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Si donc nous nous placións au point de vue de la doctrine aujourd'hui officielle sur l'inspiration des Écritures, nous nous trouverions, en face du Nouveau Testament, dans la même affligeante situation où se trouve l'Israélite pieux en face de ses Livres sacrés (voyez Livre V, p. 93, et Livre IV, p. 808).

Mais il faut envisager les choses au point de vue historique. Rappelons, tout d'abord, que primitivement on considérait tous les chrétiens comme inspirés (voy. p. 5 et suivantes).

Vers la fin du second siècle, cette inspiration générale fut restreinte à l'« Église», par où l'on entendit les membres du clergé et spécialement les évêques.

Au Concile de Carthage, en 256, l'évêque Lucius d'Ausafa émit son avis en ces termes : « D'après l'inspiration de mon sentiment et du Saint-Esprit », Secundum motum animi mei et Spiritus sancti (S. Thasci Cæcili Cypriani Opera omnia, édition G. Hartel, t. Ier, p. 457).

L'inspiration de l'Église resta le dogme capital, qui contrebalança celui de l'inspiration des Écritures. Les Écritures étaient soumises à l'interprétation du clergé, qui, dans le développement de ses doctrines, obéissait aux règles d'une logique plus ou moins rigoureuse, alors même qu'il croyait s'appuyer sur les Écritures. Et la preuve, ce sont les altérations qu'il faisait subir aux textes pour les plier aux doctrines qu'il a successivement introduites.

Lorsque, sous l'influence des Croisades, la réflexion s'éveilla chez les laïques; lorsque les «hérésies» des Vaudois et des Albigeois se furent répandues dans le midi de la France, opposant au clergé le témoignage des Écritures, un concile se réunit à Toulouse (en 1229), pour décréter entre autres: «Il est expressément défendu aux laïques d'avoir les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, excepté le Psautier, le Bréviaire ou les Heures de la Bienheureuse Marie, pourvu que lesdits livres ne soient point traduits en langue vulgaire » (H. Martin, Histoire de France, 4° édition, tome IV, p. 153).

« C'était la première fois, dit l'historien auquel nous emprun

tons cette citation, qu'un concile prohibait les livres saints: c'était creuser plus profondément l'abîme qui séparait le clergé de la masse des chrétiens; c'était attribuer au prêtre seul la méditation et la science, au laïque l'ignorance et la foi aveugle (comp. ci-dessus, p. 3). Un jour devait venir, où le fils déshérité réclamerait sa part de l'héritage du père commun... »

Ce jour est venu. L'homme religieux et moral, éclairé des lumières de la science et de l'histoire, a acquis le droit d'examiner les Écritures, et d'y discerner ce qui procède, soit du bon ou du mauvais trésor du cœur, soit de l'influence de la tradition ou de l'Esprit de vérité.

A ses yeux, la question du texte original a beaucoup perdu de son importance. Sa foi s'appuie sur le témoignage, non de la « Lettre qui tue», mais de l'« Esprit qui vivifie» (II Corinthiens 3, 6), de la raison, de la conscience, qui est pour lui l'organe essentiel de la vérité.

Depuis trois siècles d'ailleurs, les Églises séparées de Rome consultent un texte fautif et des traductions fautives.

d'après

Le texte qui depuis 1633 est appelé le « texte reçu » la préface de la 2o édition du Nouveau Testament par les Elzévir, où ces imprimeurs disaient audacieusement: « Vous avez maintenant le texte reçu par tous » est constitué d'après des manuscrits relativement récents et inexacts.

Les traductions, faites d'après ce texte, sont quelquefois plus fautives encore 8.

Le lecteur qui sait le grec et qui, mû par un intérêt historique, tient à s'entourer de toutes les lumières pour connaître la forme du texte la plus rapprochée de l'original, consultera avec fruit l'édition du Nouveau Testament publiée à Leipzig, en 1884, par M. Oscar de Gebhardt. Il y trouvera la recension de Tischendorf, de 1869, à laquelle l'auteur a joint en notes les variantes de deux autres recensions magistrales, dues à des Anglais, celle de Samuel Prideaux Tregelles (Londres, 1857-1879), et celle publiée en collaboration par B. F. Westcott et F. J. A. Hort (Cambridge et Londres, 1881).

CHAPITRE II.

Origine assignée par la Tradition (depuis la fin du second siècle) aux Livres du Nouveau Testament. Les Idées antérieures.

Si la tradition chrétienne est incertaine, hésitante sur l'origine de bien des écrits de l'Ancien Testament, elle se prononce d'une manière plus catégorique sur celle de presque tous les vingt-sept livres du Nouveau. « Les sociétés chrétiennes, dit l'abbé Bergier, quoique divisées sur plusieurs points de croyance, reçoivent quatre Évangiles comme authentiques et canoniques, savoir: ceux de saint Matthieu, de saint Marc, de saint Luc et de saint Jean.

Celui de saint Matthieu fut écrit l'an 36 (d'autres disent 41) de l'ère chrétienne, par conséquent trois ou huit ans après l'ascension de Jésus-Christ, dans un temps où la mémoire des faits était toute récente; il fut composé dans la Palestine, peut-être à Jérusalem, en hébreu ou syriaque... et traduit en grec de très bonne heure. >>

Marc, suivant le même auteur, écrivit son Évangile «à Rome, sous les yeux et selon les instructions de saint Pierre, vers l'an 44 ou 45 de Jésus-Christ ».

