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Son visage était beau par excellence, et fort vif. La stature et grandeur de son corps venait du tout à sept palmes en hauteur. Sa perruque (sic) était jaunâtre, non trop épaisse, tournait quelque peu sur cheveux crépus et madrés. Il avait les sourcils noirs, et non beaucoup pliés. Ses yeux, tirant sur le jaune, lui donnaient bonne grâce à merveille. Ils étaient vifs et subtils, et son nez bonnement long. Il avait le poil de sa barbe, jaune, et non pas trop long, ni avalé en bas. Mais il portait les cheveux de sa tête, bien longs. Car le rasoir ne fut jamais mis sur sa tête, ni aucune main d'homme toucha à icelle, sinon de sa mère, encore lui étant bas d'âge et bien petit. Son col allait peu à peu en abaissant, de sorte que le maintien de son corps n'était pas trop haut ni étendu, ni aussi trop bas, au reste, ayant telle couleur que le blé froment. Il ne portait pas le visage raide ni aigu, mais tel que celui de sa mère, penchant un peu vers le bas, et moyennement rouge; lequel donnait apparence de gravité et sagesse, jointe avec douceur, portant la mine d'être bénin et facile, sans aucun fiel de courroux. Bref, il était semblable en tout et par tout, à sa mère divine et immaculée" (L'Histoire ecclésiastique de Nicefore, fils de Calliste Xanthouplois, Paris, 1587, T. I, feuillet 64).

Cependant l'Occident latin n'était point resté en arrière sur l'Orient grec. Dès le XIIe siècle apparaît, dans les œuvres d'Anselme de Cantorbéry (voy. Livre I p. 293), une lettre, prétendue rédigée par le "proconsul Lentulus", contemporain de Jésus, et adressée au sénat romain. On y lit entre autres :

Cet homme est d'une taille haute et bien proportionnée; sa physionomie est sévère et pleine de vertu, de façon qu'à le voir on puisse l'aimer et le craindre aussi. Les poils de sa tête ont la couleur du vin, et, jusqu'à la naissance des oreilles, sont droits et sans éclat. Mais, des oreilles aux épaules, ils brillent et se bouclent. A partir des épaules, ils descendent dans le dos, distribués en deux parties à la façon des Nazaréens. Front pur et uni, figure sans tache et tempérée d'une certaine rougeur, physionomie noble et gracieuse. Le nez et la bouche sont irréprochables. La barbe est abondante, de la couleur des cheveux, et fourchue. Les yeux sont bleus et très brillants. A reprendre et à blâmer, il est redoutable; à instruire et exhorter, il a la parole aimable et caressante. La figure est d'une gravité et d'une grâce merveilleuses. Personne ne l'a vu rire, et pas même pleurer. Élancé de corps, il a les mains droites et longues, les bras charmants. Grave et mesuré dans ses discours, il est sobre de paroles. De figure, il est le plus beau des enfants des hommes." (Cité par Didron, Histoire de Dieu, p. 252.)

Ceux qui croient que plus une description, plus une narration

est précise et détaillée, plus elle porte le cachet de l'authenticité, peuvent, par les exemples qui précèdent, se convaincre que souvent c'est le principe contraire qui est vrai. Plus une description, plus une narration est précise et détaillée, plus elle porte le cachet de l'imagination qui l'a inventée, de cette imagination toujours féconde, malgré la diversité de ses produits, et qui, dans tous les siècles, a été et restera le plus puissant auxiliaire de la foi (Comparez p. 11-12).

Après avoir inventé et décrit un Jésus laid et méprisable, elle invente et décrit un Jésus d'une grâce merveilleuse", et qui n'est rien moins que le plus beau des enfants des hommes".

Cette diversité dans l'apparence physique du Christ ne rappelle-t-elle pas la diversité dans la conception métaphysique de son être, se trahissant par la diversité des acceptions dans lesquelles le mot Christ a été pris dans la suite des temps (voyez Livre I, p. 278-279).

