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doctrine formelle de Clément d'Alexandrie, a été plus ou moins adoptée par plusieurs autres théologiens, et parce qu'elle nous fournit l'occasion d'éclaircir les difficultés que présente l'interprétation de certains passages des Stro

mates.

CHAPITRE IV

En quoi la connaissance de la Gnose diffère de la Foi et de la vision béatifique.

La connaissance de la gnose est incontestablement, seon Clément d'Alexandrie, supérieure à celle de la foi. « Connaître, dit-il, est plus que croire. » Mais il n'est pas moins incontestable que cette supériorité ne tient pas, comme on l'a prétendu, à ce que le fidèle croirait sans motifs raisonnables, tandis que le gnostique se rendrait compte de sa foi.

La foi, telle que la définit Clément, est, non-seulement une connaissance vraie dans son objet, mais certaine dans le fidèle. La prétention contraire ne tient pas devant l'examen des textes et repose sur une confusion. L'on confond la certitude propre à la science avec la certitude propre à la foi. Expliquons-nous.

Il y a plusieurs espèces de certitudes, ou, pour parler plus exactement, l'esprit humain a plusieurs moyens de parvenir à la connaissance certaine de la vérité. Qu'est-ce, en effet, que la certitude? Suivant la définition vulgairement adoptée dans la langue philosophique, la certitude est l'adhésion ferme et inébranlable de l'esprit à une vérité connue. Or, une vérité peut être connue de plusieurs manières. Elle peut être connue en elle-même immédiatement ou médiatement, par l'évidence ou le raisonnement la certitude qui en résulte est alors une certitude scientifi

que, c'est-à-dire une certitude qui repose sur la perception de la vérité de l'objet, vue dans l'objet lui-même. Évidemment, cette certitude n'appartient pas et ne peut appartenir à la foi '. Le simple fidèle n'a donc pas cette certitude. Peut-on en conclure que sa foi est aveugle, qu'il n'a pas la certitude de ce qu'il croit? Non, assurément. Une vérité peut être connue certainement sans être connue intrinsèquement. En d'autres termes, la certitude n'est pas identique avec l'évidence intrinsèque. Elle n'est pas le privilége exclusif du philosophe. Outre la certitude scientifique, il y a donc une autre certitude plus accessible à tous, plus commune, plus habituelle, et aussi incontestable que la première. C'est la certitude qui a son fondement dans l'autorité, la certitude propre à la connaissance des faits, aux vérités de la foi. Pour connaître certainement un fait, il n'est pas nécessaire d'en connaître la loi, ni même de l'avoir vu se produire : il faut et il suffit qu'un témoignage véridique en atteste l'existence. Or, les vérités de la foi sont des faits divins. Pour en avoir la connaissance certaine, il n'est nullement nécessaire d'en avoir l'intelligence, d'en pénétrer le sens intérieur, en un mot, il n'est nullement nécessaire de les comprendre en tant qu'idées et sous la forme de notions évidentes. Il suffit que l'existence et la vérité de ces faits divins soient garanties à la raison par une autorité compétente et incontestable. Dès que cette autorité se présente, elle apporte avec elle la certitude de ce qu'elle enseigne, bien que ce qu'elle enseigne ne soit pas intrinsèquement intelligible, ni évident pour la raison. Car, dans ce cas, la raison voit évidemment que

1 Profecto liquet, dit saint Grégoire le Grand, quia fides illarum rerum argumentum est, quæ apparere non possunt. Quæ etenim apparent, jam fidem non habent, sed agnitionem. (Homil. XXVI, In Evang., n. 8.)

l'autorité qui affirme garantit sa propre affirmation de tout danger d'erreur, et qu'elle ne saurait légitimement douter de ce que cette autorité lui enseigne. En un mot, outre la certitude qui s'appuie sur l'autorité de l'évidence, il y a la certitude aussi complète, aussi absolue, qui repose sur l'évidence de l'autorité.

Cette distinction entre la certitude scientifique et la certitude d'autorité a été faite par Clément, et elle explique suffisamment ce qu'il y a d'obscur dans quelques-unes de ses affirmations touchant la foi comparée à la gnose.

Clément, il est vrai, refuse à la foi une certitude qu'elle ne saurait avoir sans perdre sa nature et son nom : il ne lui accorde pas la certitude scientifique; par suite, il n'accorde pas au simple fidèle le pouvoir de résoudre scientifiquement et dans le détail les objections que peut soulever la science incrédule, ni les difficultés que peuvent présenter les vérités révélées et l'interprétation des Écritures. C'est en ce sens qu'il déclare que « ce n'est pas la simple foi, mais la foi unie à la science qui sait adopter la vérité et se préserver de l'erreur. » Mais en cela Clément ne dit rien que n'avouent le bon sens et la théologie, rien qui détruise ou diminue la certitude absolue, propre à la foi.

foi

En effet, si elle manque de la certitude scientifique, la repose néanmoins sur un fondement dont la raison ne saurait nier, ni la science ébranler la solidité. « Nous produisons à tous, dit Clément, un argument décisif, péremptoire, la parole de Dieu qui s'est expliqué lui-même dans les Écritures, sur tous les points qui sont l'objet de nos investigations. Quel est l'homme assez impie pour ne pas ajouter foi à la parole de Dieu et pour lui demander des preuves comme on en demande aux hommes 1?

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1 Strom. V, 1, p. 646.

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Ainsi, dit encore notre illustre docteur, quiconque appuie sa foi sur la parole de Dieu renfermée dans les Écritures a pour lui une autorité inébranlable, une dé«monstration que rien ne peut contredire; point de preuve, point de raisonnement qui rende cette foi plus forte que « ne fait cette parole 1. »

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Ces textes, joints à tant d'autres qu'il est inutile de reproduire, nous paraissent décisifs, et il faudrait les supprimer pour supposer que Clément refuse au simple fidèle la certitude de ce qu'il croit. Comment, s'il ne lui accordait pas cette certitude, pourrait-il faire un crime de l'incrédu lité? Comment pourrait-il faire de la foi pure et simple la condition indispensable non-seulement de l'intelligence, mais encore des œuvres du salut? Comment enfin pourraitil soutenir que la foi est supérieure à la science et son eri terium 2?

La croyance du fidèle n'est donc pas seulement vraie, elle est de plus certaine et raisonnable, parce qu'elle est fondée sur la parole infaillible du Verbe et qu'il est souverainement raisonnable de croire à cette parole infaillible.

Non-seulement la foi est une connaissance vraie et certaine, mais elle peut par elle-même, sans le secours des lettres et des sciences humaines, donner la science de Dieu qui suffit au salut. «La foi, dit Clément après saint Paul, n'est pas la possession des sages selon le monde, «mais des sages selon Dieu. Elle peut s'apprendre même << sans le secours des lettres, et, à plus forte raison, sans le secours de la spéculation philosophique 3. «Il en est, dit-il ailleurs, qui, enflés de leur science, nous mépri

1 Strom. II, 2, p. 433.

2 Ibid. II, 4, p. 436.

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Nous avons dit plus haut (liv. III, ch. Iv), en quel sens la foi est le criterium de la science. 3 Pæd., III, c. 9, p. 399.

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