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mais, folies charmantes ou puérilités sérieuses, tout cela n'est encore qu'un prélude. La grande mélodie, qui est l'âme de ce poëme, c'est le duo d'Almansor et de Zuleima.

La fête est finie; dames et cavaliers, en litière ou à cheval, sont sortis du château. Toutes les lumières sont éteintes; on n'en voit plus qu'une seule briller à une fenêtre sur laquelle sont attachés les yeux d'Almansor. Oh! qu'il la connaît bien, cette fenêtre! Pendant les nuits d'été, à cette même place, combien de fois il a fait résonner son luth, jusqu'à ce que la bien-aimée parût au balcon et lui répondit avec sa voix si douce! Précisément, admirez

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comme le hasard sert bien les amants et les poëtes,

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le luth se trouve encore là. Il le prend, il essaie si le mélodieux talisman n'a pas perdu son prestige, il chante une vieille chanson arabe; Zuleima l'entend et tressaille. La voici qui paraît au balcon de sa fenêtre elle reconnaît Almansor, elle l'interroge, elle écoute le récit de ses douleurs, elle évoque avec lui les souvenirs de son enfance, elle évo

que l'image de Fatima qui l'aima comme une mère, d'Abdullah qu'elle vénérait comme son père, et qu'elle a si cruellement affligé. Mais Abdallah lui a pardonné avant de descendre au tombeau, et voici Almansor qui vient en son nom se réconcilier avec elle. Se réconcilier? et l'obstacle qui les sépare? Almansor va-t-il se faire chrétien pour retrouver la fiancée de sa jeunesse et l'épouse de ses rêves?... Tout à coup apparaît une forme humaine enveloppée d'un manteau; on dirait l'ombre d'Abdullah lui-même. Il parle, il ordonne à la jeune fille de sauter sur le coursier d'Almansor et de retourner avec lui au pays de ses ancètres, sous les tentes de l'Arabie heureuse.

Cette apparition, vous le devinez, c'est le vieil Hassan qui veille sur son jeune maître. Il craint pour lui les séductions du château d'Aly; il ne veut pas qu'Almansor se fasse chrétien pour épouser Zuleima, et, comme il écoutait les deux amants dans l'ombre, il a profité d'une figure poétique du jeune Arabe pour jouer le rôle de revenant. Ce re

venant est aussi un deus ex machina. L'auteur cherchait un moyen d'interrompre son duo nocturne afin de le reprendre sur un motif plus souriant et plus frais, aux premières lueurs de l'aube; il a employé ce procédé d'une candeur toute primitive. Le lendemain, Zuleima, que l'apparition du vieux musulman avait fait rentrer chez elle, sort de sa chambre à pas discrets, descend dans le parc, et, tout en s'agenouillant devant un crucifix pour demander à sa foi une arme contre son amour, prend plaisir à rêver dans le lieu même où elle a revu Almansor. Elle vient de prier, elle se relève, elle se croit désormais victorieuse. Elle peut donc répéter sans crainte le nom d'Almansor; n'est-ce pas le nom d'un frère? Almansor est aux aguets; il l'entend, il se montre, et le dialogue mélodieux recommence. Vainement Zuleima, qui connaît la haine d'Aly pour Abdullah, veut-elle éloigner son ami, croyant qu'un danger de mort le menace; Almansor est inflexible. « Ah! s'écrie-t-il, que personne ne cherche à m'éloigner d'ici! Fût-ce la mort,

je ne reculerais pas. » Il sent ses pieds attachés à ce sol

par des chaînes secrètes. De toutes parts se lèvent les songes dorés de son enfance. Il reconnaît les fleurs, les arbustes, le grenadier où chantait le rossignol, le berceau de jasmin et de chèvrefeuille << où nous nous racontions, dit-il, les jolies histoires de Modschnoun et de Leïla, le délire de Modschnoun, la tendresse de Leïla, leur amour et leur mort à tous deux. » Que de scènes d'enfance naïvement évoquées! que de témoins joyeux de ses jours d'autrefois venant lui souhaiter la bienvenue ! Tout à coup il aperçoit l'image du Christ et fait un mouvement de surprise. « Dis-moi, ma bien-aimée, il y a là une image étrangère, une image qui me regarde... oh! avec quelle douceur! et pourtant aussi avec quelle tristesse! Une larme amère tombe de ses yeux dans le beau calice d'or de ma joie. »

C'est ici pour nous la crise intéressante du drame. On sait quelles sont les contradictions de Henri Heine au sujet de la religion de l'Évangile, et comme il passe aisément de l'exaltation de Hegel à

la moquerie de Voltaire. Tantôt il se proclame l'un des chevaliers du Saint-Esprit, sous la bannière du philosophe de Berlin; tantôt, à la suite du patriarche de Ferney, il poursuit de ses ricanements toute religion positive. Or voici la première fois qu'il rencontre Jésus sur sa route, voici l'image du crucifié qui se dresse entre Almansor et Zuleima; quel sera le langage du poëte? Là encore nous retrouvons chez le juvénile rêveur l'inspiration agressive dont il ne saura jamais s'affranchir. Sur ce point, il n'y a eu ni développements ni luttes intérieures dans sa pensée; tel nous l'avons vu jusqu'au seuil redouté d'un autre monde, tel il nous apparaît ici à l'entrée de sa carrière. Étranges attaches de cette âme aux réalités d'ici-bas! Il y a ordinairement chez la jeunesse un spiritualisme généreux alors même qu'elle cède à ses passions, et volontiers elle méprise la vie tout en s'enivrant de ses jouissances; moins généreuse, mais désabusée, la vieillesse, à son tour, élève ses regards au delà de ce monde des sens dont elle sait l'amertume et le

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