En ce qui concerne la lettre du procurateur Lentulus", nous ferons observer qu'il n'y a jamais eu en Judée de procurateur de ce nom. Le seul procurateur qui ait vu Jésus, est Pilate, dont le prédécesseur s'appelait Valérius Gratus. (Voyez Livre V, p. 335, note 6).

Portraits. Ils se divisent en deux catégories: a) Ceux qui sont attribués à des peintres ou à des sculpteurs. b) Les portraits dits acheiropoietes non faits de main d'homme", et que l'on prétend dûs à un acte miraculeux du Christ lui-même.

a) Pour trouver un peintre aussi rapproché que possible du temps de Jésus, on alla chercher l'évangéliste Luc. Le confondant avec le personnage, cité dans l'épître aux Colossiens, 4, 14, on en avait fait d'abord un médecin, et la Légende dorée ne le connaît pas encore peintre. Cependant, dès le commencement du huitième siècle, dans une lettre à l'empereur Léon III, le pape Grégoire II parlait d'un portrait peint par saint Luc. „L'image du Sauveur" sur bois de cèdre, qui se trouve dans la chapelle dite Sancta Sanctorum, au-dessus de la Scala santa, près du Latran, a été, suivant la tradition, commencée par saint Luc, terminée par des anges. C'est une œuvre byzantine de date incertaine. Innocent III la fit richement encadrer d'argent. Nous la reproduisons

fig. 1 d'après Garrucci1. Cet auteur rapporte la tradition, suivant laquelle ce portrait aurait été envoyé au pape Grégoire II par le

Fig. 1.

patriarche de Constantinople, Germain I, vers l'an 730. Dans cette tradition, il n'est pas encore question de Luc. Le nom de l'Évangéliste n'apparaît qu'au XIIIe siècle, dans l'inscription de Grégoire IX (1234): Dans cette chapelle est conservée l'effigie de notre Sauveur, peinte par le bienheureux Luc...“ On mentionne aussi diverses images du Christ, exécutées, dit-on, par Nicodème dont la légende fait un sculpteur.

b) L'image terminée par des anges" de la chapelle Sancta Sanctorum forme la transition aux portraits acheiropoiètes. La plus ancienne légende d'un portrait de ce genre se rattache à la prétendue correspondance entre Jésus et Abgar, roi d'Edesse (en Mésopotamie), citée par Eusèbe (voy. p. 251, note 7). Dans ces lettres mêmes, il n'est pas encore question d'un portrait de Jésus.

Ce portrait ne surgit qu'au VIe siècle, dans l'Histoire de l'Église (IV, 27) d'Evagre qui se contente de mentionner l'image faite par Dieu (eikôn theoteuktos), envoyée à Abgar par le Sauveur".

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Deux siècles plus tard, Jean de Damas assure que suivant un récit depuis longtemps transmis, et parvenu jusqu'à nous, Abgar, roi d'Edesse, ayant appris ce qu'on racontait du Seigneur, s'enflamma d'amour divin, et envoya des ambassadeurs au Christ pour l'inviter à venir le voir. Dans le cas d'un refus, il les chargea de faire faire son portrait par un peintre. Lorsque celui auquel rien n'est caché et qui peut tout eut connu ce dessein, il prit un morceau d'étoffe, y appliqua sa face, et y peignit sa propre image. Cette image est conservée en bon état jusqu'à notre temps."

Le Damascène ajoute que le Sauveur envoya cette image à Abgar par l'apôtre Thaddée 2.

En 944 l'image d'Edesse", ainsi que la correspondance d'Abgar et du Sauveur, qui étaient devenues la proie des Musulmans,

Raffaele Garrucci, Storia dell'Arte Cristiana, T. 3 (1876), p. 9-10, et Pl. 106, 3.

