Page images
PDF
EPUB

répond cette exigence de tous les sacrifices anciens, sans exception, d'être sanglants. « Tout est en » sang dans la loi (mosaïque ), dit Bossuet, en fi>> gure de Jésus-Christ et de son sang qui purifie les >> consciences1. » De là aussi cette croyance, que nous trouvons par tout le genre humain, qu'il ne pouvait y avoir de rémission que par le sang, ce qui avait donné lieu à cet usage expiatoire, qui remonte à la plus haute antiquité païenne, connu sous le nom de taurobole, et qui consistait à placer l'initié dans une fosse au-dessus de laquelle on faisait couler, au travers d'un crible, le sang du taureau qu'on venait d'immoler à la Divinité 2.

[ocr errors]

4o Enfin, la grande victime devait être pour l'humanité l'aliment d'une nouvelle vie. — La manducation de l'agneau pascal et généralement de toutes les victimes chez les juifs, soit par le peuple, soit par le prêtre, était un acte essentiellement religieux et symbolique qui faisait partie des sacrifices. Il en était de même chez toutes les autres nations.

[ocr errors]

2

Élévation sur les mystères.

L'explication que nous venons de donner de ce caractère du sacrifice de Jésus-Christ n'est pas explicitement enseignée par la doctrine catholique, mais elle y trouve partout de puissantes sources d'inductions. Au surplus, nous n'avons pas prétendu sonder un si grand mystère, mais faire voir ce en quoi il confronte aux limites de notre raison. Et nous devons croire que dans le choix des moyens qu'il a plu à Dieu d'employer pour nous manifester sa justice ou sa miséricorde il a fait entrer des analogies avec notre nature, dont la découverte est l'instruction et la récompense de la foi.

[ocr errors]

- « Quand les cuisses de la victime étaient consu» mées par le feu, dit Rollin, dans ses Réflexions » sur Homère, on faisait rôtir les entrailles et on les >> partageait entre les assistants. Cette cérémonie >> est remarquable: elle terminait le sacrifice offert >> aux dieux et était comme une marque de com» munion entre tous ceux qui étaient présents. Le >> repas suivait le sacrifice et en faisait partie '.. Cette condition des sacrifices répond encore visiblement au caractère essentiel du sacrifice de JésusChrist de devenir par le sacrement de l'eucharistie l'aliment d'une vie régénérée, de se perpétuer et de s'entretenir par ce moyen. De là ces paroles si expressives: Ma chair est vraiment viande et mon sang est vraiment breuvage; celui qui ne mange pas ma chair et qui ne boit pas mon sang n'aura pas la vie en lui. Mystère profond et accablant pour la raison, sans doute, mais dont la croyance et la pratique ont fait la force et la vie morale de l'humanité depuis dix-huit siècles, et qui a ainsi prouvé son principe en atteignant son but".

C'est ainsi que tous les caractères du sacrifice qui fait le fondement du christianisme se voient reflétés dans les conditions de tous les sacrifices anciens dont il devient la seule explication pos

[ocr errors][merged small][merged small]

2 Je ne puis que toucher ici en passant ce profond sujet; ce n'est que dans la seconde partie, que tout ce qui est dogmatique recevra un développement spécial. Il ne faut donc en juger ici que dans son rapport avec l'objet actuel de notre étude.

sible et dont il reçoit par contre un témoignage universel.

Ce témoignage n'était, il est vrai, bien compris que chez les juifs et encore peut-être que par un petit nombre d'entre eux, mais rien n'est plus aisé à concevoir que la perte de cette connaissance du motif des sacrifices, tout en ne cessant pas de les pratiquer. En effet :

Cette institution ne dut pas tarder à s'altérer comme les autres. Sa complication même aida sa dissolution. Elle subit alors une métamorphose. L'idée d'un rédempteur, future victime promise au salut du genre humain, qui composait la partie spirituelle de l'institution, se détacha peu à peu de la pratique et se réfugia dans une tradition plus élevée, où elle subit encore quelques changements, sans cesser cependant d'être reconnaissable partout, comme nous le verrons dans le paragraphe suivant. Ce qu'il y avait, au contraire, de sensible et de matériel dans l'usage des sacrifices subsista et s'accrut même de la perte de ce qui en faisait l'esprit, parce qu'à force de faire des sacrifices en figure du sacrifice à venir, on finit par attacher de plus en plus à cette figure la vertu que devait avoir la réalité. L'impatience naturelle au cœur de l'homme de voir se réaliser l'objet de ses espérances et sa tendance naturelle vers les choses sensibles le firent tomber dans la grossière illusion que cet objet pouvait être ce qui n'en était que l'ombre, et ainsi le signe prit peu à peu la place de la chose, la figure de la réalité, la lettre de l'esprit, et le genre hu

main se jeta avec d'autant plus d'avidité dans l'usage des sacrifices, qu'il y vit ou crut voir la vertu expiatoire que toute sa misère réclamait. Il obéissait en cela à l'antique tradition sans s'en rendre compte, et c'est précisément parce qu'il ne s'en rendait pas compte que la superstition s'empara de lui, le rendit servile et aveugle reproducteur des conditions extrinsèques du sacrifice, et même les lui fit exagérer. - Cette corruption de l'usage des sacrifices est d'autant plus concevable qu'elle répondait exactement aux altérations qui se faisaient sur tous les autres points des croyances et des mœurs primitives du genre humain. Ainsi, par exemple, l'idée de l'unité et de la sainteté de Dieu ayant fait place au culte des idoles et à la déification des passions humaines, les victimes brutales qui, relativement au vrai Dieu, ne pouvaient servir

que

de symbole, devinrent susceptibles de convenir réellement aux divinités infâmes qu'on avait substituées à son culte. Ainsi encore la dépravation des mœurs ayant fait perdre de vue le vrai bien et le vrai mal, et ayant tourné le cœur de l'homme vers la poursuite d'un bonheur exclusivement terrestre, il dut croire que des victimes grossières n'étaient pas d'indignes médiatrices pour obtenir la satisfaction de ses vœux grossiers, et que l'adorateur, le Dieu, et la victime, se convenaient également. Et comme ce bonheur terrestre échappait de plus en plus à ses passions, qui en devenaient de plus en plus avides, il dut multiplier et exagérer les sacrifices dans la même proportion, et, oubliant compléte

ment le bien futur et spirituel qui lui était promis, ne chercher, ne voir, ne lire, dans les entrailles des victimes, que l'assouvissement présent et toujours impossible de ses insatiables désirs.

Pectoribus inhians, spirantia consulit exta.
Heu! vatum ignara mentes! quid vota furentem,
Quid delubra juvant 1?...........

De là cette ivresse du genre humain pour une chose qu'il ne comprenait plus, à laquelle il savait seulement par tradition qu'étaient attachées, d'une manière ou d'une autre, une idée, une vertu d'expiation et de salut, et dont il se faisait un recours ou un abri dans tous ses désirs ou dans toutes ses craintes. Dans l'exaltation de celles-ci on conçoit alors qu'il dut aller jusqu'à immoler des victimes humaines et les plus innocentes, afin que la substitution fût plus absolue et plus efficace, et par une confusion plus franche et plus terrible de la figure du sacrifice avec la réalité, qui devait être en effet un homme, mais un HOMME-DIEU immolé. Et c'est à cette vague idée que répondait cette parole sacramentelle des druides quand ils faisaient couler le sang humain sur leurs dolmens : « A moins que » la souillure de notre race coupable ne soit lavée » dans le sang d'un homme, la colère des dieux ne » sera jamais apaisée 2. »

[blocks in formation]
« PreviousContinue »