Page images
PDF
EPUB

apôtre, rejette comme apocryphe ce qui est sorti de la plume d'un autre disciple. Il n'en est plus de même aux yeux de celui qui se trouve en face d'écrits dont les auteurs étaient d'abord considérés tous comme inspirés, et parmi lesquels plus tard on a fait un choix assez arbitraire. Certainement il n'est pas indifférent de savoir si telle Épître est de l'apôtre Paul, ou d'un auteur qui s'est couvert de son nom. Il n'est pas indifférent de savoir si tel Évangile est d'un apôtre, ou d'un disciple qui a vécu plus tard. Mais ce qui, dans un ouvrage, doit intéresser bien plus que le nom de l'auteur, ce sont les vérités qu'il renferme et qui sont indépendantes du nom de celui qui l'a composé. «Les égards que je dois à un homme, disait déjà Platon, sont moindres que ceux qui sont dûs à la vérité» (République, L. X, 1). Et le même auteur fait dire à Socrate: «Si vous me suivez, vous vous inquiéterez peu de Socrate, mais bien plus de la vérité » (Phédon, chap. 91)8. Justin Martyr, qui (vers 160) rappelle ce principe, le qualifie: digne d'être aimé (II Apologie, $ 3).

CHAPITRE III.

Les premiers Écrits du Nouveau Testament.

La

« Résurrection » d'après,

les Évangiles et d'après Paul. Vision et Apparition.

L'ordre chronologique des deux groupes de livres de la Nouvelle Alliance est, comme celui de la «Loi et des Prophètes », l'inverse de ce qu'affirme la tradition. Comme les principaux Prophètes sont antérieurs à la Loi, les principales Épîtres celles de Paulsont antérieures aux Évangiles. Ici encore nous épargnerons à nos lecteurs les épineuses recherches auxquelles la science moderne a dû se livrer, pour découvrir le vrai rapport chronologique, d'une part, entre les Épîtres de Paul et les Évangiles; de l'autre, entre ces Épîtres, puis entre ces Évangiles eux-mêmes. C'est l'École de Tubingue qui, sous l'impulsion de son savant chef, Ferdinand-Chrétien Baur, a ébranlé les préjugés séculaires admis jusqu'alors sur la primitive Église. Si elle n'a pas remis en pleine lumière

M

l'histoire de l'ancienne littérature chrétienne, elle a du moins écarté bien des voiles et dissipé bien des ténèbres. L'ouvrage de Baur sur saint Paul est un chef-d'œuvre d'érudition et de sagacité 1. Il a fixé la succession, depuis lors admise presque sans conteste, des principales Épîtres du grand apôtre (voy. plus bas, p. 31). On sait aujourd'hui que, pour connaître les phases successives qu'a traversées l'Église des deux premiers siècles et sa littérature, il faut, non commencer par les Évangiles et passer aux Épîtres de Paul, mais commencer par les Épîtres de Paul et de là passer aux Évangiles. La voie inverse conduirait le lecteur dans un dédale inextricable. Nous donnerons comme preuve un exemple de la plus haute importance.

Vous entendez un jour de Pâques prêcher sur la résurrection en chair et en os de Jésus-Christ. Cette doctrine, si contraire à l'expérience, aux lois connues, vous donne à penser, et vous rentrez pour consulter les Évangiles. Les quatre livres racontent la résurrection avec beaucoup de détails, mais plus vous les comparez, plus leurs divergences vous embarrassent.

Jean, par exemple, dit que le matin du jour de la résurrection, une femme, Marie de Magdala, vient au tombeau. Matthieu en nomme deux, Marc trois, et Luc toute une troupe.

D'autres contradictions, non moins surprenantes, vous suggéreront peut-être cette réflexion : Parmi les quatre Évangélistes, la tradition ne cite que deux «apôtres», Matthieu et Jean. Seuls, suivant elle, ils furent témoins oculaires des faits. Les deux autres, Marc et Luc, n'ayant été que des « compagnons d'apôtre », leur témoignage a évidemment moins de poids. Donc écartons-les pour écouter les apôtres eux-mêmes.

Voici en résumé le récit de Matthieu (ch. 28): Deux femmes, «Marie de Magdala et l'autre Marie», viennent au tombeau, et trouvent, non Jésus, mais un ange qui les charge de dire aux disciples que le Seigneur est ressuscité, qu'il s'en va devant eux en Galilée, et que c'est là qu'ils le verront. Les deux femmes s'en retournent et rencontrent Jésus, dont elles embrassent les pieds.

Il leur dit «Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée, et que c'est là qu'ils me verront.» « Les onze disciples (Judas était mort) s'en allerent donc en Galilée, sur la montagne où Jésus leur avait ordonné d'aller. Et quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns doutèrent. Et Jésus leur dit : Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre... et voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde. »

