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Dieu faites en forte que ces docteurs agiffent fans AN. 1567. paffion, & qu'on procede avec une charité vraiement chrétienne, pour réparer doucement la faute; ce qui fera plus d'honneur à l'univerfité & à eux-mêmes, & leur procurera plus de réputation, que s'ils fe conduifoient avec aigreur. Ils pourront vous apprendre les mesures que vous devez garder, pour remedier à tout, fuivant les intentions de fa Sainteté: mais usez en avec adreffe & modeftement ; & que monfieur notre maître (parlant de Baïus) compren. ne qu'on ne lui eft point contraire, qu'on veut plûtôt lui rendre service, mais à condition qu'il fe foumettra ; puifque autrement, à mon grand regret, je ferai contraint de l'abandonner. En me recom¬ mandant à votre bon fouvenir, je prie le créateur qu'il rempliffe vos fouhaits. A Rome ce 13. Novembre 1567

XLVI.

du cardinal à Mo

rillon.

Baii tom. 2.

61. feq.

On voit par cette lettre l'eftime que le cardinal de Granvelle faifoit de Baïus, & l'amitié qu'il avoit pour lui. Il en écrivit une feconde, où il fait encore l'éloge de ce docteur. Elle eft de la même datte que la premiere, & conçue en ces termes.

Vous vous fouvenez des differens fufcitez par Seconde lettre quelques uns, qui ont voulu combattre des propofitions avancées par nos maîtres feu Jean Heffels & Baiana inter opera Michel Bay dans leurs leçons & dans leurs disputes B. Pag. à Louvain; & que les conteftations allerent fi avant que quelques religieux de l'ordre de faint François avoient prêché contre, dans leur convent d'Ath, & ailleurs ; & fait cenfurer lefdites propofitions par la Faculté de Paris, felon l'extrait qu'ils en avoient fait; d'où l'on craignoit un plus grand scandale, &

de plus grands troubles, au préjudice de la réputation de l'univerfité de Louvain, dont les membres AN. 1567. pourroient fe divifer. Les anciens docteurs étant offenfez defdites propofitions, & ceux qui les ont avancées étant des gens fçavans, pieux, de grande autorité, & aïant leurs partifans dans cette école, & d'ailleurs capables de faire beaucoup de fruit dans l'églife, s'ils le foumettent. Pour remedier à ces le défunt pape Pie IV. me chargea d'impofer filence aux deux partis, & de leur commander fur peine d'excommunication, de ne plus fe fervir de termes non ufitez dans les écoles, de n'en faire aucune mention, & de ne point parler au défavantage desdits docteurs : ce que j'executai ponctuellement.

maux,

Dans la fuite il eft arrivé que le docteur Baïus a fait imprimer fes ouvrages à Louvain, dans lesquels il a inferé un traité du libre arbitre de l'homme, avec d'autres opufcules, qui concernent les points aujourd'hui controverfez dans l'églife, & ces ouvrages aïant été envoïez ici (à Rome) ont caufé beaucoup de fcandale parmi les fçavans; en forte que fa fainteté les aïant vûs elle-même, & informée du jugement qu'on en portoit, en a été auffi fcandalisée; & auroit fouhaité pour beaucoup que ledit docteur, auquel je porte l'affection que vous fçavez, se fût abftenu de la publication de fes ouvrages, & eût déferé aux ordres apoftoliques, que je lui avois fignifiez. Sa fainteté m'a rappellé le fouvenir de ce qui fe paffa, lorfque feu fon prédeceffeur me commit cette affaire. Je lui reprefentai le mérite de ce docteur, les grands fervices qu'il pouvoit rendre à Iii iij

l'églife; je la fuppliai d'avoir égard à la vertu vertu, & A N. 1567. au zele de ce docteur, & de le traiter le plus doucement qu'on pourroit & fans scandale; ce que sa fainteté m'accorda avec une pieté & une charité vraiment chrétienne, portant compaffion audit Baïus; fuppofant qu'il étoit tombé dans cette faute, animé par la difpute de fes confreres, & comme il arrive affez fouvent que pour foutenir une propofition qui eft échapée, l'on fe voit comme engagé, & pour ainfi dire forcé à en avancer d'autres plus abfurdes, & plus contraires à la religion. Sa fainteté m'accorda donc, qu'on feroit pour ce docteur, fauf la foi & la verité, & sans préjudice à son autorité, & à fa dignité, tout ce qu'on pourroit, pourvû que ledit docteur voulût fe foumettre à ce que la raifon exige, & à la censure de fa fainteté ; & pour y proceder ainsi avec la charité requife, l'on fit ôter le premier feiiillet desdits ouvrages, afin l'on ne

