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sément qui, par une secrète affinité sympathique, pussent, à chaque instant donné, éveiller dans l'âme, comme par des effets magiques, ces émotions jusque-là inconnues. Ainsi naquit la poésie romantique, qui, après avoir brillé au moyen-âge dans toute sa splendeur, fut plus tard étouffée par le souffle froid et dévastateur des guerres politiques et religieuses, puis enfin, dans les temps modernes, s'épanouit de nouveau toute gracieuse sur le sol allemand et déploya ses fleurs éblouissantes. Les images du romantisme doivent, il est vrai, éveiller les idées plutôt que les fixer avec précision. Mais jamais et nulle part je n'honorerai du nom de vrai romantisme cette chose, que beaucoup prennent pour tel, savoir un certain mélange d'émail espagnol, de brouillards écossais et de clinquant italien, images vagues et confuses, projetées en quelque sorte comme d'une lanterne magique, et qui par le jeu de leurs couleurs bigarrées, frappées d'éclats de lumière fantastiques, produisent sur l'esprit je ne sais quel étourdissement bizarre. Au contraire, pour réveiller ces sentiments romantiques, il faut des images aussi claires, aussi nettement dessinées que celles de la poésie plastique. Cela n'empêche

pas que ces images romantiques puissent être amusantes en elles-mêmes; car elles sont les précieuses clefs d'or avec lesquelles, selon les vieux contes bleus, on ouvre les beaux jardins enchantés des fées. Ainsi il arrive que nos deux plus grands romantiques, Goethe et Aug.-Guill. de Schlegel sont en même temps nos deux plus grands poëtes plastiques. Dans le Faust et les lieds de Goethe, on remarque les mêmes linéaments purs que dans son Iphigénie, dans Hermann et Dorothée, dans les Élégies, etc.; comme aussi, d'autre part, les poésies romantiques de Schlegel se distinguent par les mêmes contours sûrs et précis que son poëme vraiment plastique intitulé Rome. Avis à ceux qui s'appellent si volontiers disciples de Schlegel.

Il y en a d'autres, et en grand nombre, qui, remarquant l'immense influence exercée sur la poésie romantique par le christianisme, et, à sa suite, par la chevalerie, croient comme indispensable de mélanger ces deux éléments, pour imprimer à leur poésie le caractère du romantisme. Je pense, quant à moi, que christianisme et chevalerie n'ont été qu'un moyen de frayer la route au romantisme; le flambeau de celui-ci brille depuis long

temps sur l'autel de notre poésie; aucun pontife n'a plus besoin d'y verser de l'huile sacrée, aucun chevalier n'a besoin de se tenir à côté d'elle, armé de pied en cap. L'Allemagne est libre désormais; plus de cafards qui osent emprisonner les esprits allemands; plus de hobereaux qui puissent, le fouet à la main, soumettre à la corvée les corps allemands. De même aussi la muse allemande doit redevenir une jeune fille allemande, libre, épanouie, pure, sans nulle afféterie: elle ne sera plus ni une nonne languissante, ni une jouvencelle des antiques châteaux, orgueilleuse de ses ancêtres.

Puissent beaucoup de personnes partager ces vues! alors il n'y aura bientôt plus de lutte entre romantiques et plasticiens. Mais maint laurier se fanera encore avant que la feuille d'olivier puisse reverdir sur notre Parnasse.

FIN

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