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ALMANSOR.

Tu as prononcé, Zuleima, le mot qui crée et qui soutient les mondes, tu as prononcé ce petit mot si grand: « l'amour!» des milliers d'anges le répètent avec allégresse et il retentit au fond des cieux. Tu as prononcé ce mot, et les nuées s'inclinent là-haut comme la coupole d'un dôme, les ormes frémissent comme des tuyaux d'orgues, les petits oiseaux gazouillent de pieux cantiques, le sol exhale la douce vapeur de l'encens, la corbeille de fleurs se dresse comme un autel... la terre seule est l'église de l'a

mour.

ZULEIMA.

La terre est un grand Golgotha; l'amour y triomphe, il est vrai, mais au prix de son sang.

ALMANSOR.

Oh! ne tresse pas les branches de myrte pour en faire une couronne de mort, n'enferme

pas l'amour dans un crèpe de deuil. La prêtresse de l'amour, c'est toi, Zuleima; l'amour habite la cellule de ton cœur, il regarde par les claires fenêtres de tes yeux, son parfum s'exhale de tes douces lèvres... O coussins de pourpre aussi doux que le velours, lèvres charmantes, c'est sur vous que trône l'amour, c'est

sur vous que voudrait reposer l'âme d'Almansor... N'as-tu pas entendu les dernières paroles de Fatima: « Porte ce baiser à ma fille Zuleima!»

Ils se regardent longtemps avec tristesse, et s'embrasssent avec transport.

ZULEIMA.

J'ai reçu le baiser de mort de Fatima; reçois en échange le baiser de vie du Christ.

ALMANSOR.

C'est le souffle de l'amour que j'ai bu dans une coupe garnie de rubis. C'est à une source de feu que j'ai trempé mes lèvres, et l'huile que j'y ai bue, coulant toute chaude dans mes veines, consume et rafraîchit mon cœur. (Il l'entoure de ses bras.) Je ne te quitterai plus, non, jamais plus, Zuleima! non, quand même le palais d'or d'Allah s'ouvrirait pour moi, quand les houris me feraient signe avec leurs yeux noirs, je ne te quitterais pas, je resterais près de toi, j'entourerais plus fortement de mes bras ton corps si doux. Que ton ciel seul, le ciel de Zuleima, soit aussi le ciel d'Almansor! Que ton Dieu soit mon Dieu! Que ta croix soit mon refuge! Que ton Christ soit mon sauveur! Je veux prier dans l'église où prie Zuleima.

Je nage enivré comme dans un océan d'amour, au milieu des sons suaves et mélodieux des harpes. Les arbres dansent de bizarres quadrilles. Les anges, pour me taquiner me jettent gentiment des rayons de soleil et de la poussière de fleurs. Le ciel est ouvert dans sa calme et radieuse splendeur. Des ailes d'or m'y emportent, là-haut, parmi les bienheureux !

On entend dans le lointain le tintement des cloches et un chant

d'église.

ZULEIMA, s'arrachant de ses bras avec effroi.

Jésus! Marie !

ALMANSOR.

Quel sombres accents viennent déchirer le voile d'or dont m'enveloppait légèrement ce rêve de béatitude? je te vois tout à coup pâlir, ma chérie; ma rose est devenue un lis... dis, ma bien-aimée, as-tu donc vu la mort qui vient, invisible, pour nous séparer ?

ZULEIMA.

La mort! elle ne sépare pas; la mort réunit. C'est la vie qui nous sépare violemment. Entends-tu, Almansor, ce que murmurent les cloches? (se couvrant de son voile) elles murmurent d'une voix sourde : « Zuleima se marie aujourd'hui avec un homme qui ne s'appelle pas Almansor.» - (Une pause.)

ALMANSOR.

Ainsi tu m'as sifflé dans le cœur ton plus mauvais venin, reine des serpents! Sous cette haleine empoisonnée les arbres se flétrissent alentour; la source d'eau vive se transforme en une source de sang, et l'oiseau tombe mort du haut des airs. Ainsi, par tes chants hypocrites, tu m'as amené dans cette chambre de torture que tu appelles l'église; là, tu me crucifies sur la croix de ton Dieu, puis, tout affairée, tirant les cordes des cloches et faisant retentir les orgues, tu veux couvrir par ce fracas la prière de repentir et d'angoisses que j'adresse à Allah! Ainsi, méchante fée, tu m'as attiré dans ton char de coquillages attelé de colombes, tu m'y as attiré et enlevé jusqu'aux nues, pour me précipiter du ciel sur la terre! J'entends encore en tombant tes éclats de rire moqueurs; en tombant je vois ton char magique se changer en un cercueil à roues de flamme et tes colombes en dragons; je te vois les conduire avec des serpents noirs au lieu de freins, et moi, vomissant des imprécations horribles, je roule, je roule au fond de l'enfer, et les diables même tremblent et pâlissent à l'aspect de mon délire, aux clameurs épouvantables de mon délire!

Ah! partons, partons d'ici! Je sais encore une imprécation; si je la prononçais, Eblis lui-même aurait peur, le soleil reculerait d'épouvante, les morts, sortant de leurs tombeaux, traîneraient sur le sol leurs squelettes frissonnants, et l'homme, les animaux, les arbres se changeraient en pierres. (Il s'élance hors du jardin).

Zuleima qui jusque là est restée immobile sous son voile se jette aux pieds du crucifix. Des moines avec des bannières et de saintes images passent en procession, chantant un cantique.

Une forêt.

LE CHOEUR.

C'est un beau pays, la belle Espagne, un grand jardin où brillent les fleurs, les pommes d'or et les myrtes; plus belles pourtant brillaient les villes des Maures, plus magnifique rayonnait ce noble monde arabe que Tarik un jour, de sa forte main, avait planté sur la terre espagnole. Par maint événement déjà prospérait le jeune empire; il croissait, il s'é

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