que

connût ni l'auteur du livre, ni le lieu où il est imprimé : on le confia ensuite à l'examen de plufieurs fçavans de differentes nations, qui tous unanimement ont cenfuré plusieurs propofitions de ce livre, dans la forme que vous verrez par cette bulle de notre faint pere le pape, que je vous envoïe avec cette lettre, déclarant lefdites propofitions qualifiées, les unes comme fufpectes, d'autres comme erronées ou fcandaleufes, d'autres, qui, quoiqu'elles se puissent en rigueur interpreter en quelque sens les excufer, donnent néanmoins occafion de fcandale à des gens pieux qui les lifent. Et cette condamnation a été ainfi generale, avec l'addition du mot, Respective, afin d'ufer de plus de douceur,

pour

Et comme vous verrez dans cette bulle, que fa fainteté me commet pour faire AN. 1567. par moi-même ou par d'autres, ce que je jugerai convenir ( fauf la dignité de la religion) à l'accommodement de cette affaire, pour remedier au mal qui pourroit s'enfuivre : & il m'a femblé que je ne pouvois y emploïer perfonne qui eût plus de zele & de moderation que vous, pour y fatisfaire; fçachant l'affection que. vous portez au docteur Baïus, que je regarde comme un homme de bien & bon catholique, & qui, dès qu'il verra la cenfure & la décision de fa fainteté, ne voudra pas y contredire; autrement je perdrois la bonne opinion que j'ai conçuë de lui, & je ne. lui accorderois plus ma protection, l'aïant toujours regardé comme un homme vertueux, & d'un bon efprit, du confeil duquel j'efpere tous les jours me fervir. Ainfi,ce que je juge convenable,eft que vous l'appelliez, & que vous lui faffiez entendre de ma part, ce que je vous écris, lui communiquant la bulle originale, dans laquelle il verra l'intention de fa fainteté, & que pour ne pas manquer à mon devoir, je ne puis me difpenfer de la faire executer, quoique je délire que ce foit avec le moins de fcan-. dale qu'on le pourra. Il verra que dans cette bulle, il n'eft nommé ni lui, ni fon livre; & quelle ne fait feulement mention, que de quelques propofitions. extraites d'un livre, fans dire lequel: que cependant ce livre aïant été publié, il faut aviser aux moïens d'y remedier ; car je ne vois pas qu'il puiffe fe difpenser de le condamner, pour en fupprimer tous. les exemplaires ; & s'il eft befoin que vous faffiez voir la bulle au doïen, & aux principaux de la fa

culté ; après toutefois en avoir parlé audit docteur, A N. 1567. afin que ces meffieurs aïant vû la cenfure de sa sainteté, ne comportent que telles propofitions se soutiennent, quelque interpretation ou glose qu'on veüille leur donner; car je puis vous affurer que pour les fauver, l'on a fait tout ce qui a été possible, & qu'en cette affaire, le fouverain pontife a ufé d'une telle diligence, que fi ç'eût été pour gagner tout le monde, l'on n'eût pu faire d'avantage.

Et ceci eft de telle importance, & sa fainteté l'a tant à cœur pour l'apprehenfion qu'elle a, que faute d'y remedier promptement, il n'en arrive de grands inconveniens à l'églife; que j'attendrai de vos nouvelles avec beaucoup d'impatience, pour sçavoir la maniere dont la chofe fe fera paffée, & en informer le pape. Et je defire fincerement, que ledit docteur prenne bien la chofe, pour éviter tous les dangers, dans lesquels il pourroit tomber, en fe comportant d'une autre maniere. Cependant je vous prie avec toute l'affection dont je fuis capable, d'ufer de beaucoup de diligence, vous fervant du conseil de ceux que vous jugerez convenable; & aïant fur-tout grand foin d'éviter ceux qui montreroient trop de paffion contre ledit docteur; car tout ce que l'on prétend, eft de remedier au mal, comme j'ai dit, évitant autant que faire fe pourra, d'offenser ledit docteur; fans toutefois s'écarter des intentions de fa fainteté, ny rien négliger qui puisse servir à la confervation de la pureté de la doctrine. En me recommandant très-affectueufement à votre bon fouvenir, je prie le créateur, qu'il accompliffe vos defirs. A Rome ce treize Novembre 1567.

Le

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