Luc, «né à Antioche», rédigea le sien «vers l'an 53 ou 55 de l'ère chrétienne ».

Enfin «on pense communément que saint Jean composa son Évangile après son retour de l'ile de Patmos, vers l'an 96 ou 98 de Jésus-Christ, la première année de Trajan, 65 ans après l'ascension du Sauveur, saint Jean étant alors âgé d'environ quatrevingt-quinze ans >>.

« Ces quatre Évangiles sont authentiques: ils ont été véritablement écrits par les quatre auteurs dont ils portent les noms 1. >>

Ajoutons que si la tradition ne reconnaît en Marc et en Luc que des compagnons d'apôtres (le premier de Pierre, le second de Paul), elle affirme que les deux autres, Matthieu et Jean, ont été apôtres

mêmes de Jésus, et par conséquent témoins oculaires de la plupart des faits qu'ils racontent.

Sur les autres livres du Nouveau Testament, la tradition nous dit: Que Luc, l'auteur du troisième Évangile, a rédigé les Actes des Apôtres, à Rome, en l'an 63 2.

Que Paul, «l'apôtre des gentils », est l'auteur des quatorze épîtres aux Romains, I. II aux Corinthiens, aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, I. II aux Thessaloniciens, I. II à Timothée, à Tite, à Philémon, aux Hébreux; et qu'il les a écrites d'Éphèse, de Corinthe, de Rome, etc., entre les

années 55 et 56.

Que les apôtres Jacques, Pierre, Jean et Jude ont écrit les épîtres qui portent leur nom - le premier en 59, les autres en des temps non déterminés.

Enfin que l'Apocalypse a eu pour auteur l'apôtre Jean, qui l'écrivit entre 95 et 98 dans l'île de Patmos, où il avait été relégué3.

En résumé, suivant la tradition de l'Église, les Évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc occupent les premiers rangs dans la succession chronologique; les Épîtres de Paul et des autres apôtres viennent ensuite; enfin l'Évangile de saint Jean et l'Apocalypse ferment la série des livres du Nouveau Testament, tous rédigés d'ailleurs au premier siècle de notre ère.

Les éléments essentiels de cette tradition remontent à une respectable antiquité, car ils datent de la fin du second siècle. C'est depuis l'an 180 environ que les quatre Évangiles et les principales Épîtres sont considérés comme spécialement inspirés, et placés au niveau des livres de l'Ancien Testament, que seuls jusque-là on avait désignés sous le nom d'Écritures (sous-entendu saintes).

La même manière de voir ne se retrouve point dans les auteurs chrétiens antérieurs, et cela par la raison péremptoire que, suivant la doctrine de la primitive Église, chaque chrétien, lors de son baptême, recevait le don du Saint-Esprit (voir ci-dessus, p. 7).

C'est un premier point, trop oublié depuis 4. L'inspiration, privilège de tous les baptisés, distinguait les chrétiens des juifs et des païens, mais nullement les chrétiens entre eux.

Précisément, puisque l'on croyait tout le monde inspiré, personne ne songeait à mettre les écrits des uns au-dessus de ceux des autres. L'inspiration d'ailleurs était surtout considérée comme exerçant son influence sur la parole vivante. L'art d'écrire ne paraît point avoir été tenu en haute estime 5. Jésus n'a rien écrit. Le maître mort, les disciples attendent son prochain retour (sa parou→ sie) et la fin du monde.

L'attente de la fin prochaine du monde, c'est là un second point dont on ne tient pas assez compte dans l'étude des croyances et des faits qui caractérisent le Christianisme primitif. Les premiers chrétiens étaient convaincus qu'ils ne mourraient point avant le grand cataclysme qui suivrait l'apparition du Christ sur les nuages du ciel. Ils appuyaient cette conviction sur des paroles du maître et ils l'exprimaient dans leurs écrits 7.

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Sous l'empire de telles croyances, l'idée même de composer une littérature sacrée pour la postérité ne pouvait venir à personne. La préoccupation capitale était de gagner le plus tôt possible le monde à Jésus-Christ. Les premiers prédicateurs de l'Évangile ne disaient pas : « : « Étudiez, instruisez-vous, préparez un meilleur avenir au monde ! » Mais: «Sauvez-vous de cette race perverse! » (Actes 2, 40). « Et le Seigneur, dit un texte, ajoutait toujours à la communauté des gens qui furent sauvés» (Actes 2, 47).

Les croyances mêmes que nous venons de signaler, non-seulement confirment ce que nous avons dit plus haut (p. 8-9) sur l'importance secondaire qu'a pour l'homme religieux la question du texte original des livres du Nouveau Testament; mais elles diminuent aussi l'intérêt qu'il y aurait à distinguer les livres «inspirés » et par conséquent divins, de ceux qui ne le seraient point. La question d'authenticité est capitale aux yeux du lecteur, qui ne considère comme canonique que ce qui est authentique; qui, n'admettant comme digne de foi et de vénération que ce qui est écrit par un

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