Passons maintenant au récit de Jean (ch. 20), également donné comme celui d'un « témoin oculaire»: Une femme, Marie, vient au tombeau et le trouve vide. Elle court avertir Pierre et l'« autre disciple», c'est-à-dire, d'après la tradition, Jean, l'auteur même du récit. Les deux apôtres viennent, voient le tombeau vide et s'en retournent. Marie (qui était revenue se trouvant seule, pleure et se baisse vers le sépulcre, où elle voit deux anges qui lui demandent pourquoi elle pleure, mais ne lui donnent aucune commission pour les disciples. Cependant elle se retourne et voit Jésus, qu'elle prend d'abord pour le jardinier, mais qui se fait reconnaître. Dans sa joie, elle s'écrie: Rabbouni! c'est-à-dire «Maître». Jésus lui dit: «Ne me touche point... mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers mon père et votre Père, et vers mon Dieu et votre Dieu.» En d'autres termes, Jésus fait annoncer aux disciples que son ascension aura lieu le jour même, et ne leur transmet nullement l'ordre de se rendre en Galilée. Aussi restent-ils à Jérusalem. Et le soir de ce même jour, les portes du lieu où ils étaient assemblés étant fermées... Jésus vint, et il fut là au milieu d'eux et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Il leur montra ses mains et son côté, et pendant qu'il se trouvait avec eux, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit!» etc. Mais ils n'étaient que dix. Thomas manquait. Lorsqu'il revint, il refusa de croire à cette apparition de Jésus. Huit jours après, les disciples étant encore dans la maison (à Jérusalem), Thomas cette fois avec eux, Jésus se présente de nouveau «quoique les portes fussent fermées», et il dit encore: La paix soit avec vous! Et il dit à Thomas: «Touchemoi et mets ta main dans mon côté », sur quoi Thomas est con

vaincu. Là finit le récit de l'évangéliste, car le chapitre 21 qui suit est une addition postérieure. En résumé:

SELON MATTHIEU:

Deux femmes, un ange; ordre réitéré aux onze disciples de se rendre en Galilée où ils vont et voient Jésus, mais quelquesuns doutent.

SELON JEAN:

Une femme, deux anges; nul ordre d'aller en Galilée. Les disciples restent à Jérusalem, où le même jour, et huit jours après, ils voient apparaitre Jésus. La première fois les dix apôtres présents reçoivent le Saint-Esprit. La seconde fois Thomas, que le témoignage de ses frères avait laissé incrédule, croit à son tour.

Si jamais deux témoins se sont contredits, ce sont à coup sûr ces deux-là. Impossible, quelque bonne volonté qu'on en ait, de les mettre d'accord. Un seul moyen semble s'offrir: il consisterait à supposer que Matthieu et Jean se soient complétés l'un l'autre ; que celui-ci ait raconté les deux apparitions de Jérusalem, celui-là l'apparition unique de Galilée. Malheureusement cette hypothèse ne supporte pas l'examen. Les disciples, en effet, ne pouvaient en un jour c'est-à-dire entre la résurrection, le matin, et la première apparition de Jérusalem, qui doit avoir eu lieu le soir même se rendre en Galilée et en revenir. Le voyage de Galilée ne pourrait donc trouver place qu'entre les deux apparitions de Jérusalem, ou après la seconde. Entre les deux, impossible; car dix disciples étaient convaincus et munis du Saint-Esprit, Thomas seul doutant. Or en Galilée quelques-uns doutent. Dans la pensée de Matthieu, cette apparition de Galilée est donc la première. Que si l'on place le voyage de Galilée après la seconde apparition, l'impossibilité devient plus manifeste encore, car, à cette seconde apparition, Thomas même ayant été convaincu, il ne restait plus personne pour douter.

Si maintenant des Évangiles on passe aux Épîtres de Paul, en les supposant postérieures à Matthieu, Marc et Luc, on se heurte à un nouvel écueil. Paul aussi nous affirme que Jésus est ressuscité le troisième jour; mais, circonstance digne d'être relevée, il appuie cette affirmation, non sur le dire de témoins, femmes ou apôtres, qui auraient vu le tombeau vide, mais sur l'autorité des Ecritures. Ce qui voulait dire à cette époque de l'Ancien Testament (voy. p. 22). Remarque importante, car on pourrait s'ima

giner que l'apôtre s'en réfère aux Évangiles. Le Christ, dit-il, «< a été enseveli, et il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures » (I Corinthiens 15, 4).

En outre, Paul énumère, en les plaçant sur la même ligne, une série d'apparitions du Christ ressuscité: il a été vu, de Céphas (Pierre) et ensuite des Douze; après cela, de plus de cinq cents frères; puis, il se fit voir à Jacques, et ensuite à tous les apôtres; et, après tous, il est apparu à Paul lui-même (I Corinthiens 15, 5-8).

De quelle nature étaient ces apparitions? La suite du chapitre nous l'apprend. Paul s'y engage dans une longue dissertation, pour démontrer que le corps ressuscité n'est plus le même, et «< que la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu » (verset 50). Suivant le grand apôtre, ce n'est donc pas matériellement que Jésus est ressuscité. Nulle femme n'a donc pu embrasser ses pieds, comme le dit Matthieu, et Thomas n'a pu mettre la main dans son côté, comme l'affirme Jean.

Il en résulte que, si l'on tient les Évangiles pour les plus anciens documents du Christianisme, et qu'on les prenne pour point de départ des doctrines de l'Église, la question de la résurrection ne fait que s'embrouiller et s'obscurcir, puisque au désaccord de Matthieu et de Jean vient s'ajouter celui de Paul avec chacun des deux.

Par contre, quelle lumière se répand sur ce sujet difficile et délicat, si l'on commence l'étude des sources chrétiennes par les Épîtres de Paul. On ne tardera pas à découvrir qu'il faut soigneusement distinguer deux ordres de faits, d'une part la résurrection, de l'autre les apparitions ou plus exactement les visions du Christ. Ces dernières seules, suivant Paul, sont rapportées par des personnes qui les ont eues et au nombre desquelles il se range luimême. La résurrection, au contraire, repose uniquement, selon lui, sur le témoignage de l'Ancien Testament.

L'Ancien Testament renferme, en effet, une série de passages qui, appliqués à Jésus, devaient évidemment faire naître la certitude qu'il était ressuscité des morts. Tels sont: Isaïe 53, 7-122; Psaume 16, 8-11, et notamment Osée 6, 1-2, où il est dit : «Yahvèh a

« PreviousContinue »