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>> enseveli en enfer.

Élevant les yeux du fond

>> des tourments, celui-ci vit Abraham dans le loin>> tain et Lazare dans son sein. Et s'écriant, il » dit: Père Abraham, ayez pitié de moi, envoyez» moi Lazare, afin qu'il mouille le bout de son doigt » dans l'eau et qu'il rafraîchisse ma langue, parce » que je souffre passion dans cette flamme. - Mais » Abraham lui dit : Fils, souviens-toi que tu as » reçu dans la vie ta part de biens, et Lazare, de » son côté, n'a eu que des maux, et maintenant il >> est consolé et tu es tourmenté. D'ailleurs, il y

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» a entre nous et vous un grand abîme, tellement » que ceux qui veulent passer d'ici là ne peuvent, » ni de là passer ici. — Et le riche reprit : Je vous

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prie alors d'envoyer dans la maison de mon père, » où j'ai laissé cinq frères, afin qu'ils soient avertis » de ceci, pour qu'ils ne viennent pas eux aussi >> dans ce lieu de tourments. Et Abraham lui dit : >> Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écou>> tent. Ils n'en feront rien, dit le riche; mais si quelqu'un d'entre les morts va à eux, ils feront pénitence. Abraham lui répondit: S'ils n'écou>> tent ni Moïse ni les prophètes, un mort ressusci>> terait qu'ils ne croiraient pas 1. »

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Quelle saisissante parabole! et comme elle rend vivement cette puissante révolution chrétienne qui

Luc, chap. XVI. Ce dernier trait est d'une vérité frappante. Ce n'est pas le défaut de preuves, c'est le défaut de bonne volonté qui fait les incrédules. Il y a eu des témoins des miracles de Jésus-Christ qui n'ont pas cru.

a pris l'esclave et le pauvre dans la poussière, pour les porter au faîte de la vrai grandeur! qui a substitué aux Hercule, aux Thésée, aux Achille, aux Alexandre, et aux César, les Pierre, les Paul, les Jean, les Jacques, les Madelaine, les Marie, et qui a donné pour patronne au plus fier, au plus va– leureux peuple du monde, une pauvre gardeuse de brebis'!

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Cette révolution, éminemment civilisatrice, date du christianisme seul : cela est incontestable. Quand elle s'opéra, elle déconcerta toutes les idées reçues, et Jésus-Christ la mettait sur la même ligne que ses grands miracles : « Allez, disait-il aux envoyés » de Jean, rapportez ce que vous venez de voir et » d'entendre; dites que les aveugles voient, que >> les boiteux marchent, que les sourds entendent, » que les morts ressuscitent, que l'Évangile est an

» noncé aux pauvres. >>

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Mais tout en élargissant son sein pour recevoir et honorer les pauvres, le christianisme ne présente pas le salut comme impossible aux riches, mais aux mauvais riches. Il leur fait même trouver leur salut éternel dans leurs richesses employées au salut temporel des pauvres; et ainsi, par une économie admirable, il fait d'un seul coup et l'un par l'autre le bonheur de la terre et du ciel. - En prêchant aux pauvres la résignation et l'amour des souffrances en vue du royaume des cieux, il a souci de venir les soulager même ici-bas, en poussant les

Sainte Geneviève, patronne de Paris.

riches à venir à leur secours en vue du même royaume des cieux. Attachant ainsi le même prix à la pauvreté et à la charité, il fait à la fois le soulagement temporel des pauvres sans nuire à leur bonheur éternel, le salut éternel des riches sans nuire à leur bonheur temporel, et le bienêtre universel de l'humanité par ces mêmes richesses, qui jusque-là avaient été les grandes sources de sa corruption. - Chose admirable! peut-on dire ici avec Montesquieu, « la Religion >> chrétienne, qui ne semble avoir d'objet que la » félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur » dans celle-ci1.

