précisément la cause de notre indifférence à son égard. L'impression de la divinité du christianisme s'est émoussée dans sa diffusion et sa con.. tinuité. L'habitude du bienfait nous en a fait oublier le prix. Nous nous y sommes acclimatés jusques à le confondre avec notre nature propre, et dans l'orgueil que lui inspire cette possession, la raison a fini par croire qu'elle en avait fait la conquête 1.

Mais pour nous désabuser il suffit de nous ramener à notre nudité première, et là de nous faire voir toutes les perfections de la morale et de la civilisation dont nous jouissons, et toutes celles où pourront aspirer, sans les dépasser jamais, les générations futures, tracées en un corps de doctrine achevé de la seule main de Jésus-Christ.

Il y a eu en effet un temps où le monde en était privé. Il y a eu un temps où les plus grossières et les plus ridicules superstitions couvraient la terre; où tout ce dont nous nous enorgueillissons le plus était stupidement méprisé, où tout ce dont nous rougissons était adoré; où les grandes et impérissables notions d'un Dieu unique et spirituel, d'une âme immortelle, d'une providence miséricordieuse, d'une justice à venir, d'une souillure originelle, de la rémission des fautes, et de la guérison des cons

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« Je ne sais pourquoi, disait Rousseau, l'on veut at» tribuer au progrès de la philosophie la belle morale de nos >> livres; cette morale, tirée de l'Évangile, était chrétienne avant » d'être philosophique. » ( Lettres écrites de la Montagne, 3me Lettre.)

ciences, affirmées, expliquées, et pratiquées aujourd'hui même par les enfants, étaient des abîmes

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de ténèbres et de désespoir pour les plus hautes intelligences; où l'humilité, la miséricorde, la mansuétude, la charité, la fraternité et l'égalité, l'espérance, la foi, l'amour de Dieu, la soif du sacrifice, la pauvreté volontaire, le pardon des offenses, le détachement, la résignation, le repentir, la pénitence, etc., qui aujourd'hui peuplent la terre de bonnes et belles actions et font le bonheur et la gloire de l'humanité, n'avaient pas même un nom dans les langues. Il y a eu un temps où les deux tiers de l'espèce humaine était parquée comme un vil bétail, où le sang humain coulait à grands flots pour enivrer la société dans ses réjouissances, où les enfants étaient capricieusement immolés, où les adultes étaient monstrueusement souillés, où la femme et le mariage étaient sans honneur, où les malheureux étaient sans asile, où la guerre était sans quartier, où les nations étaient sans droit commun, où l'opinion était esclave muette de la force, où quelque monstre, sous le nom de César, était Dieu, et où l'humanité, écrasée et insultée sous un sceptre de fer, ne soupçonnait pas même les droits et les grandeurs de l'intelligence, et ne cherchait de remède à son avilissement et à sa dégradation qu'en y allant elle-même au-devant et en s'y précipitant de toutes les forces qui auraient dû être employées à en sortir.

Plaçons-nous par la pensée, s'il se peut, au centre de cette société-là, sous le règne de Tibère ou

de Néron voilà le vrai point de vue pour assister au lever de la lumière évangélique sur le monde.

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En ce temps-là un homme, si ce n'était qu'un homme! parcourait humblement les campagnes de la Judée, guérissant les malades, relevant les affligés, répandant des bienfaits et des leçons. Il n'avait étudié ni dans Rome ni dans la Grèce, il n'appartenait à aucune secte ni à aucune école, il ne dogmatisait pas, il ne dissertait pas; mais se disant envoyé de Dieu qu'il appelait SON PÈRE, et s'annonçant comme le médiateur promis depuis le commencement, et désiré par toutes les nations dont il devait être le salut, il disait avec une douce autorité :

« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui >> êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez » mon joug sur vous et apprenez de moi que je >> suis doux et humble de cœur, et vous trouverez » le repos de vos âmes car mon joug est suave >> et mon fardeau léger.

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<< Bienheureux, disait-il encore à la foule ravie, >> bienheureux les pauvres d'esprit, car le royaume » des cieux est à eux! Bienheureux ceux qui gé» missent, parce qu'ils seront consolés! Bienheu>> reux ceux qui ont faim et soif de justice, parce >>> qu'ils en seront saturés Bienheureux les misé>> ricordieux, parce qu'à eux-mêmes il sera fait mi» séricorde! Bienheureux ceux qui sont purs de » cœur, parce qu'ils verront Dieu! Bienheureux » ceux qui endurent persécution pour la justice,

» parce que le royaume des cieux est à eux! Es» timez-vous heureux lorsqu'ils vous maudiront et >> vous persécuteront, et qu'ils diront calomnieuse>> ment toute sorte de mal de vous à cause de moi. » Réjouissez-vous et tressaillez alors, car une ré>> compense copieuse est dans les cieux, qui vous >> attend! »>

En élevant ainsi ce qu'il y a de plus bas vers ce qu'il y a de plus haut, et confondant toutes les idées que les hommes s'étaient faites du souverain bien, il disait qu'il n'était pas venu pour détruire la loi primitive, mais pour la redresser et la porter plus loin, et que si la justice n'abondait pas désormais plus que devant, on serait sans droit à la récompense. Puis il traçait ainsi d'une main ferme, autour de la conscience humaine, le nouveau cercle des devoirs :

>> cœur.

« Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : >> Tu ne commettras pas d'adultère; et moi mainte» nant je vous dis que quiconque aura jeté seule» ment sur une femme un regard de convoitise, » celui-là a déjà consommé l'adultère dans son Vous avez appris qu'il a été dit aux an» ciens : Tu ne seras pas parjure, mais tu tiendras » devant Dieu tes serments; et moi je vous dis : » Pas de serments; mais que votre parole soit : » Oui, oui; non, non; car tout ce qui s'ajoute vient » du mal. — Vous avez appris qu'il a été dit aux >> anciens : Tu ne tueras pas, et celui qui tuera sera passible de condamnation; et moi maintenant je

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>> vous dis que quiconque s'irritera seulement con

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