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Ce qui aurait dù désabuser l'humanité de son erreur était précisément ce qui l'y plongeait davantage. Car, comme le disait saint Paul, ce qui prouvait la fausseté des sacrifices, autrement que comme figures, c'était leur multiplicité un seul aurait suffi s'ils eussent été efficaces; mais cette inefficacité même faisait la rage et l'ivresse du genre humain. Le gouffre que le péché avait creusé dans la justice de Dieu ne pouvait être comblé par aucune expiation prise dans le péché lui-même, et cependant ce besoin d'expiation pressait la conscience universelle de l'humanité coupable. Dans cet état d'opposition avec elle-même et avec Dieu, elle s'en prenait à tout. Elle précipitait tout dans l'abîme qui l'en séparait. Les victimes, et les plus précieuses, s'accumulaient tous les jours sous le couteau des sacrificateurs, et le même vide et la même séparation se faisaient toujours sentir; et la justice de Dieu, plus outragée que calmée, rejetait tout ce sang comme gratuitement versé par la cruelle superstition des hommes qu'un seul sacrifice en esprit de foi du sacrifice futur aurait servi davantage auprès de lui, jusqu'au moment où la victime véritable, la seule qui pût combler l'espace et être réellement MÉDIATRICE, entrant enfin dans le monde, dit. » à son père : : - « Vous n'avez point agréé les ho>> locaustes ni les sacrifices pour les péchés; vous » n'avez point voulu d'hostie ni d'oblation, mais >> vous m'avez pourvu d'un corps et alors j'ai dit : >> ME VOICI; je viens, selon qu'il a été écrit au com>> mencement, pour faire, ô Dieu, votre volonté; »

c'est-à-dire, pour me précipiter dans ce gouffre toujours béant de votre justice et le combler en y apportant une sainteté et une satisfaction infinie comme lui. Et il a si bien rempli sa mission expiatrice, comme continue à l'observer saint Paul, qu'il a ouvert pour jamais une source de sanctification dans le monde en s'immolant une seule fois, et que l'efficacité de son sacrifice a rejailli dans tous les temps et dans tous les lieux, si bien qu'on a pu dire qu'il avait été immolé depuis l'origine du monde1, et que si l'autel fut au Calvaire, le sang de la victime baigna l'univers".

Arrivés à ce terme de notre étude, nous pouvons nous rendre ainsi parfaitement raison du problème que présente au regard de l'observateur l'usage universel des sacrifices. En nous plaçant sur le Calvaire nous nous trouvons au seul point de vue qui permet d'en débrouiller tout le chaos. Là, tout ce qu'il y a d'absurde et d'odieux dans cette coutume vient se rectifier, s'expliquer, et prendre même une haute expression de raison et de vérité, qui nous ravit autant que nous étions confondus.

Quatre choses étaient éminemment absurdes dans les sacrifices anciens, envisagés en eux-mêmes :la première était de trouver une source de mérites dans une immolation où la victime elle-même, d'où cette source aurait dû jaillir, n'en avait aucun; car

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Occisus est ab origine mundi. (Apocal. XII, 8.)
Origène.

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il n'y a pas de mérite sans volonté, et c'était la force brutale qui, malgré la résistance de la victime, la faisait tomber sous ses coups; la seconde était de croire qu'on pouvait laver la souillure d'une race coupable avec le sang souillé qui en était issu, et proposer à Dieu, comme rançon d'un coupable, un coupable comme lui; — la troisième était d'imputer à l'homme tous les mérites supposés de la victime, sans que lui-même fît rien pour se les approprier, que l'acte cruel et superstitieux de l'immolation;la quatrième enfin était d'imputer à Dieu toute la cruauté d'une pareille exigence, sans que sa bonté pût se faire jour sur la terre qu'au travers de la destruction de sa créature. Voilà ce qui révolte dans les sacrifices anciens et ce qui rend leur universalité inexplicable lorsqu'on veut se passer de la seule explication possible résultante de leur rapport symbolique et prophétique avec le sacrifice du Christ.

Mais, dès qu'on embrasse cette explication, toutes ces incohérences disparaissent et le dessein le plus profond et le plus divin se laisse entrevoir.- Là, en effet, la victime est volontaire; elle se sacrifie elle-même et engendre tout l'océan de mérites qu'elle doit répandre autour d'elle.- Là, ensuite, la victime n'est pas de la race du coupable qu'elle doit purifier; elle part des hauteurs infinies de la sainteté de Dieu, et en s'unissant à la nature humaine, elle ne prend que les suites du péché sans tremper dans le péché lui-même. Là, encore, l'imputation des mérites de la victime n'est pas si

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absolue que le coupable soit exempt d'y participer; quoique suffisante et au delà, elle ne lui est offerte qu'à titre de secours et de supplément à ses propres mérites qu'il doit s'efforcer d'acquérir en marchant sur les traces de son libérateur.- Là, enfin, toute cruauté disparaît du côté de Dieu, et cependant le coup le plus terrible est frappé par sa justice, et non-seulement toute cruauté disparaît, mais une bonté plus grande que celle qui présida à la création y reluit par cette mystérieuse particularité que la victime elle-même est tirée de la propre substance du Dieu qui l'exige, et que c'est luimême, Dieu, justice essentielle, qui s'immole dans la personne de son fils, qui est lui-même, mais lui, miséricorde infinie, lui, comme le disait admirablement saint Paul, se réconciliant le monde dans son Christ1.

En résumé:

Si nous remontons à la source véritable de l'usage des sacrifices, celle que nous désigne la raison, nous découvrons que cet usage devait être, pour les temps antérieurs à la mort du Christ, une institution figurative de ce grand moyen d'expiation par lequel il a plu à Dieu de réhabiliter le genre humain.

Si l'on rejette cette solution, tout devient ténè– bres et confusion dans l'usage des sacrifices. —

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Deus erat in Christo mundum reconcilians sibi.

Tout devient au contraire lumineux et distinct dès qu'on l'admet.

On comprend alors aisément :

L'origine antique de cet usage, qui touche à l'origine même du genre humain, — et l'époque précise de son abolition, qui concourt avec l'époque de la mort du Christ1;

La pureté dans laquelle il s'est maintenu, exempt de cruauté et de superstition, chez le peuple juif, et les aberrations que la perte de son esprit a entraînées chez les autres peuples;

L'uniformité de ses conditions extrinsèques à travers ces aberrations mêmes, et l'universalité de sa pratique malgré l'horreur qu'elles devaient inspirer;

■ On ne saurait assez remarquer cette coïncidence et le fidèle accomplissement de cette parole de Daniel: Le Christ sera mis à mort et les sacrifices seront abolis. Rappelons-nous

dès l'origine du christianisme, Pline écrivait à Trajan que les victimes ne trouvaient plus d'acheteurs: Quarum adhùc rarissimus emptor inveniebatur; et admirons surtout comment les juifs eux-mêmes qui, ne s'arrêtant pas au sacrifice du Christ, auraient dû continuer leurs anciens sacrifices, les ont néanmoins cessés partout et dans le même temps. On conçoit, il est vrai, difficilement la possibilité d'un tel usage au sein de nos mœurs chrétiennes, mais cela même prouve la vérité de la régénération religieuse et morale qui y a mis un terme. Le sang du Christ a cicatrisé la plaie antique d'où s'échappaient des torrents de sang humain ; il a même rendu précieux en quelque sorte jusqu'au sang des vils animaux: Pacificans per sanguinem crucis ejus, sive quæ in terris, sive quæ in cœlis

sunt.

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