Et il faut voir en quels termes le christianisme éveille notre attention pour faire ainsi du ciel le point d'appui du bonheur de la terre :

«< Donnez, dit-il, et on vous donnera : on ver>> sera dans votre sein une bonne mesure, bien pressée et entassée, et qui débordera; on se ser» vira envers vous de la même mesure dont vous » vous serez servi. »

Et savez-vous quel sera le tribunal répartiteur des biens éternels? ce ne sera pas un tribunal com· posé de trois juges faillibles, comme Minos, Eaque, et Rhadamanthe, pour que l'un d'eux vide le partage; ce tribunal sera composé d'un seul juge, et d'un juge qui sera tout à la fois législateur, témoin, partie, juge, récompense ou punition, et qui, dans ces attributs divers en nous, mais souverainement UN en

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lui, apportera une égale perfection, car ce sera une perfection infinie. Ce juge sera la Justice, la Vérité, cette même Vérité qui nous a ainsi révélé la manière dont elle rendra ses arrêts.

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« Quand le fils de l'homme viendra dans sa gloire » et tous ses anges avec lui, alors il s'assoira sur >> le trône de sa majesté. - Et seront amassées de>> vant lui toutes les nations, et il séparera les uns » d'avec les autres, comme le berger sépare les >> brebis d'avec les boucs. Il mettra les brebis à >> sa droite et les boucs à sa gauche. Alors dira » le Roi à ceux qui seront à sa droite : Venez, » les bénis de mon père, possédez le royaume qui » vous a été apprêté depuis la fondation du monde.» Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire; j'étais >>> étranger et vous m'avez recueilli; nu et vous m'a» vez vêtu, malade et vous m'avez visité, en pri>> son et vous êtes venu à moi. Alors les justes >> lui répondront: Seigneur, quand est-ce que nous » vous avons vu avoir faim et que nous vous avons >> repu? soif, etc... — Et le Roi leur répondra : En » vérité, je vous le dis, autant de fois vous avez » fait ces choses à un des plus petits d'entre mes » frères, vous l'avez fait à moi-même. — Ensuite » à ceux qui seront à sa gauche : Éloignez-vous de » moi, maudits; allez au feu éternel qui a été pré>>> paré au diable et à ses anges; car j'ai eu faim et >> vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif, » etc. Et comme ceux-ci lui demanderont: Sei» gneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir

>> faim... et que nous avons manqué de vous assis»ter? Autant de fois que vous avez manqué de » le faire à l'un de ces plus petits, leur répondra >> le Roi, autant de fois vous avez manqué de le » faire envers moi.....

» Et ceux-ci iront au tourment éternel, mais les >> justes dans la vie éternelle. »

Voilà le dogme de la vie éternelle et sa relation profonde avec la morale évangélique. Nous n'avons fait que tracer d'une main faible quelques aperçus sur ce grand sujet, et cependant nous croyons avoir suffisamment éclairé le jugement de tout esprit attentif et libre, pour lui faire apprécier le caractère d'une Religion qui n'a rien d'approchant dans les conceptions humaines, et qui, par tant de rapports justes et féconds, par tant de sublimité, par tant de profondeur, découvre en elle la même main qui a fait le cœur de l'homme et qui a étendu les cieux'.

Dans le cours de l'impression de ce chapitre il nous est parvenu une lettre écrite par une victime du désastre de la Guadeloupe à un de ses amis, et qui, par les sentiments qu'elle exprime, se rattache au sujet que nous venons de traiter. Nous allons la citer : elle ne peut qu'être lue avec un vif et salutaire intérêt.

L'auteur de cette lettre était un homme heureux : à la tête d'un haut emploi, conquis et exercé par un beau talent; époux d'une femme digne de lui; père de sept enfants qui devenaient déjà son orgueil; frère par alliance d'une femme au cœur d'ange, qui versait sur tout cet intérieur domestique la suave douceur de ses vertus; il a vu, en moins de deux minutes, cette sœur, cette épouse, ces sept enfants, écrasés sous ses yeux. L'antiquité

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