2 Didron, Histoire de Dieu, p. 251, note 2. (Comp. L. Gluckselig, Studien über Jesus Christus, p. 109.)

furent cédées par eux à l'empereur Romain I Lécapène, et solennellement transportées à Constantinople. Constantin VII, gendre et collègue de l'empereur, décrivit cette cérémonie dans un Mémoire spécial où il donne une forme plus détaillée de la légende d'Abgar 1.

Au XIVe siècle, Nicéphore Calliste la reproduit dans son Histoire ecclésiastique (II, 7).

Abgar, ayant voulu avoir le portrait de Jésus-Christ, choisit le plus excellent peintre qu'il put trouver en Ethiopie," et le chargea de faire le plus exactement possible en peinture la face du Christ. Pour bien remplir sa commission, le peintre se mit en un lieu plus haut afin de le contempler plus à son aise, et de faire mieux son portrait". Mais son entreprise n'eut pas de succès, „car la lueur divine et grâce céleste qui reluisaient de son visage empêchaient son dessein". Plein d'admiration, son esprit tout occupé à le contempler, n'avait aucune force pour guider sa main. Le Sauveur s'en étant aperçu, demanda un tissu de lin, auquel, bien lavé premièrement, il coucha sa face naïve, mettant le linge dessus, puis l'envoya à Abgar“.

Dans le même chapitre, Nicéphore Calliste raconte que l'apôtre Thaddée guérit Abgar d'une maladie incurable, en mettant la main sur lui, au nom de Jésus-Christ.

Plus tard on amalgama les deux légendes, et ce fut par l'application de l'image miraculeuse que le roi fut rétabli.

Qu'était devenu cependant le saint portrait?

Il paraît avoir été détruit, lors de la prise de Constantinople par les Vénitiens, en 1204. Mais la légende ne s'accommode pas volontiers de la perte des choses qu'elle a déclarées divines.

Au temps de Constantin VII déjà, il existait des reproductions plus ou moins miraculeuses de l'image d'Edesse, et depuis, ces reproductions n'ont pas fait défaut.

On montre dans l'église Saint-Sylvestre à Rome une image du Sauveur" que l'on prétend faite d'après celle d'Edesse. Wilhelm Grimm en a publié une copie dans son traité: Die Sage vom Ursprung der Christusbilder, lu à l'Académie des sciences de Berlin,

'Ce mémoire a été reproduit par le dominicain François Combefis dans Originum rerumque Constantinopolitanarum... manipulus. Paris, 1664, p. 95.

en décembre 1842, et tiré à part en 1843. Nous l'avons fait photographier en plus petites dimensions (fig. 2).

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D'autre part on conserve à Gênes l'image du Christ que l'on prétend également avoir été copiée sur celle d'Edesse et rapportée de Constantinople, vers 1362, par Léonard de Montalto qui l'aurait

Fig. 3.

léguée, en 1384, à l'église de Saint-Barthélémy

des Arméniens. Nous la reproduisons (fig. 3), d'après Garrucci (Ibid. p. 6-7 et Planche 106, 1).

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Enfin le couvent de l'Annonciation à Nazareth possède une Vraie image du Sauveur, Notre Seigneur Jésus-Christ au roi Abgar", que le voyageur russe Abraham Norow fit connaître en 1844. Le Dr Legis Gluckselig, après en avoir fait faire une copie idéalisée, obtint en 1860 du pape Pie IX l'autorisation de publier ce

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Visage d'Edesse". Le

cardinal Antonelli la recommanda même comme Sagra Effigie à la vénération des fidèles. Ce troisième portrait d'Edesse est reproduit en petite dimension dans notre fig. 4.

L'Occident ne resta point sans avoir lui aussi son portrait acheiropoiète. Nous le trouvons entre autres au XIIe siècle, dans un poème allemand, composé vers 1175 par le prêtre Wernher :

Une fidèle disciple du Christ, Véronique, est pénétrée de joie toutes les fois qu'elle voit le visage du Maître. Pour avoir son

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